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CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 7 février 2024

Nature : Décision
Titre : CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 7 février 2024
Pays : France
Juridiction : Colmar (CA), 1re ch. civ. sect. A
Demande : 20/00207
Décision : 68/24
Date : 7/02/2024
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 7/01/2020
Numéro de la décision : 68
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CERCLAB - DOCUMENT N° 10736

CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 7 février 2024 : RG n° 20/00207 ; arrêt n° 68/24

Publication : Judilibre

 

Extraits : 1/ « Par arrêts du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19 et C-609/19), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que l'article 6, § 1 et l'article 7, § 1 de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce qu'ils s'opposent à une réglementation nationale, soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription. Dès lors, la demande tendant à voir réputer non-écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1, précité, n'est pas soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil. »

2/ « Ainsi, l'opposition d'un tel délai n'est pas en soi contraire au principe d'effectivité, pour autant que son application ne rende pas, en pratique, impossible ou excessivement difficile, l'exercice des droits conférés par cette directive. En conséquence, un délai de prescription est compatible avec le principe d'effectivité uniquement si le consommateur a eu la possibilité de connaître ses droits avant que ce délai ne commence à courir ou ne s'écoule.

Par arrêt du 9 juillet 2020 (C-698/18 et C-699/18), la CJUE a dit pour droit que l'article 2, sous b), l'article 6, § 1 et l'article 7, § 1 de la directive 93/13/CEE ainsi que les principes d'équivalence, d'effectivité et de sécurité juridique doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une interprétation juridictionnelle de la réglementation nationale selon laquelle l'action judiciaire en restitution des montants indûment payés sur le fondement d'une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est soumise à un délai de prescription de trois ans qui court à compter de la date de l'exécution intégrale de ce contrat, lorsqu'il est présumé, sans besoin de vérification, que, à cette date, le consommateur devait avoir connaissance du caractère abusif de la clause en cause ou lorsque, pour des actions similaires, fondées sur certaines dispositions du droit interne, ce même délai ne commence à courir qu'à partir de la constatation judiciaire de la cause de ces actions.

S'agissant du respect du principe d'équivalence, il sera rappelé qu'en droit interne, le délai de prescription des actions en restitution, consécutives à l'annulation d'un contrat ou d'un testament, ne court qu'à compter de cette annulation, que cette annulation résulte de l'accord des parties ou d'une décision de justice (Civ. 1ère, 1er juillet 2015, n°14-20.369 ; Civ. 1ère, 28 octobre 2015, n° 14-17.893 ; Civ. 3ème, 14 juin 2018, n° 17-13.422 ; Civ. 1ère, 13 juillet 2022 n° 20-20.738).

S'agissant du principe d'effectivité, il serait contradictoire de déclarer imprescriptible l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause et de soumettre la principale conséquence de cette reconnaissance à un régime de prescription la privant d'effet.

Il s'en déduit que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil, de l'action fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses. (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 12 juillet 2023, n° 22-17.030). »

3/ « Concernant le moyen relatif à la sécurité juridique soulevé par la Caisse de Crédit Mutuel de la Porte d'Alsace, il sera rappelé que : - la prohibition des clauses abusives remonte à la directive 93/13 CEE du Conseil du 5 avril 1993, applicable à tous les contrats conclus à compter du 1er janvier 1995, - cette directive a été transposée en droit interne par la loi n° 95-96 du 1er février 1995, - la jurisprudence, tant européenne que nationale, n'a fait qu'interpréter les règles européennes et nationales relatives aux clauses abusives, dont elle a éclairé et précisé la signification et la portée, telles qu'elles auraient dû être comprises depuis leur entrée en vigueur ; en conséquence, ces règles ainsi interprétées doivent être appliquées par le juge à tous les rapports juridiques nés et constitués postérieurement à cette entrée en vigueur, quand bien même ils l'ont été antérieurement à cette jurisprudence et seule la CJUE peut décider des limitations dans le temps à apporter à une telle interprétation (CJUE, 21 décembre 2016, C-154/15, C-307-15 et C-308-12), - la Cour Européenne des Droits de l'Homme juge que les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables, ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante (CEDH, 18 décembre 2008, Unédic c. France), - enfin, cette jurisprudence sur l'imprescriptibilité de l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause d'un contrat et sur le point de départ du délai de prescription de l'action restitutoire ne présente pas d'inconvénients manifestement disproportionnés, dès lors qu'elle ne prive pas la banque de son accès au juge et de son droit à un procès équitable, mais d'une partie de sa rémunération et qu'elle est sans conséquence sur son droit de propriété. »

4/ « La Cour de Justice de l'Union Européenne a jugé que les clauses de monnaie de paiement et de monnaie de compte, qui permettent le remboursement en francs suisses, voire en monnaie nationale, relèvent de l'objet principal du contrat, dans la mesure où elles définissent cet objet principal, dès lors qu'elles décrivent et déclinent l'obligation principale de l'emprunteur. Il en résulte que de telles clauses ne peuvent être regardées comme abusives, si elles sont rédigées de façon claire et précise. Tel sera le cas si elles sont non seulement intelligibles pour le consommateur sur un plan grammatical, mais également si le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause concernée.

A cet égard, la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C782-19), a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, […]. La CJUE a rappelé que le consommateur se trouvant dans une situation d'infériorité à l'égard du professionnel, en ce qui concerne son niveau d'information, cette exigence de transparence doit être entendue de manière extensive. Ainsi, cette exigence de transparence nécessite une information concrète, suffisante et exacte qui met le consommateur en mesure de comprendre le risque encouru et ses conséquences potentielles en cas de réalisation de ce risque, exemples chiffrés et significatifs à l'appui (Cass. 1ère civ., 20 avril 2022, n° 20-16.316). »

5/ « S'il résulte des stipulations de cet article, une énonciation compréhensible sur le plan formel et grammatical des conditions et modalités d'exécution du prêt, qui permettait aux époux X. de comprendre le mécanisme du prêt en devise, que la monnaie de compte est le franc suisse, que les échéances de prêt seraient prélevées sur un compte en devise dédié, que la monnaie de paiement demeurait l'Euro, que l'emprunteur restait libre de s'acquitter de sa dette à tout moment dans la monnaie ayant cours en France, il n'en reste pas moins qu'au-delà de cette description, les effets de l'évolution de la parité entre l'euro d'une part et le franc suisse d'autre part, n'y sont pas mis en relief ni même expliqués, de telle manière que les emprunteurs puissent envisager concrètement l'impact économique, potentiellement significatif, d'une évolution défavorable de la parité des monnaies sur leurs obligations et évaluer, malgré leurs formations respectives, en toute connaissance de cause, le risque auquel ils acceptent de s'exposer consistant en l'augmentation de la valeur du capital emprunté.

Il n'est, plus précisément, pas expressément indiqué que les emprunteurs s'exposent à un risque de change en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle ils perçoivent leurs revenus par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt est accordé et aucun élément ne leur permet d'évaluer le coût total potentiel de l'emprunt et de prendre conscience des difficultés auxquelles ils seraient confrontés, en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle ils perçoivent leurs revenus. Ainsi, aucun exemple de calcul concret n'est mentionné dans le contrat ou ses annexes et aucune notice d'information sur le cours de change n'y figure, alors qu'une telle notice est jointe concernant les conditions et modalités de variation du taux d'intérêt.

La mention finale - qui est sensée attirer l'attention de l'emprunteur sur le risque de change - est aussi bien trop laconique et sommaire pour remplir son rôle, en ce qu'elle n'est pas à même de permettre à un emprunteur « moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé », de prendre conscience des effets d'une variation du taux de change euro/franc suisse favorable à la valeur helvétique, et ce que ce soit pour le paiement des intérêts ou pour le capital.

Dans ces conditions, il y a lieu de constater que les clauses litigieuses ne forment pas un ensemble clair et compréhensible au sens de l'article L 132-1 du code de la consommation. […] En conséquence de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de déclarer abusive la 7.2 qui est indivisible du contrat, en ce que le principe descriptif de l'emprunt en francs suisses remboursable en euros est décliné par le fonctionnement de deux comptes dans chacune des devises, par les opérations de change et par les modalités de remboursement dans le temps. »

6/ « Suite à la reconnaissance du caractère abusif et non écrit de la clause évoquée plus haut, ni le remboursement en devises, ni l'intérêt stipulé, ne peuvent subsister.

La cour de cassation a retenu dans son arrêt du 12 juillet 2023 (Cass. 1ère civ., 12 juill. 2023, n° 22-17.030) qu'il convenait dans ce type de cas, de condamner le consommateur à restituer la contre-valeur en euros de la somme prêtée selon le taux de change applicable à la date de la mise à disposition des fonds et de condamner la banque à restituer la contre-valeur en euros de chacune des sommes perçues, en exécution du prêt selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements, le différentiel dû après compensation portant ensuite intérêt au taux légal à compter de la signification de l'arrêt avec capitalisation.

Selon les articles 4 et 12 du code de procédure civile, l'objet du litige est déterminé par les prétentions fixées dans l'acte d'assignation et les dernières conclusions des parties ; le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux, sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. […] Il s'en déduit que leur action n'est assurément pas fondée sur l'article 1147 (devenu 1231-1) du Code civil, mais doit être analysée comme une demande en restitution consécutive à une action déclaratoire d'une clause abusive.

Dans ces conditions, en conformité avec le sens de la décision de la cour de cassation du 12 juillet 2023, il y aura lieu de condamner les appelants à restituer au Crédit Mutuel la contre-valeur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds en 2009, de la somme qui leur a été prêtée. La banque sera quant à elle condamnée à leur restituer toutes les sommes qu'elle a perçues en exécution du prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes perçues selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements.

Il y aura lieu d'ordonner la compensation des sommes, et d'assortir la somme résiduelle due de l'intérêt légal, à compter de la signification du présent arrêt. »

7/ « Il en résulte, que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, ainsi que le soutient en l'espèce la banque, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'a pas été, n'est pas ou ne sera pas en mesure de faire face (Cass. com. 25 janvier 2023, n° 20-12.811). Les époux X. ont jusqu'à ce jour pu régler les échéances, même si celles-ci ont augmenté. En revanche, ils exposent qu'ils ne pourraient pas forcément faire face à toutes les échéances à venir, en sachant que la dernière aura lieu en 2039. En conséquence, l'action en responsabilité contractuelle engagée par les époux X. n'est manifestement pas prescrite. »

8/ « S'agissant du défaut de mise en garde mis en avant par les appelants, force est de constater que ces derniers ne démontrent pas, en l'état, qu'ils se trouveront nécessairement dans une situation d'endettement à l'issue de l'opération en 2039 et ce d'autant plus qu'en application du présent arrêt, ils vont se retrouver dans la situation qui était la leur avant de signer le prêt en 2009. A défaut donc d'un état d'endettement avéré, il ne saurait y avoir de défaut de mise en garde retenu. Leur demande en vue d'obtenir des dommages et intérêts à hauteur de 80.000 euros à ce titre, sera écartée.

S'agissant de l'obligation de conseil et d'information de la banque - que si elle avait été respectée aurait pu convaincre (et uniquement convaincre en ce qu'il s'agit d'une perte de chance) les époux X. à contracter un prêt classique en euros - il ressort des développements précédents, qu'elle n'a pas été mise en œuvre comme elle aurait dû l'être.

Ce défaut de conseil et d'information a généré un préjudice pour les emprunteurs, qui se sont retrouvés dans une situation angoissante, en ce qu'ils étaient obligés par un emprunt qui se révélait toxique, du fait du risque de change avec une incertitude sur son coût réel.

Au cas d'espèce, l'apparition de leur préjudice remonte au mois de janvier 2015, lorsque leur courrier du 15 janvier 2015 - dans lequel ils ont sollicité de la banque une renégociation du contrat de prêt avec substitution de l'euro au franc suisse - a fait l'objet d'un refus de sa part, ce qui signifiait qu'ils se retrouvaient prisonniers, et sans recours, d'une situation qui pouvait se révéler ruineuse.

Dans ces conditions, le préjudice moral important subi pour les appelants depuis 2015, avec la crainte de devoir faire face à des remboursements du prêt de montants bien plus importants que prévus, justifie l'allocation d'une somme de 12.000 euros en dédommagement. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE COLMAR

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION A

ARRÊT DU 7 FÉVRIER 2024

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 1 A 20/00207. Arrêt n° 68/24. N° Portalis DBVW-V-B7E-HIP6. Décision déférée à la Cour : 8 novembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de MULHOUSE - 1ère chambre civile.

 

APPELANTS - INTIMES INCIDEMMENT :

Monsieur X.

[Adresse 2], [Localité 3]

Madame Y. épouse X.

[Adresse 2], [Localité 3], Représentés par Maître Mathilde SEILLE, avocat à la Cour, Avocat plaidant : Maître DEBAY, avocat au barreau de VERSAILLES

 

INTIMÉE - APPELANTE INCIDEMMENT :

CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE

prise en la personne de son représentant légal, [Adresse 1], [Localité 4], Représentée par Maître Laurence FRICK, avocat à la Cour, Avocat plaidant : Maître PAULUS, avocat au barreau de STRASBOURG

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 13 novembre 2023, en audience publique, un rapport de l'affaire ayant été présenté à l'audience, devant la Cour composée de : M. WALGENWITZ, Président de chambre, M. ROUBLOT, Conseiller, Mme RHODE, Conseillère, qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRÊT : - Contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par M. Franck WALGENWITZ, président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS PROCÉDURE PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Selon offre de prêt émise le 24 mars 2009 et acceptée le 6 avril 2009, la Caisse de Crédit Mutuel (CCM) de la Porte d'Alsace, ci-après également dénommée « le Crédit Mutuel » ou « la banque », a consenti à M. X. et à Mme Y., son épouse, ci-après également « les époux X. » ou « les consorts X. », un prêt immobilier d'un montant de 318.000 francs suisses (CHF), remboursable en 360 échéances mensuelles au taux de 3 % variable en fonction de l'index LIBOR 1 an J/J (289 Y9) dans la limite de plus ou moins 2 % l'an les vingt premières années, ce prêt, destiné à financer l'acquisition de la résidence principale des emprunteurs, ayant fait l'objet d'un avenant en date du 22 décembre 2009, modifiant l'échéancier de paiement, pour le porter à 358 échéances mensuelles réparties en deux paliers.

À la suite de l'évolution de l'index LIBOR en zone négative, début 2015, et de la décision de la Banque nationale suisse de mettre fin au cours plancher du franc suisse, le 15 janvier 2015, les époux X. ont vainement sollicité de la banque une renégociation du contrat de prêt, et notamment la substitution de l'euro au franc suisse sur la base du capital initialement emprunté, ainsi que l'application de la valeur réelle de l'indice LIBOR.

Par assignation en date du 25 octobre 2017, les consorts X. ont fait attraire la banque devant le tribunal de grande instance de Mulhouse, sollicitant une indemnisation au titre de manquements contractuels et d'une perte de chance de conclure un contrat à des conditions plus avantageuses.

Par jugement rendu le 8 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Mulhouse a :

- déclaré recevable l'action tendant à faire reconnaître le caractère abusif et réputé non écrit des clauses de l'offre de prêt du 24 mars 2009 afférentes au risque de change et au remboursement du prêt,

- rejeté la demande visant à déclarer abusives et réputées non écrites les clauses afférentes au risque de change et au remboursement du prêt en devises de l'offre de prêt du 24 mars 2009,

- en conséquence, rejeté la demande de condamnation de la CCM de la Porte d'Alsace à établir un nouveau tableau d'amortissement conforme, afférent au prêt d'un montant de 318.000 CHF, au même taux et sur la même durée de 360 mois, avec substitution de l'euro au franc suisse (soit 210 829,61 euros), prenant en compte le nouveau capital restant dû, déduction faite des échéances déjà versées réactualisées au cours du change du 24 mars 2009, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir,

- déclaré irrecevable l'action en responsabilité de la banque pour manquement à un « devoir de mise en garde », tant pour préjudice financier que pour préjudice moral, pour cause de prescription,

- rejeté la demande de dommages-intérêts au titre d'un manquement contractuel de la CCM de la Porte d'Alsace dans l'application de l'index LIBOR,

- condamné la banque aux dépens et à payer aux consorts X. la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Les premiers juges ont retenu :

Sur l'action en déclaration de clauses réputées non écrites, qu'une clause réputée non écrite est avenue par le seul effet de la loi, que dès lors les règles relatives à la prescription n'ont pas vocation à s'appliquer, que la demande tendant à voir réputer non écrites certaines clauses d'un contrat de prêt ne s'analyse pas en une demande en nullité, de sorte qu'elle n'est pas soumise à la prescription quinquennale.

Sur l'action en responsabilité fondée sur un prétendu manquement au devoir de mise en garde, que les époux X. pouvaient prendre la mesure de leur éventuel préjudice à la date d'acceptation de l'offre de prêt, et au plus tard, à la date de prélèvement de la première échéance de paiement incluant capital, intérêts et cotisation d'assurance, soit le 5 octobre 2009, que le délai quinquennal de prescription, qui a débuté au plus tard à cette date, était expiré à la date à laquelle ils ont engagé leur action en responsabilité par exploit d'huissier du 25 octobre 2017 et que donc la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice financier et celle pour préjudice moral sont irrecevables pour être prescrites.

Sur le caractère abusif des clauses afférentes au risque de change et au remboursement du prêt en devises stipulées dans l'offre de prêt du 24 mars 2009, que l'article 7.2 relative à la clause litigieuse fixe une prestation essentielle du contrat de prêt à savoir les modalités de remboursement du prêt au moyen de devises suisses, que la devise suisse n'est pas utilisée comme monnaie de paiement mais comme monnaie de compte, l'emprunteur ayant toujours la faculté de s'exécuter en euros, que comme le stipule ladite clause, les emprunteurs sont clairement alertés sur l'existence d'un risque de change, lequel peut survenir pendant toute la durée du prêt, que l'absence de simulation chiffrée de la banque ne saurait être reprochée à la banque, aucun texte légal ou réglementaire en vigueur à la date de conclusion du prêt ne l'imposant, que l'ensemble des dispositions litigieuses est clair, non équivoque, parfaitement compréhensible par tout lecteur raisonnablement diligent de sorte que le caractère abusif est écarté.

Sur l'index LIBOR, que le calcul du taux d'intérêt, tel qu'effectué par le CRÉDIT MUTUEL, avec un index LIBOR contenu à 0 %, est irrégulier au regard des dispositions du contrat de prêt, lesquelles sont claires, précises et parfaitement compréhensibles, que toutefois la banque a régularisé la situation par le versement aux époux X. d'une somme de 5.874,01 CHF au titre de l'application rétroactive de l'index négatif, ce que les époux X. reconnaissent, que ces derniers n'ont formulé aucune critique sur le versement de ladite somme, ni sur le courrier en date du 4 décembre 2018 et ne justifient pas du préjudice qu'ils ont subi et qui n'aurait pas été réparé par la régularisation effectuée par la banque.

Par une déclaration faite au greffe en date du 7 janvier 2020, M. X. et à Mme Y. épouse X., ont interjeté appel de cette décision.

Par une déclaration faite au greffe en date du 28 janvier 2020, la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE s'est constituée partie intimée dans la présente affaire.

Par arrêt rendu le 1er juin 2022, la Cour d'appel de COLMAR a ordonné la réouverture des débats pour inviter les parties à se prononcer sur l'application, au cas d'espèce, de la jurisprudence issue des arrêts rendus par la Cour de cassation, notamment les 30 mars et 20 avril 2022, à la suite de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union Européenne en date du 10 juin 2021 et renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 21 octobre 2022.

[*]

Par ses dernières conclusions en date du 12 octobre 2023, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, les époux X. demandent à la Cour de :

DÉCLARER l'appel recevable et bien fondé,

Y faisant droit,

INFIRMER le jugement attaqué en ce qu'il :

- Rejette la demande visant à déclarer abusive et réputée non écrite les clauses afférentes au risque de change et au remboursement du prêt en devises de l'offre de prêt du 24 mars 2009 ;

- Rejette la demande de condamnation de la Caisse de Crédit Mutuel de la Porte d'Alsace à établir un nouveau tableau d'amortissement conforme, afférent au prêt d'un montant de 318.000 CHF au même taux et sur la même durée de 360 mois, avec substitution de l'euro au franc suisse (soit 210.829,61 euros), prenant en compte le nouveau capital restant dû, déduction faite des échéances déjà versées réactualisées au cours du change au 24 mars 2009, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, à compter de la signification du jugement à intervenir ;

- Déclare irrecevable l'action en responsabilité pour manquement de la Caisse de Crédit Mutuel de la Porte d'Alsace à 'un devoir de mise en garde', tant pour préjudice financier que pour préjudice moral, pour cause de prescription ;

- Rejette la demande de dommages-intérêts, au titre d'un manquement contractuel de la Caisse de Crédit Mutuel de la Porte d'Alsace dans l'application de l'index Libor ;

Statuant à nouveau,

DÉBOUTER la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE de sa demande afin de soumettre une question préjudicielle à la cour de justice de l'union européenne,

JUGER que les clauses afférentes au risque de change et au remboursement du prêt en devises de l'offre de prêt du 24 mars 2009 sont abusives et sont réputées non écrites,

CONDAMNER la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE à régler 210.829,61 euros aux Epoux X. à titre de dommages et intérêts suite au préjudice subi du fait des clauses abusives,

JUGER l'action des Epoux X. en manquement au devoir de mise en garde recevable,

CONDAMNER la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE à verser aux Epoux X. la somme de 80.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de son manquement au devoir de mise en garde,

CONDAMNER la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE à verser aux Epoux X. la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

Sur l'appel incident, DÉCLARER l'appel incident mal fondé, le rejeter,

CONFIRMER le jugement en ce qu'il :

- Déclare recevable l'action tendant à faire reconnaître le caractère abusif et réputé non écrit des clauses afférentes au risque de change et au remboursement du prêt en devises de l'offre de prêt du 24 mars 2009,

- Condamne la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE à payer la somme de 1.500 Euros aux Epoux X. au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamne la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE aux entiers dépens.

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE,

CONDAMNER la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE à verser aux Époux X. la somme de 15.000 Euros de dommages et intérêts au titre de son manquement contractuel, en refusant d'appliquer, jusqu'au 4 décembre 2018, l'évolution réelle du LIBOR 1 AN,

CONDAMNER la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE à payer la somme de 5.000 Euros aux Epoux X. au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNER la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, sur les clauses abusives du prêt souscrit, les époux X. font valoir que :

Sur l'appréciation du caractère abusif,

* qu'ils ont exécuté pendant plusieurs années le contrat litigieux, sans protestation jusqu'à l'envolée du Franc suisse ; ce n'est qu'à ce moment qu'ils ont pris conscience des risques concrets liés à la variation du taux de change, de sorte qu'aucune prescription de leur action ne serait encourue,

* que la clause litigieuse (article 7.2) n'est pas assez détaillée comparativement à celles présentes dans les arrêts évoqués par la banque ; qu'au cas présent la clause n'a pas clairement précisé les conséquences et risques concrets liés aux disparités de change d'un prêt en devises et le risque d'augmentation du capital sans limite ;

* que l'article 7.2 du prêt litigieux n'est pas davantage suffisamment clair et précis, car il comporte deux phrases, qui pour un emprunteur profane, peuvent apparaître manifestement contraires « Tous remboursement en capital, paiements des intérêts et des commissions et cotisations auront lieu dans la devise empruntée », à savoir le Francs suisse « et la monnaie de paiement l'euro » et ce d'autant plus qu'il n'existe pas de notice d'information sur le cours de change, alors qu'il en existait pour le caractère variable du prêt et de l'impact de l'indice LIBOR,

* que le risque de change, non plafonné, fait courir un risque uniquement à l'emprunteur ; que la banque bénéficie d'outils financiers permettant de couvrir le risque de change lié aux prêts en devise, de sorte qu'il y a lieu de constater l'existence d'un déséquilibre.

Sur le manquement à l'obligation de mise en garde,

* que pour déterminer le jour de révélation du dommage, il convient de prendre en compte le courrier d'information de la banque du 27 février 2015, faisant suite à la recommandation de 2012 n° 2012-R-01 de la Banque de France, qui a informé les emprunteurs de la variation du taux de la devise de référence qu'était le franc suisse par rapport à l'Euro,

* que la banque a commis une faute préjudiciable, en n'ayant pas communiqué sur les risques afférents aux prêts possibles pour l'acquisition, en francs suisses, d'un bien immobilier situé en France, alors qu'ils percevaient leurs revenus en euros ; qu'ils n'avaient donc aucun intérêt de souscrire un prêt en CHF ; qu'aucune simulation ne leur a été communiquée concernant un éventuel risque économique découlant de la teneur de cette clause sur leurs obligations financières ; que le préjudice résulte d'un défaut de mise en garde spécifique - propre aux prêts en devises - de la banque.

Sur la demande en dédommagement réclamée pour non-respect des clauses contractuelles portant sur le LIBOR, que la banque a refusé d'appliquer spontanément l'évolution de l'indice Libor, estimant que sa rémunération n'était pas suffisante ; que suite au courrier du 4 décembre 2018 - dans lequel la banque leur a indiqué qu'elle allait finalement appliquer l'évolution réelle de l'index Libor, même négatif sur le taux d'intérêt - la banque a versé en janvier 2009 aux époux X. la somme de 5.874,01 CHF, au titre de l'application rétroactive de l'index Libor ; que nonobstant cette régularisation, ils ont subi un préjudice par le refus initial de la banque de respecter ses propres stipulations, portant sur le taux d'intérêt applicable.

Par ses dernières conclusions en date du 19 octobre 2023, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE demande à la Cour de :

1/ sur l'appel principal des époux X.

A titre principal,

REJETER l'appel,

CONFIRMER le jugement déféré rendu le 8 novembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de MULHOUSE en ce qu'il :

« - REJETTE la demande visant à déclarer abusives et réputées non écrites les clauses afférentes au risque de change et au remboursement du prêt en devises de l'offre de prêt du 24 mars 2009 ;

En conséquence,

- REJETTE la demande de condamnation de la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE et de la SARLU SYNEXIS FINANCE à établir un nouveau tableau d'amortissement conforme, afférent au prêt d'un montant de 318.000 CHF au même taux et sur la même durée de 360 mois, avec substitution de l'euro au franc suisse (soit 210 829,61 euros), prenant en compte le nouveau capital restant dû, déduction faite des échéances déjà versées réactualisées au cours de change du 24 mars 2009, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, à compter de la signification du jugement à intervenir ;

- DÉCLARE irrecevable l'action en responsabilité pour manquement de la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE à 'un devoir de mise en garde', tant pour préjudice financier que pour préjudice moral, pour cause de prescription ;

- REJETTE la demande de dommage et intérêts au titre d'un manquement contractuel de la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE dans l'application de l'index LIBOR »

En conséquence,

DÉBOUTER les époux X. de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

A titre subsidiaire,

- Sur les clauses abusives,

DÉCLARER que la clause 7.2 du contrat de prêt relative au risque de change et au remboursement du prêt en devises ne crée aucun déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ;

DÉCLARER en conséquence que la clause 7.2 relative au risque de change et au remboursement du prêt en devises n'est pas abusive ;

DÉBOUTER les époux X. de leur demande ;

A titre subsidiaire,

DÉCLARER que la jurisprudence nouvelle, notamment issue des arrêts rendus par la Cour de cassation les 30 mars 2022 et 20 avril 2022, ne s'appliquera pas au présent litige ;

A titre subsidiaire,

DÉCLARER la demande tendant à la transmission d'une question préjudicielle à la Cour de Justice de l'Union Européenne recevable et bien fondée,

SOUMETTRE à la COUR DE JUSTICE DE L'UNION EUROPEENNE en vue de l'interprétation des traités européens la question préjudicielle suivante :

« L'article 4.2 de la directive 93/13/CE s'oppose-t-il à une interprétation juridictionnelle selon laquelle, dans un litige où a été souscrit un prêt en devise, la clause faisant peser le risque de change sur l'emprunteur, et qui définit ainsi l'objet principal du contrat, est abusive du seul fait qu'elle n'est pas rédigée de façon claire et compréhensible, sans qu'il y ait lieu de rechercher si elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties »

ORDONNER le sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de Justice de l'Union Européenne se soit prononcée sur la question préjudicielle ;

A titre infiniment subsidiaire, si le prêt est annulé ou la clause relative au risque de change réputée non-écrite,

CONDAMNER les époux X. à restituer le montant du capital emprunté en CHF de chaque prêt, à sa contrevaleur en euros au cours de change au jour du jugement à intervenir, cette somme produira intérêt au taux légal à compter du jour du déblocage des fonds,

DÉCLARER en conséquence que la CCM devra restituer aux époux X. le montant des intérêts perçus pendant la durée de chaque prêt, à sa contrevaleur en euros au cours de change de chaque échéance,

ORDONNER la compensation des sommes dues entre les parties ;

- Sur le manquement au devoir de mise en garde et d'information

DÉCLARER que la CCM DE LA PORTE D'ALSACE n'a pas manqué à ses obligations contractuelles à l'égard des emprunteurs ;

DÉBOUTER les époux X. de ses demandes d'indemnisation au titre des préjudices subis dès lors que la CCM n'a commis aucune faute et que les époux X. ne justifient d'aucun préjudice ;

- Sur le manquement lié à l'application de l'index LIBOR

DÉCLARER que les époux X. ne subissent aucun préjudice dans la mesure où la CCM a d'ores et déjà restitué le montant du différentiel d'intérêts, soit un montant de 5.874,01 CHF ;

DÉBOUTER en conséquence les époux X. de leur demande tendant à condamner la CCM à leur verser la somme de 15.000 € de dommages et intérêts ;

2/ sur l'appel incident formé par la CCM DE LA PORTE D'ALSACE,

RECEVOIR la CCM dans son appel incident et le dire bien fondé,

INFIRMER le jugement déféré rendu le 8 novembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de MULHOUSE en ce qu'il :

« DÉCLARE recevable l'action tendant à faire reconnaître le caractère abusif et réputé non écrit des clauses de l'offre de prêt du 24 mars 2009 afférentes au risque de change et au remboursement du prêt ;

CONDAMNE la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE à verser à M. X. et Mme Y. épouse X. la somme de 1.500 euros (MILLE CINQ CENTS EUROS) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE aux dépens ; »

Statuant à nouveau,

- Sur les clauses abusives,

DÉCLARER que l'action tendant à voir déclarée abusive la clause 7.2 relative au risque de change et au remboursement du prêt est prescrite et par voie de conséquence irrecevable ;

DÉCLARER en tout état de cause, que l'action visant à faire valoir les effets restitutifs de la constatation du caractère abusif de la clause 7.2 relative au risque de change est prescrite et par voie de conséquence irrecevable ;

DÉBOUTER en conséquence, les époux X. de leurs demandes,

- Sur l'article 700 de première instance et les dépens,

DÉBOUTER les époux X. de leur demande au titre de l'article 700 pour la procédure de première instance ;

CONDAMNER les époux X. aux entiers frais et dépens de la procédure de première instance ;

En tout état de cause,

DÉBOUTER les époux X. de l'intégralité de leurs fins et conclusions ;

CONDAMNER les époux X. à verser à la CCM DE LA PORTE D'ALSACE la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER les époux X. aux entiers frais et dépens de la procédure.

[*]

Au soutien de ses prétentions, le CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE fait valoir :

1. Sur l'irrecevabilité de l'action :

* que l'action diligentée par les appelants devait être engagée dans un délai de cinq ans à compter de l'octroi du prêt, soit avant le 24 mars 2014 ; que les époux X. ont souscrit leur prêt en mars 2009 et ont pu avoir connaissance de leur dommage dès la signature du prêt et au plus tard au moment du remboursement du prêt, alors que l'assignation par les appelants a été signifiée le 25 octobre 2017.

2. Sur les clauses abusives :

* que l'article 7.2 du prêt litigieux est rédigé de telle sorte qu'il peut être déduit que le recours à la devise suisse caractérise l'économie générale du prêt, les dispositions critiquées définissant l'objet principal du contrat ;

* que la rédaction choisie de l'article 7.2 - qui prévoit que « la monnaie de compte est donc le CHF, les échéances de prêt étant prélevées sur un compte en devise dédié », et que « la monnaie de paiement demeure l'Euro, l'emprunteur demeurant libre de s'acquitter de sa dette à tout moment dans la monnaie ayant cours en France » - est claire et rend la clause compréhensible ; que quant au risque de change il est indiqué que « l'emprunteur en assume les conséquences, mais qu'en contrepartie, le bénéfice de change lui profitera » ; que toutes ces informations ont été explicitées par le notaire et reprises dans l'acte notarié signé le 9 avril 2009,

* Sur le déséquilibre significatif, que l'obligation de fournir une simulation n'est apparue en droit positif qu'au travers du décret n° 2014-544 du 26 mai 2014 relatif aux prêts libellés en devises étrangères à l'Union européenne, pris pour application de l'article 54 de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires codifié à l'article L. 312-3-1 du code de la consommation et que le décret n'est toutefois entré en vigueur que le 1er octobre 2014 ; que la banque a bien procédé à une explication concrète et détaillée du fonctionnement du mécanisme de conversion aux époux X. afin que ces derniers puissent évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques d'un crédit en franc suisse ; que manifestement, les époux X. s'étaient estimés suffisamment renseignés lors de la conclusion du prêt, puisqu'ils ont signé l'offre de prêt sans émettre la moindre réserve ; que la preuve d'un déséquilibre significatif - qui incombe à celui qui en invoque l'existence - n'est pas rapportée,

3. Sur l'absence de rétroactivité de la jurisprudence récente relative à l'imprescriptibilité des clauses abusives, ainsi qu'à l'appréciation du caractère clair et compréhensible des clauses et du déséquilibre significatif :

* que la banque entend s'opposer à cette application, en s'appuyant notamment sur la position du gouvernement français reprise dans les conclusions de l'avocat général, dans le cadre d'une affaire jugée par la Cour de justice des Communautés européennes le 21 novembre 2002 ; qu'au moment de la conclusion du contrat, elle a respecté l'ensemble des obligations qui lui incombaient ; qu'elle ne pouvait légitimement prévoir que les critères de clarté et de transparence des clauses, ainsi que la définition de déséquilibre significatif allaient connaître une telle évolution ; que l'application de ce revirement serait de nature à entraîner un déséquilibre dans la protection des intérêts légitimes en présence, notamment compte tenu de l'ancienneté des contrats, au détriment de ceux de la banque,

* que la banque sollicite dès lors de la Cour qu'elle transmette une question préjudicielle à la CJUE relative à l'interprétation de la directive 93/13/CE sur les clauses abusives,

* que si par extraordinaire, la Cour devait juger la clause litigieuse nulle ou abusive, le point de départ de la prescription de l'action restitutoire doit alors être fixé à l'année 2009, ou au plus tard 2011, lorsque la hausse du CHF a été suffisamment significative pour que les emprunteurs aient pu prendre conscience du caractère prétendument abusif de la clause, de sorte que l'action serait prescrite. ; que si la Cour devait annuler le contrat, les éventuelles sommes à restituer devraient l'être en appliquant le taux de change en vigueur au jour de la restitution pour les appelants et au fur et à mesure des perceptions des sommes pour la banque.

4. Sur l'action en responsabilité de la banque, que la faute du banquier doit s'apprécier au moment de l'octroi du crédit et que c'est au client d'en fournir la preuve au juge ; que la demande de crédit signée le 18 février 2009 par les époux X., fait apparaître les revenus de ces derniers, leur épargne et leurs charges, de sorte qu'aucune faute ne peut être retenue par la banque, qui a bien vérifié la situation des emprunteurs.

[*]

La Cour se référera aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé des faits, de la procédure et de leurs prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civil.

Par une ordonnance en date du 25 octobre 2023, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de la procédure et a renvoyé l'affaire à l'audience de plaidoirie du 13 novembre 2023.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1) Sur le rappel du contexte :

Il est rappelé que les époux X. sont des emprunteurs qui ne possèdent pas de ressources en francs suisses, ni au jour de la signature du prêt, ni tout au long de la vie passée du prêt. Le prêt litigieux qu'ils ont contracté était destiné à financer l'achat de leur résidence principale, sis [Adresse 2] à [Localité 5], en France. Ledit prêt litigieux ne revêt donc pas un but spéculatif.

Ils ont, par courriers en date du 26 mai 2016 et du 6 décembre 2016, sollicité la CCM de la Porte d'Alsace pour renégocier le contrat de prêt, et notamment obtenir la substitution de l'Euro au Franc suisse, sur la base du capital initialement emprunté, en vain. En outre par courrier adressé le 8 juin 2017, le conseil des époux X. a adressé un courrier de réclamation à la banque, afin qu'elle respecte les stipulations du prêt portant sur le taux d'intérêt applicable en fonction de l'évolution réelle de l'index LIBOR 1 an, devenu négatif.

 

2) Sur l'action diligentée sur le fondement des clauses abusives :

Le jugement de première instance a déclaré recevable les demandes des époux X. sur ce fondement, mais les a rejetées au fond, au motif que les clauses discutées, étant constitutives de l'objet principal du contrat, avaient été rédigées de manière claire et compréhensible.

A hauteur d'appel, les époux X. sollicitent l'infirmation de la décision au fond pour que soit reconnu le caractère abusif desdites clauses.

Quant à la banque, si elle sollicite la confirmation de la décision au fond, en revanche elle demande l'infirmation des dispositions qui ont déclaré recevable cette action, soutenant qu'elle serait frappée par la prescription, et si la cour envisageait de retenir le raisonnement des emprunteurs, la banque sollicite de la cour d'adresser une question préjudicielle à la CJUE.

Il convient, dès lors, de vérifier si la clause litigieuse est abusive au sens des législations européenne et française. Pour ce faire, il sera nécessaire de retracer la position des jurisprudences de la Cour de cassation et de la CJUE - tant sur la question de la prescription, que de l'application au fond des actions restitutoires ou déclaratoires - pour vérifier leur compatibilité et leur conformité à l'aune du corpus législatif de l'Union (et s'il conviendrait d'adresser une demande préjudicielle).

Il est aussi nécessaire de rappeler, à titre liminaire, les dispositions de l'article L. 132-1 du code de la consommation, abrogé le 14 mars 2016, mais qui était au moment de la signature du contrat litigieux en 2009 applicable, qui édicte :

« Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la commission instituée à l'article L. 534-1, détermine une liste de clauses présumées abusives ; en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse.

Un décret pris dans les mêmes conditions détermine des types de clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu'elles portent à l'équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives au sens du premier alinéa.

Ces dispositions sont applicables, quels que soient la forme ou le support du contrat. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie, bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies.

Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1156 à 1161,1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat, lorsque la conclusion ou l'exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l'une de l'autre.

Les clauses abusives sont réputées non écrites.

L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses.

Les dispositions du présent article sont d'ordre public. »

 

2-1) Sur la recevabilité de la demande des époux X. :

- Sur l'action déclaratoire :

L'article 7 § 1 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, prévoit que les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

Par arrêts du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19 et C-609/19), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que l'article 6, § 1 et l'article 7, § 1 de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce qu'ils s'opposent à une réglementation nationale, soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription.

Dès lors, la demande tendant à voir réputer non-écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1, précité, n'est pas soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil.

En conséquence, c'est à juste titre que le premier juge a déclaré recevable l'action en constatation du caractère abusif de la clause 7.2 de l'offre de prêt émise le 24 mars 2009 et acceptée le 25 mars 2009.

 

- Sur l'action restitutoire :

L'article 2224 du code civil énonce que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Par arrêts du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19 et C-609/19), la CJUE a dit pour droit que l'article 6 § 1 et l'article 7 § 1 de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l'acceptation de l'offre de prêt, de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l'ensemble de ses droits découlant de cette directive. Elle a relevé que les modalités de mise en œuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive 93/13 ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d'équivalence), ni être aménagées de manière à rendre, en pratique, impossible ou excessivement difficile, l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivité).

S'agissant de l'opposition d'un délai de prescription à une demande introduite par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de clauses abusives au sens de la directive 93/13, elle a rappelé avoir dit pour droit que l'article 6 § 1 et l'article 7, § 1 de cette directive ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui, tout en prévoyant le caractère imprescriptible de l'action tendant à constater la nullité d'une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, soumet à un délai de prescription l'action visant à faire valoir les effets restitutifs de cette constatation, sous réserve du respect des principes d'équivalence et d'effectivité (CJUE, 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C-698/18 et C-699/18 ; CJUE, 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C-224/19 et C-259/19). Ainsi, l'opposition d'un tel délai n'est pas en soi contraire au principe d'effectivité, pour autant que son application ne rende pas, en pratique, impossible ou excessivement difficile, l'exercice des droits conférés par cette directive. En conséquence, un délai de prescription est compatible avec le principe d'effectivité uniquement si le consommateur a eu la possibilité de connaître ses droits avant que ce délai ne commence à courir ou ne s'écoule.

Par arrêt du 9 juillet 2020 (C-698/18 et C-699/18), la CJUE a dit pour droit que l'article 2, sous b), l'article 6, § 1 et l'article 7, § 1 de la directive 93/13/CEE ainsi que les principes d'équivalence, d'effectivité et de sécurité juridique doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une interprétation juridictionnelle de la réglementation nationale selon laquelle l'action judiciaire en restitution des montants indûment payés sur le fondement d'une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est soumise à un délai de prescription de trois ans qui court à compter de la date de l'exécution intégrale de ce contrat, lorsqu'il est présumé, sans besoin de vérification, que, à cette date, le consommateur devait avoir connaissance du caractère abusif de la clause en cause ou lorsque, pour des actions similaires, fondées sur certaines dispositions du droit interne, ce même délai ne commence à courir qu'à partir de la constatation judiciaire de la cause de ces actions.

S'agissant du respect du principe d'équivalence, il sera rappelé qu'en droit interne, le délai de prescription des actions en restitution, consécutives à l'annulation d'un contrat ou d'un testament, ne court qu'à compter de cette annulation, que cette annulation résulte de l'accord des parties ou d'une décision de justice (Civ. 1ère, 1er juillet 2015, n°14-20.369 ; Civ. 1ère, 28 octobre 2015, n° 14-17.893 ; Civ. 3ème, 14 juin 2018, n° 17-13.422 ; Civ. 1ère, 13 juillet 2022 n° 20-20.738).

S'agissant du principe d'effectivité, il serait contradictoire de déclarer imprescriptible l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause et de soumettre la principale conséquence de cette reconnaissance à un régime de prescription la privant d'effet.

Il s'en déduit que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil, de l'action fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses. (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 12 juillet 2023, n° 22-17.030).

Concernant le moyen relatif à la sécurité juridique soulevé par la Caisse de Crédit Mutuel de la Porte d'Alsace, il sera rappelé que :

- la prohibition des clauses abusives remonte à la directive 93/13 CEE du Conseil du 5 avril 1993, applicable à tous les contrats conclus à compter du 1er janvier 1995,

- cette directive a été transposée en droit interne par la loi n° 95-96 du 1er février 1995,

- la jurisprudence, tant européenne que nationale, n'a fait qu'interpréter les règles européennes et nationales relatives aux clauses abusives, dont elle a éclairé et précisé la signification et la portée, telles qu'elles auraient dû être comprises depuis leur entrée en vigueur ; en conséquence, ces règles ainsi interprétées doivent être appliquées par le juge à tous les rapports juridiques nés et constitués postérieurement à cette entrée en vigueur, quand bien même ils l'ont été antérieurement à cette jurisprudence et seule la CJUE peut décider des limitations dans le temps à apporter à une telle interprétation (CJUE, 21 décembre 2016, C-154/15, C-307-15 et C-308-12),

- la Cour Européenne des Droits de l'Homme juge que les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables, ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante (CEDH, 18 décembre 2008, Unédic c. France),

- enfin, cette jurisprudence sur l'imprescriptibilité de l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause d'un contrat et sur le point de départ du délai de prescription de l'action restitutoire ne présente pas d'inconvénients manifestement disproportionnés, dès lors qu'elle ne prive pas la banque de son accès au juge et de son droit à un procès équitable, mais d'une partie de sa rémunération et qu'elle est sans conséquence sur son droit de propriété.

En conséquence, la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande des époux X. en restitution de sommes indûment payées au Crédit Mutuel, en exécution des clauses dont ils soutiennent qu'elles sont abusives, sera rejetée.

Les époux X. seront déclarés recevables en leur prétention.

 

2-2) Sur le bien-fondé de la demande des époux X. :

Aux termes de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa version applicable au litige, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, doivent être déclarées abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Les clauses abusives sont réputées non écrites. Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives, s'il peut subsister sans lesdites clauses.

La Cour de Justice de l'Union Européenne a jugé que les clauses de monnaie de paiement et de monnaie de compte, qui permettent le remboursement en francs suisses, voire en monnaie nationale, relèvent de l'objet principal du contrat, dans la mesure où elles définissent cet objet principal, dès lors qu'elles décrivent et déclinent l'obligation principale de l'emprunteur.

Il en résulte que de telles clauses ne peuvent être regardées comme abusives, si elles sont rédigées de façon claire et précise. Tel sera le cas si elles sont non seulement intelligibles pour le consommateur sur un plan grammatical, mais également si le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause concernée.

A cet égard, la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C782-19), a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni des informations suffisantes et exactes, permettant à un consommateur moyen de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause, et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.

La CJUE a rappelé que le consommateur se trouvant dans une situation d'infériorité à l'égard du professionnel, en ce qui concerne son niveau d'information, cette exigence de transparence doit être entendue de manière extensive.

Ainsi, cette exigence de transparence nécessite une information concrète, suffisante et exacte qui met le consommateur en mesure de comprendre le risque encouru et ses conséquences potentielles en cas de réalisation de ce risque, exemples chiffrés et significatifs à l'appui (Cass. 1ère civ., 20 avril 2022, n° 20-16.316).

Selon la Cour de Justice de l'Union Européenne, les clauses d'un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu'il soit plafonné, sur l'emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat, au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d'une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.

Il ressort de ces développements que les jurisprudences nationales de la CJUE sont claires quant à l'interprétation à donner, notamment de l'article 4.2 de la directive 93/13/CE, s'agissant des clauses faisant peser le risque de change sur l'emprunteur, qui définissent l'objet principal du contrat, en ce qu'elles sont abusives du seul fait qu'elles ne sont pas rédigées de façon claire et compréhensible, sans qu'il ne soit nécessaire de rechercher si elles créent au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Ainsi, il n'y a pas lieu de transmettre une question préjudicielle à la CJUE, la demande en ce sens de la banque devant être écartée.

En l'espèce, la clause 7.2 dont la régularité est remise en question par les époux X., est rédigée comme suit :

« Le présent concours financier sera réalisé conformément à la réglementation des changes en vigueur au jour de la réalisation.

Tous remboursements en capital, paiements des intérêts et des commissions et cotisations d'assurance auront lieu dans la devise empruntée.

Les échéances seront débitées sur tout compte en devises ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur.

La monnaie de paiement est l'euro, l'emprunteur ayant toujours la faculté de rembourser en euros les échéances au moment de leur prélèvement.

Les échéances seront débitées sur tout compte en devises (ou le cas échéant en euros) ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur.

Les frais des garanties seront payables en euros.

Si le compte en devises ne présente pas la provision suffisante au jour de l'échéance, le prêteur est en droit de convertir le montant de l'échéance impayée en euros, et de prélever ce montant sur tout compte en euros ouverts dans les livres du prêteur, au nom de l'emprunteur ou du coemprunteur.

Le cours du change appliqué sera le cours du change tiré.

Le prêt pourra être remboursé par anticipation. Tout remboursement anticipé partiel devra être au moins égal au triple de la première échéance non échue prévue dans le plan d'amortissement.

Tout remboursement partiel s'imputera d'abord sur les intérêts et les frais, ensuite sur le principal.

Il sera alors établi un nouvel échéancier prévoyant soit une réduction de la durée du prêt, soit une diminution du montant des échéances, selon le souhait de l'emprunteur.

Le prêt est réputé convertible en euros. L'emprunteur pourra demander au prêteur la conversion du prêt en euros sous préavis de 30 jours au minimum. La conversion ne pourra intervenir qu'à une date d'échéance.

Les caractéristiques du taux d'intérêt seront négociées entre les parties à ce moment-là, étant précisé qu'à défaut d'accord, l'emprunteur devra à son choix poursuivre le prêt en devises ou le rembourser par anticipation.

L'emprunteur déclare dès à présent accepter toutes modifications de clauses du présent contrat qui pourraient découler des changements de réglementation des changes.

Il est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'à complet remboursement du prêt.

L'emprunteur s'oblige à domicilier auprès du prêteur ses revenus, quelle que soit leur nature ou leur origine (salaires, pensions, etc..) pendant toute la durée du présent prêt. »

S'il résulte des stipulations de cet article, une énonciation compréhensible sur le plan formel et grammatical des conditions et modalités d'exécution du prêt, qui permettait aux époux X. de comprendre le mécanisme du prêt en devise, que la monnaie de compte est le franc suisse, que les échéances de prêt seraient prélevées sur un compte en devise dédié, que la monnaie de paiement demeurait l'Euro, que l'emprunteur restait libre de s'acquitter de sa dette à tout moment dans la monnaie ayant cours en France, il n'en reste pas moins qu'au-delà de cette description, les effets de l'évolution de la parité entre l'euro d'une part et le franc suisse d'autre part, n'y sont pas mis en relief ni même expliqués, de telle manière que les emprunteurs puissent envisager concrètement l'impact économique, potentiellement significatif, d'une évolution défavorable de la parité des monnaies sur leurs obligations et évaluer, malgré leurs formations respectives, en toute connaissance de cause, le risque auquel ils acceptent de s'exposer consistant en l'augmentation de la valeur du capital emprunté.

Il n'est, plus précisément, pas expressément indiqué que les emprunteurs s'exposent à un risque de change en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle ils perçoivent leurs revenus par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt est accordé et aucun élément ne leur permet d'évaluer le coût total potentiel de l'emprunt et de prendre conscience des difficultés auxquelles ils seraient confrontés, en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle ils perçoivent leurs revenus. Ainsi, aucun exemple de calcul concret n'est mentionné dans le contrat ou ses annexes et aucune notice d'information sur le cours de change n'y figure, alors qu'une telle notice est jointe concernant les conditions et modalités de variation du taux d'intérêt.

La mention finale - qui est sensée attirer l'attention de l'emprunteur sur le risque de change - est aussi bien trop laconique et sommaire pour remplir son rôle, en ce qu'elle n'est pas à même de permettre à un emprunteur « moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé », de prendre conscience des effets d'une variation du taux de change euro/franc suisse favorable à la valeur helvétique, et ce que ce soit pour le paiement des intérêts ou pour le capital.

Dans ces conditions, il y a lieu de constater que les clauses litigieuses ne forment pas un ensemble clair et compréhensible au sens de l'article L 132-1 du code de la consommation.

A défaut pour le Crédit Mutuel d'avoir justifié de la communication d'informations complémentaires, de nature à éclairer les consommateurs - portant sur les éléments fondamentaux du contrat tenant au risque de change susceptible d'avoir une incidence particulièrement importante sur la portée de l'engagement pris sur 30 ans - leur permettant d'évaluer notamment le coût total potentiel de l'emprunt et de prendre conscience des difficultés auxquelles ils peuvent être confrontés, en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle ils perçoivent leurs revenus, il y a lieu de considérer que la clause stipulant les modalités de remboursement du crédit et celle portant sur le risque de change, prévues par l'article 7.2 - même éclairée par les autres stipulations du contrat de prêt - n'a pas été rédigée de manière claire et de nature à permettre aux emprunteurs de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de ces clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de l'euro dans laquelle il percevait leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, à savoir le franc suisse, au sens notamment de la jurisprudence posée par la cour de cassation dans son arrêt du 7 septembre 2022.

Aussi, la clause 7.2 consacrée au remboursement du crédit doit être déclarée non écrite.

En conséquence de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de déclarer abusive la 7.2 qui est indivisible du contrat, en ce que le principe descriptif de l'emprunt en francs suisses remboursable en euros est décliné par le fonctionnement de deux comptes dans chacune des devises, par les opérations de change et par les modalités de remboursement dans le temps.

 

2-3) Sur les effets du caractère abusif de cette clause 7.2 du contrat de prêt :

Les alinéas 6 et 8 de l'article L 132-1 ancien du code de la consommation disposent que les clauses abusives sont réputées non écrites et que le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives, s'il peut subsister sans lesdites clauses.

Suite à la reconnaissance du caractère abusif et non écrit de la clause évoquée plus haut, ni le remboursement en devises, ni l'intérêt stipulé, ne peuvent subsister.

La cour de cassation a retenu dans son arrêt du 12 juillet 2023 (Cass. 1ère civ., 12 juill. 2023, n° 22-17.030) qu'il convenait dans ce type de cas, de condamner le consommateur à restituer la contre-valeur en euros de la somme prêtée selon le taux de change applicable à la date de la mise à disposition des fonds et de condamner la banque à restituer la contre-valeur en euros de chacune des sommes perçues, en exécution du prêt selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements, le différentiel dû après compensation portant ensuite intérêt au taux légal à compter de la signification de l'arrêt avec capitalisation.

Selon les articles 4 et 12 du code de procédure civile, l'objet du litige est déterminé par les prétentions fixées dans l'acte d'assignation et les dernières conclusions des parties ; le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux, sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

D'une part, la cour note que l'argumentation développée par les époux X., pour obtenir le montant réclamé de 210.829,61 euros, visait à faire reconnaître le caractère abusif de la clause de remboursement en francs suisses, et non pas l'existence d'une faute au sens de l'article 1147 du code civil alors applicable.

D'autre part, si les époux X. réclament à hauteur d'appel l'allocation de dommages et intérêts à hauteur de 210.829,61 euros (ce qui laisse à penser que leur demande est fondée sur une responsabilité contractuelle), force est de constater qu'en première instance ils avaient déjà réclamé le même montant, mais sur les fondement d'un autre moyen (il était demandé « la condamnation de la CCM de la Porte d'Alsace à établir un nouveau tableau d'amortissement conforme, afférent au prêt d'un montant de 318.000 CHF, au même taux et sur la même durée de 360 mois, avec substitution de l'euro au franc suisse (soit 210 829,61 euros, prenant en compte le nouveau capital restant dû, déduction faite des échéances déjà versées réactualisées au cours du change au 24 mars 2009 »).

Il s'en déduit que leur action n'est assurément pas fondée sur l'article 1147 (devenu 1231-1) du Code civil, mais doit être analysée comme une demande en restitution consécutive à une action déclaratoire d'une clause abusive.

Dans ces conditions, en conformité avec le sens de la décision de la cour de cassation du 12 juillet 2023, il y aura lieu de condamner les appelants à restituer au Crédit Mutuel la contre-valeur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds en 2009, de la somme qui leur a été prêtée.

La banque sera quant à elle condamnée à leur restituer toutes les sommes qu'elle a perçues en exécution du prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes perçues selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements.

Il y aura lieu d'ordonner la compensation des sommes, et d'assortir la somme résiduelle due de l'intérêt légal, à compter de la signification du présent arrêt.

 

3) Sur l'action en responsabilité menée par les époux X. contre le CRÉDIT MUTUEL :

3- 1) Sur la recevabilité des actions menées par les époux X. :

Il convient d'apprécier si la demande des époux X., fondée sur la responsabilité contractuelle de la banque, est prescrite, étant rappelé que les époux X. reprochent à la banque un manquement à son devoir de mise en garde.

Selon l'article 2224 du code civil, leur action doit être engagée dans un délai de cinq ans à compter du jour où ils ont eu ou auraient dû avoir connaissance des faits leur permettant de l'exercer.

D'une part, le manquement d'une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt prive cet emprunteur d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt.

Il en résulte, que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, ainsi que le soutient en l'espèce la banque, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'a pas été, n'est pas ou ne sera pas en mesure de faire face (Cass. com. 25 janvier 2023, n° 20-12.811).

Les époux X. ont jusqu'à ce jour pu régler les échéances, même si celles-ci ont augmenté. En revanche, ils exposent qu'ils ne pourraient pas forcément faire face à toutes les échéances à venir, en sachant que la dernière aura lieu en 2039.

En conséquence, l'action en responsabilité contractuelle engagée par les époux X. n'est manifestement pas prescrite.

 

3-2) Sur le bien-fondé des demandes :

L'article 1147 du code civil, applicable au moment des faits, prévoyait que le débiteur d'une obligation contractuelle (ici la banque, à l'égard de son obligation de mise en garde ou de conseil) peut être condamné au paiement de dommages et intérêts, en raison de l'inexécution de l'obligation ou du retard pris dans cette exécution. Il est nécessaire de démontrer une faute à la charge du banquier et un préjudice.

S'agissant du défaut de mise en garde mis en avant par les appelants, force est de constater que ces derniers ne démontrent pas, en l'état, qu'ils se trouveront nécessairement dans une situation d'endettement à l'issue de l'opération en 2039 et ce d'autant plus qu'en application du présent arrêt, ils vont se retrouver dans la situation qui était la leur avant de signer le prêt en 2009. A défaut donc d'un état d'endettement avéré, il ne saurait y avoir de défaut de mise en garde retenu. Leur demande en vue d'obtenir des dommages et intérêts à hauteur de 80.000 euros à ce titre, sera écartée.

S'agissant de l'obligation de conseil et d'information de la banque - que si elle avait été respectée aurait pu convaincre (et uniquement convaincre en ce qu'il s'agit d'une perte de chance) les époux X. à contracter un prêt classique en euros - il ressort des développements précédents, qu'elle n'a pas été mise en œuvre comme elle aurait dû l'être.

Ce défaut de conseil et d'information a généré un préjudice pour les emprunteurs, qui se sont retrouvés dans une situation angoissante, en ce qu'ils étaient obligés par un emprunt qui se révélait toxique, du fait du risque de change avec une incertitude sur son coût réel.

Au cas d'espèce, l'apparition de leur préjudice remonte au mois de janvier 2015, lorsque leur courrier du 15 janvier 2015 - dans lequel ils ont sollicité de la banque une renégociation du contrat de prêt avec substitution de l'euro au franc suisse - a fait l'objet d'un refus de sa part, ce qui signifiait qu'ils se retrouvaient prisonniers, et sans recours, d'une situation qui pouvait se révéler ruineuse.

Dans ces conditions, le préjudice moral important subi pour les appelants depuis 2015, avec la crainte de devoir faire face à des remboursements du prêt de montants bien plus importants que prévus, justifie l'allocation d'une somme de 12.000 euros en dédommagement.

Enfin, les époux X. sollicitent une indemnisation à hauteur de 15.000 euros, car la banque a refusé, dans un premier temps, d'appliquer intégralement l'évolution de l'indice LIBOR, avant de décider par courrier du 4 décembre 2018, qu'elle allait appliquer l'évolution du taux et rembourser aux époux X. une somme de 5.874,01 francs suisses le 29 janvier 2019. Il n'est pas contesté que le remboursement du 29 janvier 2019 portait sur toute la période concernée par l'évolution du LIBOR favorable aux emprunteurs, de sorte qu'il y a lieu de constater qu'ils ne subissent aucun préjudice financier. Quant au préjudice moral - qui semble être invoqué en ce sens que les appelants indiquent que « Ce manquement contractuel a causé un préjudice pour les emprunteurs » - force est de constater qu'il n'est guère établi par les quelques explications avancées. Il sera dès lors écarté.

 

5) Sur les demandes accessoires :

Les dispositions du jugement portant sur la question des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile, seront confirmées.

La Caisse de Crédit Mutuel de la Porte d'Alsace, succombant, sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel et à payer à M. X. et Madame Y. épouse X., la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La Caisse de Crédit Mutuel de la Porte d'Alsace sera déboutée de ses demandes présentées au titre des dépens et frais irrépétibles.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Rejette la demande de la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE, tendant à transmettre une question préjudicielle à la CJUE,

Infirme le jugement rendu le 8 novembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de Mulhouse en ce qu'il a :

- Rejeté la demande visant à déclarer abusives et réputées non écrites les clauses afférentes au risque de change et au remboursement du prêt en devises de l'offre de prêt du 24 mars 2009,

- Déclaré irrecevable l'action en responsabilité de la banque pour manquement à un « devoir de mise en garde », tant pour préjudice financier que pour préjudice moral, pour cause de prescription,

Le confirme pour le surplus,

Et statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déclare abusives et non écrites les clauses afférentes au risque de change et au remboursement du prêt contenues dans l'article 7.2 du contrat de prêt du 24 mars 2009, accepté par M. X. et Madame Y. épouse X. le 25 mars 2009, suivantes :

« Le présent concours financier sera réalisé conformément à la réglementation des changes en vigueur au jour de la réalisation.

Tous remboursements en capital, paiements des intérêts et des commissions et cotisations d'assurance auront lieu dans la devise empruntée.

Les échéances seront débitées sur tout compte en devises ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur.

La monnaie de paiement est l'euro, l'emprunteur ayant toujours la faculté de rembourser en euros les échéances au moment de leur prélèvement.

Les échéances seront débitées sur tout compte en devises (ou le cas échéant en euros) ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur.

Les frais des garanties seront payables en euros.

Si le compte en devises ne présente pas la provision suffisante au jour de l'échéance, le prêteur est en droit de convertir le montant de l'échéance impayée en euros, et de prélever ce montant sur tout compte en euros ouverts dans les livres du prêteur, au nom de l'emprunteur ou du coemprunteur.

Le cours du change appliqué sera le cours du change tiré.

Le prêt pourra être remboursé par anticipation. Tout remboursement anticipé partiel devra être au moins égal au triple de la première échéance non échue prévue dans le plan d'amortissement.

Tout remboursement partiel s'imputera d'abord sur les intérêts et les frais, ensuite sur le principal.

Il sera alors établi un nouvel échéancier prévoyant soit une réduction de la durée du prêt, soit une diminution du montant des échéances, selon le souhait de l'emprunteur.

Le prêt est réputé convertible en euros. L'emprunteur pourra demander au prêteur la conversion du prêt en euros sous préavis de 30 jours au minimum. La conversion ne pourra intervenir qu'à une date d'échéance.

Les caractéristiques du taux d'intérêt seront négociées entre les parties à ce moment-là, étant précisé qu'à défaut d'accord, l'emprunteur devra à son choix poursuivre le prêt en devises ou le rembourser par anticipation.

L'emprunteur déclare dès à présent accepter toutes modifications de clauses du présent contrat qui pourraient découler des changements de réglementation des changes.

Il est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'à complet remboursement du prêt.

L'emprunteur s'oblige à domicilier auprès du prêteur ses revenus, quelle que soit leur nature ou leur origine (salaires, pensions, etc..) pendant toute la durée du présent prêt »,

Déclare M. X. et Madame Y. épouse X. recevables en leur action restitutoire dirigée à l'encontre de la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE,

Condamne M. X. et Madame Y. épouse X. à restituer à la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE la contre-valeur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds en 2009, de la somme prêtée,

Condamne la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE à restituer à M. X. et Madame Y. épouse X., toutes les sommes qu'elle a perçues en exécution du prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes perçues selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements,

Ordonne la compensation des sommes et assortit la somme résiduelle due de l'intérêt légal à compter de la signification du présent arrêt,

Condamne la partie débitrice de cette somme obtenue après compensation, à la verser à l'autre partie,

Déclare recevable la demande de M. X. et Madame Y. épouse X. en dommages et intérêts, en leur action dirigée contre la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE, sur le fondement du défaut de mise en garde et pour préjudice découlant de la non-application du taux d'intérêt contractuel LIBOR,

Déboute M. X. et Madame Y. épouse X. de leur demande de dommages et intérêts formée sur ces fondements au titre de leur préjudice matériel,

Condamne la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE à payer à M. X. et Madame Y. épouse X., une somme de 12.000 euros (douze mille euros) au titre du préjudice moral,

Condamne la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE aux dépens de la procédure d'appel,

Condamne la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE à payer à M. X. et Madame Y. épouse X. la somme de 3.000 euros (trois mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE de ses demandes au titre des dépens et frais irrépétibles.

La Greffière :                                               le Président :