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CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 7 juin 2023

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 7 juin 2023
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 5 ch. 4
Demande : 21/01064
Date : 7/06/2023
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 13/01/2021
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CERCLAB - DOCUMENT N° 10371

CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 7 juin 2023 : RG n° 21/01064 ; arrêt n° 110 

Publication : Judilibre

 

Extrait : « Aux termes de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : [...] 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

L'élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l'absence de négociation effective ou l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation impliquant cette absence de négociation effective.

L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie a une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties.

La société W. N. n'apporte aux débats aucun élément permettant d'établir qu'elle n'a pas été en mesure de négocier le contrat de coopération commerciale conclu avec la société E. Les allégations de déséquilibre significatif au titre des conditions de paiement relèvent de manquements reprochés dans l'exécution du contrat mais non démontrés par les pièces produites (pièces n°17 à 20).

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société W. N. de ses demandes de dommages-intérêts de ce chef. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 5 CHAMBRE 4

ARRÊT DU 7 JUIN 2023

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 21/01064. Arrêt n° 110 (11 pages). N° Portalis 35L7-V-B7F-CC6AD. Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 novembre 2020 - Tribunal de Commerce de PARIS, 13ème chambre - RG n° 2017017457.

 

APPELANTE :

SAS SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES ÉTABLISSEMENTS W. CA LLENS

agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège, immatriculée au RCS de LILLE METROPOLE sous le numéro XXX, [Adresse 3], [Localité 1], Représentée par Maître Marie-Hélène DUJARDIN, avocat au barreau de PARIS, toque D2153, avocat postulant, Assistée de Maître Didier LEBON, avocat au barreau de LILLE, avocat plaidant

 

INTIMÉE :

SAS E.

agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège, immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro YYY, [Adresse 2], [Localité 4], Représentée par Maître Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque K0111, avocat postulant, Assistée de Maître Cécile MOREIRA, avocat au barreau de PARIS, toque C817, avocat plaidant

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 avril 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie Depelley, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Marie-Laure Dallery, présidente de la chambre 5.4, Madame Sophie Depelley, conseillère, Monsieur Julien Richaud, conseiller.

Greffière, lors des débats : Madame Claudia Christophe

ARRÊT : - Contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Marie-Laure Dallery, et par Monsieur Martinez, Greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS ET PROCÉDURES :

La société SAS Société d'exploitation des établissements W. N. (ci-après désignée « W. N. ») a pour activité le commerce de gros dans le domaine de l'habillement.

La société SAS E. exerce une activité de vente par correspondance de divers objets et vêtements, principalement au moyen de catalogues et d'un site internet sous le nom de « L'Homme Moderne » et se fournissait auprès de la société W. N.

La relation commerciale a débuté en 1999 avec la société Serpie dont le fonds de commerce a été repris par la société E. en 2007.

Les parties ont conclu un contrat de coopération commerciale à durée indéterminée le 15 octobre 2011.

Par lettre du 8 avril 2015, la société E. a fait état de retard sur des livraisons de marchandises commandées en 2014 et a mis en demeure la société W. N. de respecter les délais sur les commandes à venir.

La société W. N. a constaté en 2015 une chute de plus de 65% des commandes de la part de la société E. qui s'est poursuivie en 2016.

Aux motifs que les retards de livraison avaient persisté et perturbaient gravement son activité, la société E. a notifié par lettre du 12 décembre 2016 la résiliation du contrat avec effet après la livraison des 6 dernières commandes prévues jusqu'en mars 2017.

Par lettre du 6 mars 2017, la société W. N. a contesté le motif de résiliation du contrat allégué par la société E. et a indiqué être victime d'une rupture brutale de la relation commerciale.

Par acte du 17 mars 2017, la société E. a assigné la société W. N. devant le tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir des dommages-intérêts en réparation de manquements contractuels. La société E. a sollicité à titre reconventionnel diverses sommes et notamment des dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale.

Par jugement du 30 novembre 2020 le tribunal de commerce de Paris a :

- Condamné la SAS Société d'exploitation des établissements W. N. à verser 20 000€ à la SAS E. à titre de dommages intérêts destinés à réparer le préjudice résultant des retards de livraisons.

- Débouté la SAS Société d'exploitation des établissements W. N. de sa demande de condamnation de la SAS E. à hauteur de 152 836€ au titre de la rupture commerciale partielle de la relation établie pour l'année 2015.

- Débouté la SAS Société d'exploitation des établissements W. N. de sa demande de condamnation de la SAS E. à hauteur de 133987€ au titre de la rupture commerciale partielle de la relation établie pour l'année 2016.

- Débouté la SAS Société d'exploitation des établissements W. N. de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 50 000€ au titre du préjudice d'image.

- Débouté la SAS Société d'exploitation des établissements W. N. de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 30 000€ au titre d'un déséquilibre significatif des droits et intérêts des parties.

- Débouté la SAS Société d'exploitation des établissements W. N. de sa demande de condamnation de la SAS E. à hauteur de 10 000€ au titre du non-respect des délais de paiement.

- Débouté la SAS Société d'exploitation des établissements W. N. de sa demande de condamnation de la SAS E. à hauteur de 10 609,73€ au titre de demandes de remboursement.

- Débouté la SAS Société d'exploitation des établissements W. N. de sa demande de dommages intérêts de 20 000€ au titre du préjudice de déloyauté.

- Condamné la SAS Société d'exploitation des établissements W. N. à payer à la SAS E. la somme de 10 000€ au titre de l'article 700 du CPC -Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.

- Condamné la SAS Société d'exploitation des établissements W. N. aux dépens, dont ceux à recouvrer part le greffe, liquidés à la somme de 77,84 € dont 12,76 € de TVA.

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 13 janvier 2021 la société W. N. a interjeté appel de ce jugement.

[*]

Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 1er avril 2021, la société W. N. demande à la Cour de :

Sur les demandes de la société E. :

Vu l'article 1134 (ancien) du Code civil,

Vu l'article 9 du code de procédure civile,

Vu le contrat de coopération commerciale du 15 octobre 2011,

Vu la lettre de résolution en date du 12 décembre 2016

Vu les pièces versées aux débats,

- Constater que selon le contrat les retards de livraison ne constituent pas une cause de résiliation ;

- Constater que la société E. ne fait état que du retard sur une commande mineure ;

- Dire la société E. irrecevable à se prévaloir de la lettre de mise en demeure du 8 avril 2015 et des griefs antérieurs, au demeurant également mineurs ;

- Constater qu'il ressort de la lettre du 26 septembre 2016 de la société E. que la cessation de la relation a pour cause la réorganisation de sa stratégie commerciale ;

- Déclarer que la société E. ne justifie pas d'un motif de résiliation pour faute grave valable ;

- Déclarer que la société E. ne justifie pas de sa demande de pénalités ;

- Débouter la société E. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Reconventionnellement :

Vu le contrat de coopération commerciale en date du 15 octobre 2011,

Vu l'article L. 442-6, I, 1°, 2°et 5° (ancien) du Code de commerce,

- Déclarer que la Société d'exploitation des établissements W. N. justifie d'une relation commerciale établie ;

- Déclarer que la société E. a poursuivi la relation commerciale établie de la société W. N. avec la société Serpie ;

- Déclarer que la société W. N. justifie d'une ancienneté de 17 ans de la relation commerciale établie ;

- Déclarer que la société E. a commis au préjudice de la SOCIETE D'EXPLOITATION DES ETABLISSEMENTS W. N. une rupture brutale, d'abord partielle puis totale, des relations commerciales qui les liaient ;

- Déclarer que les produits contractuels constituent des produits sous marque de distributeur (MDD) Déclarer que la société E. aurait di respecter un préavis de 24 mois ;

Par conséquent :

- Condamner la société E. à payer à la Société d'exploitation des établissements W. N. la somme de 152.836 euros, sauf à parfaire, en réparation de la perte de marge brute pour l'année 2015 ;

- Condamner la société E. à payer à la Société d'exploitation des établissements W. N. la somme de 133.987 euros, sauf à parfaire, en réparation de la perte de marge brute pour l'année 2016 ;

- Condamner la société E. à payer à la Société d'exploitation des établissements W. N. la somme de 472.490 euros, sauf à parfaire, en réparation de la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires qu'elle devait réaliser pendant la durée du préavis de 24 mois qui aurait dû être respecté ;

- Condamner la société E. à payer à la Société d'exploitation des établissements W. N. la somme de 50.000 euros, en réparation de son préjudice d'image ;

- Dire que les condamnations porteront intérêt au taux légal à compter du 6 mars 2017, date de la première mise en demeure ;

Vu l'article L. 442-6 I. 2° (ancien) du Code de commerce

- Déclarer que la société E. a soumis son partenaire a des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

- Condamner la société E. au paiement de la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts

Vu l'article 1134 (ancien) du Code civil

- Déclarer que la société E. a manqué à ses obligations contractuelles de délais de paiement ;

- Condamner la société E. au paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- Condamner la société E. à rembourser les pénalités non dues payées par la Société d'exploitation des établissements W. N. ;

- Condamner la société E. au paiement de la somme de 10.609,73 euros ;

Vu l'article 1104 du Code civil, anciennement article 1134 alinéa 3

- Déclarer que la société E. a commis des faits de déloyauté au préjudice de la société W. N. ;

- Condamner la société E. au paiement d'une somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

En tout état de cause :

- Ordonner la capitalisation des intérêts ;

-Condamner la société E. à payer à la Société d'exploitation des établissements W. N. la somme de 15.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux frais et dépens.

[*]

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 26 octobre 2022, la société E. demande à la Cour de :

Vu les articles 1231-1 et suivants du Code Civil,

Vu l'article L. 442-6-1-5 du Code de Commerce et de tous autres motifs à suppléer ou à déduire,

- Dire et juger W. N. irrecevable et mal fondée en son appel à l'encontre du jugement prononcé par le tribunal de commerce de Paris le 30 novembre 2020 ;

Statuant de nouveau

- Confirmer le Jugement du Tribunal de Commerce de Paris en toutes ses dispositions ;

- Dire et juger que E. a, à bon droit, rompu le contrat de coopération commerciale conclu avec la société W. N. à [Localité 4] le 15 octobre 2011 et plus généralement toute relation commerciale, en raison de l'importance, de la répétition, de la gravite' des manquements commis par W. N. ;

- Condamner la société W. N. d'avoir à payer à E. une somme de 20.000 euros a` titre de dommages et intérêts destinés à réparer son préjudice subi ;

- Débouter la société' W. N. de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de E. ;

- Condamner la société W. N. d'avoir a` payer a` E. une somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tous les frais et dépens de l'instance dont distraction au profit de la SCP Grappotte Benetreau en application de l'article 699 du code de procédure civile,

[*]

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mars 2023.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIVATION :

Sur la résiliation du contrat de coopération commerciale :

Exposé des moyens des parties

La société W. N. fait principalement valoir que les griefs de retard de livraison et de non-conformité allégués par la société E. pour rompre unilatéralement le contrat de coopération commercial étaient mineurs et n'ont concerné qu'une proportion infime des commandes. Elle estime que les griefs sont artificiels et de pure circonstance pour motiver une rupture des relations commerciales en raison d'un changement de stratégie de la société E. par une baisse brutale des commandes dès 2015. Elle relève que la poursuite de la relation contractuelle malgré les griefs de retard de livraison enlève toute gravité aux fautes reprochées. Elle soutient qu'aux termes du contrat liant les parties, les retards ou livraisons non conformes entraînent, le cas échéant, paiement de pénalités, voire résiliation de la commande en cause, mais non la résiliation du contrat.

La société W. N. soutient que le préjudice allégué de trouble commercial n'est pas établi et conteste l'évaluation forfaitaire faite par le tribunal de commerce.

La société E. réplique pour l'essentiel avoir résilié à bon droit le contrat de coopération commercial la liant à la société W. N. pour des retards de livraison et des non-conformités très préjudiciable dans son activité de vente par correspondance. Elle relève que malgré les alertes et mises en demeure depuis fin 2014 adressés à la société W. N., les manquements sur les délais et la conformité des produits ne se sont pas améliorés et lui ont causé un véritable trouble commercial notamment pour s'assurer des stocks disponibles pour l'établissement de ses catalogues.

Réponse de la Cour,

Toute partie à un contrat à durée indéterminée peut, sans motif, mettre fin unilatéralement à celui-ci, sauf à engager sa responsabilité en cas d'abus. (Com., 26 janvier 2010, pourvoi n° 09-65.086, Bull. 2010, IV, n° 18).

En l'espèce, la convention de coopération commerciale a été conclue entre les parties le 15 octobre 2011 pour une durée indéterminée et avait pour principal objet d'organiser les conditions générales d'achat des produits auprès du fournisseur W. N. Il ressort des dispositions relatives aux livraisons que le respect des délais de livraison était une condition essentielle pour la société E. En ce sens l'article 3.3 Date de livraison énonce que :

« Le non- respect de la date de livraison fixée (et confirmée par le fournisseur) entraîne un certain nombre de conséquences dommageables pour la société E. SA :

- de faux délais données à nos clients,

- une désorganisation de nos services

- des risques de perte de vente si le délai est repoussé,

- des coûts imprévus de courriers pour information auprès de notre clientèle,

- des commandes expédiées aux clients en plusieurs fois générant des frais d'expédition à la charge de E. SA. (...) »

Le contrat prévoyait également à l'article VII Durée de validité des conditions générales d'achat que :

« Les présentes conditions générales d'achat sont établies pour une durée indéterminée.

Elles ne peuvent être dénoncées par l'une ou l'autre des parties par lettre recommandée qu'au moins 60 jours avant la fin de la durée de validité du catalogue en cours, afin que la société E. SA puisse en tirer les conséquences nécessaires pour l'avenir et en tenir compte dans le nouveau catalogue à paraître ensuite.

Il est expressément convenu que toute résiliation dans le délai précité, entraînera IPSE FACTO, sans mise en demeure préalable, la résiliation des éventuelles commandes de la société E. SA passée le cas échéant avant les quarante cinq jours de préavis pour son nouveau catalogue à venir. »

La société E. produit aux débats de nombreux échanges de courriels entre les parties courant 2015 (pièces n°15 à 22) faisant état de nombreux problèmes de retards de livraison et de non-conformité :

Ainsi par un courriel du 15 octobre 2014 (pièce n°16), la société E. a indiqué à la société W. N. :

« En effet, comme nous vous l'indiquions lors de notre dernier entretien, sur un total de 34.656 pcs en commande, 19.480 pcs auront été livrées avec un retard allant de 1 à 8 semaines. Cela signifie que 56% des références que nous vous avions commandées n'étaient pas en stock lors du routage de nos catalogues. (Certaines références ont par ailleurs fait l'objet de plusieurs reports.)

Vous connaissez nos impératifs et nos contraintes en terme de respect de dates de livraison. Il nous est impossible de débuter un catalogue avec un stock nul »

Par un courriel du 30 octobre 2014 (pièce n°17), E. a indiqué à W. N. :

« Bonjour, je fais suite à mon entretien avec [O] et vous confirme être extrêmement inquiète quant à cette référence 377 488 - Cargo 1107 et à la commande 53007 relative à ce produit. J'ai référencé ce produit le 10/07, la commande a été placée le 18/07 et depuis je n'ai pas vu l'ombre d'un échantillon. Vous comprendrez très certainement que je puisse avoir quelques doutes et inquiétudes quant à la livraison de cette commande à la date confirmée. Nous sommes le 30/10. La marchandise doit être dans nos entrepôts le 5/12 - Monsieur N., je vous serais reconnaissante de bien vouloir m'appeler à réception de ce mail. »

Par un courriel du 7 novembre 2014 (Pièce 19) la société E. a indiqué à la société W. N.

« Nous faisons suite à notre RDV du 5/11 en nos locaux et confirmons les points suivants :

1) Campagne 311 FASHION et HOMME MODERNE : 56 % des commandes ont été livrées avec un retard allant de 1 à 8 semaines. Les dernières livraisons ont eu lieu le 23 octobre. Ces retards ont occasionné de nombreux différés et de pertes de clients, pertes dont nous ne pouvons évaluer le préjudice. Comme prévu dans notre contrat de coopération commerciale, nous vous remercions d'accepter les pénalités relatives aux retards enregistrés pour les commandes de mise en place sur les campagnes FSH et HM 314. Nous avons bien noté que vous ne les contestiez pas.

2) (…) En revanche concernant la commande 53007 « jean battle » le 31 octobre, vous nous avez informés d'un problème de container bloqué en nous conseillant de trouver une alternative pour ce produit. Le catalogue étant en cours d'impression, nous ne pouvions supprimer cette référence et avons été dans l'obligation de trouver une solution en proche import. En revanche le prix d'achat est supérieur au prix d'achat d'un sourcing Bangladesh. Vous voudrez bien nous confirmer par écrit que vous annulez cette commande 53007 ainsi que les raisons de cette annulation (...).

3) Campagne FASHION 215. Vous avez en carnet de commande les références suivantes : 278 378, 278 566, 284 644, 303 015 qui sont prévues en livraison pour le 12/01/15. Nous serons attentifs à ce que l'ensemble de ces références soit livré aux dates confirmées.

4) Monsieur C. a évoqué le futur et par conséquent les prochaines campagnes ' En revanche, vu les problèmes de livraison rencontrés pour les campagnes 314, Monsieur C. s'est inquiété de votre capacité à respecter nos dates de livraison. »

Par un courriel du 20 novembre 2014 la société E. a indiqué à la société W. N. :

« Je ne peux que constater que même les reliquats de mise en place de cette campagne 314 sont livrés avec retard »

Par lettre recommandée du 8 avril 2015, la société E. a rappelé l'ensemble des difficultés de livraisons courant 2014 et a mis en demeure la société W. N. en ces termes :

« Compte tenu des motifs ci-dessus exposés, de la répétition des manquements que vous avez commis dans l'exécution de vos obligations et du préjudice que vous nous avez déjà provoqué et qui n'est pas encore indemnisé, nous vous mettons en demeure par la présente de respecter impérativement les dates de livraison ci-dessus indiquées, que vous nous avez imposées, pour les quantités de produits commandés.

Nous ne pourrons plus accepter le moindre jour de retard. Dans le cas où, malgré nos engagements, vous manqueriez une nouvelle fois à vos obligations, nous vous informons par la présente que nous serons contraints de procéder à une résiliation, à vos torts exclusifs et sans préavis, de notre contrat de coopération commerciale, et de vous réclamer la réparation de l'intégralité de notre préjudice.

Les dates de livraisons mentionnées dans le tableau ci-dessus sont lointaines et, à nouveau, sont celles que vous nous avez imposées et que nous avons acceptées. Nous comptons donc impérativement sur vous pour prendre toutes les mesures nécessaires et respecter vos obligations. »

Le 26 septembre 2016, la société E. a informé la société W. N. qu'elle constatait un certain recul des ventes sur ses produits présents dans le catalogue L'homme moderne, qu'elle n'avait pas été séduite par les propositions de modèles pour ses clients et qu'elle poursuivait la baisse des commandes amorcée depuis 2014 à la suite de problèmes de retards et de non-conformité des livraisons.

Déplorant un retard de plus de 70 jours sur une commande de pantalon placée le 2 février 2016 en ces termes :

« Nous faisons suite aux derniers problèmes de retards de livraison et de non-conformité rencontrés, à savoir : la commande 58351, placée le 2.2.16, sur le pantalon velours anthracite extensible doublé (nos réf. 281302). La date de livraison de cette commande avait été confirmée au 12.08.16 par vos soins mais ce produit n'a été réceptionné en nos entrepôts que le 30.11.16 soit avec un retard de plus de 70 jours.

Par ailleurs, ce produit nous a été livré non conforme : nous l'avons reçu avec une demi-doublure au lieu d'une doublure complète (...).

De nombreux emails et appels téléphoniques ont été échangés entre vos équipes (vous-même n'avez pas été présents) et nos services Achats/ Appros concernant les nombreux reports de livraisons. Pour rappel, la date de livraison de cette commande a été reportée comme suit : 4/10-18/11-26/11 et 30/11 avec 419 différés. »

La société E. a notifié par lettre du 12 décembre 2016 la résiliation du contrat de coopération commerciale avec effet après la livraison des 6 commandes en cours prévues entre le 30 janvier et le 10 mars 2017.

La société W. N. ne conteste pas l'existence des retards de livraison et des non-conformités, mais en minimise l'importance.

Compte de tenu de l'importance des délais de livraison de la société E. dans l'organisation de son activité de vente par correspondance, des circonstances dans lesquelles elle a régulièrement averti son cocontractant depuis 2014 des conséquences préjudiciables sur son activité des retards de livraisons et de son intention de rompre le contrat en cas de persistance de non-respect des délais de livraisons donnés par la société W. N. elle-même, la société E. a pu régulièrement mettre fin au contrat à durée indéterminée sans qu'il soit démontré de comportement abusif de nature à engager sa responsabilité.

En considération de la nature particulière de l'activité de vente par correspondance, de la nécessité pour la société E. de disposer des marchandises en stock lors de l'établissement de ses catalogues et de la désorganisation de son service commercial, le tribunal a justement évalué son préjudice lié à un trouble commercial, dont il n'est pas établi qu'il avait été compensé par le paiement effectif de pénalités de retard, à la somme de 20 000 euros.

Le jugement sera confirmé sur ces points.

 

Sur la rupture de la relation commerciale :

Exposé des moyens des parties

La société W. N. fait principalement valoir sur le fondement de l'article L .442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version applicable au litige qu'elle a noué une relation commerciale établie depuis 1999, d'abord avec la société Serpie puis avec la société E. qui a repris le fonds de commerce de cette dernière en 2007. Elle reproche à la société E. une rupture brutale de la relation commerciale, d'abord partielle en 2015 à la suite d'une chute très importante de commandes passant de 814.639 euros en 2014 à 287.615 euros en 2015 puis 352.614 euros en 2016, pour terminer par un déréférencement total en 2016. Elle soutient que cette rupture de la relation a été faite sans préavis, alors que compte tenu de l'ancienneté de la relation (17 ans) et des produits marque distributeur, elle devait bénéficier d'un préavis de 24 mois. Elle prétend qu'aucun manquement grave de sa part ne peut justifier une rupture sans préavis et qu'au contraire la société E. a été déloyale à son égard en tentant de s'approvisionner directement auprès de l'un de ses sous-traitants chinois.

Elle estime son préjudice consiste en la perte des bénéfices escomptés et non réalisés et réclame les sommes de :

- 152.836 euros au titre de la perte de marge brute sur son chiffre d'affaires 2015

- 133.987 euros au titre de la perte de marge brute sur son chiffre d'affaires 2016

- 472.490 euros au titre de la perte de marge brute sur 24 mois de préavis manquant

- 50.000 euros au titre de l'atteinte à son image commerciale dans la grande distribution et de la vente par correspondance,

- 20.000 euros à titre de dommages-intérêts pour déloyauté

La société E. réplique pour l'essentiel que la relation commerciale nouée entre les parties est établie seulement sur une période de 8 années, qu'elle a été contrainte de rompre toutes relations nées du contrat de coopération commerciale du 15 octobre 2011 après mise en demeure pour des manquements perturbant gravement son activité et que la seule diminution des commandes n'est pas suffisant pour caractériser une rupture partielle. Elle conteste que les produits commandés soient qualifiés de marque distributeur. Elle relève que la société W. N. ne verse aux débats aucune pièce comptable, autre qu'une attestation sur le montant de la marge brute, pour établir ses préjudices.

Réponse de la Cour,

L'article L. 442-6, I 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait pour le producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce ou par des accords interprofessionnels.

Il ressort des pièces versées aux débats, notamment du courrier du 8 avril 2015 par lequel la société E. indique que la société W. N. est fournisseur depuis 2007 du catalogue L'Homme Moderne et des grands livres comptables produits par la société W. N., que la relation commerciale est établie entre les parties à compter de 2007.

Il n'est pas contesté que les commandes de la société E. auprès de la société W. N. ont très nettement baissé à compter de 2015 et jusqu'à la fin des relations commerciales après la notification de la résiliation du contrat de coopération commerciale par lettre du 12 décembre 2016.

Cependant, il ressort des motifs ci-dessus concernant la rupture de la relation contractuelle que depuis fin 2014 la société E. rencontrait avec la société W. N. de sérieux problèmes de délais de livraison des marchandises perturbant son activité, qu'elle a multiplié les mises en garde sur la nécessité de respecter les délais non tenus et informé de la baisse consécutive des commandes courant 2015 et 2016, en sorte que la relation commerciale entre les parties était dès 2015 avec la lettre de mise en demeure devenue précaire et que la société W. N. ne pouvait légitimement croire à la poursuite des relations dans la durée, en sorte que la relation commerciale ne pouvait plus être considérée comme établie au moment de la rupture partielle et totale de la relation commerciale et que les conditions d'application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° ne sont pas remplies.

Au surplus, la Cour constate que le contrat de coopération commerciale ne comportait aucun engagement de volume et que la société W. N. ne verse aux débats aucun document comptable attestant sur la période litigieuse de son chiffre d'affaires global et de celui réalisé avec la société E. Il se borne à produire pour justifier de l'ensemble des préjudices allégués une attestation de son taux de marge. Le détournement de client n'est pas davantage démontré par la production des pièces n° 15.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société W. N. de l'ensemble de ces chefs de préjudice.

 

Sur les demandes au titre du déséquilibre significatif :

Exposé des moyens des parties :

La société W. N. fait principalement valoir que la société E. lui a imposé une clause pénale excessive et sans contrepartie, de même que d'autres clauses déséquilibrées relatives aux conditions de paiement, en allongeant les délais. Elle précise que la société E. lui a fait porter la charge des retours clients malgré une clause stipulant expressément le contraire. Elle réclame la somme de 30.000 euros en réparation de son préjudice à ce titre.

La société E. conteste tout déséquilibre significatif, en rappelant d'une part que le contrat a été négocié librement et d'autre part que la société W. N. n'apporte pas la preuve d'un potentiel déséquilibre. En particulier, concernant les clauses pénales, la société E. prétend qu'en s'acquittant des factures de pénalité, la société W. N. a reconnu les manquements reprochés.

Réponse de la Cour,

Aux termes de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : [...] 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

L'élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l'absence de négociation effective ou l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation impliquant cette absence de négociation effective.

L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie a une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties.

La société W. N. n'apporte aux débats aucun élément permettant d'établir qu'elle n'a pas été en mesure de négocier le contrat de coopération commerciale conclu avec la société E. Les allégations de déséquilibre significatif au titre des conditions de paiement relèvent de manquements reprochés dans l'exécution du contrat mais non démontrés par les pièces produites (pièces n°17 à 20).

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société W. N. de ses demandes de dommages-intérêts de ce chef.

 

Sur les demandes de la société W. N. au titre de manquements aux obligations contractuelles :

La société W. N. réclame la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts au motif que la société E. n'a pas respecté les délais de paiement.

Si la société W. N. produits aux débats différents échanges de courriels en 2013, 2014 et 2015 sur des réclamations de paiement de facture (pièces n°21 à 23), elle ne produit pas d'élément justifiant de l'existence d'un préjudice de trésorerie.

La société W. N. réclame la somme de 10.609,73 euros au titre de facture de pénalité contestés (pièces n°24 et- 25), mais la société E. justifie que ces factures ont été annulées (pièces n°30).

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société W. N. de ses demandes de ces chefs de préjudice.

 

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société W. N. aux dépens de première instance et à verser à la société E. la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société W. N., succombant en son appel, sera condamnée aux dépens.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société W. N. sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société E. la somme de 5.000 euros.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions soumises à la Cour,

Y ajoutant,

Condamne la société D'Exploitation des Etablissements W. N. aux dépens qui seront recouvrés selon la procédure de l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne la société D'Exploitation des Etablissements W. N. à payer à la société E. la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.

LA GREFFIERE                                         LA PRÉSIDENTE