CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 7 juin 2023
CERCLAB - DOCUMENT N° 10373
CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 7 juin 2023 : RG n° 22/19733 ; arrêt n° 115
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « Les parties débattent de la portée de l'application de l'article 6 de la CESDH mais ne précisent pas sous quel volet, pénal ou civil, elles se placent, point d'importance puisque le régime diffère. En application de l'article 12 du code de procédure civile, celui-ci sera prioritairement déterminé.
L'action introduite par le ministre chargé de l'économie sur le fondement de l'article L. 442-6 III du code de commerce, action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence (en ce sens, Com., 8 juillet 2008, n° 07-16.761), a pour objet la défense de l'ordre public économique français par la répression des pratiques restrictives de concurrence qu'il mentionne et, ainsi que l'a précisé le Conseil constitutionnel (décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011), le rétablissement de l'équilibre des rapports entre partenaires commerciaux, ce dernier objectif constituant le motif d'intérêt général fondant la limitation de la liberté d'entreprendre. Il dispose, sur le fondement des articles L. 450-1 et suivants du code de commerce, de moyens d'enquête importants que la Cour de justice de l'Union européenne a qualifiés de moyens exorbitants par rapport au droit commun pour l'application de l'article 1er du Règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 qui n'est pas en débat et ne constitue pas un critère d'application de l'article 6 de la CESDH mais est néanmoins éclairant sur la nature de la procédure en cause (CJUE, 22 décembre 2022, Galec, C-98/22, §26, la Cour y voyant, pour soustraire à l'action de la matière civile et commerciale et au regard de l'amende civile demandée, l'exercice de la puissance publique). Il est enfin le seul, avec le ministère public, à avoir qualité pour solliciter le prononcé d'une amende civile d'un montant élevé de 2 millions ou assis sur celui des sommes indument versées.
Ainsi, la Cour européenne des droits de l'Homme (ci-après, « la CEDH ») a jugé dans son arrêt Carrefour c. France du 1er octobre 2019 (37858/14, §42) que l'article 6 de la Convention, dans son volet pénal, est applicable à l'amende civile prononcée sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce. Il est dès lors acquis que, au regard des moyens d'enquête mis en œuvre et du montant de l'amende demandée, dont le caractère civil est indifférent à raison de sa nature de sanction et de sa sévérité, l'action du ministre relève de la matière pénale au sens de l'article 6 de la CESDH, les exigences d'équité du procès étant de ce fait plus strictes que sous le volet civil (CEDH, Moreira Ferreira c. Portugal, 11 juillet 2017, n° 19867/12, § 67).
Pour autant, ainsi que le rappelle systématiquement la CEDH, la notion « d'accusation en matière pénale », qui est entendue dans une conception matérielle et non formelle (CEDH, 27 février 1980, Deweer c. Belgique, n° 6903/75, §44), est autonome (CEDH, 26 mars 1982, Adolf c. Autriche, n° 8269/78, §30). Ainsi, l'appartenance à la « matière pénale » est déterminée sans égard décisif pour les catégories de droit interne qui ne constituent qu'un critère pertinent de qualification, et ne vaut que pour l'application de la Convention : l'examen du litige sous le volet pénal de l'article 6 de la CESDH, qui est toujours global et opéré à l'aune de l'équité ("principe clé" selon CEDH, 10 juillet 2012, Gregacevic c. Croatie, n° 58331/09, §49), n'implique pas l'application des règles nationales de droit pénal et de procédure pénale.
Or, en droit interne, l'action du ministre chargé de l'économie exercée sur le fondement de l'article L. 442-6 III du code de commerce dans sa version applicable aux faits est de nature civile (en ce sens, Com. 18 octobre 2011, n° 10-28.005 qui valide la qualification d'action en responsabilité quasi délictuelle) et est soumise aux règles du code de procédure civile. »
2/ « La SNC GEEPF demande à la Cour d'écarter des débats les 28 procès-verbaux produits en cause d'appel par le ministre chargé de l'économie en invoquant, non la violation des dispositions des articles L. 450-1 et suivants du code de commerce, mais une atteinte à son droit au procès équitable caractérisée par l'impossibilité de se défendre effectivement et concrètement sans connaître l'identité des fournisseurs dont les déclarations lui sont opposées.
Même envisagée sous le volet pénal de l'article 6 de la CESDH, cette atteinte doit être appréciée in concreto et en tenant compte du cadre juridique de l'enquête. A ce titre, ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi n°2008-776 du 4 août 2008, l'introduction de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce qui est ici en débat avait précisément pour objet de garantir un meilleur équilibre des relations commerciales au sein de la grande distribution au bénéfice des fournisseurs, considérés comme structurellement en situation défavorable en dépit de renversements des équilibres ponctuels. Ce type de relations, peu important que le déséquilibre se vérifie ou non en l'espèce puisqu'il s'agit d'apprécier le cadre contextuel et juridique de l'enquête, induit une appréciation plus souple des atteintes aux droits garantis par l'article 6 de la CESDH en son volet pénal que dans le cadre d'une procédure correctionnelle ou criminelle, les enquêteurs pouvant être amenés à vaincre ou contourner la réticence des fournisseurs soucieux de ne pas déplaire à leurs partenaires commerciaux (analyse conforme à l'arrêt Beuze c. Belgique déjà cité et à l'arrêt CEDH, 17 janvier 2017, Habran et Dalem c. Belgique, 2017, n° 42000/11 et 49380/11, §96 qui rappelle que la Cour analyse chaque cas d'espèce en s'attachant à la procédure dans son ensemble, compte tenu des droits de la défense mais aussi de l'intérêt pour le public et les victimes à la répression effective de l'infraction en question et, au besoin, des droits des témoins). […]
La pièce 103 du ministre chargé de l'économie comprend 28 procès-verbaux d'audition de fournisseurs. Les éléments caviardés, non pour protéger un secret d'affaires, mais pour empêcher l'identification directe ou indirecte de ces derniers, également interdite par le défaut de communication des pièces censées y être annexées, sont les suivants : lieu de l'audition, dénomination sociale de la société concernée et prénom et nom des personnes entendues, renseignements sur le groupe d'appartenance, activité exercée, marchés principaux, concurrents désignés, durée de la relation avec la SNC GEEPF, chiffre d'affaires global ou réalisé avec cette dernière et « termes de paiement » appliqués par cette dernière.
Par-delà l'impossibilité pour la SNC GEEPF de rapporter la preuve concrète d'une négociation effective avec chacun de ses fournisseurs faute de pouvoir les identifier, l'absence de précision sur la nature de l'activité exercée et sur le montant du chiffre d'affaires réalisé globalement et dans les relations avec la SNC GEEPF interdisent toute analyse réelle des rapports de force autrement que par une approche abstraite tenant à la structure d'un marché par ailleurs difficilement cernable. Cette entrave évidente aux droits de la défense de la SNC GEEPF est aggravée par la variété de ses fournisseurs dont les situations particulières, incomparables entre elles, ne peuvent être appréhendées globalement. L'atteinte au droit au procès équitable de cette dernière est sérieuse et est irrémédiable en ce qu'elle n'est pas réparée par la possibilité d'un débat utile devant les juridictions de jugement tant que l'anonymat n'est pas levé.
Or, le risque de représailles, défini abstraitement par le ministre, n'est pas spécifiquement prouvé. Quoique l'exécution ou la menace de mesures de rétorsion constitue un élément sérieux de caractérisation de la soumission, elle n'est ni invoquée en tant que telle ni objectivée dans les pièces produites. Et, il est constant que, sur les 28 fournisseurs interrogés, seuls quatre d'entre eux ont exprimé une crainte à ce titre, soit une part marginale qui ne fonde aucune anticipation raisonnable sur la position des autres, mieux à même que le ministre chargé de l'économie d'exprimer leurs inquiétudes. Aussi, ce dernier ne justifie pas de raisons concrètes pertinentes et suffisantes au sens de l'article 6 de la CESDH pour fonder, dans ce litige particulier, l'anonymisation pratiquée.
En conséquence, l'atteinte au droit à un procès équitable de la SNC GEEPF n'est ni nécessaire ni proportionnée pour 24 procès-verbaux. Pour les quatre actes pour lesquels l'anonymat a été, implicitement au moins, sollicité, l'atteinte pourrait être considérée nécessaire mais est quoi qu'il en soit disproportionnée s'ils sont utilisés de manière déterminante pour justifier une condamnation, et ce d'autant plus qu'ils ne sont à eux seuls plus suffisamment représentatifs.
Ce constat fonde le rejet de la demande subsidiaire du ministre chargé de l'économie sur l'organisation d'un cercle de confidentialité, prétention néanmoins recevable au sens de l'article 564 du code de procédure civile puisqu'elle ne tend qu'à permettre l'examen d'une demande déjà soumise aux premiers juges, la fin de non-recevoir opposée à ce titre étant ainsi rejetée. D'une part, l'absence de nécessité prouvée in concreto de l'anonymisation commande un libre accès aux procès-verbaux non caviardés auquel le ministre chargé de l'économie ne consent pas, et, d'autre part, cette mesure d'instruction, dont le périmètre n'est pas précisé par celui-ci, est inutile au regard du risque évoqué : l'accès aux procès-verbaux originaux doit être ouvert au personnel de la SNC GEEPF à même de les exploiter, soit celui qui est en charge de la négociation des clauses litigieuses et qui est vraisemblablement simultanément celui apte à exercer des mesures de représailles.
En revanche, l'atteinte au droit procès équitable n'emporte pas en soi irrecevabilité des pièces qui la causent, la CEDH rappelant régulièrement que, si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l'admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui dès lors relève au premier chef du droit interne (CEDH, 12 juillet 1988, Schenk c. Suisse, n° 10862/84, §46 et CEDH, 1er juin 2010, Gäfgen c. Allemagne, n° 22978/05, §162 et 163). Or, sur un plan strictement interne, la Cour relève que le vice intrinsèque d'un mode de preuve emporte habituellement son incapacité à fonder la conviction du juge, son irrecevabilité n'étant envisagée que quand ce dernier est décisif en ce qu'il prive par sa nature et sa gravité la partie à qui la preuve est opposée de toute possibilité ultérieure de la contester utilement (analyse compatible avec Ass. plén, 7 janvier 2011, n° 09-14.316 et 09-14.667). C'est le sens des arrêts de la CEDH sur les violations qui, par elles-mêmes, privent automatiquement d'équité la procédure dans son ensemble et violent l'article 6 (ces décisions étant rendues sur le fondement de l'article 3 sur l'interdiction de la torture).
Régulièrement produits au sens des articles 15 et 16 du code de procédure civile et n'étant pas inexploitables à raison de leur nature ou de leur mode d'obtention, les procès-verbaux anonymisés ne sont pas irrecevables. Aussi, la demande de la SNC GEEPF tendant à écarter des débats la pièce 103 sera rejetée. Ils n'ont cependant aucune force probante, à l'exclusion des quatre fondés sur un risque objectivé de représailles qui ne peuvent néanmoins valoir preuve de la soumission de manière déterminante. »
3/ « La soumission, ou sa tentative, implique la démonstration par tous moyens par le ministre chargé de l'économie, conformément à l'article 9 du code de procédure civile, de l'absence de négociation effective, ou de sa possibilité, des clauses ou obligations incriminées. Celle-ci, qui peut notamment être caractérisée par l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation, ne peut se déduire de la seule structure d'ensemble du marché de la grande distribution, qui peut néanmoins constituer un indice de l'existence d'un rapport de forces déséquilibré se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs (en ce sens, Com. 20 novembre 2019, n° 18-12.823). L'appréciation de cette première condition est ainsi réalisée en considération du contexte matériel et économique de la conclusion proposée ou effective, l'insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d'adhésion ou les conditions concrètes de souscription (en ce sens, Com. 6 avril 2022, n° 20-20.887) pouvant constituer des critères pertinents de la soumission ou de sa tentative.
Si l'analyse de la contrepartie participe prioritairement de l'appréciation du déséquilibre significatif, celle de son existence, plutôt que de sa suffisance, demeure utile pour caractériser une éventuelle soumission ou tentative de soumission en ce que l'absence d'avantage attendu par le cocontractant ou de réciprocité des obligations est de nature à éclairer subjectivement, à raison de la dimension purement unilatérale de la démarche, une volonté d'assujettissement. Cette logique n'est pas étrangère à la définition de la négociation, et de ses prérequis, retenue par la CEPC dans son avis 16-5 du 14 janvier 2016 : […].
En revanche, dès lors qu'une contrepartie existe objectivement, son caractère « clairement défavorable » ou « son absence d'intérêt manifeste »évoqué par le ministre chargé de l'économie n'est pas pertinent pour identifier une soumission ou sa tentative : l'analyse de l'insuffisance de la contrepartie, qui n'est d'ailleurs pas manifeste puisque l'intérêt d'un paiement anticipé n'est jamais sérieusement envisagé puis quantifié par le ministre chargé de l'économie, ne peut être faite qu'au stade de la preuve du déséquilibre significatif, le raisonnement tenu revenant sinon à déduire la première condition d'application du texte de la postulation de sa seconde. Pour les mêmes raisons, la preuve de la soumission ne peut découler de la seule rédaction des clauses. Aussi, l'argument du ministre tenant à l'inversion de la logique de la négociation sur la base des CGV posée par l'article L. 441-6 du code de commerce et à la primauté des CGA, dont la systématicité n'est pas établie ainsi qu'il sera dit infra, sur les CGV révélée par le seul libellé de l'article 1er des CGA de la SNC GEEPF est inopérant, même pour apprécier une tentative de soumission, aucune analyse comparée des stipulations n'étant de surcroît livrée au stade de l'examen du déséquilibre significatif lui-même. Et, même en admettant que cette présentation constitue une « forte incitation » à accepter les CGA, celle-ci, qui n'est accompagnée d'aucune pression particulière ou de menace, n'est pas en soi la marque d'une imposition (cette analyse étant également celle de la Commission d'examen des pratiques commerciales dans son avis 17-12 portant sur une prestation d'affacturage qui tempère l'interprétation qu'elle livre dans son avis 23-1 cité par le ministre dans une hypothèse où le principe d'inopposabilité des CGV paraissait général et ne souffrir aucune exception). Cette analyse vaut pour la rédaction de la clause dite TPS. »
4/ « Sur ce dernier point, l'état de dépendance économique est, contrairement à ce que soutient le ministre, un critère pertinent pour évaluer le rapport de forces et l'existence d'une soumission : une entreprise réalisant un faible chiffre d'affaires dans le cadre de son partenariat commercial, particulièrement quand elle est confrontée à son client final et n'a pas besoin de son cocontractant pour pénétrer un marché, et disposant de nombreux débouchés alternatifs équivalents ne sera en principe pas contrainte de contracter ou d'accepter des obligations qui lui seraient défavorables. Si cette notion est pour l'essentiel définie pour les besoins de l'application de l'article L. 420-2 du code de commerce qui n'est pas en débat, elle doit, en tant qu'elle renvoie à une situation de fait servant ici, non de condition préalable mais d'indice constitutif avec d'autres d'un faisceau caractérisant une présomption de fait au sens de l'article 1382 du code civil, être appréciée de manière uniforme. L'état de dépendance économique s'entend de l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise (en ce sens, Com., 12 février 2013, n° 12-13.603). Son existence s'apprécie en tenant compte notamment de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires du revendeur, ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents (en ce sens, Com., 12 octobre 1993, n° 91-16988 et 91-17090). La possibilité de disposer d'une solution équivalente s'entend de celle, juridique mais aussi matérielle, pour l'entreprise de développer des relations contractuelles avec d'autres partenaires, de substituer à son donneur d'ordre un ou plusieurs autres donneurs d'ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007, n° 06-14.981). […]
Dès lors, si la position de la SNC GEEPF sur le marché en aval lui confère un pouvoir de négociation réel, la structuration du marché en amont sur lequel elle s'approvisionne n'induit aucun déséquilibre structurel tel qu'il serait l'indice d'une impossibilité de négocier les conditions qu'elle propose. »
5/ « Tous les indices de soumission invoqués par le ministre chargé de l'économie, plus postulés qu'étayés, sont soit inopérants soit trop ambivalents pour constituer une présomption de fait caractérisant une soumission des fournisseurs concernés, carence faisant des procès-verbaux anonymisés les éléments déterminants, mais de ce fait inexploitables, de sa démonstration. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 4
ARRÊT DU 7 JUIN 2023
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 22/19733. Arrêt n° 115 (16 pages). N° Portalis 35L7-V-B7G-CGXQ6. Décision déférée à la Cour : Sur renvoi après cassation du 11 mai 2022 (RG n° 295 FS+B) d'un arrêt rendu le 12 juin 2019 de la cour d'appel de Paris (RG 18/20323) sur appel du jugement du Tribunal de commerce de Nancy du 29 juin 2018 (RG 2015007605).
APPELANT :
Monsieur LE MINISTRE DE L'ÉCONOMIE ET DES FINANCES
dont les bureaux sont situés [Adresse 1], représenté par Mme X., directrice générale de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, elle-même représentée lors de la procédure par Mme Y., attachée d'administration chargée du contentieux civil des pratiques restrictives de la concurrence au sein de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, Dont les bureaux sont situés [Adresse 3], [Adresse 3], [Localité 4], Assisté de M. Z., agent chargé du contentieux civil des pratiques restrictives de la concurrence au sein de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, en vertu d'un pouvoir spécial,
INTIMÉE :
SNC GE ENERGY PRODUCTS FRANCE
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de sous le numéro de BELFORT sous le numéro XXX, Dont le siège social est situé [Adresse 2], [Adresse 2], [Localité 5], Représentée par Maître Christian VALENTIE, avocat au barreau de PARIS, toque : C2441, Assistée de Maître Vincent LORIEUL, avocat au barreau des Hauts de Seine, toque NAN 1701
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805, 905 et 1037-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 mai 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant la cour composée en double-rapporteur de Madame Marie-Laure Dallery, présidente de chambre au pôle 5 chambre 4, et de Monsieur Julien Richaud, conseiller, chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Marie-Laure Dallery, présidente de la chambre 5.4, Madame Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre, Monsieur Julien Richaud, conseiller.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte Fenouil
ARRÊT : - Contradictoire- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Marie-Laure Dallery, présidente de chambre au Pôle 5 chambre 4 et par Monsieur Martinez, greffier auquel la minute du présent a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
La SNC GE Energy Products France (ci-après, « la SNC GEEPF »), filiale de la société General Electric Company constituée en 1999 après le rachat de la société Alstom Gas Turbine, conçoit, fabrique et commercialise des turbines à gaz et des groupes turbo-alternateurs, des systèmes de commande de turbines, d'alternateurs, de centrales électriques et de régulation de chaleur ainsi que des systèmes et équipements se rapportant aux centrales de production d'énergie électrique et de chaleur et aux systèmes de production, de conversion ou d'utilisation d'énergie. En 2012, la SNC GEEPF était en relation effective avec 1.040 fournisseurs français constitués de grands groupes mais également de PME, de TPE et d'entreprises locales.
Dans une logique de rationalisation de ses relations contractuelles, la SNC GEEPF a établi les trois documents suivants, remis aux acteurs économiques désireux de devenir ses fournisseurs ou sous-traitants :
- des conditions générales d'achat (ci-après, « les CGA ») applicables à l'achat de produits ou d'équipements ;
- un modèle type de contrat de fourniture de matériel (ci-après, le « contrat SA ») constituant un accord-cadre d'achat de matériel avec un fournisseur ;
- un contrat de prestations de services type dénommé MSA « Master Service Agreement » (ci-après, le « contrat MSA ») encadrant les prestations de services exécutées par ses fournisseurs.
Pour raccourcir les délais de paiement de ses fournisseurs, elle a également élaboré, en collaboration avec les filiales du groupe General Electric (les sociétés GE Capital Funding Services et General Electric International Benelux BV), un programme dit TPS (Trade Payable Service) permettant aux fournisseurs participants de percevoir un paiement anticipé par rapport au délai légal moyennant le versement d'une rémunération, la Variable Merchant Fee (ci-après, « la VMF »), exprimée en pourcentage du montant brut de chaque facture et variant à la hausse ou à la baisse selon la date de paiement effectif, selon un taux de base fixé pour un paiement à 15 jours à compter de la date d'émission de la facture.
Ainsi, les CGA, comme les modèles types de contrats SA et MSA, comportent en particulier les clauses suivantes :
- clause « Acceptation de la commande » relative aux modalités d'acceptation des CGA par les fournisseurs et figurant à l'article 1, ainsi rédigée :
Sont également inopposables à l'acheteur et réputées non écrites les conditions générales de vente accompagnant ou figurant au verso des différents documents et factures du vendeur. Tous commentaires, ajouts, remarques, corrections, réserves ou suppressions émanant du vendeur au moment de son acceptation, postérieurement à cette acceptation ou en cours d'exécution de la commande ne seront opposables à l'acheteur que si ce dernier y a expressément consenti par écrit dans un délai de dix (10) jours à compter de leur réception. A défaut d'un tel accord exprès dans ce délai, l'Acheteur est réputé avoir rejeté ces commentaires, ajouts, observations, remarques, corrections, réserves ou suppressions ;
- clause relative aux conditions de paiement prévoyant un règlement à 60 jours à compter de la date de la facture et le mécanisme de paiement anticipé des fournisseurs du programme TPS, insérée à l'article 2.2 et reproduite à l'article 4.1 b du contrat MSA et visée par l'article 2 du contrat SA :
L'acheteur est autorisé à déduire, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une société apparentée (telle que définie ci-après), une somme à titre de rémunération pour paiement anticipé. Ce montant sera de 2,5 % du montant TTC de la facture si le paiement intervient le 15ème jour suivant l'émission de la facture. En cas de paiement effectué avant ce 15ème jour, une somme supplémentaire correspondant à 0,0333 % sera prélevée par jour précédant ce 15ème jour. Si le paiement est effectué après le 15ème jour, le montant perçu à titre de paiement anticipé sera réduit de 0,0333 % par jour suivant ce 15ème jour. Aucun montant ne sera perçu si le règlement intervient le 50ème jour ou après le 50 % jour à compter de la date de la facture.
Dans le cadre de sa mission de régulation concurrentielle des marchés, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après, « la DGCCRF ») ainsi que, au niveau régional, les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (ci-après, « la Dirrecte », devenue le 1er avril 2021 la Drieets), veillent à la préservation de la loyauté dans les relations commerciales. A cette fin, ses fonctionnaires, habilités à cet effet par le ministre chargé de l'économie au sens de l'article L 450-1 du code de commerce, enquêtent chaque année sur les pratiques de la grande distribution.
Ainsi, la DGCCRF a mené entre 2012 et 2015 une enquête destinée à vérifier notamment que ces deux clauses n'étaient pas susceptibles de contrevenir aux dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce et notamment à l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce.
C'est dans ces circonstances que le ministre chargé de l'économie a, par acte d'huissier signifié le 1er septembre 2015, assigné la SNC GEEPF devant le tribunal de commerce de Nancy sur le fondement de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce.
Par jugement du 29 juin 2018, le tribunal de commerce de Nancy a :
- dit que la clause 1 « Acceptation de la commande », présente dans les Conditions Générales d'Achat (CGA) de la société GEEPF et la clause 2.2 (b) « Paiement » des CGA de la société GEEPF ainsi que les clauses présentes à l'article 4.1 (b) « Rémunération » du contrat type de prestation de services « MSA » et de l'article 2 « Prix et paiement » du contrat type de fourniture, prévoyant l'obligation à la charge des fournisseurs de payer une rémunération pour paiement anticipé, ne créaient pas de déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;
- déclaré le ministre chargé de l'économie mal fondé en l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la SNC GEEPF, et l'en a débouté ;
- condamné le ministre chargé de l'économie à verser à la SNC GEEPF la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné le ministre chargé de l'économie aux entiers dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 5 septembre 2018, le ministre chargé de l'économie a interjeté appel de ce jugement.
Par arrêt du 12 juin 2019, la cour d'appel de Paris a statué en ces termes :
- « DIT que les auditions anonymisées versées aux débats par le Ministre ne portent pas atteinte aux droits de la défense de la société GEEPF ;
- INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
- Statuant à nouveau,
- DIT que la clause 1 « Acceptation de la commande », présente dans les Conditions Générales d'Achat (CGA) de la société GEEPF et la clause 2.2 (b) « Paiement » des CGA de la société GEEPF ['] ainsi que les clauses présentes à l'article 4.1 (b) « Rémunération » du contrat type de prestation de services « MSA » et de l'article 2 « Prix et paiement » du contrat type de fourniture, prévoyant l'obligation à la charge des fournisseurs de payer une rémunération pour paiement anticipé […] créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;
- CONDAMNE la société GEEPF à une amende de 2 millions d'euros ;
- ENJOINT à la société GEEPF de cesser les pratiques incriminées à savoir de cesser d'insérer dans ses contrats lesdites clauses ;
- CONDAMNE la société GEEPF aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer au Ministre de l'économie et des finances la somme de 10.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- REJETTE toute autre demande ».
Mais, par arrêt du 11 mai 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt en toutes ses dispositions pour les motifs suivants :
Vu l'article 6§1 et §3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
Il résulte de ce texte qu'au regard des exigences du procès équitable, le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des déclarations anonymes.
8. Pour écarter les conclusions de la société GEEPF, qui faisait valoir que les auditions anonymisées versées aux débats par le ministre chargé de l'économie portaient une atteinte disproportionnée à ses droits de la défense en la privant de la possibilité de vérifier et contredire, le cas échéant, les faits rapportés, puis déclarer établies les pratiques restrictives de concurrence reprochées et prononcer une sanction à son égard, l'arrêt, après avoir reproduit des extraits des déclarations recueillies, par les services de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, de personnes présentées comme des fournisseurs de la société poursuivie, dont l'identité, l'activité et le chiffre d'affaires qu'elles réalisaient avec elle n'étaient pas mentionnés, relève que tous les témoignages, au nombre de 17, se corroborent entre eux en ce qu'ils font état de ce que les fournisseurs ou sous-traitants de la société GEEPF ne peuvent négocier les clauses litigieuses avec elle. Ayant relevé encore que ces déclarations font référence aux clauses contractuelles litigieuses, qui se retrouvent dans la majorité des contrats liant la société GEEPF à ses fournisseurs ou sous-traitants, il en déduit que ces références confirment la crédibilité des procès-verbaux, dressés par des agents assermentés. Il estime, en conséquence, que ces déclarations des cocontractants établissent que des fournisseurs de la société GEEPF sont dans l'impossibilité juridique, technique et commerciale de travailler avec celle-ci en cas de refus d'adhésion au programme TPS comme d'acceptation des CGA.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est fondée, de façon déterminante, sur des déclarations recueillies anonymement pour estimer rapportée la preuve de l'existence d'une soumission des fournisseurs aux clauses contractuelles en cause, a méconnu les exigences du texte susvisé.
Par déclaration reçue au greffe le 4 octobre 2022, le ministre chargé de l'économie a saisi la cour de renvoi.
[*]
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 19 avril 2023, le ministre chargé de l'économie demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6 du code de commerce dans sa version applicable aux faits :
- d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 29 juin 2018 par le tribunal de commerce de Nancy ;
- statuant à nouveau, à titre principal :
* de dire et juger que la clause 1 « Acceptation de la commande » présente dans les CGA de la SNC GEEPF et prévoyant l'exclusion des CGV des fournisseurs, soumet ces derniers à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit de la SNC GEEPF et contrevient donc aux dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce ;
* de dire et juger que la clause 2.2 (b) « Paiements » des CGA de la SNC GEEPF, ainsi que les clauses présentes à l'article 4.1 (b) « Rémunération » du contrat type de prestation de services « MSA » et à l'article 2 « Prix et paiement » du contrat type de fourniture, prévoyant l'obligation à la charge des fournisseurs de payer une rémunération pour paiement anticipé, disproportionnée, soumettent ces derniers à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit de la SNC GEEPF et contreviennent aux dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce ;
* en conséquence, et en vertu de l'article L. 442-6 III du code de commerce, d'enjoindre à la SNC GEEPF de cesser pour l'avenir les pratiques susvisées ;
* de condamner la SNC GEEPF à une amende civile de 2 millions d'euros ;
* de condamner la SNC GEEPF à publier pendant six mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, le dispositif de l'arrêt sur la page d'accueil du site internet de la société www.ge.com/fr/ dans un cadre visible et dans une taille de caractère lisible ;
* de condamner la SNC GEEPF à publier à ses frais, sous huit jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, le dispositif dudit jugement dans trois quotidiens nationaux : Le Monde, Les Echos et Le Figaro ;
- à titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour d'appel de Paris rejetait les demandes principales du ministre chargé de l'économie, notamment en raison du caractère déterminant des déclarations anonymes des fournisseurs versées aux débats, de :
* prononcer la mise en place des mesures de protection de l'identité des fournisseurs que la Cour considérera les plus pertinentes ;
* fixer un calendrier de procédure ayant pour objet la mise en place des mesures de protection susvisées et les suites procédurales sur le fond du dossier ;
- en tout état de cause, de :
* condamner la SNC GEEPF à payer au Trésor Public la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamner la société GEEPF aux entiers dépens ;
* rejeter l'intégralité des demandes de la SNC GEEPF.
[*]
En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 1er février 2023 et remises en mains propres le même jour au ministre chargé de l'économie, la SNC GEEPF demande à la cour, au visa des articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (ci-après, « la CESDH »), 564 du code de procédure civile et L. 442-6-I-2° du code de commerce :
- d'écarter des débats les procès-verbaux anonymisés produits par le ministre chargé de l'économie sous la pièce 103, qui constituent une violation du principe du contradictoire et des droits de la défense ;
- de déclarer irrecevable au visa de l'article 564 du code de procédure civile, et en tout état de cause non fondée, la demande subsidiaire du ministre chargé de l'économie de communiquer aux seuls conseils de la SNC GEEPF les procès-verbaux de façon non anonymisés ;
- de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nancy du 29 juin 2018 ayant débouté le ministre chargé de l'économie de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la SNC GEEPF ;
- de débouter le ministre chargé de l'économie de l'intégralité de ses demandes comme irrecevables et infondées ;
- condamner le ministre chargé de l'économie à payer à la SNC GEEPF la somme de 300.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner le ministre chargé de l'économie aux entiers dépens de l'instance et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
[*]
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la Cour renvoie à la décision entreprise et aux arrêts postérieurs ainsi qu'aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 mai 2023. Le ministre chargé de l'économie étant représenté conformément aux articles L 490-8 et R 490-2 du code de commerce, comme la SNC GEEPF, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIVATION :
1°) Sur la soumission et la tentative de soumission à un déséquilibre significatif :
Moyens des parties
Au soutien de ses prétentions, le ministre chargé de l'économie expose que la SNC GEEPF a imposé à la majorité de ses fournisseurs sous-traitants des clauses contractuelles (primauté des CGA et programme TPS) créant, à son bénéfice, un déséquilibre significatif dans leurs droits et obligations respectives. Il précise que son action, comme son enquête dont il détermine librement les contours, porte exclusivement sur les fournisseurs français dans le secteur de la sous-traitance des turbines à gaz à grande puissance, la notion de sous-traitance devant être entendue souplement sans être limitée aux définitions sectorielles posées par la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 et l'article L 441-9 du code de commerce. Il en déduit l'indifférence des pièces se rapportant aux rapports avec des fournisseurs, tels La Poste, GDF et Nespresso, n'intervenant pas dans la production. Pour caractériser la soumission (ou sa tentative), il s'appuie sur un faisceau d'indices constitué par :
- la structure déséquilibrée du marché oligopolistique des turbines à gaz dominé par la SNC GEEPF qui a renforcé sa position en rachetant l'activité « Energie » de la société Alstom en juin 2014 et dont le pouvoir de négociation est accru par l'atomisation, le nombre et la variété des fournisseurs sous-traitants systématiquement mis en concurrence qui n'ont pas d'autres débouchés équivalents en France. Il ajoute que les notions de marché pertinent et de dépendance économique ne sont pas pertinentes en matière de pratiques restrictives de concurrence qui supposent exclusivement la caractérisation d'une puissance de négociation au profit d'un acteur incontournable et de son abus pour imposer des obligations. Il précise que 90 % des fournisseurs de la SNC GEEPF, en nombre et non en chiffre d'affaires, réalisent une part importante de leur chiffre d'affaires avec cette dernière et n'ont aucune possibilité de réorienter leur activité ;
- la primauté systématique des conditions contractuelles de la SNC GEEPF sur les conditions générales de vente des fournisseurs (ci-après, « les CGV ») en violation de l'article L 441-6 du code de commerce, indice de soumission retenu par la Commission d'examen des pratiques commerciales (ci-après « la CEPC ») dans son avis 23-1 ;
- l'absence d'« intérêt manifeste » ou le caractère « clairement défavorable » des clauses examinées, les conditions d'application du texte étant pour partie interdépendantes ;
- la rédaction de contrats d'adhésion et l'automaticité de l'adhésion au programme TPS dont les termes (principe de la participation, modalités de paiement, taux) sont imposés à tous les fournisseurs avant délivrance des éléments indispensables à leur pleine information, la part de ceux ayant renoncé à ce dispositif étant marginale ;
- la participation majoritaire des fournisseurs au programme TPS (72 %) ;
- les déclarations fournisseurs. Il explique à ce titre que l'anonymisation des procès-verbaux est nécessaire pour prémunir ces derniers contre tout risque de représailles, la liberté de parole des acteurs interrogés conditionnant par ailleurs la possibilité pour le ministre chargé de l'économie d'agir en justice. Il précise que la cour d'appel, dans son arrêt du 12 juin 2019, a combiné les déclarations anonymes entre elles et aux autres indices de soumission et ne s'est ainsi pas appuyé de manière déterminante sur les premières. Il ajoute subsidiairement que l'organisation d'un cercle de confidentialité peut concilier protection des fournisseurs et droits de la défense ;
- l'absence de preuve rapportée par la SNC GEEPF d'une négociation effective.
En réponse, la SNC GEEPF expose que la preuve de la soumission ne peut résulter du seul constat d'une structure de marché déséquilibrée, qui n'est par ailleurs pas établie, aucun marché de la vente de turbines à gaz à grande puissance limité à la France n'existant et ses fournisseurs, très divers et parfois de taille importante, n'étant pas en état de dépendance à son égard puisque leurs activités ne sont pas exclusivement tournées vers la production de biens et services nécessaires à la fabrication de ces turbines. Elle précise au contraire dépendre de certains d'entre eux qui sont les seuls à pouvoir répondre à ses besoins. Elle explique par ailleurs que la soumission ne peut se déduire du contenu d'une clause et que la primauté de ses CGA sur les CGV des fournisseurs n'est ni exacte, seules les CGV accompagnant ou figurant au verso des documents du vendeur ou les modifications qu'il apporterait en marge de son acceptation étant visées, ni systématique. Elle ajoute que les quatre consultations produites ne sont pas suffisantes pour apporter la preuve d'une soumission et que les 28 procès-verbaux anonymisés doivent être écartés des débats en ce que leur production, de surcroît incomplète, viole le principe du contradictoire et son droit à un procès équitable, l'anonymisation ne se justifiant pas quand seulement quatre fournisseurs sur la totalité concernée ont manifesté leur crainte de subir des mesures de représailles. Elle s'oppose à l'organisation d'un cercle de confidentialité, la demande étant nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile et le dispositif envisagé ne permettant pas un exercice effectif des droits de la défense. Subsidiairement, elle soutient que ces documents révèlent l'existence d'une libre négociation, comme les différentes pièces qu'elle verse aux débats qui relèvent du périmètre de l'enquête menée par le ministre chargé de l'économie.
Réponse de la cour
a) Sur les procès-verbaux anonymisés
En application de l'article 6 « Droit à un procès équitable » de la CESDH :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle […].
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à […] d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge […] ».
Les parties débattent de la portée de l'application de l'article 6 de la CESDH mais ne précisent pas sous quel volet, pénal ou civil, elles se placent, point d'importance puisque le régime diffère. En application de l'article 12 du code de procédure civile, celui-ci sera prioritairement déterminé.
L'action introduite par le ministre chargé de l'économie sur le fondement de l'article L. 442-6 III du code de commerce, action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence (en ce sens, Com., 8 juillet 2008, n° 07-16.761), a pour objet la défense de l'ordre public économique français par la répression des pratiques restrictives de concurrence qu'il mentionne et, ainsi que l'a précisé le Conseil constitutionnel (décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011), le rétablissement de l'équilibre des rapports entre partenaires commerciaux, ce dernier objectif constituant le motif d'intérêt général fondant la limitation de la liberté d'entreprendre. Il dispose, sur le fondement des articles L. 450-1 et suivants du code de commerce, de moyens d'enquête importants que la Cour de justice de l'Union européenne a qualifiés de moyens exorbitants par rapport au droit commun pour l'application de l'article 1er du Règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 qui n'est pas en débat et ne constitue pas un critère d'application de l'article 6 de la CESDH mais est néanmoins éclairant sur la nature de la procédure en cause (CJUE, 22 décembre 2022, Galec, C-98/22, §26, la Cour y voyant, pour soustraire à l'action de la matière civile et commerciale et au regard de l'amende civile demandée, l'exercice de la puissance publique). Il est enfin le seul, avec le ministère public, à avoir qualité pour solliciter le prononcé d'une amende civile d'un montant élevé de 2 millions ou assis sur celui des sommes indument versées.
Ainsi, la Cour européenne des droits de l'Homme (ci-après, « la CEDH ») a jugé dans son arrêt Carrefour c. France du 1er octobre 2019 (37858/14, §42) que l'article 6 de la Convention, dans son volet pénal, est applicable à l'amende civile prononcée sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce.
Il est dès lors acquis que, au regard des moyens d'enquête mis en œuvre et du montant de l'amende demandée, dont le caractère civil est indifférent à raison de sa nature de sanction et de sa sévérité, l'action du ministre relève de la matière pénale au sens de l'article 6 de la CESDH, les exigences d'équité du procès étant de ce fait plus strictes que sous le volet civil (CEDH, Moreira Ferreira c. Portugal, 11 juillet 2017, n° 19867/12, § 67).
Pour autant, ainsi que le rappelle systématiquement la CEDH, la notion « d'accusation en matière pénale », qui est entendue dans une conception matérielle et non formelle (CEDH, 27 février 1980, Deweer c. Belgique, n° 6903/75, §44), est autonome (CEDH, 26 mars 1982, Adolf c. Autriche, n° 8269/78, §30). Ainsi, l'appartenance à la « matière pénale » est déterminée sans égard décisif pour les catégories de droit interne qui ne constituent qu'un critère pertinent de qualification, et ne vaut que pour l'application de la Convention : l'examen du litige sous le volet pénal de l'article 6 de la CESDH, qui est toujours global et opéré à l'aune de l'équité ("principe clé" selon CEDH, 10 juillet 2012, Gregacevic c. Croatie, n° 58331/09, §49), n'implique pas l'application des règles nationales de droit pénal et de procédure pénale.
Or, en droit interne, l'action du ministre chargé de l'économie exercée sur le fondement de l'article L. 442-6 III du code de commerce dans sa version applicable aux faits est de nature civile (en ce sens, Com. 18 octobre 2011, n° 10-28.005 qui valide la qualification d'action en responsabilité quasi délictuelle) et est soumise aux règles du code de procédure civile.
La SNC GEEPF demande à la Cour d'écarter des débats les 28 procès-verbaux produits en cause d'appel par le ministre chargé de l'économie en invoquant, non la violation des dispositions des articles L. 450-1 et suivants du code de commerce, mais une atteinte à son droit au procès équitable caractérisée par l'impossibilité de se défendre effectivement et concrètement sans connaître l'identité des fournisseurs dont les déclarations lui sont opposées.
Même envisagée sous le volet pénal de l'article 6 de la CESDH, cette atteinte doit être appréciée in concreto et en tenant compte du cadre juridique de l'enquête. A ce titre, ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi n°2008-776 du 4 août 2008, l'introduction de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce qui est ici en débat avait précisément pour objet de garantir un meilleur équilibre des relations commerciales au sein de la grande distribution au bénéfice des fournisseurs, considérés comme structurellement en situation défavorable en dépit de renversements des équilibres ponctuels. Ce type de relations, peu important que le déséquilibre se vérifie ou non en l'espèce puisqu'il s'agit d'apprécier le cadre contextuel et juridique de l'enquête, induit une appréciation plus souple des atteintes aux droits garantis par l'article 6 de la CESDH en son volet pénal que dans le cadre d'une procédure correctionnelle ou criminelle, les enquêteurs pouvant être amenés à vaincre ou contourner la réticence des fournisseurs soucieux de ne pas déplaire à leurs partenaires commerciaux (analyse conforme à l'arrêt Beuze c. Belgique déjà cité et à l'arrêt CEDH, 17 janvier 2017, Habran et Dalem c. Belgique, 2017, n° 42000/11 et 49380/11, §96 qui rappelle que la Cour analyse chaque cas d'espèce en s'attachant à la procédure dans son ensemble, compte tenu des droits de la défense mais aussi de l'intérêt pour le public et les victimes à la répression effective de l'infraction en question et, au besoin, des droits des témoins).
La réalité du risque de représailles susceptible de rendre la preuve incombant au ministre chargé de l'économie difficile sinon impossible et, partant, de compromettre la possibilité même de son action autonome à raison du tarissement de ses sources, a été retenue en ces termes dans les débats parlementaires et dans le Rapport fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques ayant 19 abouti à la loi n° 2011-420 du 15 mai 2001 introduisant l'action spécifique du ministre :
« Par crainte de représailles des distributeurs, beaucoup de fournisseurs n'osent pas dénoncer les pratiques abusives dont ils sont victimes […]. En donnant le droit d'agir aux pouvoirs publics à la place des victimes, le dispositif actuel prend en compte le fait que certaines d'entre elles n'oseraient pas introduire elles-mêmes l'action, par crainte de représailles ».
Ce risque a également été évoqué dans le rapport parlementaire du 25 septembre 2019 de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la situation et les pratiques de la grande distribution et des groupements dans leurs relations commerciales avec leurs fournisseurs, les propositions 23 et 24 prévoyant ainsi, outre l'obligation de signalement à l'administration de déréférencements abusifs associée à une garantie d'anonymat, l'institution, au ministère de l'Economie, d'un portail garantissant l'anonymat des fournisseurs ou des distributeurs dénonçant des pratiques manifestement illégales dans les relations commerciales entre ces distributeurs et fournisseurs.
Pour autant, si la prégnance de ce risque, spécialement dans les rapports entre fournisseurs et grands distributeurs qui ne sont pas en cause, la SNC GEEPF étant le client final de ses fournisseurs qui n'ont pas besoin de son intermédiation pour pénétrer leur marché, fonde la possibilité du recours à l'anonymisation des procès-verbaux dans une logique de protection de l'activité commerciale des partenaires interrogés dans le cadre de l'enquête et de préservation de l'action autonome du ministre, elle n'autorise pas, per se et in abstracto, son emploi systématique qui n'est d'ailleurs pas allégué par le ministre chargé de l'économie pour ses différentes enquêtes en matière de pratiques restrictives de concurrence. La légitimité de cette méthode doit être appréciée en considération, d'une part, de l'existence de ce risque dans les relations considérées concrètement, aucune présomption de fait d'un déséquilibre structurel, y compris dans la grande distribution où le rapport de forces peut être inversé en considération de la qualité des fournisseurs et des produits fournis, n'étant posée par la loi, et, d'autre part, au regard de l'intensité de l'atteinte que l'anonymat des témoins porte aux droits de la défense de la SNC GEEPF.
Le principe de l'égalité des armes, élément de la notion plus large de procès équitable qui est étroitement lié au principe du contradictoire (CEDH, 19 septembre 2017, Regner c. République tchèque, 35289/11, §146), s'entend d'un « juste équilibre » entre les droits des parties et vaut aussi bien au civil qu'au pénal. L'égalité des armes implique l'obligation d'offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause et ses preuves dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de « net désavantage » par rapport à son adversaire (même arrêt, § 72), principe généralement préservé par l'application, devant la juridiction de jugement, des règles probatoires issues de l'article 9 du code de procédure civile et de l'article L. 450-2 du code de commerce, qui rappelle que les procès-verbaux des agents ne font foi que jusqu'à preuve contraire, ainsi que par les principes dispositif et de la contradiction définis par les articles 1, 4, 5, 12 et 16 du code de procédure civile.
La CEDH précisait que, dans un procès pénal, l'accusé doit avoir une possibilité réelle de contester les allégations dont il fait l'objet, ce principe commandant non seulement que l'accusé connaisse l'identité de ses accusateurs, afin de pouvoir contester leur probité et leur crédibilité, mais aussi qu'il puisse mettre à l'épreuve la sincérité et la fiabilité de leur témoignage, en les faisant interroger oralement en sa présence, soit au moment de la déposition soit à un stade ultérieur de la procédure (CEDH, 15 décembre 2011, Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni, §127, n°26766/05 et 22228/06). Cependant l'usage de témoignages anonymes n'est pas en toutes circonstances incompatibles avec la Convention, les principes du procès équitable permettant que, dans les cas appropriés, les intérêts de la défense soient mis en balance avec ceux des témoins ou des victimes appelés à déposer, à charge pour les autorités nationales d'avancer des raisons pertinentes et suffisantes pour maintenir l'anonymat de certains témoins (CEDH, Doorson c. Pays-Bas, 26 mars 1996, n° 20524/92, § 70 et 71). Elle ajoutait que, selon la « règle de la preuve unique ou déterminante », si la condamnation de l'accusé repose uniquement ou dans une mesure déterminante sur des dépositions de témoins qu'à aucun stade de la procédure il n'a pu interroger, il est porté atteinte aux droits de la défense dans une mesure excessive (arrêt Al-Khawaja déjà cité, §126 et suivants).
C'est sur ce dernier fondement que la Cour de cassation a cassé l'arrêt du 12 juin 2019 en estimant, implicitement mais nécessairement pour établir le caractère déterminant des témoignages anonymes dans la prise de décision, que les éléments par ailleurs retenus par la cour d'appel (structure du marché et déséquilibre du rapport de forces entre la SNC GEEPF et ses fournisseurs, contrats types, insuffisance des preuves de négociation effective produites par la SNC GEEPF, rédaction de la clause dite de primauté des CGA, part majoritaire des fournisseurs adhérant au programme TPS) n'étaient pas aptes à conforter leur examen ou à établir seuls la soumission.
La pièce 103 du ministre chargé de l'économie comprend 28 procès-verbaux d'audition de fournisseurs. Les éléments caviardés, non pour protéger un secret d'affaires, mais pour empêcher l'identification directe ou indirecte de ces derniers, également interdite par le défaut de communication des pièces censées y être annexées, sont les suivants : lieu de l'audition, dénomination sociale de la société concernée et prénom et nom des personnes entendues, renseignements sur le groupe d'appartenance, activité exercée, marchés principaux, concurrents désignés, durée de la relation avec la SNC GEEPF, chiffre d'affaires global ou réalisé avec cette dernière et « termes de paiement » appliqués par cette dernière.
Par-delà l'impossibilité pour la SNC GEEPF de rapporter la preuve concrète d'une négociation effective avec chacun de ses fournisseurs faute de pouvoir les identifier, l'absence de précision sur la nature de l'activité exercée et sur le montant du chiffre d'affaires réalisé globalement et dans les relations avec la SNC GEEPF interdisent toute analyse réelle des rapports de force autrement que par une approche abstraite tenant à la structure d'un marché par ailleurs difficilement cernable. Cette entrave évidente aux droits de la défense de la SNC GEEPF est aggravée par la variété de ses fournisseurs dont les situations particulières, incomparables entre elles, ne peuvent être appréhendées globalement. L'atteinte au droit au procès équitable de cette dernière est sérieuse et est irrémédiable en ce qu'elle n'est pas réparée par la possibilité d'un débat utile devant les juridictions de jugement tant que l'anonymat n'est pas levé.
Or, le risque de représailles, défini abstraitement par le ministre, n'est pas spécifiquement prouvé. Quoique l'exécution ou la menace de mesures de rétorsion constitue un élément sérieux de caractérisation de la soumission, elle n'est ni invoquée en tant que telle ni objectivée dans les pièces produites. Et, il est constant que, sur les 28 fournisseurs interrogés, seuls quatre d'entre eux ont exprimé une crainte à ce titre, soit une part marginale qui ne fonde aucune anticipation raisonnable sur la position des autres, mieux à même que le ministre chargé de l'économie d'exprimer leurs inquiétudes. Aussi, ce dernier ne justifie pas de raisons concrètes pertinentes et suffisantes au sens de l'article 6 de la CESDH pour fonder, dans ce litige particulier, l'anonymisation pratiquée.
En conséquence, l'atteinte au droit à un procès équitable de la SNC GEEPF n'est ni nécessaire ni proportionnée pour 24 procès-verbaux. Pour les quatre actes pour lesquels l'anonymat a été, implicitement au moins, sollicité, l'atteinte pourrait être considérée nécessaire mais est quoi qu'il en soit disproportionnée s'ils sont utilisés de manière déterminante pour justifier une condamnation, et ce d'autant plus qu'ils ne sont à eux seuls plus suffisamment représentatifs.
Ce constat fonde le rejet de la demande subsidiaire du ministre chargé de l'économie sur l'organisation d'un cercle de confidentialité, prétention néanmoins recevable au sens de l'article 564 du code de procédure civile puisqu'elle ne tend qu'à permettre l'examen d'une demande déjà soumise aux premiers juges, la fin de non-recevoir opposée à ce titre étant ainsi rejetée. D'une part, l'absence de nécessité prouvée in concreto de l'anonymisation commande un libre accès aux procès-verbaux non caviardés auquel le ministre chargé de l'économie ne consent pas, et, d'autre part, cette mesure d'instruction, dont le périmètre n'est pas précisé par celui-ci, est inutile au regard du risque évoqué : l'accès aux procès-verbaux originaux doit être ouvert au personnel de la SNC GEEPF à même de les exploiter, soit celui qui est en charge de la négociation des clauses litigieuses et qui est vraisemblablement simultanément celui apte à exercer des mesures de représailles.
En revanche, l'atteinte au droit procès équitable n'emporte pas en soi irrecevabilité des pièces qui la causent, la CEDH rappelant régulièrement que, si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l'admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui dès lors relève au premier chef du droit interne (CEDH, 12 juillet 1988, Schenk c. Suisse, n° 10862/84, §46 et CEDH, 1er juin 2010, Gäfgen c. Allemagne, n° 22978/05, §162 et 163). Or, sur un plan strictement interne, la Cour relève que le vice intrinsèque d'un mode de preuve emporte habituellement son incapacité à fonder la conviction du juge, son irrecevabilité n'étant envisagée que quand ce dernier est décisif en ce qu'il prive par sa nature et sa gravité la partie à qui la preuve est opposée de toute possibilité ultérieure de la contester utilement (analyse compatible avec Ass. plén, 7 janvier 2011, n° 09-14.316 et 09-14.667). C'est le sens des arrêts de la CEDH sur les violations qui, par elles-mêmes, privent automatiquement d'équité la procédure dans son ensemble et violent l'article 6 (ces décisions étant rendues sur le fondement de l'article 3 sur l'interdiction de la torture).
Régulièrement produits au sens des articles 15 et 16 du code de procédure civile et n'étant pas inexploitables à raison de leur nature ou de leur mode d'obtention, les procès-verbaux anonymisés ne sont pas irrecevables. Aussi, la demande de la SNC GEEPF tendant à écarter des débats la pièce 103 sera rejetée. Ils n'ont cependant aucune force probante, à l'exclusion des quatre fondés sur un risque objectivé de représailles qui ne peuvent néanmoins valoir preuve de la soumission de manière déterminante.
b) Sur la soumission ou sa tentative :
En application de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce dans sa version applicable aux faits litigieux, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
La caractérisation de cette pratique restrictive suppose ainsi la réunion de deux éléments : d'une part la soumission à des obligations, ou sa tentative, et d'autre part l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
La soumission, ou sa tentative, implique la démonstration par tous moyens par le ministre chargé de l'économie, conformément à l'article 9 du code de procédure civile, de l'absence de négociation effective, ou de sa possibilité, des clauses ou obligations incriminées. Celle-ci, qui peut notamment être caractérisée par l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation, ne peut se déduire de la seule structure d'ensemble du marché de la grande distribution, qui peut néanmoins constituer un indice de l'existence d'un rapport de forces déséquilibré se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs (en ce sens, Com. 20 novembre 2019, n° 18-12.823). L'appréciation de cette première condition est ainsi réalisée en considération du contexte matériel et économique de la conclusion proposée ou effective, l'insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d'adhésion ou les conditions concrètes de souscription (en ce sens, Com. 6 avril 2022, n° 20-20.887) pouvant constituer des critères pertinents de la soumission ou de sa tentative.
Si l'analyse de la contrepartie participe prioritairement de l'appréciation du déséquilibre significatif, celle de son existence, plutôt que de sa suffisance, demeure utile pour caractériser une éventuelle soumission ou tentative de soumission en ce que l'absence d'avantage attendu par le cocontractant ou de réciprocité des obligations est de nature à éclairer subjectivement, à raison de la dimension purement unilatérale de la démarche, une volonté d'assujettissement. Cette logique n'est pas étrangère à la définition de la négociation, et de ses prérequis, retenue par la CEPC dans son avis 16-5 du 14 janvier 2016 :
« La négociation est la recherche par les parties d'un accord sur la prestation à rendre. Cette négociation doit débuter par la remise par le batelier de ses CGV au client afin d'avoir un point de départ à cette opération. Cette négociation doit également s'appuyer sur l'expression des besoins du client en matière de prestations de services.
A partir de ces préalables, les parties peuvent débuter la négociation afin d'arriver à un accord qui sera formalisé par un contrat ».
En revanche, dès lors qu'une contrepartie existe objectivement, son caractère « clairement défavorable » ou « son absence d'intérêt manifeste »évoqué par le ministre chargé de l'économie n'est pas pertinent pour identifier une soumission ou sa tentative : l'analyse de l'insuffisance de la contrepartie, qui n'est d'ailleurs pas manifeste puisque l'intérêt d'un paiement anticipé n'est jamais sérieusement envisagé puis quantifié par le ministre chargé de l'économie, ne peut être faite qu'au stade de la preuve du déséquilibre significatif, le raisonnement tenu revenant sinon à déduire la première condition d'application du texte de la postulation de sa seconde. Pour les mêmes raisons, la preuve de la soumission ne peut découler de la seule rédaction des clauses. Aussi, l'argument du ministre tenant à l'inversion de la logique de la négociation sur la base des CGV posée par l'article L. 441-6 du code de commerce et à la primauté des CGA, dont la systématicité n'est pas établie ainsi qu'il sera dit infra, sur les CGV révélée par le seul libellé de l'article 1er des CGA de la SNC GEEPF est inopérant, même pour apprécier une tentative de soumission, aucune analyse comparée des stipulations n'étant de surcroît livrée au stade de l'examen du déséquilibre significatif lui-même. Et, même en admettant que cette présentation constitue une « forte incitation » à accepter les CGA, celle-ci, qui n'est accompagnée d'aucune pression particulière ou de menace, n'est pas en soi la marque d'une imposition (cette analyse étant également celle de la Commission d'examen des pratiques commerciales dans son avis 17-12 portant sur une prestation d'affacturage qui tempère l'interprétation qu'elle livre dans son avis 23-1 cité par le ministre dans une hypothèse où le principe d'inopposabilité des CGV paraissait général et ne souffrir aucune exception). Cette analyse vaut pour la rédaction de la clause dite TPS.
- Sur la structure du marché et l'équilibre du rapport de forces économique
S'il est exact que la définition d'un marché pertinent, indispensable en matière de pratiques anticoncurrentielles ou de concurrence déloyale, n'est pas requise pour déterminer dans l'absolu le pouvoir de négociation de la SNC GEEPF, qui découle de sa position sur le marché qu'elle occupe, et l'éventuel pouvoir compensateur de ses fournisseurs, le rapport de force, qui est relatif, doit également être apprécié, à raison de la variété des prestations et produits recherchés par la SNC GEEPF, en considération de l'activité effectivement exercée par chaque fournisseur et de l'importance pour eux du marché de la fabrication et de la commercialisation des turbines à gaz à grande puissance. En effet, les fournisseurs de la SNC GEEPF ayant des activités très diversifiées, y compris pour les seuls besoins de la fabrication des turbines à gaz à grande puissance (pièces de fonderie, génie mécanique et production de pièces en acier, semi-conducteurs, logiciels, prestation de services d'ingénierie et de services informatiques, prestations d'aide au dépôt de permis de construire et de maîtrise d''uvre), les relations commerciales avec la SNC GEEPF auront une importance très variable, certains fournisseurs disposant à l'évidence d'autres débouchés que le marché très fermé et hautement spécialisé de la turbine à gaz, ce qu'admet le ministre chargé de l'économie (page 31 de ses écritures).
Aux termes des rapports des commissaires aux comptes de la société GEEPF, qui emploie 1.800 personnes (sa pièce 20), son chiffre d'affaires annuel s'est élevé à 1.499 millions d'euros en 2011, à 1546 millions d'euros en 2012 (sur 13 mois) et à 898 millions d'euros en 2013, (pièces 15 et 16 du ministre chargé de l'économie). Et, la fiche Xerfi de novembre 2014 (pièce 62 du ministre) révèle que la SNC GEEPF, qui se présente dans sa plaquette promotionnelle du 6 décembre 2012 comme le seul producteur de turbine à gaz de grande puissance en France (pièce 59 du ministre), fait, avec l'entité Thermodyn, du groupe General Electric, le "leader incontesté" du secteur, sa position ayant été renforcée par le rachat des activités "Energie" d'Alstom en juin 2014. La SNC GEEPF réalise ainsi, en France et à l'époque de l'enquête, le chiffre d'affaires de loin le plus important du secteur. Ce positionnement lui confère un fort pouvoir de négociation mais n'implique pas, en soi, son caractère incontournable pour ses fournisseurs.
A ce titre, le rapport Sorgem produit par la SNC GEEPF (ses pièces 20 et 35) confirme que la SNC GEEPF était, en 2012, en relation effective avec près de mille fournisseurs, peu important qu'ils soient ou non qualifiables de sous-traitants, cette distinction, introduite par les parties sans fondement juridique, étant sans pertinence pour apprécier le rapport de forces en débat. Il établit que :
- 59 % des fournisseurs participaient en 2012 au programme TPS pour 72 % du chiffre d'affaires généré par l'ensemble sur l'année ;
- 80 % des fournisseurs dégageant avec la SNC GEEPF un volume d'affaires supérieur à 300.000 euros (soit près de 90 % du volume d'affaires total des fournisseurs) réalisent ainsi moins de 20 % de leur propre chiffre d'affaires. S'il est exact que cette discrimination opérée sur la base du chiffre d'affaires exclut la grande majorité des fournisseurs, le résultat en volume demeure pertinent puisque plus d'un tiers de l'échantillon des fournisseurs adhérant au programme TPS est constitué de sociétés de grande traille. Il n'est en outre contredit par aucun élément concret produit par le ministre chargé de l'économie, l'annexe 1.1 du rapport n'autorisant aucune corrélation susceptible de projection pour les entreprises omises entre part du chiffre d'affaires réalisé avec la SNC GEEPF et taille de ces dernières, et ce d'autant moins que 55 % de ces dernières ont adhéré au dispositif TPS (pièce 35 de la SNC GEEPF, page 21).
Sur ce dernier point, l'état de dépendance économique est, contrairement à ce que soutient le ministre, un critère pertinent pour évaluer le rapport de forces et l'existence d'une soumission : une entreprise réalisant un faible chiffre d'affaires dans le cadre de son partenariat commercial, particulièrement quand elle est confrontée à son client final et n'a pas besoin de son cocontractant pour pénétrer un marché, et disposant de nombreux débouchés alternatifs équivalents ne sera en principe pas contrainte de contracter ou d'accepter des obligations qui lui seraient défavorables. Si cette notion est pour l'essentiel définie pour les besoins de l'application de l'article L. 420-2 du code de commerce qui n'est pas en débat, elle doit, en tant qu'elle renvoie à une situation de fait servant ici, non de condition préalable mais d'indice constitutif avec d'autres d'un faisceau caractérisant une présomption de fait au sens de l'article 1382 du code civil, être appréciée de manière uniforme. L'état de dépendance économique s'entend de l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise (en ce sens, Com., 12 février 2013, n° 12-13.603). Son existence s'apprécie en tenant compte notamment de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires du revendeur, ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents (en ce sens, Com., 12 octobre 1993, n° 91-16988 et 91-17090). La possibilité de disposer d'une solution équivalente s'entend de celle, juridique mais aussi matérielle, pour l'entreprise de développer des relations contractuelles avec d'autres partenaires, de substituer à son donneur d'ordre un ou plusieurs autres donneurs d'ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007, n° 06-14.981).
Dans sa décision n°19-DCC-180 du 27 septembre 2019, l'Autorité de la concurrence précisait, dans le cadre d'une relation fournisseur/fabricant, qu'il existait un " seuil de menace " au-delà duquel la survie du second pouvait être remise en cause, la disparition d'un débouché le plaçant, à plus ou moins brève échéance, dans une situation financière difficile, pouvant parfois conduire à une faillite, et que le niveau de ce seuil n'était toutefois pas fixe et dépendait d'un grand nombre de paramètres spécifiques selon les secteurs concernés, la structure et la situation financière des entreprises, l'existence et le coût d'éventuelles solutions alternatives (§37, le seuil retenu pour le marché de l'approvisionnement dans le secteur de la distribution de détail à dominante alimentaire en Guyane qui comprenait cinq principaux acheteurs était de 22 %, taux identique à celui retenu par la Commission européenne dans sa décision du 25 janvier 2000, n° COM/M. 1684, Carrefour/Promodes cité par les intimées).
Aussi, au regard de l'annexe 1.1 du rapport Sorgem et des proportions de chiffre d'affaires réalisé par chaque fournisseur dans ses relations avec la SNC GEEPF, c'est par de juste motifs que le tribunal de commerce de Nancy a retenu qu'une majorité de ces derniers, qui disposent d'un portefeuille de clients élargi, bénéficie de débouchés variés pour leurs biens et services dans divers domaines d'activité et non uniquement dans le secteur de la fabrication de pièces ou de la fourniture de services, en lien avec les turbines à gaz produites par la SNC GEEPF. Le ministre chargé de l'économie ne conteste d'ailleurs pas, puisqu'il invoque spécialement cette pièce pour établir l'emprise de la SNC GEEPF sur ses fournisseurs qu'elle met systématiquement en concurrence, que certains d'entre eux bénéficient d'un pouvoir compensateur important à raison de leur situation de « quasi-monopole » dans leurs relations avec la SNC GEEPF (pièce 26 du ministre, et page 34 des conclusions de la SNC GEEPF : Aubert et Duval pour des forges en inconel ; Deshors pour les forges rotor ; EURO CFD pour des prestations de calcul sur la mécanique des fluides numériques ; Cetim pour certaines études très spécifiques ; la société Institut de Soudure pour des prestations de contrôle radiographique des ailettes ; certains éditeurs de logiciels et notamment Itesoft, Val Solution, IHS, Enginsoft ou Felix ; Air liquide, seul fournisseur en charge de tous les gaz industriels sur le site de Bourogne). Et, les caviardages réalisés sur les procès-verbaux produits en pièce 103 ne permettent pas d'apprécier, pour les entreprises estimées plus représentatives par le ministre chargé de l'économie, leur état de dépendance et de contredire cette analyse.
Dès lors, si la position de la SNC GEEPF sur le marché en aval lui confère un pouvoir de négociation réel, la structuration du marché en amont sur lequel elle s'approvisionne n'induit aucun déséquilibre structurel tel qu'il serait l'indice d'une impossibilité de négocier les conditions qu'elle propose.
- Sur les autres indices de soumission
Sur la participation majoritaire des fournisseurs au programme TPS
Le ministre chargé de l'économie estime que près de 61 % des fournisseurs concernés pas son enquête ont adhéré au programme TPS (ses pièces 20 et 36 à 38). En excluant les fournisseurs de taille importante, ceux dont la mission ne relève pas de la sous-traitance industrielle dans le domaine de l'énergie et ceux qui appartiennent au groupe General Electric, ce nombre est porté à 72 % du volume d'affaires. Sans qu'il soit nécessaire d'analyser l'argumentation des parties, qui s'accordent sur les ordres de grandeur, ces chiffres révèlent que l'adhésion au programme TPS n'était ni obligatoire ni systématique, constat qui prive de pertinence l'argument du ministre relatif aux courriers de présentation du dispositif adressés par la SNC GEEPF (pièce 37 du ministre chargé de l'économie).
De plus, l'adhésion n'induit pas en soi une soumission mais peut au contraire traduire l'attrait du dispositif. Or, les pièces produites ne permettent pas de faire le départ entre ces deux hypothèses, quelques fournisseurs ayant ainsi exprimé leur déception en apprenant l'arrêt du programme (pièce 36 de la SNC GEEPF) et le ministre chargé de l'économie admettant au contraire que 26 participants sur 996 ont pu sortir du dispositif entre 2009 et 2012 : si ce nombre est effectivement faible, il demeure pertinent en ce qu'aucun des fournisseurs concernés n'a évoqué des représailles quelconques annoncées ou mises en 'uvre en réaction à sa décision.
Sur les consultations
Au nombre de quatre, ces consultations préalables à des appels d'offres dont la communication a été sollicitée par la Dirrecte (pièces 31-1 à 31-4 du ministre) sont quantitativement insuffisantes pour être pertinentes au regard du nombre de fournisseurs de la SNC GEEPF, même restreints à ceux concernés par l'enquête de la DGCCRF. Et, si elles font apparaître des demandes de la SNC GEEPF tendant à l'application de ses CGA et du programme TPS (pièce 31-1 partie 2 du ministre), elles ne révèlent ni pression ni insistance, les offrants acceptant sans réserve, s'opposant parfois aux baisses de prix sollicitées (même pièce, courriel du 5 octobre 2011) ou appliquant d'initiative les CGA de la SNC GEEPF sur leur devis, pratique qui n'implique pas en soi une soumission par anticipation mais peut tout à fait traduire une pleine adhésion des fournisseurs.
Sur la qualification de contrat d'adhésion
Il est constant que la SNC GEEPF élabore des contrats types et les CGA qu'elle soumet à la signature de ses fournisseurs et que les clauses qu'ils comprennent sont toutes identiques. Ces éléments contractuels répondent ainsi en première analyse à la qualification de contrat d'adhésion, désormais défini à l'article 1110 du code civil comme celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l'avance par une partie.
Cette analyse doit cependant être tempérée, la SNC GEEPF démontrant sans être utilement contredite que 14 fournisseurs (ou 9 en tenant compte des exclusions du ministre) ont refusé de participer au programme TPS en modifiant ou supprimant la clause des conditions particulières des contrats SA ou MSA (pièce 17 de la SNC GEEPF) quand d'autres ont négocié le taux de VMF ou des stipulations des CGA qui ne priment ainsi pas systématiquement les CGV des fournisseurs et sont offertes à la discussion des parties quelle que soit leur taille et leur importance (pièces 17, 19 et 26 de la SNC GEEPF). Quoique peu nombreuses, ces hypothèses confirment la possibilité d'une négociation réelle ainsi que l'a justement relevé le tribunal de commerce de Nancy dont les motifs sont sur ce point adoptés.
- Sur l'analyse globale des critères pertinents
Tous les indices de soumission invoqués par le ministre chargé de l'économie, plus postulés qu'étayés, sont soit inopérants soit trop ambivalents pour constituer une présomption de fait caractérisant une soumission des fournisseurs concernés, carence faisant des procès-verbaux anonymisés les éléments déterminants, mais de ce fait inexploitables, de sa démonstration.
En conséquence, en l'absence de preuve d'une soumission ou de sa tentative, le jugement du tribunal de commerce de Nancy sera confirmé en toute ses dispositions soumises à la Cour.
2°) Sur les demandes accessoires :
Les dispositions du jugement entrepris sur les frais irrépétibles et les dépens seront confirmées.
Succombant en son appel, le ministre chargé de l'économie, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamné à supporter les entiers dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la SNC GEEPF la somme de 20.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de la SNC GE Energy Products France tendant à écarter des débats la pièce 103 produite par le ministre chargé de l'économie ;
Déclare recevable la demande subsidiaire du ministre chargé de l'économie mais la rejette ;
Rejette la demande du ministre chargé de l'économie au titre des frais irrépétibles ;
Condamne le ministre chargé de l'économie à payer à la SNC GE Energy Products France la somme de 20.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne le ministre chargé de l'économie aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE