CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 7 février 2024
CERCLAB - DOCUMENT N° 10739
CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 7 février 2024 : RG n° 22/01109 ; arrêt n° 69/24
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « S'agissant de la requalification, il est rappelé que l'alinéa 2 de l'article 12 du code de procédure civile donne la possibilité au juge de donner leur exacte qualification aux faits qui lui sont soumis, sans qu'il ne doive s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. Le juge de la mise en état a, à juste titre, pu valablement requalifier, dans sa décision, la demande en dommages et intérêts formée par les consorts X.-Y. en ce qu'elle constituait en réalité à une demande en restitution, en ce que les requérants ont saisi le tribunal en vue d'obtenir que la clause de remboursement en franc suisse soit déclarée abusive, que la banque soit condamnée à recalculer les intérêts et à verser la différence entre la contrevaleur en euro de la charge d'intérêts versée, avec celle qui aurait dû l'être, et de manière générale la différence entre la contrevaleur en euros de la somme empruntée entre le moment de l'emprunt et la date de ce jour. Ces demandes relèvent clairement de l'action restitutoire - au sens de la législation sur les clauses abusives qui sera détaillée plus bas - et non du régime général de la responsabilité contractuelle ou délictuelle. »
2/ « Dès lors, la demande tendant à voir réputée non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L132-1du code de la consommation n'est pas soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil. »
3/ « Par arrêt du 9 juillet 2020 (C-698/18 et C-699/18), la CJUE a dit pour droit que l'article 2, sous b), l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1 de la directive 93/13/CEE ainsi que les principes d'équivalence, d'effectivité et de sécurité juridique doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une interprétation juridictionnelle de la réglementation nationale selon laquelle l'action judiciaire en restitution des montants indûment payés sur le fondement d'une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est soumise à un délai de prescription de trois ans qui court à compter de la date de l'exécution intégrale de ce contrat, lorsqu'il est présumé, sans besoin de vérification, que, à cette date, le consommateur devait avoir connaissance du caractère abusif de la clause en cause ou lorsque, pour des actions similaires, fondées sur certaines dispositions du droit interne, ce même délai ne commence à courir qu'à partir de la constatation judiciaire de la cause de ces actions.
S'agissant du respect du principe d'équivalence, il sera rappelé qu'en droit interne, le délai de prescription des actions en restitution, consécutives à l'annulation d'un contrat ou d'un testament, ne court qu'à compter de cette annulation, que cette annulation résulte de l'accord des parties ou d'une décision de justice (1ère Civ, 1er juillet 2015, n°14-20.369 ; 1ère Civ., 28 octobre 2015, n°14-17.893 ; 3ème Civ, 14 juin 2018, n°17-13.422 ; 1ère civ, 13 juillet 2022 n°20-20.738).
S'agissant du principe d'effectivité, il serait contradictoire de déclarer imprescriptible l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause et de soumettre la principale conséquence de cette reconnaissance à un régime de prescription la privant d'effet.
Il s'en déduit que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil, de l'action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses. (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 12 Juillet 2023, n° 22-17.030).
Concernant le moyen relatif à la sécurité juridique soulevé par la Caisse de Crédit Mutuel il sera rappelé que : - la prohibition des clauses abusives remonte à la directive 93/13 CEE du Conseil du 5 avril 1993, applicable à tous les contrats conclus à compter du 1er janvier 1995, - cette directive a été transposée en droit interne par la loi n°95-96 du 1er février 1995, - la jurisprudence tant européenne que nationale n'a fait qu'interpréter les règles européennes et nationales relatives aux clauses abusives, dont elle a éclairé et précisé la signification et la portée, telles qu'elles auraient dû être comprises depuis leur entrée en vigueur. En conséquence, ces règles ainsi interprétées doivent être appliquées par le juge à tous les rapports juridiques nés et constitués postérieurement à cette entrée en vigueur, quand bien même ils l'ont été antérieurement à cette jurisprudence et seule la CJUE peut décider des limitations dans le temps à apporter à une telle interprétation (CJUE, 21 décembre 2016, C-154/15, C-307-15 et C-308-12), - la Cour européenne des droits de l'Homme juge que les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante (CEDH, 18 décembre 2008, Unédic c. France), - enfin, cette jurisprudence sur l'imprescriptibilité de l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause d'un contrat et sur le point de départ du délai de prescription de l'action restitutoire ne présente pas d'inconvénients manifestement disproportionnés dès lors qu'elle ne prive pas la banque de son accès au juge et de son droit à un procès équitable mais d'une partie de sa rémunération et qu'elle est sans conséquence sur son droit de propriété.
En conséquence, c'est à juste titre que le juge de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir soutenue par la banque, tirée de la prescription de la demande en restitution de sommes indûment payées au Crédit mutuel, en exécution des clauses dont Monsieur X. et Madame Y. soutiennent qu'elles sont abusives, et ce sans qu'il ne soit nécessaire de soumettre une question préjudicielle à la CJUE, tant sa jurisprudence - telle que rappelée plus haut - est définie, connue et appliquée. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION A
ARRÊT DU 7 FÉVRIER 2024
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 1 A 22/01109. Arrêt n° 69/24. N° Portalis DBVW-V-B7G-HZM2. Décision déférée à la Cour : 3 mars 2022 par le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de MULHOUSE - 1ère chambre civile.
APPELANTE - INTIMÉE INCIDEMMENT :
CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU
prise en la personne de son représentant légal [Adresse 3], [Adresse 3], Représentée par Maître Laurence FRICK, avocat à la Cour, Avocat plaidant : Maître PAULUS, avocat au barreau de STRASBOURG
INTIMÉS - APPELANTS INCIDEMMENT :
Monsieur X.
[Adresse 1], [Localité 2]
Madame Y.
[Adresse 1], [Localité 2]
Représentés par Maître Nadine HEICHELBECH, avocat à la Cour, Avocat plaidant : Maître SCHAEFFER, avocat au barreau de STRASBOURG
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 13 novembre 2023, en audience publique, un rapport de l'affaire ayant été présenté à l'audience, devant la Cour composée de : M. WALGENWITZ, Président de chambre, M. ROUBLOT, Conseiller, Mme RHODE, Conseillère, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
ARRÊT : - Contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par M. Franck WALGENWITZ, président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
Suivant offre de prêt émise le 28 novembre 2009, Monsieur X. et Madame Y. ont souscrit auprès de la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU, un prêt immobilier « MODULIMMO » destiné à financer l'acquisition de leur résidence principale ainsi que des travaux.
Le prêt portait sur un montant de 180.000 francs suisses et était remboursable mensuellement selon trois paliers, moyennant un taux de 1,800 % l'an, hors assurance, stipulé variable en fonction de l'index Libor 3 Mois, dans la limite inférieure de 0 % l'an et la limite supérieure de 3,800 % l'an.
Par courrier du 13 février 2015, Monsieur X. et Madame Y. ont alerté la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU sur l'évolution défavorable de la parité euro/CHF.
Selon offre/avenant émis le 10 décembre 2015, le taux de prêt, alors de 1,545 % l'an, était remplacé par un taux fixe de 1,000 % l'an à compter du 6 janvier 2016.
Par acte d'huissier du 6 janvier 2021, Monsieur X. et Madame Y. ont fait assigner la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU devant le tribunal judiciaire de Mulhouse pour :
A titre principal,
- dire la clause de remboursement en francs suisses indexé sur le Libor 3 mois, réputée non écrite,
- dire qu'il sera substitué à la clause réputée non écrite, une clause de remboursement en euros au taux légal,
- condamner la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU à recalculer les intérêts et la cotisation d'assurance dus, en considération de la nouvelle clause de remboursement,
- condamner la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU, en tant que de besoin, à leur rembourser la différence entre la contrevaleur en euro de la charge d'intérêts et d'assurances payée en exécution de la clause supprimée, et celle recalculée en exécution de la nouvelle clause de remboursement,
- condamner la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU à leur payer la différence entre la contrevaleur en euro de la somme empruntée de 180.000 francs suisses au moment de l'octroi du prêt et la contrevaleur actuelle de ladite somme, soit à ce jour, la somme de 50.658 €, sauf à parfaire, à titre de dommages-intérêts,
A titre subsidiaire,
- annuler l'avenant du 10 décembre 2015,
- condamner la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL à appliquer la stipulation d'intérêts précitée au contrat de prêt, en prenant en considération les valeurs réelles de l'indice conformément aux stipulations contractuelles initiales,
- ordonner en tant que de besoin, la compensation des créances réciproques,
- condamner la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL à leur payer une somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL aux dépens.
La CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU a saisi le juge de la mise en état, en vue de voir déclarer irrecevables les actions menées par les emprunteurs.
Par une ordonnance du 3 mars 2022, le Juge de la Mise en Etat du Tribunal Judiciaire de Mulhouse a :
« REJETE la demande de sursis à statuer formée avant dire droit par M. X. et Mme Y. ;
DECLARE que le délai de prescription applicable aux actions formées à titre principal, en restitution des avantages perçus au titre de la clause de remboursement en francs suisses incluses dans le contrat de prêt souscrit par M. X. et Mme Y. auprès de la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU suivant offre de prêt émise le 28 novembre 2009, n'a pas commencé à courir ;
- DECLARE, en conséquence, que :
* la demande tendant à la condamnation de la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU, 'en tant que de besoin', à rembourser aux emprunteurs, la différence entre la contrevaleur en euro de la charge d'intérêts et d'assurance payée en exécution de la clause abusive et celle recalculée en exécution de la nouvelle clause de remboursement, est recevable ;
* la demande tendant à la condamnation de la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU à payer aux emprunteurs, la différence entre la contrevaleur en euro de la somme empruntée de 180.000 francs suisses au moment de l'octroi du prêt et la contrevaleur actuelle de ladite somme, soit à ce jour, la somme de 50.658 euros, sauf à parfaire, est recevable ;
- REJETE la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en restitution des intérêts prétendument trop perçus, soulevée par la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU ;
- REJETE la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en responsabilité, soulevée par la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU ;
- FIXE le point de départ du délai de prescription applicable à l'action en nullité de l'avenant au contrat de prêt, souscrit suivant offre émise le 10 décembre 2015, au plus tôt, au 5 février 2016 ;
- DECLARE en conséquence, l'action en nullité de l'avenant au contrat de prêt, souscrit suivant offre émise le 10 décembre 2015, recevable ;
- REJETE la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en nullité dudit avenant, soulevée par la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU ;
- DECLARE le Juge de la Mise en Etat incompétent pour statuer sur le rejet des demandes de M. X. et Mme Y. ;
- CONDAMNE la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU à payer à M. X. et Mme Y. la somme de 1.000,00 € (MILLE EUROS) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- REJETE la demande formée par la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- DIT que les dépens de l'incident suivront le sort de l'instance au fond ;
RENVOYE l'examen de l'affaire à l'audience de mise en état du 07 avril 2022 ;
ENJOINT au conseil de la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU d'avoir à conclure pour cette date.'
La CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU a interjeté appel de cette décision par déclaration déposée le 16 mars 2022.
Par une déclaration faite au greffe en date du 5 avril 2022, les consorts X.-Y. se sont constitués intimés dans la présente affaire.
Par un arrêt du 18 janvier 2023, auquel il est expressément fait référence quant à l'exposé du litige et aux prétentions initiales des parties, la présente cour d'appel a ordonné la réouverture des débats et renvoyé l'affaire à une audience de plaidoirie du 27 mars 2023, pour permettre aux parties et au ministère public de présenter leurs observations sur la saisine envisagée de la Cour de cassation, pour avis sur la question de la fixation du point de départ du délai de prescription de l'action en restitution lorsque la juridiction est saisie aux fins de voir déclarer abusives des clauses d'un contrat, action imprescriptible.
Monsieur X. et Madame Y. ont déposé le 24 mars 2023, des observations favorables à ce qu'un avis de la Cour de cassation soit pris sur ce sujet.
Le procureur général émettait également un avis favorable à la délivrance d'une demande d'avis.
A l'audience du 27 mars 2023, l'affaire était renvoyée à l'audience du 13 novembre 2023 pour plaidoirie.
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Aux termes de ses dernières écritures datées du 9 novembre 2023, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU demande à la cour de :
INFIRMER l'ordonnance du 3 mars 2022 du Juge de la Mise en Etat du Tribunal judiciaire de MULHOUSE,
Statuant à nouveau,
DECLARER l'action en restitution des intérêts prétendument trop perçus comme irrecevable ;
DECLARER l'action en responsabilité contre la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU irrecevable ;
DECLARER l'action en nullité de l'avenant du 10 décembre 2015 irrecevable ;
En conséquence, DEBOUTER Monsieur X. et Madame Y. de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;
CONDAMNER Monsieur X. et Madame Y. à verser à la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU la somme de 4.000 Euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER Monsieur X. et Madame Y. aux entiers frais et dépens de la procédure.
[*]
Vu les dernières écritures des consorts X.-Y. datées du 13 novembre 2023, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, dans lesquelles les intimés demandent à la cour de :
Sur l'appel principal,
DECLARER l'appel formé par la caisse de crédit mutuel du Haut Sundgau recevable mais mal fondé ;
CONFIRMER l'ordonnance du 3 mars 2022 sur tous les chefs critiqués par la caisse de crédit mutuel du Haut Sundgau ;
La DEBOUTER de ses prétentions ;
En tant que de besoin avant dire droit,
SURSEOIR À STATUER jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union Européenne se prononcée sur les questions préjudicielles suivantes :
« l'article 2, sous b), l'article 6, paragraphe 1 et l'article 7 de la directive 93/13 ainsi que les principes d'équivalence, d'effectivité de sécurité juridique doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une interprétation juridictionnelle de la réglementation nationale selon laquelle l'action judiciaire en restitution des montants indûment payés sur le fondement d'une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est soumise à un délai de prescription de 5 ans qui court à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu, mais surtout aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer - ce qui suppose de procéder par introspection - au regard de la situation d'infériorité dans laquelle les consommateurs se trouvent face aux professionnels, en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d'information ainsi que de la circonstance qu'il est possible que les consommateurs ignorent ou ne perçoivent pas l'étendue de leurs droits découlant de la directive précitée »é
La CONDAMNER à leur payer in solidum une indemnité de procédure de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
La CONDAMNER aux dépens ;
REJETER toutes conclusions plus amples ou contraires.
[*]
À l'issue des débats à l'audience du 13 novembre 2023, la cour a donné la possibilité à la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL de produire des éléments, démontrant que le prêt des consorts X.-Y. avait été remboursé et d'apporter quelques explications au sujet des dernières conclusions des intimés.
Vu la note en délibéré du 6 décembre 2023 déposée par la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU, accompagnée d'une attestation de la caisse datée du 8 mars 2023, certifiant que le prêt octroyé le 20 janvier 2010, d'un montant de 180.000 Francs Suisses, a été remboursé en totalité en date du 13 janvier 2023.
La Cour se référera aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé des faits de la procédure et de leurs prétentions, en application de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE :
1) Sur les observations de la banque portant sur le non-respect du principe du contradictoire :
La banque critique dans ses développements, la solution retenue par le juge de la mise en état - qui a considéré que la demande en dommages et intérêts formulée par Monsieur X. et Madame Y. était en réalité une action en restitution - estimant que le magistrat ne pouvait rendre une telle décision, sans avoir pris le soin de soumettre cette question de requalification au contradictoire, ce qui invaliderait sa décision.
Cependant, force est de constater que l'appelante ne tire aucune conséquence de ces développements dans son dispositif, quant à la validité même de ladite ordonnance.
S'agissant de la requalification, il est rappelé que l'alinéa 2 de l'article 12 du code de procédure civile donne la possibilité au juge de donner leur exacte qualification aux faits qui lui sont soumis, sans qu'il ne doive s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
Le juge de la mise en état a, à juste titre, pu valablement requalifier, dans sa décision, la demande en dommages et intérêts formée par les consorts X.-Y. en ce qu'elle constituait en réalité à une demande en restitution, en ce que les requérants ont saisi le tribunal en vue d'obtenir que la clause de remboursement en franc suisse soit déclarée abusive, que la banque soit condamnée à recalculer les intérêts et à verser la différence entre la contrevaleur en euro de la charge d'intérêts versée, avec celle qui aurait dû l'être, et de manière générale la différence entre la contrevaleur en euros de la somme empruntée entre le moment de l'emprunt et la date de ce jour. Ces demandes relèvent clairement de l'action restitutoire - au sens de la législation sur les clauses abusives qui sera détaillée plus bas - et non du régime général de la responsabilité contractuelle ou délictuelle.
Dans ces conditions, la requalification était valable, et doit être confirmée.
2) Sur la prescription de l'action menée par Monsieur X. et Madame Y. :
2-1) Sur l'action déclaratoire :
L'article 7, § 1 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, prévoit que les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.
Par arrêts du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19 et C-609/19), la CJUE a dit pour droit que l'article 6, § 1 et l'article 7, § 1 de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur, aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur, à un délai de prescription.
Dès lors, la demande tendant à voir réputée non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L132-1du code de la consommation n'est pas soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil.
2-2) Sur l'action restitutoire :
L'article 2224 du code civil énonce que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Par arrêts du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19 et C-609/19), la CJUE a dit pour droit que l'article 6, § 1 et l'article 7, § 1 de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l'acceptation de l'offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l'ensemble de ses droits découlant de cette directive. Elle a relevé que les modalités de mise en œuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive 93/13 ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d'équivalence) ni être aménagées de manière à rendre, en pratique, impossible ou excessivement difficile, l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivité).
S'agissant de l'opposition d'un délai de prescription à une demande introduite par un consommateur, aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de clauses abusives au sens de la directive 93/13, elle a rappelé avoir dit pour droit que l'article 6, § 1 et l'article 7, § 1 de cette directive ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui, tout en prévoyant le caractère imprescriptible de l'action tendant à constater la nullité d'une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, soumet à un délai de prescription l'action visant à faire valoir les effets restitutifs de cette constatation, sous réserve du respect des principes d'équivalence et d'effectivité (CJUE, 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C-698/18 et C-699/18 ; CJUE, 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C-224/19 et C-259/19). Ainsi, l'opposition d'un tel délai n'est pas en soi contraire au principe d'effectivité, pour autant que son application ne rende pas, en pratique, impossible ou excessivement difficile, l'exercice des droits conférés par cette directive. En conséquence, un délai de prescription est compatible avec le principe d'effectivité uniquement si le consommateur a eu la possibilité de connaître ses droits avant que ce délai ne commence à courir ou ne s'écoule.
Par arrêt du 9 juillet 2020 (C-698/18 et C-699/18), la CJUE a dit pour droit que l'article 2, sous b), l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1 de la directive 93/13/CEE ainsi que les principes d'équivalence, d'effectivité et de sécurité juridique doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une interprétation juridictionnelle de la réglementation nationale selon laquelle l'action judiciaire en restitution des montants indûment payés sur le fondement d'une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est soumise à un délai de prescription de trois ans qui court à compter de la date de l'exécution intégrale de ce contrat, lorsqu'il est présumé, sans besoin de vérification, que, à cette date, le consommateur devait avoir connaissance du caractère abusif de la clause en cause ou lorsque, pour des actions similaires, fondées sur certaines dispositions du droit interne, ce même délai ne commence à courir qu'à partir de la constatation judiciaire de la cause de ces actions.
S'agissant du respect du principe d'équivalence, il sera rappelé qu'en droit interne, le délai de prescription des actions en restitution, consécutives à l'annulation d'un contrat ou d'un testament, ne court qu'à compter de cette annulation, que cette annulation résulte de l'accord des parties ou d'une décision de justice (1ère Civ, 1er juillet 2015, n°14-20.369 ; 1ère Civ., 28 octobre 2015, n°14-17.893 ; 3ème Civ, 14 juin 2018, n°17-13.422 ; 1ère civ, 13 juillet 2022 n°20-20.738).
S'agissant du principe d'effectivité, il serait contradictoire de déclarer imprescriptible l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause et de soumettre la principale conséquence de cette reconnaissance à un régime de prescription la privant d'effet.
Il s'en déduit que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil, de l'action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses. (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 12 Juillet 2023, n° 22-17.030).
Concernant le moyen relatif à la sécurité juridique soulevé par la Caisse de Crédit Mutuel il sera rappelé que :
- la prohibition des clauses abusives remonte à la directive 93/13 CEE du Conseil du 5 avril 1993, applicable à tous les contrats conclus à compter du 1er janvier 1995,
- cette directive a été transposée en droit interne par la loi n°95-96 du 1er février 1995,
- la jurisprudence tant européenne que nationale n'a fait qu'interpréter les règles européennes et nationales relatives aux clauses abusives, dont elle a éclairé et précisé la signification et la portée, telles qu'elles auraient dû être comprises depuis leur entrée en vigueur. En conséquence, ces règles ainsi interprétées doivent être appliquées par le juge à tous les rapports juridiques nés et constitués postérieurement à cette entrée en vigueur, quand bien même ils l'ont été antérieurement à cette jurisprudence et seule la CJUE peut décider des limitations dans le temps à apporter à une telle interprétation (CJUE, 21 décembre 2016, C-154/15, C-307-15 et C-308-12),
- la Cour européenne des droits de l'Homme juge que les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante (CEDH, 18 décembre 2008, Unédic c. France),
- enfin, cette jurisprudence sur l'imprescriptibilité de l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause d'un contrat et sur le point de départ du délai de prescription de l'action restitutoire ne présente pas d'inconvénients manifestement disproportionnés dès lors qu'elle ne prive pas la banque de son accès au juge et de son droit à un procès équitable mais d'une partie de sa rémunération et qu'elle est sans conséquence sur son droit de propriété.
En conséquence, c'est à juste titre que le juge de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir soutenue par la banque, tirée de la prescription de la demande en restitution de sommes indûment payées au Crédit mutuel, en exécution des clauses dont Monsieur X. et Madame Y. soutiennent qu'elles sont abusives, et ce sans qu'il ne soit nécessaire de soumettre une question préjudicielle à la CJUE, tant sa jurisprudence - telle que rappelée plus haut - est définie, connue et appliquée.
L'ordonnance sera dès lors confirmée sur ce point.
3) Sur les autres demandes :
Le juge de la mise en état ayant fait application des dispositions des articles 4 et 12 du code de procédure civile pour dire que la demande en dommages et intérêts était en réalité une action en restitution, la fin de non-recevoir soutenue par la banque, au titre de la prescription de l'action en responsabilité, n'a plus raison d'être et sera écartée.
Quant à l'action subsidiaire en nullité de l'avenant conclu, suivant offre émise le 10 décembre 2015, c'est la prescription quinquennale de l'article 1304 du Code civil, dans sa version applicable au moment des faits, qui doit être mise en œuvre. Son point de départ doit être fixé au jour de la découverte du vice.
Le premier juge a, à juste titre, constaté dans un premier temps que l'offre-avenant en cause, versée aux débats, n'était pas paraphée et ne comportait pas la signature des parties, de sorte que sa date du 10 décembre 2015 ne peut constituer le point de départ du délai de prescription.
Celui-ci doit alors être fixé à la date du début d'exécution de cet avenant, à savoir au moment de la première échéance de remboursement qui intégrait le nouveau taux d'intérêt tel que calculé en application du présent avenant, soit celle du 5 février 2016.
Ainsi, au moment où les consorts X.-Y. ont engagé leur action en nullité de cet avenant le 6 janvier 2021, le délai de prescription - qui s'achevait le 5 février 2021- était toujours en cours, de sorte qu'il y a lieu de confirmer la décision du juge de la mise en état qui a déclaré recevable l'action subsidiaire en nullité de l'avenant.
4) Sur les demandes annexes :
Les dispositions de l'ordonnance déférée, portant sur les dépens et sur la question des frais irrépétibles, seront confirmées.
La CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU, partie succombante, sera condamnée aux dépens d'appel et à verser à Monsieur X. et Madame Y. une somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, sa propre demande fondée sur ce même article devant être écartée.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
REJETTE la demande tendant à transmettre une question préjudicielle à la CJUE,
CONFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Mulhouse le 3 mars 2022,
Et y ajoutant,
CONDAMNE la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU aux dépens de l'appel,
CONDAMNE la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU à verser à Monsieur X. et Madame Y. une somme de 2.000 euros (deux mille euros) au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE la demande de la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DU HAUT SUNDGAU fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE : LE PRÉSIDENT :