10410 - Code civil et Droit commun - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Art. 1171 C. civ. (Ord. 10 février 2016 - Loi 20 avril 2018) - Application dans l’espace
CERCLAB - SYNTHÈSE DE JURISPRUDENCE - DOCUMENT N° 10410 (8 octobre 2025)
PROTECTION CONTRE LES CLAUSES ABUSIVES DANS LE CODE CIVIL ET EN DROIT COMMUN
SANCTION DIRECTE DES DÉSÉQUILIBRES SIGNIFICATIFS - DROIT POSTÉRIEUR À L’ORDONNANCE DU 10 FÉVRIER 2016 – LOI DE RATIFICATION DU 20 AVRIL 2018 : ARTICLE 1171 DU CODE CIVIL
APPLICATION DANS L’ESPACE
Auteur : Xavier HENRY (tous droits réservés © 2025)
A. CONFLIT DE LOIS – DROIT APPLICABLE
Loi de police. L’art. 9.2 du règlement (CE) n°593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) énonce que « les dispositions [du règlement] ne pourront porter atteinte à l'application des lois de police du juge saisi » ; « une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un État membre pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement » ; en droit, il ne s'évince pas des termes généraux de l'art. 1171 C. civ., la vocation de ce texte à protéger spécialement les intérêts publics de l'Etat sur un champ d'application déterminé, de sorte que cette disposition ne peut être qualifiée de loi de police au sens de l'article 9.1 du règlement (CE) n°593/2008 du 17 juin 2008. CA Paris (pôle 5 ch. 11), 20 janvier 2023 : RG n° 22/13154 ; Cerclab n° 10061 (action en responsabilité de la titulaire d’un compte Instagram en raison de détournement de contenus et de rupture de son compte ; points n° 21 à 26 ; l’arrêt note aussi au point n° 35, « surabondamment », que le règlement (UE) 2022/1925 du 14 septembre 2022 ne prévoit pas de dérogation ou d'aménagement des règles de prorogation de compétence ou de clause attributive de juridiction telles qu'elles sont régies par les règlements (CE) n°593/2008 du 17 juin 2008 et n°1215/2012 du 12 décembre 2012), confirmant TJ Paris (JME), 7 juillet 2022 : Dnd, pourvoi rejeté pour d’autres raisons par Cass. civ. 1re, 2 avril 2025 : pourvoi n° 23-12384 ; arrêt n° 229 ; Bull. civ. ; Cerclab n° 23747 (V. infra).
Illustrations. Désignation contractuelle de la loi allemande dans un contrat d’assurance d’une résidence secondaire par un couple d’allemands. CA Pau (1re ch.), 24 octobre 2023 : RG n° 22/01038 ; arrêt n° 23/03466 ; Cerclab n° 10493 (N.B. compétence du juge français non discutée), sur appel de TJ Pau, 21 septembre 2021 : RG n° 20/02040 ; Dnd.
B. CONFLIT DE JURIDICTIONS
Droit applicable : Brexit. Le Règlement (UE) n°1215/2012 du 12 décembre 2012, dit Bruxelles I bis, a cessé de s'appliquer aux relations entre les État-membres et le Royaume-Uni à compter du 1er janvier 2021, date d'effet définitif du Brexit ; à compter de cette date, et donc à la date de la transmission de la demande de remise de l'assignation délivrée à la société danoise, le Royaume-Uni était devenu un Etat-tiers à l'Union Européenne ; l’art. 25 du Règlement précité, concernant les clauses attributives de compétence, n'était donc plus applicable à la clause attributive de compétence litigieuse qui désignait les juridictions du Royaume-Uni. CA Pau (2e ch. sect. 1), 19 janvier 2023 : RG n° 22/00261 ; arrêt n° 23/221 ; Cerclab n° 10048 (litige entre un commerçant français et une société de droit danois exploitant une plate-forme numérique internationale d'hébergement d'avis de consommateurs, permettant à toute personne de déposer et de consulter gratuitement un avis sur une expérience vécue avec une entreprise, et à cette dernière de lui répondre ; clause attributive de compétence au profit des juridictions anglaises et galloises ; N.B. la solution semble discutable, puisque les deux parties étaient membres de l’Union européenne), sur appel de T. com. Bayonne (pdt), 13 janvier 2022 : Dnd. § Le règlement Bruxelles I bis n'est pas applicable à une action intentée postérieurement au 31 décembre 2020, conformément à l'accord transitoire entre le Royaume-Uni et l'Union européenne prévoyant l'expiration de son application aux clauses désignant le Royaume-Uni à la fin de la période de transition, le 31 décembre 2020. CA Paris (pôle 5 ch. 4), 5 juin 2024 : RG n° 21/18389 ; Cerclab n° 23340, sur appel de T. com. Marseille, 14 septembre 2021 : RG n° 2021F00660 ; Dnd. § Même sens : CA Paris (pôle 5 ch. 16), 11 mars 2025 : RG n° 24/10791 ; arrêt n° 12 ; Cerclab n° 23714, confirmant T. com. Paris (1ère ch.), 4 juin 2024 : RG 2022061501 ; Dnd.
La convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d'élection de for (ci-après la Convention ») a donc vocation à s'appliquer à cette clause, dès lors que cette convention a été ratifiée : - le 15 juin 2015 par l'Union Européenne, pour le compte des Etats-membres, à l'exception du Danemark, suite à la décision 2014/887/UE - par le Royaume-Uni le 1er avril 2019, avec effet à compter de sa sortie effective de l'Union Européenne - par le Danemark, en 2019. CA Pau (2e ch. sect. 1), 19 janvier 2023 : RG n° 22/00261 ; arrêt n° 23/221 ; Cerclab n° 10048 ; précité.
Clauses d’élection de for : Règlement du 12 décembre 2012, dit Bruxelles I bis. Aux termes de l'article 25.1 du règlement Bruxelles I bis, si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d'une juridiction ou de juridictions d'un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre ; cet article ne prévoit pas la réserve des lois de police ; la cour d'appel ayant relevé que le contrat stipulait une clause attributive de juridiction aux tribunaux irlandais, de sorte que l'appréciation éventuelle de la validité de cette clause ne pouvait être faite qu'au regard du droit irlandais, sans que soit applicable la réserve des lois de police, le moyen tiré de ce que cette clause serait contraire à l'article 1171 du code civil est inopérant. Cass. civ. 1re, 2 avril 2025 : pourvoi n° 23-12384 ; arrêt n° 229 ; Bull. civ. ; Cerclab n° 23747 (points n° 7 à 9), rejetant le pourvoi contre CA Paris (pôle 5 ch. 11), 20 janvier 2023 : RG n° 22/13154 ; Cerclab n° 10061 (application de la clause attributive de juridiction aux juridictions irlandaises, après refus de qualifier l’art. 1171 C. civ. de loi de police, la preuve qu’une telle clause créerait une disproportion avec l'un ou l'autre des obligations ou des droits réciproques des parties au contrat n’étant pas rapportée (point n° 22), pas plus que celle de sa nullité au regard du droit irlandais), confirmant TJ Paris (JME), 7 juillet 2022 : Dnd.
Clauses d’élection de for : Convention de La Haye du 30 juin 2005. * Exclusion de l’art. 48 CPC. Dans l'ordre international, exclusif de toute application de l'art. 48 CPC français, la désignation globale des juridictions d'un État dans une clause attributive de compétence est licite dès lors que le droit interne de cet État permet de déterminer le tribunal spécialement compétent, ce qui n'est pas contesté en l'espèce, de sorte que le moyen tiré de l'imprécision de la clause désignant les juridictions anglaises et galloises sans indication de leur localisation ni de leur nature, n'est pas fondé ; en déclinant la compétence du juge français au profit du juge anglais, la société a respecté les dispositions de l’art. 75 CPC, sans être tenue de désigner spécialement la juridiction anglaise matériellement et territorialement compétente. CA Pau (2e ch. sect. 1), 19 janvier 2023 : RG n° 22/00261 ; arrêt n° 23/221 ; Cerclab n° 10048, sur appel de T. com. Bayonne (pdt), 13 janvier 2022 : Dnd.
* Applicabilité de l’art. 1171. L’art. 1171 C. civ., qui ne constitue pas une loi de police, n'a pas vocation à régir la validité d’une clause d’élection de for, qui doit être appréciée au regard des exigences de l'art. 6 de la Convention de la Haye du 30 juin 2005 (point n° 19). CA Paris (pôle 5 ch. 16), 11 mars 2025 : RG n° 24/10791 ; arrêt n° 12 ; Cerclab n° 23714 (suppression par Microsoft d’un service utilisé par une société française), confirmant T. com. Paris (1ère ch.), 4 juin 2024 : RG 2022061501 ; Dnd.
* Validité de la clause attributive. L'article 6 a) de la convention de La Haye du 30 juin 2005 précise que tout tribunal d'un Etat contractant autre que celui du tribunal élu sursoit à statuer ou se dessaisit lorsqu'il est saisi d'un litige auquel un accord exclusif d'élection de for s'applique, sauf si l'accord est nul en vertu du droit de l'Etat du tribunal élu ; la nullité de la clause d'élection de for, à laquelle doit être assimilée toute autre sanction de droit interne ayant pour effet de priver la clause de tout effet légal, doit donc, en l'espèce, être examinée selon les règles du droit anglais, la société ayant conclu à la compétence du juge anglais ; dès lors, le moyen tiré du caractère réputé non-écrit de la clause attributive de compétence litigieuse, fondé sur les dispositions du droit interne français de l'art. 1171 C. civ., sanctionnant les clauses insérées dans un contrat d'adhésion créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, n'est donc pas opérant. CA Pau (2e ch. sect. 1), 19 janvier 2023 : RG n° 22/00261 ; arrêt n° 23/221 ; Cerclab n° 10048, sur appel de T. com. Bayonne (pdt), 13 janvier 2022 : Dnd. § Absence de preuve, au regarde de l'art. 6 de la Convention de la Haye du 30 juin 2005, relatif aux obligations du tribunal non élu, que donner effet à la clause attributive de compétence au profit des juridictions d'Angleterre et du pays de Galles « aboutirait à une injustice manifeste ou serait manifestement contraire à l'ordre public de l'Etat du tribunal saisi ». CA Paris (pôle 5 ch. 4), 5 juin 2024 : RG n° 21/18389 ; Cerclab n° 23340 (suppression par Microsoft de l’accès à un service utilisé par une société française pour non-respect des règles éditoriales en matière de publicité ; arg. : 1/ absence de preuve que le renvoi devant les juridictions d'Angleterre et du pays de Galles heurterait les normes ou principes fondamentaux français ; 2/, absence de preuve d’une privation du droit à un procès équitable ; 3/ absence de preuve du surcoût entrainé par le recours à un avocat local, étant observé que la société ne justifie pas d'un état d'impécuniosité ; 4/ le principe d'application effective du droit européen n'est pas de nature en tant que tel à faire obstacle à une clause d'élection de for, combien même il s'agirait de l'application d'une disposition impérative ; N.B. l’art. 1171 visé par Microsoft n’est pas examiné par la Cour), sur appel de T. com. Marseille, 14 septembre 2021 : RG n° 2021F00660 ; Dnd. § Dans le même sens : CA Paris (pôle 5 ch. 16), 11 mars 2025 : RG n° 24/10791 ; arrêt n° 12 ; Cerclab n° 23714 (suppression par Microsoft d’un service utilisé par une société française ; même solution avec des arguments similaires), confirmant T. com. Paris (1ère ch.), 4 juin 2024 : RG 2022061501 ; Dnd.
Est valable la clause attributive de compétence d’une convention de compte souscrite au Liban, entre parties libanaises, désignant les juridictions libanaises, sauf à ce que la banque préfère recourir, à sa seule discrétion, à toute autorité judiciaire dont la compétence serait fondée sur un critère tel que le domicile ou le lieu de situation des fonds, dès lors qu’elle fait référence à des juridictions compétentes, de sorte qu’elle est suffisamment prévisible en renvoyant à des règles de compétence de droit commun, et qu’au surplus l’action n’a pas été intentée par la banque ; le client ne prouve pas en quoi la clause serait abusive, au sens de l’art. 1171 C. civ., faute de démontrer qu’elle supprimerait ou entraverait l’exercice de son action en justice. TJ Paris (ch. 9-2), 22 octobre 2024 : RG n° 23/04441 ; Cerclab n° 23311 (convention de compte bancaire conclue en juillet 2015, ce qui rendait l’art. 1171 inapplicable ; clause au surplus non potestative ; N.B. 1 : arrêt ayant au préalable examiné le litige au regard de l’art. 17 § 1, c) du Règlement Bruxelles I bis, la qualité de consommateur n’étant pas discutée, avant de rejeter la protection instituée par ce texte ; N.B. 2 : le jugement rejette aussi l’application l’art. L. 232-1 C. consom., faute de lien étroit avec la France). § V. aussi dans le même sens dans une hypothèse voisine : TJ Paris (ch. 9-2 - Jme), 22 octobre 2024 : RG n° 23/04442 ; Cerclab n° 23313 (absence d’application de l’art. L. 232-1 C. consom., justifiée par l’absence de qualité de consommateur ; N.B. le jugement vise l’art. 1171, dans sa version de 2018, alors que la convention de compte avait été conclue en 2017). § Comp. : TJ Paris (9e ch. 2e sect. - Jme), 15 janvier 2025 : RG n° 23/11305 ; jugt n° 9 ; Cerclab n° 23357 (conventions de compte ; les clients ne sauraient invoquer l’art. 1171 C. civ. alors qu'elles sont domiciliées au Liban et ont signé les contrats litigieux dans ce pays, sans avoir été démarchées en France de sorte qu'il n'existe aucun lien étroit entre les contrats en cause et le territoire français ; ces contrats sont soumis au droit libanais et la clause attributive prévue n'est pas contestée au regard du droit libanais).