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CJUE (7e ch.), 18 octobre 2023

Nature : Décision
Titre : CJUE (7e ch.), 18 octobre 2023
Pays : UE
Juridiction : Cour de Justice de l'UE (7e ch.)
Demande : C-117/23
Date : 18/10/2023
Nature de la décision : Question préjudicielle (CJUE)
Mode de publication : Site Curia (CJUE)
Date de la demande : 28/02/2023
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CERCLAB - DOCUMENT N° 10566

CJUE (7e ch.), 18 octobre 2023 : affaire n° C-117/23

Publication : Site Curia

 

Extrait : « 1) L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que : sont susceptibles de constituer des clauses abusives, au sens de cette disposition, des clauses figurant dans un contrat de prêt en vertu desquelles le montant emprunté est libellé en devise étrangère et est, dans un premier temps, versé par la banque, dans cette devise, sur un compte bloqué avant d’être, dans un second temps, converti par celle-ci en monnaie nationale ou en monnaie de réserve et porté au crédit du compte courant de l’emprunteur, lorsque de telles clauses ont pour effet, d’une part, de transférer le risque de change entièrement vers le consommateur en cas d’appréciation importante de la devise étrangère et, d’autre part, de faire bénéficier l’établissement de crédit, au détriment du consommateur, d’un avantage lié aux modalités de conversion du prêt non spécifiquement convenu entre les parties au moment de la conclusion du contrat.

2) L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que : un juge national, lorsqu’il a constaté le caractère abusif de clauses figurant dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère, ne peut considérer que ce prêt a en réalité été libellé en monnaie nationale ou en monnaie de réserve de l’État membre concerné que lorsque l’annulation intégrale de ce contrat de crédit qu’implique la suppression de ces clauses expose le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables et qu’une telle révision du contrat est possible en vertu d’une disposition de droit national à caractère supplétif ou d’une disposition législative applicable en cas d’accord des parties au contrat.

À défaut de telles dispositions de droit national, le niveau élevé de protection du consommateur prescrit par la directive 93/13 exige que le juge national prenne, en tenant compte de l’ensemble de son droit interne, toutes les mesures nécessaires afin de protéger le consommateur de telles conséquences, de manière à garantir à ce dernier qu’il se trouve en définitive dans la situation qui aurait été la sienne si les clauses jugées abusives n’avaient jamais existé. ».

 

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE

SEPTIÈME CHAMBRE

ORDONNANCE DU 18 OCTOBRE 2023

 

Dans l’affaire C‑117/23, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Apelativen sad – Sofia (Bulgarie), par décision du 13 février 2023, parvenue à la Cour le 28 février 2023, dans la procédure

VU, IT

contre

Eurobank Bulgaria AD,

LA COUR (septième chambre),

composée de Mme A. Prechal (rapporteure), présidente de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la septième chambre, M. J. Passer et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,

Avocat général : Mme L. Medina,

Greffier : M. A. Calot Escobar,

Vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Ordonnance

1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant VU et IT en tant qu’emprunteurs à Eurobank Bulgaria AD (ci-après « Eurobank ») en tant que prêteur au sujet du caractère prétendument abusif de certaines clauses figurant dans le contrat de prêt bancaire libellé en devise étrangère conclu entre ces parties ayant pour effet de faire peser le risque de change sur les emprunteurs et de conférer à Eurobank un avantage non spécifiquement convenu lors de la conclusion de ce contrat.

 

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3. Les quinzième, seizième, vingtième et vingt-et-unième considérants de la directive 93/13 énoncent :

« [C]onsidérant qu’il est nécessaire de fixer de façon générale les critères d'appréciation du caractère abusif des clauses contractuelles ;

considérant que l’appréciation, selon les critères généraux fixés, du caractère abusif des clauses notamment dans les activités professionnelles à caractère public fournissant des services collectifs prenant en compte une solidarité entre usagers, nécessite d’être complétée par un moyen d’évaluation globale des différents intérêts impliqués ; que ceci constitue l’exigence de bonne foi ; que, dans l’appréciation de la bonne foi, il faut prêter une attention particulière à la force des positions respectives de négociation des parties, à la question de savoir si le consommateur a été encouragé par quelque moyen à donner son accord à la clause et si les biens ou services ont été vendus ou fournis sur commande spéciale du consommateur ; que l’exigence de bonne foi peut être satisfaite par le professionnel en traitant de façon loyale et équitable avec l’autre partie dont il doit prendre en compte les intérêts légitimes ;

[...]

considérant que les contrats doivent être rédigés en termes clairs et compréhensibles ; que le consommateur doit avoir effectivement l’occasion de prendre connaissance de toutes les clauses, et que, en cas de doute, doit prévaloir l’interprétation la plus favorable au consommateur ;

considérant que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires afin d’éviter la présence de clauses abusives dans des contrats conclus avec des consommateurs par un professionnel ; que, si malgré tout, de telles clauses venaient à y figurer, elles ne lieront pas le consommateur, et le contrat continuera à lier les parties selon les mêmes termes s’il peut subsister sans les clauses abusives ».

4. L’article 3, paragraphes 1 et 3, de cette directive dispose :

« 1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

[...]

3. L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives. »

5. L’article 4 de ladite directive prévoit :

« 1. [...] [L]e caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.

2. L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »

6. L’article 5 de la même directive est libellé comme suit :

« Dans le cas des contrats dont toutes ou certaines clauses proposées au consommateur sont rédigées par écrit, ces clauses doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible. En cas de doute sur le sens d’une clause, l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut. [...] »

7. Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

8. L’annexe de la directive 93/13, à laquelle renvoie son article 3, paragraphe 3, contient, à son point 1, une liste indicative de clauses qui peuvent être déclarées abusives. Ce point vise notamment les clauses ayant pour objet ou pour effet :

« [...]

c) de prévoir un engagement ferme du consommateur, alors que l’exécution des prestations du professionnel est assujettie à une condition dont la réalisation dépend de sa seule volonté ;

[...] »

 

Le droit bulgare

9. L’article 7, paragraphe 3, du Granzhdanski protsesualen kodeks (code de procédure civile) dispose :

« La juridiction contrôle d’office la présence de clauses abusives dans un contrat conclu avec un consommateur. Elle donne aux parties la possibilité de formuler des observations sur ces questions. »

10. L’article 143 du Zakon za zashtita na potrebitelite (loi relative à la protection des consommateurs) prévoit :

« 1. Constitue une clause abusive dans un contrat conclu avec un consommateur, la stipulation au détriment de celui-ci, qui ne satisfait pas à l’obligation de bonne foi et crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations du professionnel ou fournisseur, d’une part, et du consommateur, d’autre part.

2. Est abusive la clause qui :

[...]

(3) fait dépendre l’exécution des obligations du professionnel ou du fournisseur d’une condition dont la réalisation dépend exclusivement de la volonté de celui-ci ;

[...]

(11) permet au professionnel ou au fournisseur de modifier unilatéralement les termes du contrat sur la base d’un motif non prévu par celui-ci ;

(12) permet au professionnel ou au fournisseur de modifier unilatéralement, sans raison valable, les caractéristiques du bien ou du service ;

[...] »

 

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11. Le 29 mai 2008, VU et IT ont conclu avec Eurobank un contrat de prêt pour l’achat d’un logement (ci-après le « contrat en cause »). Par le contrat en cause, Eurobank s’est engagée à accorder à VU et à IT un prêt d’un montant équivalent en francs suisses (CHF) à 121.000 euros, converti au cours d’achat du franc suisse par rapport à l’euro pratiqué par la banque le jour du prélèvement du prêt. En contrepartie, VU et IT se sont engagés à rembourser, en 348 mensualités égales, le crédit prélevé, augmenté, notamment, d’intérêts rémunératoires.

12. Le contrat en cause stipulait, à son article 1er, paragraphe 1, que « la banque accorde[rait] à l’emprunteur une limite de crédit en [francs suisses], d’un montant en [francs suisses] équivalent à 121.000 euros au cours d’achat du [franc suisse] par rapport à l’euro ». En outre, l’article 2, paragraphes 1 et 3, de ce contrat prévoyait que le montant du prêt en francs suisses équivalant à 121.000 euros devait être transféré sur un compte bloqué, et que le jour du prélèvement du prêt la banque convertirait d’office ce montant en euros, les fonds étant transférés sur un compte en euros ouvert auprès de la banque. Selon l’article 6, paragraphe 2, du contrat en cause, le remboursement du prêt devait être effectué en francs suisses.

13. En application du contrat en cause, le prélèvement des fonds a été enregistré le 12 juin 2008 et le montant convenu, soit l’équivalent de 121.000 euros en francs suisses, à savoir 198 740 CHF selon le taux de change appliqué à cette date par Eurobank, a été transféré sur un compte bloqué. Après conversion de cette somme en euros, la banque a transféré le même jour 121.000 euros sur le compte courant des emprunteurs.

14. À la suite d’une demande formulée par Eurobank, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie) a, par jugement du 14 juin 2022, condamné VU et IT à payer solidairement à celle-ci, au titre du contrat en cause, un montant de 87 224,01 CHF (environ 90 418,07 euros), payable dans cette devise ou en euros au cours d’achat du franc suisse par rapport à l’euro.

15. VU et IT ont interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi, l’Apelativen sad – Sofia (Cour d’appel de Sofia, Bulgarie), en faisant valoir que les clauses contractuelles relatives au dispositif de conversion sont nulles et non avenues en raison de leur caractère inéquitable. À cet égard, ils affirment que, en vertu de ces clauses, le montant emprunté en euros était en réalité indexé sur le franc suisse, ce qui aurait eu pour conséquence de faire peser intégralement sur eux le risque de change lié à l’appréciation de cette devise, sans qu’Eurobank les en ait préalablement informés. Ce risque se serait ensuite concrétisé par la hausse radicale du taux de change franc suisse/euro, intervenue pendant la durée du contrat en cause, fait qui aurait considérablement augmenté le coût de l’emprunt malgré les remboursements effectués.

16. La juridiction de renvoi indique avoir des doutes sur la question de savoir si les clauses relatives au mécanisme de conversion revêtent un caractère abusif au regard de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13. Dans ce contexte, elle souligne qu’il est incontestable que les parties à un contrat de prêt bancaire peuvent convenir d’une clause selon laquelle le montant des fonds empruntés sera libellé en devise étrangère plutôt que dans la monnaie nationale, à condition qu’une telle clause soit exprimée de manière claire et intelligible.

17. Cela étant, selon la juridiction de renvoi, pourraient être abusives des clauses d’un contrat de crédit à la consommation en vertu desquelles la banque accorde en réalité un prêt en monnaie nationale, ou en monnaie de réserve de l’État membre concerné, tout en exigeant de l’emprunteur qu’il rembourse l’emprunt consenti, ainsi que les accroissements convenus (intérêts, frais, commissions), en devise étrangère, à un taux défini par la banque.

18. Cette juridiction relève, en effet, qu’un tel dispositif contractuel ne fait que donner l’impression que les fonds empruntés sont mis à disposition dans une devise étrangère, alors que, en réalité, ceux-ci sont crédités en euros, ladite devise ne jouant qu’un rôle « virtuel ». Eurobank aurait ainsi transféré l’intégralité du risque financier d’une évolution défavorable du taux de change vers les emprunteurs, et ce sans leur consentement éclairé, ce qui serait contraire au principe de bonne foi.

19. Ladite juridiction ajoute que la mise à disposition effective du crédit – impliquant le fait de créditer de ce montant, libellé en francs suisses, un compte bloqué et, ensuite, de le convertir en euros sur le compte courant de l’emprunteur – résulte d’une opération dépendant de la volonté de la banque. Eurobank se serait ainsi réservé un avantage supplémentaire, non spécifiquement convenu dans le contrat en cause, en ce que les emprunteurs auraient payé le « coût » de la conversion en euros du montant emprunté en francs suisses.

20. Dans ces conditions, l’Apelativen sad – Sofia (Cour d’appel de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Une législation nationale qui autorise une clause dans un contrat de crédit bancaire, en vertu de laquelle le crédit accordé est prélevé sur un compte bloqué en devise étrangère mais l’emprunteur ne peut pas disposer effectivement des fonds en devise étrangère du compte bloqué, et ce montant est converti d’office par la banque dans la monnaie nationale ou la monnaie de réserve, si bien que, d’une part, le risque de change serait entièrement transféré au consommateur en cas de variation importante et radicale des taux de change et que, d’autre part, l’établissement de crédit bénéficierait d’un avantage non convenu au détriment du consommateur, répond-elle aux exigences légales prévues à l’article 3, paragraphe 1, et au point 1, sous c), de l’annexe [...] de la directive [93/13] ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, la juridiction nationale peut-elle considérer que le crédit a été effectivement conclu dans la monnaie nationale ou la devise de réserve si elle constate qu’il a été conclu et prélevé seulement en apparence dans une devise étrangère, en créditant un compte en devise étrangère “bloqué” de l’emprunteur, mais qu’ensuite la banque en a converti d’office le montant dans la monnaie nationale ou la monnaie de réserve ? »

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Sur les questions préjudicielles :

21. En vertu de l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

22. Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

 

Sur la première question :

23. À titre liminaire, il y a lieu de relever que si la juridiction de renvoi se réfère, dans le cadre de la première question, notamment au point 1, sous c), de l’annexe de la directive 93/13, qui prévoit que peut être déclarée abusive une clause qui met à la charge du consommateur un engagement ferme, tandis que l’exécution des prestations du professionnel est assujettie à une condition dont la réalisation dépend de sa seule volonté, il n’apparaît pas que l’interprétation de cette disposition soit pertinente aux fins de la solution du litige au principal. En effet, même si, ainsi que l’explique cette juridiction, la mise à disposition, par Eurobank, du montant emprunté en euros dépendait exclusivement de la volonté de cette dernière, les obligations des emprunteurs paraissent, en tout état de cause, elles aussi conditionnées à ce que ce montant ait été effectivement mis à leur disposition, de sorte que celles-ci ne paraissent pas plus « fermes » que celles assumées par la banque.

24. Dans ces circonstances, il convient de considérer que, par sa première question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que constituent des clauses abusives, au sens de cette disposition, des clauses figurant dans un contrat de prêt en vertu desquelles le montant emprunté est libellé en devise étrangère et est, dans un premier temps, versé par la banque, dans cette devise, sur un compte bloqué avant d’être, dans un second temps, converti par celle-ci en monnaie nationale ou en monnaie de réserve et porté au crédit du compte courant de l’emprunteur, lorsque de telles clauses ont pour effet, d’une part, de transférer le risque de change entièrement vers le consommateur en cas d’appréciation importante de la devise étrangère et, d’autre part, de faire bénéficier l’établissement de crédit, au détriment du consommateur, d’un avantage lié aux modalités de conversion du prêt non spécifiquement convenu entre les parties au moment de la conclusion du contrat.

25. En vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, une clause d’un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant de ce contrat.

26. En l’occurrence, s’agissant, en premier lieu, du caractère abusif des clauses en cause au principal en ce qu’elles feraient peser sur les emprunteurs l’intégralité du risque de change (ci-après les « clauses relatives au risque de change »), il convient, premièrement, de rappeler que, conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, l’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

27. Or, il résulte de la jurisprudence de la Cour que les clauses figurant dans un contrat de crédit libellé en devise étrangère qui se rapportent au risque de change définissent l’« objet principal de ce contrat », au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, lorsque ces clauses déterminent un élément essentiel caractérisant ledit contrat, et ce indépendamment du point de savoir si ce risque de change se présente dans le contexte d’un crédit remboursable dans cette devise ou d’un crédit indexé sur une telle devise (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑776/19 à C‑782/19, EU:C:2021:470, points 56 et 60 ainsi que jurisprudence citée).

28. Cependant, de telles clauses, lorsqu’elles définissent l’objet principal du contrat, échappent, en vertu de ladite disposition, à l’appréciation de leur caractère abusif uniquement dans la mesure où la juridiction nationale compétente considère, à la suite d’un examen au cas par cas, qu’elles ont été rédigées par le professionnel de façon claire et compréhensible (arrêt du 5 juin 2019, GT, C‑38/17, EU:C:2019:461, point 31).

29. S’agissant, deuxièmement, de cette exigence relative au caractère clair et compréhensible et, partant, de transparence, des clauses contractuelles rédigées par le professionnel, visée à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, la Cour a souligné que cette exigence, également rappelée à l’article 5 de cette directive, ne saurait être réduite au seul caractère compréhensible de ces clauses sur les plans formel et grammatical, mais que, au contraire, le système de protection mis en œuvre par ladite directive reposant sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité par rapport au professionnel en ce qui concerne, notamment, le niveau d’information, ladite exigence doit être entendue de manière extensive (voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C‑125/18, EU:C:2020:138, point 50).

30. S’agissant d’une clause prévoyant, dans le cadre d’un contrat de crédit libellé en devise étrangère, le remboursement de ce crédit moyennant des paiements effectués dans la même devise, l’exigence visée au point précédent doit donc s’entendre comme imposant qu’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse connaître la possibilité de hausse ou de dépréciation de la devise étrangère dans laquelle le prêt a été contracté et évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, point 51).

31. En l’occurrence, s’il appartient à la juridiction de renvoi, in fine, d’examiner le respect de l’exigence de transparence à la lumière de l’ensemble des éléments de fait pertinents, au nombre desquels figurent la publicité et l’information fournies aux emprunteurs dans le cadre de la négociation du contrat en cause (arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑776/19 à C‑782/19, EU:C:2021:470, point 66), celle-ci a d’ores et déjà indiqué, dans sa demande de décision préjudicielle, que les clauses relatives au risque de change ont été intégrées dans le contrat en cause « sans [le] consentement éclairé » des emprunteurs, de telle sorte que l’exigence de transparence ne paraît pas avoir été respectée s’agissant de ces clauses.

32. Troisièmement, dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi devrait considérer que les clauses relatives au risque de change ne sont effectivement pas rédigées de manière claire et compréhensible, au sens dudit article 4, paragraphe 2, il lui appartiendra alors d’examiner si elles présentent un caractère abusif, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, et de rechercher ainsi si, en dépit de l’exigence de bonne foi, elles créent, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat en cause (arrêt du 14 mars 2019, Dunai, C‑118/17, EU:C:2019:207, point 49).

33. Dans ce contexte, il importe de préciser que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la compétence de cette dernière en la matière porte sur l’interprétation de la notion de « clause abusive » ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de cette directive, étant entendu qu’il appartient audit juge de se prononcer, en tenant compte de ces critères, sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière en fonction des circonstances propres au cas d’espèce. Il en ressort que la Cour doit se limiter à fournir à la juridiction de renvoi des indications dont cette dernière est censée tenir compte afin d’apprécier le caractère abusif de la clause concernée (arrêt du 3 septembre 2020, Profi Credit Polska, C‑84/19, C‑222/19 et C‑252/19, EU:C:2020:631, point 91).

34. En l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour que la juridiction de renvoi part de la prémisse selon laquelle les clauses relatives au risque de change ont eu pour effet de faire peser entièrement sur les emprunteurs le risque de change associé aux appréciations du franc suisse face à la monnaie nationale, à savoir le lev bulgare (BGN), ou à la monnaie de réserve, à savoir l’euro.

35. À cet égard, il incombe à la juridiction de renvoi d’évaluer, dans un premier temps, s’il peut être fait grief à Eurobank d’avoir manqué à son obligation de bonne foi et, dans un second temps, l’existence d’un éventuel déséquilibre significatif dans le rapport contractuel, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, en tenant compte de l’ensemble des circonstances dont le prêteur professionnel pouvait avoir connaissance au moment de la conclusion du contrat en cause, au vu notamment de son expertise, en ce qui concerne les possibles variations des taux de change et les risques inhérents à la souscription d’un tel prêt et qui étaient de nature à avoir des répercussions sur l’exécution ultérieure de ce contrat ainsi que sur la situation juridique du consommateur (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑776/19 à C‑782/19, EU:C:2021:470, points 96 et 99).

36. En effet, afin de savoir si des clauses telles que celles en cause au principal créent, en dépit de l’exigence de bonne foi, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat, le juge national doit vérifier si le professionnel, en traitant de façon loyale et équitable avec le consommateur, pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce dernier accepte de telles clauses à la suite d’une négociation individuelle (arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, point 57).

37. Dans ce contexte, le caractère transparent d’une clause contractuelle, tel qu’exigé à l’article 5 de la directive 93/13, constitue également l’un des éléments à prendre en compte dans le cadre de l’appréciation du caractère abusif de cette clause qu’il appartient au juge national d’effectuer en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive (arrêt du 13 octobre 2022, NOVA KREDITNA BANKA MARIBOR, C‑405/21, EU:C:2022:793, point 28).

38. Or, sous réserve de cette appréciation par la juridiction de renvoi, les clauses relatives au risque de change semblent faire peser sur les emprunteurs un risque disproportionné par rapport aux prestations fournies et au montant du crédit octroyé par Eurobank, puisque l’application de ces clauses a pour conséquence que les emprunteurs doivent seuls supporter le coût de l’évolution des taux de change à terme. À cet égard, ce risque paraît s’être réalisé, étant donné que, ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, les emprunteurs ont fait valoir, dans le litige au principal, que, au cours de l’exécution du contrat en cause, le montant des remboursements, en principal et en intérêts, converti du franc suisse en euros ou en leva bulgares, a augmenté plusieurs fois par rapport au crédit prélevé, du fait d’une évolution défavorable du taux de change franc suisse/euro/lev bulgare.

39. Dans de telles conditions, et compte tenu notamment du fait, évoqué au point 31 de la présente ordonnance, que, en l’occurrence, Eurobank ne semble pas avoir respecté l’exigence de transparence à l’égard de VU et de IT en ce qui concerne les clauses relatives au risque de change, d’une part, il semble a priori exclu de considérer qu’Eurobank aurait pu raisonnablement s’attendre, en traitant de façon transparente avec les emprunteurs, à ce que, à la suite d’une négociation individuelle, les emprunteurs acceptent que ces clauses figurent dans le contrat en cause et, d’autre part, il apparaît que ladite clause crée ainsi, en dépit de l’exigence de bonne foi, au détriment de VU et de IT, un déséquilibre significatif, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive, entre les droits et les obligations des parties découlant de ce contrat.

40. S’agissant, en second lieu, du caractère abusif des clauses en cause au principal en ce qu’elles feraient bénéficier la banque, au détriment des emprunteurs, d’un avantage non spécifiquement convenu lié aux modalités de conversion du crédit (ci-après les « clauses relatives au mécanisme de conversion »), il convient, tout d’abord, de déterminer la nature de cet avantage.

41. À cet égard, il ressort du dossier dont dispose la Cour que cet avantage, dont la juridiction de renvoi précise qu’il fera encore l’objet d’un examen supplémentaire à un stade ultérieur de la procédure au principal, se serait concrétisé au moment où la somme empruntée, libellée en francs suisses et placée par Eurobank sur un compte bloqué, a été convertie, selon le cours de change pratiqué par la banque, en euros, cette somme ainsi convertie ayant ensuite été transférée sur le compte des emprunteurs dans cette dernière monnaie. Selon la juridiction de renvoi, cet avantage « constitue un produit financier comptable » au profit de la banque et implique que les emprunteurs ont payé le « coût » de la conversion au moment de la mise à disposition de la somme empruntée.

42. Ainsi, il apparaît que ce mécanisme de conversion revient à mettre à la charge des emprunteurs le coût lié à l’achat du montant emprunté en francs suisses nécessaire aux fins du contrat en cause, sans toutefois que ce coût ait été spécifiquement convenu ni que l’objet de ce contrat consiste à mettre à leur disposition un montant déboursé en francs suisses, circonstances factuelles qui, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, semblent d’ailleurs apparenter cet avantage à celui en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282), et du 14 mars 2019, Dunai (C‑118/17, EU:C:2019:207), ainsi qu’il ressort respectivement des points 74 et 36 de ces arrêts.

43. En ce qui concerne le fait de savoir si les clauses relatives au mécanisme de conversion, conférant à la banque un tel avantage à la charge des emprunteurs, sans qu’il ait été spécifiquement convenu entre les parties, est susceptible d’être sanctionné au titre de la directive 93/13, il y a lieu, premièrement, d’examiner si de telles clauses relèvent de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13.

44. À cet égard, d’une part, lesdites clauses n’apparaissent pas comporter une « rémunération », au sens de cette disposition, dans la mesure où aucun service de change ne semble être fourni par Eurobank en tant que contrepartie d’une prestation qu’elle effectuerait à ce titre (voir, par analogie, arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai, C‑26/13, EU:C:2014:282, points 58 et 59).

45. D’autre part, ces clauses ne semblent pas non plus pouvoir être considérées comme constituant l’objet principal du contrat en cause. En effet, par un tel contrat, le prêteur s’engage, principalement, à mettre à la disposition de l’emprunteur une certaine somme d’argent, ce dernier s’engageant, pour sa part, principalement à rembourser, en règle générale avec intérêts, cette somme selon les échéances prévues. Les prestations essentielles d’un tel contrat se rapportent, dès lors, à une somme d’argent qui doit être définie par rapport à la monnaie de paiement et de remboursement stipulée (arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, point 38). Or, il n’apparaît pas que, en l’occurrence, l’avantage que se serait réservé Eurobank ait trait à de telles prestations essentielles.

46. En tout état de cause, il convient de relever, deuxièmement, quant au respect de l’exigence de transparence des clauses contractuelles, que, en l’occurrence, la juridiction de renvoi part de la prémisse selon laquelle le prétendu avantage conféré à la banque par les clauses relatives au mécanisme de conversion au détriment des emprunteurs l’aurait été sans avoir été spécifiquement convenu entre les parties, ce qui semble impliquer que ladite exigence ne peut pas être considérée comme ayant été respectée par la banque, de sorte que cette clause n’échappe pas, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, à l’examen de son caractère abusif, indépendamment du fait de savoir si elle participe de l’objet principal du contrat en cause ou non.

47. S’agissant, troisièmement, de la question de savoir si les clauses relatives au mécanisme de conversion, conférant un tel avantage au professionnel, sans qu’il ait été spécifiquement convenu entre les parties, sont susceptibles de revêtir un caractère abusif, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, il appartiendra à la juridiction de renvoi, pour répondre à cette question, de vérifier si, en l’occurrence, la banque, en traitant de façon loyale et équitable avec les emprunteurs, pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ces derniers acceptent de telles clauses à la suite d’une négociation individuelle.

48. Or, dans la mesure où l’existence de cet avantage ne paraît pas avoir été communiquée aux emprunteurs et qu’un tel avantage implique, en substance, un coût caché au détriment de ces derniers, sans qu’il leur soit fourni un service en contrepartie – ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier –, il apparaît raisonnable de considérer que les emprunteurs n’auraient pas accepté de telles clauses dans le cadre d’une négociation individuelle du contrat en cause.

49. Dans de telles conditions, les clauses relatives au mécanisme de conversion paraissent créer, en dépit de l’exigence de bonne foi, au détriment des emprunteurs, un déséquilibre significatif, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive, entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat en cause.

50. Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que sont susceptibles de constituer des clauses abusives, au sens de cette disposition, des clauses figurant dans un contrat de prêt en vertu desquelles le montant emprunté est libellé en devise étrangère et est, dans un premier temps, versé par la banque, dans cette devise, sur un compte bloqué avant d’être, dans un second temps, converti par celle-ci en monnaie nationale ou en monnaie de réserve et porté au crédit du compte courant de l’emprunteur, lorsque de telles clauses ont pour effet, d’une part, de transférer le risque de change entièrement vers le consommateur en cas d’appréciation importante de la devise étrangère et, d’autre part, de faire bénéficier l’établissement de crédit, au détriment du consommateur, d’un avantage lié aux modalités de conversion du prêt non spécifiquement convenu entre les parties au moment de la conclusion du contrat.

 

Sur la seconde question :

51. Par sa seconde question, la juridiction de renvoi s’interroge sur les conséquences qu’il convient de tirer du constat du caractère abusif d’une clause, telle que celle visée par sa première question, si elle devait constater que ce n’est qu’en apparence que le contrat en cause a été conclu dans une devise étrangère.

52. À cet égard, à titre liminaire, s’il ressort du dossier dont dispose la Cour que le contrat en cause, bien que libellé en francs suisses, n’avait en réalité pas pour objet l’achat, par les emprunteurs, d’une certaine quantité de cette devise, mais visait plutôt à mettre à leur disposition un montant en euros en vue de l’achat d’un bien immobilier, il n’en demeure pas moins qu’il en ressort également que la dette dont les emprunteurs se sont ainsi rendus redevables envers Eurobank et qu’ils devaient donc, en principe, lui rembourser est effectivement libellée en francs suisses. C’est ainsi que s’est effectué, en l’espèce, le transfert du risque de change vers ceux-ci qui est susceptible de fonder le caractère abusif de la clause y afférente.

53. Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que, par sa seconde question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’un juge national, lorsqu’il a constaté le caractère abusif de clauses, telles que celles visées par la première question, figurant dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère, peut considérer que le prêt a en réalité été libellé en monnaie nationale ou en monnaie de réserve de l’État membre concerné.

54. Pour répondre à cette question, il y a lieu, d’abord, de rappeler que, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, il incombe aux juridictions nationales d’écarter l’application des clauses abusives afin qu’elles ne produisent pas d’effets contraignants à l’égard du consommateur, sauf si le consommateur s’y oppose [arrêt du 8 septembre 2022, D.B.P. e.a. (Crédit hypothécaire libellé en devises étrangères), C‑80/21 à C‑82/21, EU:C:2022:646, point 58 ainsi que jurisprudence citée].

55. Ensuite, selon la jurisprudence de la Cour, lorsque le juge national constate la nullité d’une clause abusive dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle de droit national qui permet au juge national de compléter ce contrat en révisant le contenu de cette clause [arrêt du 8 septembre 2022, D.B.P. e.a. (Crédit hypothécaire libellé en devises étrangères), C‑80/21 à C‑82/21, EU:C:2022:646, point 59 ainsi que jurisprudence citée].

56. Par conséquent, le contrat doit subsister, en principe, sans aucune autre modification que celle résultant de la suppression des clauses abusives, dans la mesure où, conformément aux règles du droit interne, une telle persistance du contrat est juridiquement possible, ce qu’il appartient au juge national compétent de vérifier selon une approche objective (voir, en ce sens, arrêts du 5 juin 2019, GT, C‑38/17, EU:C:2019:461, point 42, et du 3 octobre 2019, Dziubak, C‑260/18, EU:C:2019:819, point 39).

57. Cela étant, dans la mesure où les clauses ayant trait au risque de change relèvent de l’objet principal d’un contrat de crédit, au sens énoncé au point 27 de la présente ordonnance, le maintien du contrat en cause ne paraît pas juridiquement possible après la suppression de ces clauses, ce qu’il appartiendra toutefois à la juridiction de renvoi d’apprécier (voir, en ce sens, arrêts du 5 juin 2019, GT, C‑38/17, EU:C:2019:461, point 43, et du 3 octobre 2019, Dziubak, C‑260/18, EU:C:2019:819, point 44).

58. Or, dans une situation dans laquelle un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ne peut subsister après la suppression d’une clause abusive, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne s’oppose pas à ce que le juge national, en application de principes du droit des contrats, supprime la clause abusive en lui substituant une disposition de droit national à caractère supplétif ou une disposition législative applicable en cas d’accord des parties au contrat. Cette possibilité est toutefois limitée aux hypothèses dans lesquelles la suppression de cette clause abusive obligerait le juge national à invalider le contrat en question dans son ensemble, exposant par là le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables, de telle sorte que ce dernier en serait pénalisé (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria et Bankia, C‑70/17 et C‑179/17, EU:C:2019:250, points 56 et 59).

59. Ladite possibilité de substitution, qui fait exception à la règle générale selon laquelle le contrat concerné ne reste contraignant pour les parties que s’il peut subsister sans les clauses abusives qu’il comporte, est en outre limitée aux dispositions de droit interne à caractère supplétif ou applicables en cas d’accord des parties et repose, notamment, sur le motif que de telles dispositions sont censées ne pas contenir de clauses abusive [arrêt du 8 septembre 2022, D.B.P. e.a. (Crédit hypothécaire libellé en devises étrangères), C‑80/21 à C‑82/21, EU:C:2022:646, point 72].

60. En l’occurrence, s’il n’est pas exclu que l’annulation intégrale du contrat en cause serait susceptible d’exposer les emprunteurs à de telles conséquences particulièrement préjudiciables, il ne ressort pas de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi se soit déjà penchée sur cette question. Cette demande ne contient pas non plus de précisions relatives aux modalités prévues en droit interne pour remédier à de telles conséquences.

61. Dans ce contexte, il importe de rappeler qu’une clause contractuelle déclarée abusive doit être considérée, en principe, comme n’ayant jamais existé, de sorte qu’elle ne saurait avoir d’effet à l’égard du consommateur, avec, comme conséquence, le rétablissement de la situation en droit et en fait dans laquelle celui-ci se serait trouvé en l’absence de ladite clause, ce qui emporte, en principe, un effet restitutoire correspondant à l’égard des sommes qui se révèlent indues (arrêt du 29 avril 2021, Bank BPH, C‑19/20, EU:C:2021:341, points 50 et 51).

62. Par ailleurs, il y a lieu de reconnaître un effet restitutoire similaire lorsque le caractère abusif de clauses d’un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel entraîne non seulement la nullité de ces clauses, mais également l’invalidité de ce contrat dans son intégralité [arrêt du 15 juin 2023, Bank M. (Conséquences de l’annulation du contrat), C‑520/21, EU:C:2023:478, point 66].

63. En effet, s’il appartient aux États membres de régler, dans leur législation interne, les effets de l’invalidation d’un tel contrat du fait qu’il contient des clauses abusives, cette législation doit permettre de garantir le rétablissement de la situation en droit et en fait qui aurait été celle du consommateur en l’absence de ces clauses, eu égard à la protection accordée à ce dernier par la directive 93/13 [voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2023, M.B. e.a. (Effets de l’invalidation d’un contrat), C‑6/22, EU:C:2023:216, points 22 et 29].

64. Ainsi, si l’annulation intégrale du contrat de crédit a en principe pour conséquence de rendre immédiatement exigible le montant du prêt restant dû dans des proportions risquant d’excéder les capacités financières des emprunteurs [arrêt du 12 janvier 2023, D.V. (Honoraires d’avocat – Principe du tarif horaire), C‑395/21, EU:C:2023:14, point 61], il convient cependant de tenir compte également de l’incidence que pourrait avoir à cet égard l’effet restitutoire visé au point 62 de la présente ordonnance, ayant pour conséquence d’obliger le professionnel à rembourser aux emprunteurs les mensualités dont ils se sont déjà acquittés, en principal et en intérêts. À cet égard, il semblerait que, en l’occurrence, les emprunteurs n’aient pas cessé de payer leurs mensualités pendant une durée d’au moins dix ans, malgré les difficultés que cela leur aurait causées.

65. Il appartient donc à la juridiction de renvoi d’examiner si, eu égard aux conséquences concrètes qui s’attacheraient, en vertu du droit bulgare, à une annulation intégrale du contrat en cause et aux prestations déjà réciproquement échangées par les parties en vertu de ce contrat, une telle annulation ne suffit pas pour rétablir les emprunteurs dans la situation qui aurait été la leur si les clauses jugées abusives n’avaient jamais existé, sans les exposer à des conséquences particulièrement préjudiciables.

66. En tout état de cause, aux fins de l’appréciation du point de savoir si est remplie la condition selon laquelle l’annulation du contrat dans son ensemble exposera les consommateurs concernés à des conséquences particulièrement préjudiciables, condition requise pour que le juge national soit autorisé à substituer à la clause abusive annulée une disposition de droit interne à caractère supplétif ou applicable en cas d’accord des parties au contrat, la volonté que les consommateurs ont éventuellement exprimée à cet égard est déterminante [voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2022, D.B.P. e.a. (Crédit hypothécaire libellé en devises étrangères), C‑80/21 à C‑82/21, EU:C:2022:646, points 74 et 78].

67. Dans ce contexte, il appartient au juge national d’indiquer aux parties, dans le cadre des règles nationales de procédure et au regard du principe d’équité dans les procédures civiles, de manière objective et exhaustive, les conséquences juridiques qu’est susceptible d’entraîner la suppression de la clause abusive (arrêt du 29 avril 2021, Bank BPH, C‑19/20, EU:C:2021:341, point 97).

68. Dès lors, ce n’est que dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi viendrait, au terme de l’examen visé au point 65 de la présente ordonnance, à considérer que, en l’occurrence, l’annulation intégrale du contrat en cause exposerait effectivement les emprunteurs à des conséquences particulièrement préjudiciables qu’il lui serait permis de modifier ce contrat selon les modalités décrites au point 58 de la présente ordonnance, en substituant à la clause abusive une disposition de droit national à caractère supplétif ou une disposition législative applicable en cas d’accord des parties au contrat, étant précisé que de telles dispositions doivent avoir vocation à s’appliquer spécifiquement aux contrats conclus entre un professionnel et un consommateur et ne pas avoir une portée à ce point générale que son application reviendrait à permettre, en substance, au juge national de compléter le contrat en révisant le contenu de cette clause [voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, D.V. (Honoraires d’avocat – Principe du tarif horaire), C‑395/21, EU:C:2023:14, point 63].

69. En revanche, lorsque, dans une telle hypothèse, le juge national constate qu’il n’existe aucune disposition de droit national à caractère supplétif ou de disposition applicable en cas d’accord des parties au contrat susceptible de se substituer aux clauses jugées abusives, il y a lieu de considérer que, dans la mesure où le consommateur n’a pas exprimé son souhait de maintenir ces clauses, le juge national doit prendre, en tenant compte de l’ensemble de son droit interne, toutes les mesures nécessaires afin de protéger le consommateur des conséquences particulièrement préjudiciables que l’annulation du contrat de prêt en cause pourrait provoquer, notamment du fait de l’exigibilité immédiate de la créance du professionnel à l’égard de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2020, Banca B., C‑269/19, EU:C:2020:954, point 41).

70. Ainsi, lorsque, dans une situation telle que celle en cause au principal, compte tenu de la nature du contrat de prêt, le juge national estime qu’il n’est pas possible de rétablir les parties dans la situation qui aurait été la leur si ce contrat n’avait pas été conclu, il lui appartient de veiller à ce que le consommateur se trouve en définitive dans la situation qui aurait été la sienne si la clause jugée abusive n’avait jamais existé (arrêt du 31 mars 2022, Lombard Lízing, C‑472/20, EU:C:2022:242, point 57).

71. Toutefois, il importe de préciser que les pouvoirs du juge ne sauraient s’étendre au-delà de ce qui est strictement nécessaire afin de rétablir l’équilibre contractuel entre les parties au contrat et ainsi de protéger le consommateur des conséquences particulièrement préjudiciables que l’annulation du contrat de prêt en cause pourrait provoquer, de sorte qu’il ne lui est pas permis de modifier ou de modérer le contenu des clauses abusives librement (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2020, Banca B., C‑269/19, EU:C:2020:954, point 44).

72. Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si, dans l’hypothèse où son droit interne lui permettrait d’adopter une décision revenant à considérer que le contrat en cause a été conclu non pas en francs suisses, mais en euros ou en leva bulgares, une telle décision est conforme aux principes rappelés aux points 58 et 69 à 71 de la présente ordonnance.

73. Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’un juge national, lorsqu’il a constaté le caractère abusif de clauses figurant dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère, ne peut considérer que ce prêt a en réalité été libellé en monnaie nationale ou en monnaie de réserve de l’État membre concerné que lorsque l’annulation intégrale de ce contrat qu’implique la suppression de ces clauses expose le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables et qu’une telle révision du contrat est possible en vertu d’une disposition de droit national à caractère supplétif ou d’une disposition législative applicable en cas d’accord des parties au contrat.

À défaut de telles dispositions de droit national, le niveau élevé de protection du consommateur prescrit par la directive 93/13 exige que le juge national prenne, en tenant compte de l’ensemble de son droit interne, toutes les mesures nécessaires afin de protéger le consommateur de telles conséquences, de manière à garantir à ce dernier qu’il se trouve en définitive dans la situation qui aurait été la sienne si les clauses jugées abusives n’avaient jamais existé.

 

Sur les dépens :

74. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

1) L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que :

sont susceptibles de constituer des clauses abusives, au sens de cette disposition, des clauses figurant dans un contrat de prêt en vertu desquelles le montant emprunté est libellé en devise étrangère et est, dans un premier temps, versé par la banque, dans cette devise, sur un compte bloqué avant d’être, dans un second temps, converti par celle-ci en monnaie nationale ou en monnaie de réserve et porté au crédit du compte courant de l’emprunteur, lorsque de telles clauses ont pour effet, d’une part, de transférer le risque de change entièrement vers le consommateur en cas d’appréciation importante de la devise étrangère et, d’autre part, de faire bénéficier l’établissement de crédit, au détriment du consommateur, d’un avantage lié aux modalités de conversion du prêt non spécifiquement convenu entre les parties au moment de la conclusion du contrat.

2) L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que :

un juge national, lorsqu’il a constaté le caractère abusif de clauses figurant dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère, ne peut considérer que ce prêt a en réalité été libellé en monnaie nationale ou en monnaie de réserve de l’État membre concerné que lorsque l’annulation intégrale de ce contrat de crédit qu’implique la suppression de ces clauses expose le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables et qu’une telle révision du contrat est possible en vertu d’une disposition de droit national à caractère supplétif ou d’une disposition législative applicable en cas d’accord des parties au contrat.

À défaut de telles dispositions de droit national, le niveau élevé de protection du consommateur prescrit par la directive 93/13 exige que le juge national prenne, en tenant compte de l’ensemble de son droit interne, toutes les mesures nécessaires afin de protéger le consommateur de telles conséquences, de manière à garantir à ce dernier qu’il se trouve en définitive dans la situation qui aurait été la sienne si les clauses jugées abusives n’avaient jamais existé.

Signatures

* Langue de procédure : le bulgare.

Langue faisant foi : bulgare

Auteur : Cour de justice