CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 25 octobre 2023
CERCLAB - DOCUMENT N° 10505
CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 25 octobre 2023 : RG n° 21/11927 ; arrêt n° 176
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « L'article 3 § 2 et § 3 du règlement 1/2003 du Conseil relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité autorise les Etats membres à adopter une loi nationale plus stricte afin de sanctionner certaines pratiques qui n'entrent pas dans le champ des articles 101 et 102 TFUE (anciennement 81 et 82). Dans ce cadre, la loi nationale doit viser un comportement unilatéral d'une entreprise et avoir un objectif différent des articles précités : « Le 2. L'application du droit national de la concurrence ne peut pas entraîner l'interdiction d'accords, de décisions d'associations d'entreprises ou de pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres, mais qui n'ont pas pour effet de restreindre la concurrence au sens de l'article 81, paragraphe 1, du traité, ou qui satisfont aux conditions énoncées à l'article 81, paragraphe 3, du traité ou qui sont couverts par un règlement ayant pour objet l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité. Le présent règlement n'empêche pas les États membres d'adopter et de mettre en 'uvre sur leur territoire des lois nationales plus strictes qui interdisent ou sanctionnent un comportement unilatéral d'une entreprise. 3. Sans préjudice des principes généraux et des autres dispositions du droit communautaire, les paragraphes 1 et 2 ne s'appliquent pas lorsque les autorités de concurrence et les juridictions des États membres appliquent la législation nationale relative au contrôle des concentrations, et ils n'interdisent pas l'application de dispositions de droit national qui visent à titre principal un objectif différent de celui visé par les articles 81 et 82 du traité ».
Ces dispositions reprennent certains éléments du considérant 9 du règlement qui précisent les raisons de la permission accordées aux Etats membres d'adopter des mesures plus strictes en ces termes : « Les articles 81 et 82 du traité ont pour objectif de préserver la concurrence sur le marché. Le présent règlement, qui est adopté en application des dispositions précitées, n'interdit pas aux États membres de mettre en œuvre sur leur territoire des dispositions législatives nationales destinées à protéger d'autres intérêts légitimes, pour autant que ces dispositions soient compatibles avec les principes généraux et les autres dispositions du droit communautaire. Dans la mesure où les dispositions législatives nationales en cause visent principalement un objectif autre que celui consistant à préserver la concurrence sur le marché, les autorités de concurrence et les juridictions des États membres peuvent appliquer lesdites dispositions sur leur territoire. Par voie de conséquence, les États membres peuvent, eu égard au présent règlement, mettre en œuvre sur leur territoire des dispositions législatives nationales interdisant ou sanctionnant les actes liés à des pratiques commerciales déloyales, qu'ils aient un caractère unilatéral ou contractuel. Les dispositions de cette nature visent un objectif spécifique, indépendamment des répercussions effectives ou présumées de ces actes sur la concurrence sur le marché. C'est particulièrement le cas des dispositions qui interdisent aux entreprises d'imposer à un partenaire commercial, d'obtenir ou de tenter d'obtenir de lui des conditions commerciales injustifiées, disproportionnées ou sans contrepartie » (souligné par la Cour).
Aussi l'article L. 442-6-I-1° du code de commerce, dans sa version applicable au litige, en ce qu'il vise à sanctionner la pratique consistant pour un opérateur économique à obtenir ou tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, n'est pas contraire au règlement précité ni aux articles 101 et 102 du TFUE.
L'article L. 442-6 III du code de commerce en ce qu'il donne qualité au Ministre pour introduire une action devant les juridictions nationales pour faire constater une telle pratique et ordonner la cessation de la pratique, la nullité des clauses ou contrats illicites, n'est pas davantage contraire aux dispositions européennes précitées. La qualification « d'action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence » donnée à l'action du Ministre par la Cour de cassation (Cass., com. 8 juillet 2008 n° 07-16.761 Bull. IV, n°143 ; Conseil constitutionnel, décision du 13 mai 2011 n° 2011-126 QPC ; Cass. com. 18 octobre 2011 n°10-28.005 ; CEDH Galec c/France du 17 janvier 2012 ; Civ. 1ère, 6 juillet 2016, n°15-21.811) ne change pas l'objectif spécifique des dispositions de l'article L. 442-6-I-1° précité que cette action vise à mettre en œuvre.
Aussi, dès lors que le Ministre entend fonder son action sur les dispositions de l'article L. 442-6-I-1° et que les pratiques dénoncées sont analysées dans le cadre des conditions d'application de cet article, le Ministre dispose de la qualité à agir et son action est recevable, sans qu'il soit nécessaire de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré recevable l'action du Ministre. »
2/ « L'article L. 442-6-I-1° du code de commerce dans sa version en vigueur entre le 29 juillet 2010 et 8 août 2015 dispose que : […]. De par la généralité de ses termes, l'application de ce texte peut être étendue au-delà des seuls services de coopération commerciale (« service commercial ») et à un avantage de toute nature. Ainsi, la Cour de cassation a récemment jugé (Cass., Com. 11 janvier 2023 pourvoi n° 21-11.163 publié) que « L'application de l'article L. 442-6-I-1°, du code de commerce exige seulement que soit constatée l'obtention d'un avantage quelconque ou la tentative d'obtention d'un tel avantage ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, quelle que soit la nature de cet avantage ».
En l'espèce, l'examen des pièces du Ministre, et en particulier les extraits des conventions uniques Lidl, les contrats-cadre annuels Le Galec sur la période 2013 à 2015 et les déclarations des fournisseurs aux enquêteurs, à savoir les sociétés […] : […]. De l'analyse des contrats-cadre annuels 2013-2015 et leurs annexes conclus entre chacun des fournisseurs et Le Galec, il ressort que cette remise spécifique sur produits était prévue au titre des conditions de l'opération de vente des produits (article I-1) et non au titre de la rémunération d'un service commercial ou de toute autre obligation au sens des 2° et 3° de l'article L. 441-7 précité. A cet effet, l'ensemble des fournisseurs ont expliqué que cette remise de 10% sur leurs produits également référencés chez Lidl était toujours décidée lors de la négociation annuelle des conventions et pouvait se combiner à d'autres remises ayant des justifications différentes (par exemple la remise « drive »). Hormis un seul évoquant des avenants en cours d'année (pièce n°9-1), les fournisseurs ont précisé que si l'un de leur produit était référencé en cours d'année chez Lidl, la demande de remise du Galec n'intervenait jamais en cours d'année mais seulement au cours des négociations annuelles, soit par anticipation soit l'année suivante mais sans rétroactivité. Si l'un des produits venait à être déréférencé chez Lidl, certains fournisseurs ont indiqué que la remise était supprimée l'année suivante, d'autres ont expliqué qu'elle était pérennisée, et ce suivant le résultat des négociations globales.
Hormis un fournisseur ayant reconnu avoir pu négocier le montant de la remise (pièce n°18-1), les autres ont clairement expliqué que cette remise, en général de 10%, avait été demandée et obtenue par le Galec et n'avait pas d'autre contrepartie que celle de pouvoir maintenir le référencement de leur produit chez Le Galec et de sécuriser la commercialisation de leurs gammes de produits plus larges dans les magasins W. tout en répondant à la stratégie de cette enseigne de rester la « moins chère » sur les produits phares.
Deux fournisseurs ont indiqué qu'une telle pratique les avait obligés à arbitrer leur politique de distribution de leur marque nationale et de faire le choix entre l'une ou l'autre des enseignes (pièces n°11-1, 15) ou pour un autre de limiter le nombre de double référencement (pièce n°17-1) ou pour un autre de limiter son volant d'affaires avec Lidl (pièce n°4-1). Pour la majorité des fournisseurs interrogés, cette pratique de remise sur leurs produits référencés chez Lidl n'a pas eu d'impact significatif sur la poursuite de leur relation commerciale avec l'une ou l'autre des enseignes, ni sur leur chiffre d'affaires global. Nombre d'entre eux ont fait remarquer que l'enseigne Lidl se positionnait sur un nombre réduit de produit de marque nationale et ne souhaitant en général pas d'extension de la marque. Certains d'entre eux ont même précisé que cette remise avait été intégrée dans leur approche commerciale, ou avait été anticipée sur leurs tarifs nets, ou contournée en proposant des produits à Lidl suivant des formats différents, sans pour autant invoquer d'impact financier particulier (pièces n° 24-1, 21-1, 20-1).
Si le Ministre qualifie cette remise de 10% de « pénalité abusive destinée à surtaxer les produits que le fournisseur diffuse également à son concurrent » et évoque un coût financier de cette pénalité excédant le gain escompté à travailler avec Lidl, force est de constater que le Ministre ne procède à aucune démonstration du caractère manifestement disproportionné de la remise ainsi obtenue de chacun des fournisseurs sur les produits litigieux au regard des gains escomptés par ces derniers du référencement de leur gamme de produits dans les magasins de l'enseigne E. W.
De l'ensemble de ces constatations, il en ressort que dans le processus de détermination du prix convenu entre les parties lors des négociations annuelles, la remise litigieuse ne visait clairement pas à rémunérer un service commercial ou "toutes autres obligations" mais faisait partie intégrante de la négociation liée aux conditions de l'opération de vente pouvant aboutir à des réductions de prix sur le tarif des fournisseurs, et dont la contrepartie attendue par ces derniers n'était autre que le maintien du flux d'affaires entre les parties dans un contexte de tension concurrentielle entre les distributeurs E. W. et Lidl.
Il s'ensuit que la remise litigieuse ne constitue pas un avantage sans contrepartie au sens des dispositions de l'article L. 442-6-I-1° du code de commerce. Par ces motifs substitués, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté le Ministre de toutes ses demandes. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 4
ARRÊT DU 25 OCTOBRE 2023
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 21/11927. Arrêt n° 176. N° Portalis 35L7-V-B7F-CD56V. Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 mai 2021 - Tribunal de Commerce de Paris RG n° 2018014864.
APPELANT :
Monsieur LE MINISTRE DE L'ÉCONOMIE ET DES FINANCES
représenté par Madame X., [Adresse 1], [Adresse 1] / France, Représenté et assisté de monsieur Y., inspecteur de la concurrence de la consommation et de la représsion des fraudes et madame Z., agent chargée du conctentieux civil des pratiques restrictives de concurrence
INTIMÉE :
SCA SOCIETE COOPERATIVE GROUPEMENT D'ACHATS CENTRES LE CLERC-GALEC
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, immatriculée au RCS de Créteil sous le numéro XXX, [Adresse 2], [Adresse 2], Représentée par Maître Charles-Hubert OLIVIER de la SCP LAGOURGUE & OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0029, Représentée par Maître Gilbert PARLEANI, avocat au barreau de PARIS, toque : L0036
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 13 septembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de : Madame Marie-Laure Dallery, présidente de la chambre 5.4, Madame Sophie Depelley, conseillère, Monsieur Julien Richaud, conseiller, qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Sophie Depelley dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Mianta Andrianasoloniary
ARRÊT : - contradictoire, - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Marie-Laure Dallery, présidente de la chambre 5.4 et par Maxime Martinez, greffier, auquel la minute du présent arrêt été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Le Groupements D'achats Des Centres W. (ci-après « Le Galec ») est exploitée sous la forme d'une société anonyme coopérative à capital variable qui relève de la loi du 11 juillet 1972 et dont les coopérateurs sont les points de ventes et les centrales d'achat régionales (dites SCA) à l'enseigne E. W. Le Galec intervient dans le cadre de la relation fournisseur/distributeur, d'une part en tant que courtier mettant en relations offreurs et distributeurs, sans conclure d'opération d'achat-vente, et d'autre part en tant que mandataire en procédant au début de chaque année au référencement des fournisseurs nationaux et en signant au nom et pour le compte de ses coopérateurs, un contrat-cadre annuel.
A la suite de plusieurs articles de presse faisant état d'une pratique du Galec dénommée « taxe Lidl », la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après, « la Dgccrf ») ainsi que, au niveau régional, les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (ci-après, « la Dirrecte », devenue le 1er avril 2021 la Drieets), ont étudié les conditions dans lesquelles l'enseigne E. W. aurait imposé une remise additionnelle de 10 % aux fournisseurs de produits à marque nationale également présents dans les rayons des magasins de l'enseigne concurrente Lidl.
Les enquêteurs ont analysé les conventions annuelles conclues en 2013, 2014 et 2015 entre le Galec et un échantillon de 22 fournisseurs et ont relevé que les produits référencés par le Galec étaient affectés d'une réduction de prix additionnelle lorsqu'ils étaient également référencés par Lidl et que cette réduction était présentée comme inconditionnelle.
Estimant que cette pratique de réduction de prix n'était assortie d'aucune contrepartie en contravention avec les dispositions de l'article L. 442-6-I-1° du code de commerce dans ses versions en vigueur entre le 6 août 2008 et le 19 mars 2014 puis entre le 19 mars 2014 et le 8 août 2015, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique (ci-après dénommé « le Ministre ») a par acte du 28 février 2018, assigné le Galec devant le tribunal de commerce de Paris sur le fondement des dispositions précitées pour obtenir que soit constatée la nullité de ces obligations dans les conventions conclues entre 2013 et 2015, qu'il soit enjoint au Galec la cessation de cette pratique et que celui-ci soit condamné au paiement de la somme de 83.035.774,91 euros au titre de sommes perçues indûment outre une amende civile de 25.000.000 euros.
Par jugement du 11 mai 2021 le tribunal de commerce de Paris a :
- dit l'action de M. Le ministre de l'économie et des finances recevable ;
- débouté M. Le ministre de l'économie et des finances de toutes ses demandes ;
- condamné M. Le ministre de l'économie et des finances à verser à la SA société coopérative groupements d'achats des centres W. la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;
- condamné M. Le ministre de l'économie et des finances aux dépens.
Pour débouter le Ministre de son action fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6-I-1° du code de commerce, les premiers juges ont considéré que cet article n'engage la responsabilité d'un opérateur économique qu'au regard d'un service commercial prévu par les parties, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, l'analyse des conventions faisant ressortir que les remises litigieuses ne faisaient référence à aucun service commercial convenu entre les parties.
Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 25 juin 2021, le Ministre a interjeté appel de ce jugement.
[*]
Aux termes de ses dernières conclusions n°3, déposées au greffe le 28 avril 2023 et notifiées au Galec le 27 avril 2023, le Ministre demande à la Cour de :
Vu l'article L. 442-6 du code de commerce dans sa version applicable à l'époque des faits,
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 11 mai 2021 en ce qu'il a dit l'action de Monsieur le Ministre de l'économie et des finances recevable ;
Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 11 mai 2021 en ce qu'il a :
- Débouté M. le Ministre de l'économie et des finances de toutes ses demandes ;
- Condamné M. le Ministre de l'économie et des finances à verser à la société Coopérative Groupement d'Achats des Centres W. la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;
- Condamné M. le Ministre de l'économie et des finances aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 146,33 euros dont 23,96 euros de TVA ;
Et, en conséquence, Statuer à nouveau et :
- Dire et juger que la pratique du GALEC, consistant à obtenir de ses fournisseurs une réduction de prix sur les produits référencés également chez son concurrent LIDL sans contrepartie, contrevient aux dispositions de l'article L. 442-6-I 1° du code de commerce dans sa version applicable à l'époque des faits ;
- Débouter le GALEC de l'ensemble de ses demandes plus amples ou contraires, et notamment de ses demandes d'irrecevabilité des demandes du ministre et de renvoi de deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne ;
En conséquence, en vertu de l'article L. 442-6-III du code de commerce dans sa version applicable à l'époque des faits :
- Constater la nullité de ces obligations dans les accords du GALEC conclus en 2013, 2014 et 2015 avec les fournisseurs suivants : Bel Fromagerie, Danone, Elvir, Fleury Michon Charcuterie, Fleury Michon Traiteur, Fromagerie Bel, Heineken, Intersnack, Jacobs Douwe Egberts, Lactalis Beurres et Crèmes, Lactalis Fromage, Lactalis Nestlé Ultra Frais, Lactel, Mars Chocolat France, Mars Petcare Food France, MC Cormick, Nestlé Waters, Saint Hubert, Société des caves et des productions de roquefort, Soprat, Unilever (corps gras), Unilever (crème glacée), Unilever (Knorr), Unilever (Lipton/Elephant), Unilever (Maille/Amora), United Biscuits et Yoplait ;
- Enjoindre au GALEC de cesser les pratiques susvisées ;
- Condamner le GALEC à verser au Trésor Public les sommes indûment perçues à hauteur de 83.035.774,88 euros, à charge pour celui-ci de les restituer aux fournisseurs selon la répartition suivante :
Fournisseur
Montant de l'indu au 28 février 2018
[Adresse 3]
4.025.885,39 euros
Elvir
2.850.491,21 euros
[Adresse 5]
4.559.823,02 euros
[Adresse 6]
836.062,12 euros
[Adresse 7]
14.856.307,14 euros
Heineken
1.169.199,19 euros
Intersnack
191.440,54 euros
Jacob Douwe Egberts
138.387,82 euros
Lactalis BC
2.396.350,98 euros
Lactel
87.213,72 euros
LNUF
3.238.298,77 euros
Mars chocolat
6.139.298,79 euros
Mars PF
208.088,42 euros
McCormick
477.381,76 euros
Nestlé Waters
11.704.840.56 euros
S.C.P.R.
2.335.730,11 euros
Saint-Hubert
3.206.774,05 euros
Soprat
2.133.179,96 euros
Unilever
4.367.650,11 euros
United Biscuits
1.225.696,72 euros
Yoplait
280.877,61 €
- Dire que ce montant est indexé sur la variation de l'indice des prix à la consommation publié par l'INSEE à compter du 1er mars 2018 ;
- Prononcer à l'encontre du GALEC une amende civile de 25 millions d'euros ;
- Dire que ce montant est également indexé sur la variation de l'indice des prix à la consommation publié par l'INSEE à compter du 1er mars 2018 ;
- Condamner le GALEC à publier pendant six mois à compter de la signification du jugement à intervenir, le dispositif dudit jugement sur le site internet W. (www.[04].com) et sur le blog de [O] W. (www.[08].com) ;
- Condamner le GALEC à publier à ses frais, sous huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir, le dispositif dudit jugement dans les trois quotidiens nationaux et les deux revues suivants : Le Monde, Le Figaro, Les Echos ; LSA ; Linéaires ;
- Condamner le GALEC à verser au Trésor Public la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner le GALEC aux entiers dépens.
[*]
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées par RPVA le 9 juin 2023 et signifiées au Ministre le 12 juin 2023, le Galec demande à la Cour de :
Vu notamment l'article L. 442-6 du Code de commerce dans sa rédaction applicable aux faits, et, notamment, ses points I.1°, et III,
Vu notamment les articles 73 et 74, et 122 du Code de procédure civile,
Vu l'article 101 du traité FUE,
Vu les articles 3 § 2 et 3 § 3 du règlement du Conseil 1/2003 du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du Traité, tel qu'explicités par son neuvième considérant,
Vu l'article L. 410-2 du Code de commerce, et les principes constitutionnels de liberté d'entreprendre, de liberté contractuelle, et de liberté des prix,
Vu le jugement prononcé par le Tribunal de Commerce de Paris du 11 mai 2021,
- Recevoir le Ministre en son appel, mais l'y déclarer mal fondé, et en conséquence :
I. Débouter le ministre en l'état,
En raison de l'insuffisance des preuves avancées par le Ministre :
- Constater que le jugement du 11 mai 2021 n'a pas eu à se prononcer à ce sujet, mais que le Ministre reprend les mêmes éléments de preuve en cause d'appel,
- Constater que le Ministre soutient à nouveau devant la Cour qu'il est prouvé que des références identiques ont été présentes concomitamment chez W. et chez Lidl, et que cette concomitance explique les remises consenties par certains fournisseurs du Galec, au détriment prétendu de Lidl,
- Constater que le Ministre ne produit que des contrats conclus par LIDL vidés de toute substance, rendant impossible la vérification de la prétendue concomitance,
- Constater en conséquence que le dossier présenté à la Cour ne permet pas de vérifier, référence par référence, et code EAN par code EAN, l'identité affirmée par le Ministre des produits vendus dans les deux enseignes que sont W. et LIDL,
- Constater que le Ministre demande à la Cour de se satisfaire du dossier qu'il lui présente,
- Dire que l'importance des demandes formulées au nom du Ministre impose que les preuves avancées soient incontestables,
- Dire que le principe selon lequel la preuve appartient au demandeur, et qu'elle doit être apportée à suffisance de droit, sauf à violer les principes du contradictoire du respect des droits de la défense, et de l'égalité des armes, impose que le Ministre permette au juge de vérifier ses allégations relatives à la concomitance des mêmes références dans les deux enseignes,
- En conséquence, débouter le Ministre en l'état de toutes les demandes qu'il présente devant la Cour.
II. Subsidiairement, recevant le Galec en son appel incident, déclarer le ministre irrecevable, et infirmer de ce chef le jugement du 11 mai 2021
- Constater que le Tribunal de commerce de Paris, en pages 9 à 11 de son jugement du 11 mai 2021 a déclaré le Ministre de l'économie recevable en son action,
- Constater néanmoins que les reproches formulés au nom du Ministre de l'Économie visent incontestablement des « accords entre entreprises » au sens de l'article 101 du TFUE,
- Constater que les fournisseurs ont pour le moins « acquiescé » aux « remises » litigieuses, et que le Ministre n'invoque aucune « soumission » de leur part au point que leur consentement aurait été véritablement inexistant,
- Dire et juger que, de toute manière, la soumission, au sens où ce mot est utilisé en droit français des pratiques dites restrictives, n'est pas un critère pertinent en droit de l'Union pour exclure l'application de l'article 101 du traité FUE, et du règlement 1/2003,
- Dire et juger dès lors que les accords litigieux doivent être qualifiés d'entente au sens de l'article 101 du traité FUE, et que le règlement 1/2003 conduit à exclure l'application en l'espèce de l'article L. 442-6-I-1° du Code de commerce mis en œuvre par l'action autonome du Ministre, en ce qu'il vise à interdire et à déclarer nuls des accords licites au sens de l'article 101 précité,
- Constater que le droit français est fixé en ce sens que « l'action autonome » du Ministre ne peut avoir aucune autre finalité que celle de protéger « le marché et la concurrence »,
- Constater que cette finalité est exclusive, comme a été itérativement jugé (à la demande même du Ministre) par la Cour de cassation dans 8 arrêts successifs prononcés depuis le 5 mai 2008,
- Constater qu'il résulte de l'article L. 442-6-III (devenu L. 442-4) du Code de commerce, et de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, que l'action autonome du Ministre poursuit en tous cas « principalement » (et en réalité exclusivement) un objectif de protection du marché et de la concurrence, c'est-à-dire qu'il le poursuit dans une mesure largement suffisante pour que puisse être appliqué l'article 3 du règlement 1/2003 (en ses paragraphes 2 et 3),
- Dire et juger qu'en tant qu'Autorité d'un État membre, le Ministre doit respecter l'effet direct du règlement 1/2003,
- Dire et juger que, par l'action « autonome » qu'il a exercée en l'espèce à l'encontre du GALEC, le Ministre de l'Économie a violé les dispositions de l'article 3 § 2 du règlement 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002, telles qu'explicitées par son neuvième considérant,
- Débouter le Ministre de sa demande tendant à le voir déclarer recevable,
En conséquence, dire le Ministre irrecevable en son action,
- Infirmer de ce chef le jugement du 11 mai 2021,
Si mieux plaît à la Cour,
- Renvoyer à la Cour de Justice de l'Union européenne, en application de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en interprétation préjudicielle de l'article 3 § 2 du règlement précité 1/2003,
Le GALEC suggérant respectueusement à la Cour la rédaction suivante pour deux « questions préjudicielles » :
1ère question : « Le règlement 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2012, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, et notamment ses articles 3 § 3 et 3 § 3 tels qu'explicités par le 9ème considérant, doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une action telle que celle engagée par le Ministre français de l'Économie sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce (repris aux articles L. 442-1-I-1° et L. 442-4),
1°) lorsque cette action vise à la nullité de contrats en n'étant engagée que contre un seul contractant,
2°) lorsque cette action est engagée sans remettre en cause le consentement des autres parties, alors que, au minimum, leur acquiescement est certain,
3°) lorsque les contrats en cause ont pour objet et pour effet de diminuer les prix de détail et d'aviver de ce fait la concurrence entre réseaux de distribution, et,
4°) lorsqu'aucune sanction n'est prononcée par une autorité de concurrence ».
2ème question : « Le règlement 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2012, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, et notamment ses articles 3 § 2 et 3 § 3, tel qu'explicité par le neuvième considérant, doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une action telle que celle engagée par le Ministre français de l'économie sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce (repris aux articles L. 442-1-I-1° et L. 442-4),
1°) lorsque cette action est qualifiée par les autorités publiques et judiciaires françaises d'action « autonome », de « protection du marché et de la concurrence », ne se substituant pas aux actions intentées par les prétendues victimes, et que l'action est engagée au moins « principalement » dans le but de rétablir prétendument une situation de concurrence et de marché,
2°) lorsque cette action vise concrètement la conclusion et les effets de contrats conclus entre des fournisseurs et un distributeur, et qu'est alléguée un affaiblissement de la position concurrentielle d'un autre distributeur, tiers par rapport aux contrats, ainsi qu'un préjudice prétendument subi par les consommateurs sur les marchés concernés,
3°) lorsque cette action est diligentée aux fins d'obtenir des condamnations pécuniaires, pour « dommage à l'économie » […] ».
- En ce cas, surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de Justice de l'Union européenne ait statué en interprétation préjudicielle,
III. Toujours subsidiairement, confirmation au fond du jugement du 11 mai 2021
- Constater que les premiers juges ont jugé que c'était à tort que le Ministre de l'économie soutenait devant lui que l'article L. 442-6-I-1° du Code de commerce était applicable aux faits, et qu'il en résulte un débouté du Ministre,
- Confirmer le jugement de ce chef,
En conséquence,
- Débouter au fond le Ministre de l'Économie de toutes ses demandes, fins, et conclusions, en constatant l'absence de fondement sérieux aux arguments avancés par le Ministre pour justifier les prétendues sommes "indues", ou pour justifier le prononcé d'une amende civile.
- Dire et juger qu'en raison du principe de la libre négociation du prix, le contrôle judiciaire du prix demeure exceptionnel en matière de pratiques restrictives de concurrence, et que ce contrôle ne s'effectue pas en dehors d'un déséquilibre significatif, lorsque le prix n'a pas fait l'objet d'une libre négociation, ainsi que l'a rappelé le Conseil constitutionnel à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2017, et que, dès lors, les dispositions de l'article L. 442-6-I-1° précité ne s'appliquent pas à la réduction de prix obtenue d'une partenaire commercial,
- Constater que l'administration recherche une asymétrie juridique pour tenter de convaincre que le prix en tant que tel n'est pas négociable, et que seul peut l'être le solde compensatoire résultant d'une soustraction entre, d'une part, un prix unilatéralement fixé par le fournisseur, et, d'autre part, la valeur de services offerts par le distributeur, toujours contestés par l'administration,
vDire que la thèse défendue en l'occurrence par le Ministre est aberrante en droit commun et en économie, et qu'elle aboutit nécessairement à des conséquences absurdes en droit,
- Dire que, en droit français, aucun texte ne prohibe la négociation d'un prix en tant que tel,
- Constater encore que les éléments de preuve avancés par le Ministre pour étayer ses demandes de condamnation pécuniaires sont insuffisants et trompeurs,
IV. Plus subsidiairement,
Si la Cour décidait par extraordinaire d'infirmer le jugement entrepris,
- Réduire les demandes financières (indu et amende civile) formulées par le Ministre de l'Économie, pour tenir compte du caractère très limité des pratiques querellées, de l'accord donné par les fournisseurs, et des incertitudes juridiques et économiques relatives à la partie du principe de libre négociation des prix en France, et dire qu'il n'y a eu ni dissimulation, ni réitération,
- Dire et juger qu'il n'y a lieu à ordonner la publication du dispositif de l'arrêt aux frais du GALEC, et rejeter cette demande,
- Dire et juger encore que la demande de publication du même dispositif sur le blog personnel de Monsieur O. W. « dequoijememel » est injustifiée et injustifiable, et dire irrecevable cette demande, et la rejeter en tant que de besoin,
- Confirmer de ces chefs le jugement entrepris qui a débouté le Ministre de toutes ses demandes,
V. Et encore plus subsidiairement
- Constater l'existence de contreparties économiques objectives aux avenants critiqués, et débouter de plus fort le Ministre de l'Économie
VI. Condamner en tout état de cause le Ministre de l'Économie à verser au GALEC la somme de 100.000 € en application de l'article 700 du CPC
[*]
L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 juin 2023.
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIVATION :
Bien qu'invoquée à titre subsidiaire par le Galec, il y a lieu d'examiner la recevabilité de l'action du Ministre préalablement au bien-fondé de ses demandes formulées à l'encontre du Galec.
I - Sur la recevabilité de l'action du Ministre :
Exposé des moyens des parties :
Le Galec fait valoir en substance que les reproches formulés à son encontre par le Ministre visent en réalité des accords entre entreprises au sens de l'article 101 du TFUE, les fournisseurs ayant acquiescé aux remises litigieuses et aucune soumission de leur part n'étant invoqué par le Ministre. Le Galec prétend que ces accords sont licites en ce qu'ils avivent la concurrence sur les prix entre réseaux de distribution. Il en déduit que les accords litigieux doivent être qualifiés d'entente au sens de l'article 101du TFUE, et que le règlement 1/2003 conduit à exclure en l'espèce l'application de l'article L. 442-6-I-1° du code de commerce mise en œuvre par l'action autonome du Ministre, en ce que cette action vise à interdire et à déclarer nuls des accords licites au sens de l'article 101 précité bénéficiant de la primauté dans l'ordre juridique européen. Il relève à cet effet que comme fixé par la jurisprudence, l'action autonome du Ministre ne peut avoir aucune finalité autre que celle de protéger le marché et la concurrence. Le Galec en conclu qu'en exerçant en l'espèce son action autonome à son encontre, le Ministre a violé les dispositions de l'article 3§2 du règlement 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 telles qu'explicitées par son neuvième considérant, et qu'ainsi son action est irrecevable. Il suggère à titre subsidiaire le renvoi de deux questions préjudicielles relatives à la conformité de l'action du Ministre, telle que mise en 'uvre dans le présent litige, au règlement 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2012.
Le Ministre réplique pour l'essentiel que son action est fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6-I-1° et ne vise pas à faire sanctionner une pratique anticoncurrentielle, mais seulement une pratique restrictive de concurrence consistant pour le Galec de contraindre ses fournisseurs à une remise tarifaire sur certains de leurs produits au motif que ces produits étaient également référencés chez son concurrent Lidl. Il soutient que les dispositions de l'article L. 442-6 III du code de commerce lui permet d'intenter une action autonome qui répond à une finalité propre de défense de l'ordre public économique et qui n'est pas contraire aux dispositions du Règlement (CE) 1/2003, en ce qu'elle vise à faire sanctionner des pratiques déloyales entre partenaires commerciaux pouvant faire l'objet d'une règlementation nationale spécifique visée à l'article 3.2 dudit Règlement explicitée au neuvième considérant.
Réponse de la Cour,
L'article 3 § 2 et § 3 du règlement 1/2003 du Conseil relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité autorise les Etats membres à adopter une loi nationale plus stricte afin de sanctionner certaines pratiques qui n'entrent pas dans le champ des articles 101 et 102 TFUE (anciennement 81 et 82). Dans ce cadre, la loi nationale doit viser un comportement unilatéral d'une entreprise et avoir un objectif différent des articles précités :
« Le 2. L'application du droit national de la concurrence ne peut pas entraîner l'interdiction d'accords, de décisions d'associations d'entreprises ou de pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres, mais qui n'ont pas pour effet de restreindre la concurrence au sens de l'article 81, paragraphe 1, du traité, ou qui satisfont aux conditions énoncées à l'article 81, paragraphe 3, du traité ou qui sont couverts par un règlement ayant pour objet l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité. Le présent règlement n'empêche pas les États membres d'adopter et de mettre en 'uvre sur leur territoire des lois nationales plus strictes qui interdisent ou sanctionnent un comportement unilatéral d'une entreprise.
3. Sans préjudice des principes généraux et des autres dispositions du droit communautaire, les paragraphes 1 et 2 ne s'appliquent pas lorsque les autorités de concurrence et les juridictions des États membres appliquent la législation nationale relative au contrôle des concentrations, et ils n'interdisent pas l'application de dispositions de droit national qui visent à titre principal un objectif différent de celui visé par les articles 81 et 82 du traité ».
Ces dispositions reprennent certains éléments du considérant 9 du règlement qui précisent les raisons de la permission accordées aux Etats membres d'adopter des mesures plus strictes en ces termes : « Les articles 81 et 82 du traité ont pour objectif de préserver la concurrence sur le marché. Le présent règlement, qui est adopté en application des dispositions précitées, n'interdit pas aux États membres de mettre en œuvre sur leur territoire des dispositions législatives nationales destinées à protéger d'autres intérêts légitimes, pour autant que ces dispositions soient compatibles avec les principes généraux et les autres dispositions du droit communautaire. Dans la mesure où les dispositions législatives nationales en cause visent principalement un objectif autre que celui consistant à préserver la concurrence sur le marché, les autorités de concurrence et les juridictions des États membres peuvent appliquer lesdites dispositions sur leur territoire. Par voie de conséquence, les États membres peuvent, eu égard au présent règlement, mettre en œuvre sur leur territoire des dispositions législatives nationales interdisant ou sanctionnant les actes liés à des pratiques commerciales déloyales, qu'ils aient un caractère unilatéral ou contractuel. Les dispositions de cette nature visent un objectif spécifique, indépendamment des répercussions effectives ou présumées de ces actes sur la concurrence sur le marché. C'est particulièrement le cas des dispositions qui interdisent aux entreprises d'imposer à un partenaire commercial, d'obtenir ou de tenter d'obtenir de lui des conditions commerciales injustifiées, disproportionnées ou sans contrepartie » (souligné par la Cour).
Aussi l'article L. 442-6-I-1° du code de commerce, dans sa version applicable au litige, en ce qu'il vise à sanctionner la pratique consistant pour un opérateur économique à obtenir ou tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, n'est pas contraire au règlement précité ni aux articles 101 et 102 du TFUE.
L'article L. 442-6 III du code de commerce en ce qu'il donne qualité au Ministre pour introduire une action devant les juridictions nationales pour faire constater une telle pratique et ordonner la cessation de la pratique, la nullité des clauses ou contrats illicites, n'est pas davantage contraire aux dispositions européennes précitées. La qualification « d'action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence » donnée à l'action du Ministre par la Cour de cassation (Cass., com. 8 juillet 2008 n° 07-16.761 Bull. IV, n°143 ; Conseil constitutionnel, décision du 13 mai 2011 n° 2011-126 QPC ; Cass. com. 18 octobre 2011 n°10-28.005 ; CEDH Galec c/France du 17 janvier 2012 ; Civ. 1ère, 6 juillet 2016, n°15-21.811) ne change pas l'objectif spécifique des dispositions de l'article L. 442-6-I-1° précité que cette action vise à mettre en œuvre.
Aussi, dès lors que le Ministre entend fonder son action sur les dispositions de l'article L. 442-6-I-1° et que les pratiques dénoncées sont analysées dans le cadre des conditions d'application de cet article, le Ministre dispose de la qualité à agir et son action est recevable, sans qu'il soit nécessaire de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré recevable l'action du Ministre.
II - Sur le bien-fondé de l'action du Ministre :
Exposé des moyens des parties,
Le Ministre fait principalement valoir que courant 2006 la société Lidl a changé de stratégie commerciale en proposant dans ses magasins environ 10 % de produits à marque nationale comme produits d'appel, tout en maintenant son positionnement « hard discounter » sur les produits MDD, et que de ce fait, l'enseigne E.W. a mené une guerre des prix en faisant pression sur les marges de ses fournisseurs en leur imposant une remise dite « taxe Lidl » dénoncée par divers articles de presse dès 2009. Dans ce contexte, les services de la DGCCRF ont mené une enquête spécifique sur cette pratique en ciblant 22 fournisseurs de produits à marque nationale présents dans les magasins des deux enseignes W. et Lidl. Selon le Ministre, l'analyse des conventions annuelles conclues en 2013, 2014 et 2015 entre le Galec et ces 22 fournisseurs mettent en évidence que tous les produits référencés par l'enseigne Lidl en année « N » sont affectés d'une remise additionnelle d'environ 10 % en année « N+1 » s'ils sont également référencés par le Galec. Le Ministre précise que les produits visés par la remise litigieuse ne sont pas nécessairement des produits vendus aux deux enseignes et ayant le même code EAN mais des produits équivalents ou considéré comme « facialement » identiques pour les consommateurs, et qu'à cet effet les extraits des conventions Lidl versés aux débats sont suffisants pour démontrer la pratique litigieuse.
Selon le Ministre, les dispositions de l'article L. 442-6-I-1° du code de commerce sont applicables aux pratiques constatées, alors même qu'aucun service commercial n'a été convenu entre les parties en contrepartie de la remise litigieuse, et que l'application de ce texte prend tout son sens dans une telle situation constituant la forme la plus grave de la pratique sanctionnée. Il ajoute que le texte précité ne se limite pas aux dispositions convenues dans des contrats écrits, mais vise également, sans distinction les pratiques n'ayant pas été formalisées par écrit dans les contrats. Il fait valoir que ce texte impose au distributeur qui a obtenu un avantage de rapporter la preuve de la réalisation d'un service commercial en contrepartie.
Le Ministre soutient ensuite que la réduction de prix infligée par le Galec à ses fournisseurs correspond à « un avantage quelconque » tel que visé par le texte précité et interprété par la jurisprudence récente de la Cour de cassation (Cass. com. 11 janvier 2023 n°21-11.163 publié). Selon lui, cet avantage qui a rapporté plus de 83 millions d'euros sur la période 2013-2015 à l'enseigne E. W., ne correspond à aucun service commercial rendu ni à aucune contrepartie de quelque sorte que ce soit pour les fournisseurs. Il prétend qu'il ressort de l'analyse des conventions et des déclarations des différents fournisseurs, que la réduction de prix litigieuse, souvent intitulée « remise inconditionnelle » n'est rien d'autre qu'une pénalité destinée à sanctionner les fournisseurs qui travaillent également avec Lidl et à les dissuader de poursuivre le référencement chez l'enseigne concurrente. Le Ministre en déduit que le fait d'habiller en remise une pénalité abusive destinée à surtaxer les produits que le fournisseur diffuse également à son concurrent, constitue par son objet, un détournement de la notion de remise telle qu'elle est issue de la réglementation, à savoir que la remise doit rémunérer un service rendu lié à l'opération de vente. Selon le Ministre, le fait que cette remise soit négociée dans le cadre des conventions annuelles n'entre pas dans le champ d'analyse de l'avantage sans contrepartie, et qu'en toute hypothèse, l'enquête met en évidence que cette remise était pour le Galec une condition impérative de référencement des produits auprès du premier distributeur en France représentant plus de 20 % de part de marché et de ce fait non négociable.
Outre la cessation de la pratique et la restitution des sommes indûment perçues, le Ministre sollicite la condamnation du Galec au paiement d'une somme de 25 millions d'euros à titre d'amende. Pour justifier le montant de cette amende, le Ministre fait notamment valoir que :
- la pratique du Galec conduit à léser les industriels : la charge financière de la « pénalité LIDL » ou le coût des stratégies de contournement (nouveaux conditionnements, nouveaux grammages, nouvelles gammes, formations de personnel afférentes etc.) limitent leurs résultats ou leur capacité d'investissement s'ils décident de travailler avec l'enseigne Lidl ; dans certains cas extrêmes, les industriels peuvent être amenés à renoncer à travailler avec Lidl du fait de cette pénalité ; le frein au développement d'un nombre important d'industriels sur le territoire français au seul profit de l'enseigne Leclerc constitue un trouble l'ordre public économique ;
- la pratique du Galec conduit à léser l'enseigne Lidl qui voit sa gamme artificiellement appauvrie, non parce qu'elle proposerait des conditions inintéressantes pour les industriels, mais parce qu'elle est 4 fois plus petite que le Galec et que le coût financier de la pénalité infligée par cette dernière excède le gain escompté à travailler avec ce nouvel entrant ; cette barrière à l'entrée s'est traduite par un frein à la croissance de l'enseigne Lidl, cet assèchement de la concurrence constitue un trouble majeur à l'ordre public économique ;
- l'ensemble des concurrents du Galec a subi l'impact de cette remise, laquelle permet à l'enseigne W. de bénéficier, de manière illicite, de conditions financières artificiellement favorables sur un grand nombre de produits clés ; il est rappelé que sur la période de mise en place de cette pénalité litigieuse, l'enseigne E. W. a gagné près de 5 points de part de marché au détriment de ses concurrents ;
- le chiffre d'affaires des centres E. W. en 2016 s'élevait à 36,6 milliards d'euros pour le marché français et le montant de l'indu est de 83.033.774,88 euros, il est sollicité 10 % du triple de ce montant,
Le Galec fait préalablement remarquer que l'enseigne Lidl est la première d'Europe (le groupe W. ne détenant que la 9ème place) et a bénéficié d'une forte progression pour atteindre 7,2 % de parts de marché français en 2021, que les fournisseurs présentés comme des « victimes » par l'administration sont toutes des entités appartenant à des groupes d'envergure mondiale qui ont effectivement négocié les remises litigieuses et que la pratique dénoncée par le Ministre ne concerne qu'un nombre limité de produits. Ensuite le Galec relève que sans communication des codes EAN utilisés chez Lidl, pour les produits en cause, il est impossible de vérifier les allégations du Ministre ou les déclarations plus ou moins claires des fournisseurs. Il insiste sur le fait que le code EAN est le seul moyen de connaître précisément les produits en cause et de les comparer, et que les extraits des conventions Lidl produits par le Ministre sont manifestement insuffisants pour démontrer la pratique litigieuse.
Sur l'application de l'article L. 442-6-I-1° du code de commerce, le Galec fait valoir en réplique pour l'essentiel que les remises de prix litigieuses relèvent de la libre négociation du prix dans le cadre des conventions annuelles telle que prévue par les articles L. 410-2 et L. 441-7 du code de commerce et ne peuvent constituer un avantage en sens des dispositions de l'article L. 442-6-I-1° précité. Il relève qu'une négociation comme celle qui se déroule entre le Galec et ses fournisseurs aboutit à de multiples remises dont beaucoup approchent ou dépassent le montant de 10%. Le Galec fait observer qu'à suivre le raisonnement du Ministre, une réduction de prix ne pourrait être obtenue qu'en contrepartie d'un service et qu'ainsi une simple réduction de prix obtenue par l'opérateur acheteur pour diminuer le « prix-tarif » proposé par le vendeur serait « per se » illicite. Selon le Galec, cette thèse de l'administration en contradiction avec les derniers avis de la CEPC conduit à un principe d'unilatéralisme des « prix-tarifs » du vendeur contraire au principe de la libre négociation des prix, celui-ci n'étant plus le résultat du jeu de la concurrence et ne pouvant plus être négocié en tant que tel, sauf à vendre des services. Il ajoute que cette thèse a pour conséquence que plus le prix dans les CGV du fournisseur est élevé, plus le distributeur doit offrir des prestations de service en nombre et en prix élevé pour pouvoir bénéficier d'un juste prix du marché et non pas subir un prix unilatéral.
Subsidiairement, le Galec fait valoir que s'il y a lieu de considérer un « avantage quelconque » au sens des dispositions précitées, il doit en être de même de la contrepartie qui peut alors être "quelconque". Il soutient qu'il ressort de l'analyse des déclarations de la plupart des fournisseurs (17 sur 22) qu'il existait bien une contrepartie économique à la remise fruit de la négociation commerciale, à savoir le maintien dans l'assortiment et la commercialisation par l'enseigne W. d'une gamme beaucoup plus étendue que celle distribuée par Lidl et d'augmenter par là-même le chiffre d'affaires, étant observé que chacun des acteurs est en droit de choisir ses partenaires commerciaux. Le Galec ajoute que l'incrimination de l'article L. 442-6-I-1° doit être d'interprétation stricte et que la notion d'absence de contrepartie doit être cantonnée à de véritables situations d'abus économique, ce que le Ministre ne démontre pas en l'espèce sauf à formuler des reproches d'ordre général insuffisants à caractériser une infraction à l'égard de chacun des fournisseurs.
Le Galec en conclut que les demandes du Ministre sont sans fondement et procèdent de l'incantation sans base sérieuse.
Réponse de la Cour
Selon l'article L. 410-2 du code de commerce, sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services relevant antérieurement au 1er janvier 1987 de l'ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 sont librement déterminés par le jeu de la concurrence.
L'article L. 441-6 du code de commerce prévoit, depuis la loi du 2 août 2005, que les conditions générales de vente (CGV) des fournisseurs constituent le « socle de la négociation commerciale ».
Dans un objectif de transparence et de contrôle a posteriori de l'administration, l'article L. 441-7 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (dite loi LME), prévoit que :
« Une convention écrite conclue entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services indique les obligations auxquelles se sont engagées les parties en vue de fixer le prix à l'issue de la négociation commerciale. Etablie soit dans un document unique, soit dans un ensemble formé par un contrat-cadre annuel et des contrats d'application »
Cette convention fixe :
« 1° Les conditions de l'opération de vente des produits ou des prestations de services telles qu'elles résultent de la négociation commerciale dans le respect de l'article L. 441-6 ;
2° Les conditions dans lesquelles le distributeur ou le prestataire de services s'oblige à rendre au fournisseur, à l'occasion de la revente de ses produits ou services aux consommateurs ou en vue de leur revente aux professionnels, tout service propre à favoriser leur commercialisation ne relevant pas des obligations d'achat et de vente, en précisant l'objet, la date prévue, les modalités d'exécution, la rémunération des obligations ainsi que les produits ou services auxquels elles se rapportent ;
3° Les autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services, en précisant pour chacune l'objet, la date prévue et les modalités d'exécution.
Les obligations relevant des 1° et 3° concourent à la détermination du prix convenu. »
Cet article a ensuite été modifié dans sa version en vigueur du 19 mars 2014 au 8 août 2015. Il a notamment été précisé que la convention fixe 1° les conditions de l'opération de vente des produits ou des prestations de services telles qu'elles résultent de la négociation commerciale dans le respect de l'article L.441-6, « y compris les réductions de prix ». Il a également été ajouté que "La rémunération des obligations relevant des 2° et 3° ainsi que, le cas échéant, la réduction de prix globale afférente aux obligations relevant du 3° ne doivent pas être manifestement disproportionnées par rapport à la valeur de ces obligations ».
La libre négociabilité des prix a cependant pour limite les pratiques restrictives de concurrence prévues au même livre IV de la liberté des prix et de la concurrence.
L'article L. 442-6-I-1° du code de commerce dans sa version en vigueur entre le 29 juillet 2010 et 8 août 2015 dispose que :
I. Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage peut notamment consister en la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée, au financement d'une opération d'animation commerciale, d'une acquisition ou d'un investissement, en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins ou encore du rapprochement d'enseignes ou de centrales de référencement ou d'achat. Un tel avantage peut également consister en une globalisation artificielle des chiffres d'affaires, en une demande d'alignement sur les conditions commerciales obtenues par d'autres clients ou [Loi du 7 mars 2014] en une demande supplémentaire, en cours d'exécution du contrat, visant à maintenir ou accroître abusivement ses marges ou sa rentabilité ;
De par la généralité de ses termes, l'application de ce texte peut être étendue au-delà des seuls services de coopération commerciale (« service commercial ») et à un avantage de toute nature.
Ainsi, la Cour de cassation a récemment jugé (Cass., Com. 11 janvier 2023 pourvoi n° 21-11.163 publié) que « L'application de l'article L. 442-6-I-1°, du code de commerce exige seulement que soit constatée l'obtention d'un avantage quelconque ou la tentative d'obtention d'un tel avantage ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, quelle que soit la nature de cet avantage ».
En l'espèce, l'examen des pièces du Ministre, et en particulier les extraits des conventions uniques Lidl, les contrats-cadre annuels Le Galec sur la période 2013 à 2015 et les déclarations des fournisseurs aux enquêteurs, à savoir les sociétés Danone, Elvir, Fleury Michon Charcuterie, Fleury Michon Traiteur, Fromagerie Bel, Heineken, Intersnack, Jacobs Douwe Egberts, Lactel, Lactalis Beurre et Crème, Lactalis Fromage, Lactalis Nestle Ultra Frais, Mars Chocolat France, Mars Pet Food France, MC Cormick, Nestle Waters, Societe des Caves et des Productions de Roquefort, Soprat, Saint-Hubert, Unilever, United Biscuits et Yoplait, renseignent que :
Jusqu'en 2006, la société Lidl se positionnait comme hard discounter sur le marché de la grande distribution en France et commercialisait exclusivement des produits de marque de distributeur (MDD) au prix le plus bas possible, selon le principe « un besoin égale un produit » (pièce 2-1), alors que l'enseigne E. W. proposait des ensembles de gammes de produits tout en cherchant à être le moins cher sur les produits « phares ». Cherchant à conquérir des parts de marché en France, l'enseigne allemande a opéré un changement de stratégie commerciale en 2006 en commercialisant des produits de marque nationale à forte notoriété à hauteur de 10 % des produits en rayon, et ce comme produits d'appel. L'ensemble des fournisseurs interrogés ont expliqué de manière tout à fait concordante que pour contrer cette offensive de l'enseigne Lidl et pour sécuriser la politique commerciale de l'enseigne E. W., le Galec leur a demandé une remise additionnelle, le plus souvent de 10 % sur facture, sur les tarifs des produits également référencés chez Lidl.
Ces déclarations unanimes sont corroborées par les concordances établies par le Ministre entre d'une part les produits mentionnés dans les extraits des conventions uniques conclues avec Lidl et chacun des fournisseurs sur la période 2013 à 2015 et d'autre part les remises intitulées « remise inconditionnelle » ou « promotion permanente » stipulées dans les contrats-cadre conclus avec le Galec pour la même année ou année n+1 sur les produits identiques ou « facialement équivalents » à ceux référencés chez Lidl. Ces éléments sont suffisants pour établir l'existence d'une remise spécifique demandée par le Galec à ses fournisseurs pour les produits également référencés chez Lidl, sans qu'il soit nécessaire d'opérer à une comparaison par code EAN comme le soutient Le Galec.
De l'analyse des contrats-cadre annuels 2013-2015 et leurs annexes conclus entre chacun des fournisseurs et Le Galec, il ressort que cette remise spécifique sur produits était prévue au titre des conditions de l'opération de vente des produits (article I-1) et non au titre de la rémunération d'un service commercial ou de toute autre obligation au sens des 2° et 3° de l'article L.441-7 précité.
A cet effet, l'ensemble des fournisseurs ont expliqué que cette remise de 10% sur leurs produits également référencés chez Lidl était toujours décidée lors de la négociation annuelle des conventions et pouvait se combiner à d'autres remises ayant des justifications différentes (par exemple la remise « drive »). Hormis un seul évoquant des avenants en cours d'année (pièce n°9-1), les fournisseurs ont précisé que si l'un de leur produit était référencé en cours d'année chez Lidl, la demande de remise du Galec n'intervenait jamais en cours d'année mais seulement au cours des négociations annuelles, soit par anticipation soit l'année suivante mais sans rétroactivité. Si l'un des produits venait à être déréférencé chez Lidl, certains fournisseurs ont indiqué que la remise était supprimée l'année suivante, d'autres ont expliqué qu'elle était pérennisée, et ce suivant le résultat des négociations globales.
Hormis un fournisseur ayant reconnu avoir pu négocier le montant de la remise (pièce n°18-1), les autres ont clairement expliqué que cette remise, en général de 10%, avait été demandée et obtenue par le Galec et n'avait pas d'autre contrepartie que celle de pouvoir maintenir le référencement de leur produit chez Le Galec et de sécuriser la commercialisation de leurs gammes de produits plus larges dans les magasins W. tout en répondant à la stratégie de cette enseigne de rester la « moins chère » sur les produits phares.
Deux fournisseurs ont indiqué qu'une telle pratique les avait obligés à arbitrer leur politique de distribution de leur marque nationale et de faire le choix entre l'une ou l'autre des enseignes (pièces n°11-1, 15) ou pour un autre de limiter le nombre de double référencement (pièce n°17-1) ou pour un autre de limiter son volant d'affaires avec Lidl (pièce n°4-1). Pour la majorité des fournisseurs interrogés, cette pratique de remise sur leurs produits référencés chez Lidl n'a pas eu d'impact significatif sur la poursuite de leur relation commerciale avec l'une ou l'autre des enseignes, ni sur leur chiffre d'affaires global. Nombre d'entre eux ont fait remarquer que l'enseigne Lidl se positionnait sur un nombre réduit de produit de marque nationale et ne souhaitant en général pas d'extension de la marque. Certains d'entre eux ont même précisé que cette remise avait été intégrée dans leur approche commerciale, ou avait été anticipée sur leurs tarifs nets, ou contournée en proposant des produits à Lidl suivant des formats différents, sans pour autant invoquer d'impact financier particulier (pièces n° 24-1, 21-1, 20-1).
Si le Ministre qualifie cette remise de 10% de « pénalité abusive destinée à surtaxer les produits que le fournisseur diffuse également à son concurrent » et évoque un coût financier de cette pénalité excédant le gain escompté à travailler avec Lidl, force est de constater que le Ministre ne procède à aucune démonstration du caractère manifestement disproportionné de la remise ainsi obtenue de chacun des fournisseurs sur les produits litigieux au regard des gains escomptés par ces derniers du référencement de leur gamme de produits dans les magasins de l'enseigne E. W.
De l'ensemble de ces constatations, il en ressort que dans le processus de détermination du prix convenu entre les parties lors des négociations annuelles, la remise litigieuse ne visait clairement pas à rémunérer un service commercial ou "toutes autres obligations" mais faisait partie intégrante de la négociation liée aux conditions de l'opération de vente pouvant aboutir à des réductions de prix sur le tarif des fournisseurs, et dont la contrepartie attendue par ces derniers n'était autre que le maintien du flux d'affaires entre les parties dans un contexte de tension concurrentielle entre les distributeurs E. W. et Lidl.
Il s'ensuit que la remise litigieuse ne constitue pas un avantage sans contrepartie au sens des dispositions de l'article L. 442-6-I-1° du code de commerce.
Par ces motifs substitués, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté le Ministre de toutes ses demandes.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné le Ministre aux dépens de première instance et à payer au Galec la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Ministre, succombant en son appel, sera condamné aux dépens.
En application de l'article 700 en appel, le Ministre sera débouté de sa demande et condamné à verser au Galec la somme de 7 500 euros.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la Cour,
Y ajoutant,
Condamne le Ministre de l'économie et des finances et de la souveraineté industrielle et numérique aux dépens d'appel ;
Condamne le Ministre de l'économie et des finances et de la souveraineté industrielle et numérique à payer au Groupement d'Achat des Centres E. W. (Galec) la somme de 7.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE