CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 7 février 2024
CERCLAB - DOCUMENT N° 10746
CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 7 février 2024 : RG n° 21/02589 ; arrêt n° 65/24
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « Cela étant, M. X. demande à la cour de prononcer la nullité du contrat de prêt au motif que, libellé en francs suisses, il aurait ignoré la règle d'ordre public du cours légal de la monnaie. Or, M. X., qui n'invoque pas l'existence d'un dol, ne pouvait ignorer l'existence des clauses prévoyant un remboursement en francs suisses, et ce, dès la lecture de l'offre de prêt qu'il a acceptée le 23 mai 2005, date qui constitue donc le point de départ du délai de prescription. La prescription de son action, que ce délai soit, d'ailleurs trentenaire ou, comme le soutient la banque, décennal, étant déjà en cours lors de l'entrée en vigueur, le 19 juin 2008, de la loi du 17 juin 2008, instaurant le délai quinquennal, cette dernière était acquise 5 ans après l'entrée en vigueur de cette réforme, soit le 19 juin 2013.
Pour autant, s'il n'est pas contesté que le moyen invoqué, tiré de la nullité du prêt pour utilisation du franc suisse comme monnaie de paiement n'a été invoqué, en premier lieu, que par conclusions en date du 19 avril 2016, c'est à bon droit que le juge de première instance a retenu que l'assignation délivrée le 11 septembre 2012, dès lors qu'elle tendait, fût-ce en invoquant d'autres moyens de droit, en l'espèce le démarchage illicite, à la nullité du prêt, interrompait le délai de prescription (voir, notamment, Civ. 1ère, 7 juillet 2021, pourvoi n° 19-11.638, publié au Bulletin, Civ. 3ème, 26 mars 2014, pourvoi n° 12-24.203, 12-24.208, Bull. 2014, III, n° 42), ce dont il résulte que la demande de nullité du contrat tiré de la stipulation du franc suisse comme monnaie de paiement, développée dans le nouveau délai de prescription de cinq ans courant à compter de l'assignation, est recevable. »
2/ « En tout état de cause, si l'acte de vente notarié mentionne un financement par l'emprunt, décrivant par le détail les caractéristiques des prêts, avec une promesse d'emploi au financement de l'acquisition, et l'octroi de garanties au prêteur, portant sur le bien financé, il n'en demeure pas moins que la remise en cause des actes de prêt serait sans emport sur les relations entre l'acquéreur et le vendeur du bien, qui a reçu paiement du prix et en a donné quittance à l'acquéreur, et partant, sans incidence sur la validité de l'acte de vente. »
3/ « Tout d'abord, la cour entend rappeler que dans les contrats internes, la clause obligeant le débiteur à payer en monnaie étrangère est nulle et de nullité absolue car portant atteinte au cours légal de la monnaie. À cet égard, si la banque entend contester le caractère absolu de cette nullité au regard des considérations de politique monétaire, « alors que les États européens, dont la France, ont perdu toute compétence en la matière », il convient de relever que, si la France a entendu souverainement déléguer la conduite de sa politique monétaire à la Banque centrale européenne, institution de l'Union européenne, il n'en demeure pas moins que seul l'euro a cours légal en France, et ce, en vertu tant des dispositions du droit de l'Union, la Commission européenne ayant, ainsi, adopté le 22 mars 2010 une recommandation sur l'étendue et les effets du cours légal des billets et des pièces en euros, que du droit interne, qui en assure la protection, afin d'assurer la confiance des usagers dans la monnaie et permettre ainsi le bon fonctionnement de l'économie (voir, notamment, Civ. 3ème, 18 octobre 2005, pourvoi n° 04-13.930, Bull. 2005, III, n° 196 ; Civ. 1ère, 14 novembre 2013, pourvoi n° 12-23.208 ; Civ. 1ère, 11 juillet 2018, pourvoi n° 17-19.873). »
4/ « Ainsi, les prêts sont bien libellés en CHF, ce qui n'est pas, en soi, illicite ou contraire à l'ordre public, dès lors que les parties peuvent avoir recours à la devise en tant qu'instrument de compte. Pour autant, le mécanisme du prêt ne ressort pas des stipulations de l'offre elle-même, qui se borne à envisager, dans le seul cas de la conversion d'un prêt en euros en CHF, l'ouverture d'un compte dans cette devise, avec prélèvement des échéances sur ce nouveau compte qui devra, au préalable, être dûment provisionné.
Il s'évince toutefois des éléments versés aux débats, par l'emprunteur comme par la banque, que ce mécanisme fait apparaître un prélèvement en euros, sur le compte chèque ouvert dans cette devise par l'emprunteur, à hauteur de la contre-valeur en euros des échéances libellées en CHF des deux prêts, selon le taux de change applicable lors du prélèvement, puis une conversion en CHF, opérée sur un compte ouvert en devises assurant le règlement d'échéances elles-mêmes libellées en francs suisses. Les éventuels impayés sont, par ailleurs, « convertis en euros ».
Si le fonctionnement de l'opération apparaît donc de nature à permettre, fût-ce par le biais de la conversion de sommes prélevées initialement sur un compte en euros, le règlement effectif en francs suisses d'échéances libellées dans cette devise, il n'en résulte, pour autant, aucune obligation pour l'emprunteur de régler les échéances du prêt dans une devise autre que l'euro, dès lors que celui-ci dispose de la faculté de modifier unilatéralement la devise de référence et de convertir, ainsi, le prêt en euros, dans les conditions qui ont été rappelées ci-avant. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. X. de sa demande de nullité à ce titre. »
5/ « Ces dispositions étant édictées dans l'intérêt des personnes démarchées, que ce soit dans le contexte d'une prise de contact non sollicitée ou à leur domicile. Ce texte a vocation à protéger le consommateur. Son non-respect est sanctionné par une nullité relative, laquelle est régie par la prescription quinquennale, régie, en l'état du droit applicable, par l'article 1304 du code civil, sans modification sur ce point par la réforme de 2008, et dont le délai court, en l'espèce, à compter de la signature de l'acte litigieux, soit au mois de mai 2005. »
6/ « Dès lors, la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation n'est pas soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil. En conséquence l'action en constatation du caractère abusif de la clause d'indexation de l'offre de prêt acceptée le 24 mai 2005, doit être déclarée recevable. »
7/ « Ainsi, l'opposition d'un tel délai n'est pas en soi contraire au principe d'effectivité, pour autant que son application ne rende pas en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par cette directive. En conséquence, un délai de prescription est compatible avec le principe d'effectivité uniquement si le consommateur a eu la possibilité de connaître ses droits avant que ce délai ne commence à courir ou ne s'écoule.
Par arrêt du 9 juillet 2020 (C-698/18 et C-699/18), la CJUE a dit pour droit […]. S'agissant du respect du principe d'équivalence, il sera rappelé qu'en droit interne, le délai de prescription des actions en restitution, consécutives à l'annulation d'un contrat ou d'un testament, ne court qu'à compter de cette annulation, que cette annulation résulte de l'accord des parties ou d'une décision de justice (Cour de cassation, Civ. 1ère, 1er juillet 2015, pourvoi n° 14-20.369 ; Civ. 1ère, 28 octobre 2015, pourvoi n° 14-17.893 ; Civ. 3ème, 14 juin 2018, pourvoi n° 17-13.422 ; Civ, 1ère, 13 juillet 2022, pourvoi n° 20-20.738).
S'agissant du principe d'effectivité, il serait contradictoire de déclarer imprescriptible l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause et de soumettre la principale conséquence de cette reconnaissance à un régime de prescription la privant d'effet.
Il s'en déduit que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil, de l'action fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées, doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses (Cour de cassation, Civ. 1ère, 12 juillet 2023, pourvoi n° 22-17.030). En conséquence, la demande de M. X. en restitution de sommes indûment payées à la Banque Populaire, en exécution des clauses dont il soutient qu'elles sont abusives, n'est pas davantage prescrite. »
8/ « Il ressort de ces développements que les jurisprudences nationales et de la CJUE, sont claires quant à l'interprétation à donner, notamment de l'article 4.2 de la directive 93/13/CE s'agissant des clauses faisant peser le risque de change sur l'emprunteur qui définissent l'objet principal du contrat, en ce qu'elles sont abusives du seul fait qu'elles ne sont pas rédigées de façon claire et compréhensible sans qu'il ne soit nécessaire de rechercher si elles créent au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Ainsi, cette exigence de transparence nécessite une information concrète, suffisante et exacte qui met le consommateur en mesure de comprendre le risque encouru et ses conséquences potentielles en cas de réalisation de ce risque, exemples chiffrés et significatifs à l'appui (Cass. Civ. 1ère, 20 avril 2022, pourvoi n° 20-16.316).
En l'espèce, les clauses, dont les termes ont été rappelés ci-dessus, en dépit d'une énonciation compréhensible sur le plan formel et grammatical des conditions et modalités d'exécution du prêt (en ce qu'il s'agissait d'un prêt libellé en francs suisses, exposant l'emprunteur à un risque de surcoût lié au change, dont il faisait son affaire de suivre l'évolution, tout en reconnaissant être informé du fonctionnement du compte en devise, et en étant avisé, de manière circonstanciée, des modalités dans lesquelles il pouvait choisir de convertir le prêt litigieux en euros), bien qu'elles mentionnent expressément l'existence d'un risque de change auquel s'expose l'emprunteur en cas d'évolution défavorable de la parité entre les devises, ne lui permettent cependant pas, de disposer d'informations suffisamment précises pour appréhender de manière concrète le fonctionnement du mécanisme en cause et ses conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, sur ses obligations pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation de l'euro, monnaie dans laquelle il percevait ses revenus et la monnaie dans laquelle était libellé le prêt. En outre, le fonctionnement même du mécanisme, en dehors de la reconnaissance, par l'emprunteur, qui a été informé du fonctionnement du compte en devise, n'est pas clairement expliqué.
Il importe peu, à cet égard, que M. X. ait lui-même sollicité des prêts en francs suisses, l'étude de MGA faisant, au demeurant, état de financements libellés en euros, la fiche de financement établi par le même organisme ne mentionnant pas la devise en cause, sous réserve de la mention du taux 'CHF 3 mois'. De même, le fait qu'il ait souscrit d'autres prêts en devise ne le mettait pas nécessairement en mesure d'en mesurer les implications tant que les taux de change variaient peu.
Il est également sans emport que M. X. ait pu bénéficier d'une conversion de son prêt en euros, dès lors qu'il devait être à même de comprendre, avant la survenance de tout préjudice éventuel lié à la variation du taux de change, les enjeux liés à la variation des taux et à l'intérêt d'une conversion, d'autant que l'un des deux prêts comportait une échéance finale en capital, et que les clauses contractuelles n'attirent pas l'attention du consommateur sur le fait que le risque de change est renforcé par le mécanisme même du prêt « in fine » qui reporte à une échéance lointaine, en l'espèce 15 ans après la signature de la convention de prêt, le règlement de l'intégralité du capital emprunté.
En conséquence de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de déclarer abusives les clauses reproduites ci-dessus, stipulant une indexation de la dette du débiteur selon le cours de change euro/franc suisse, s'agissant plus particulièrement de la clause intitulée « conditions spécifiques des prêts multidevises », laquelle est indivisible, par son objet, de la clause intitulée « conversion du prêt », ainsi que de la clause prévoyant le libellé des prêts litigieux en CHF.
Les clauses litigieuses, reconnues abusives ci-dessus, doivent donc être réputées non écrites et l'emprunteur doit se retrouver dans la situation qui aurait été la sienne si elles n'avaient jamais existé. À cet égard, si M. X. entend invoquer l'inopposabilité des clauses, et ce, explique-t-il, pour ne pas mettre en cause, à ce titre, la validité du contrat dans son ensemble, il évoque bien la sanction du réputé non écrit, et sa demande, visant à voir condamner la Banque Populaire à rembourser l'intégralité des sommes versées par M. X. au-delà du capital d'origine emprunté, en l'occurrence de sa contre-valeur en euros, et des intérêts conventionnels tend bien à le replacer dans la situation qui aurait été la sienne si ces clauses n'avaient pas existé. Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il avait rejeté cette demande. »
La banque sera, en conséquence, condamnée à rembourser l'intégralité des sommes versées par M. X. au-delà du capital d'origine emprunté et des intérêts conventionnels. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION A
ARRÊT DU 7 FÉVRIER 2024
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 1 A 21/02589. Arrêt n° 65/24. N° Portalis DBVW-V-B7F-HS7J. Décision déférée à la Cour : 15 avril 2021 par le Tribunal judiciaire de STRASBOURG - 1ère chambre civile.
APPELANT - INTIME INCIDEMMENT :
Monsieur X.
[Adresse 3], Représenté par Maître Guillaume HARTER, avocat à la Cour
INTIMÉE - APPELANTE INCIDEMMENT :
SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE
prise en la personne de son représentant légal, [Adresse 1], Représentée par Maître Thierry CAHN, avocat à la Cour
APPELÉE EN INTERVENTION FORCÉE :
SARL MGA FINANCE
prise en la personne de son représentant légal, [Adresse 2], Représentée par Maître Charline LHOTE, avocat à la Cour, Avocat plaidant : Maître MANGOLD-REBOH, avocat au barreau de STRASBOURG
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 novembre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. ROUBLOT, Conseiller faisant fonction de Président, et Mme RHODE, Conseillère, un rapport de l'affaire ayant été présenté à l'audience.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : M. ROUBLOT, Conseiller faisant fonction de Président, Mme DAYRE, Conseillère, Mme RHODE, Conseillère, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
ARRÊT : - Contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par M. Philippe ROUBLOT, conseiller faisant fonction de président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu l'assignation délivrée le 11 septembre 2012, par laquelle M. X. a fait citer la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne, ci-après également dénommée « la Banque Populaire » ou « la banque », devant le tribunal de grande instance, devenu le 1er janvier 2020, par application de l'article 95 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et de ses décrets d'application n° 2019-965 et 2019-966 du 18 septembre 2019, le tribunal judiciaire de Strasbourg,
Vu l'assignation, délivrée le 4 avril 2013, par la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne à la SARL MGA Finance, ci-après également « MGA », en intervention forcée en garantie,
Vu la jonction des instances,
Vu le jugement rendu le 15 avril 2021, auquel il sera renvoyé pour le surplus de l'exposé des faits, ainsi que des prétentions et moyens des parties en première instance, et par lequel le tribunal judiciaire de Strasbourg a statué comme suit :
« REJETTE toutes les demandes formées par M. X.,
CONDAMNE M. X. à payer à la BANQUE POPULAIRE D'ALSACE -LORRAINE-CHAMPAGNE la somme de 5.000 € (cinq mille Euros) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
REJETTE les demandes formées par la société MGA FINANCE contre la BANQUE POPULAIRE D'ALSACE-LORRAINE-CHAMPAGNE,
REJETTE la demande en appel en garantie formée par la BANQUE POPULAIRE D'ALSACE-LORRAINE-CHAMPAGNE contre la société MGA FINANCE,
CONDAMNE M. X. aux dépens ;
DIT que la présente décision est exécutoire par provision,
REJETTE les autres demandes. »
Vu la déclaration d'appel formée par M. X. contre ce jugement et déposée le 27 mai 2021,
Vu la constitution d'intimée de la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne en date du 1er juillet 2021,
Vu la constitution d'intimée de la SARL MGA Finance en date du 22 avril 2022,
[*]
Vu les dernières conclusions en date du 7 novembre 2022, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles M. X. demande à la cour de :
« Vu les anciens articles 1134, 1147 et 1907 du Code civil,
Vu les anciens articles L. 313-1 et suivant du Code de la consommation,
Vu l'ancien article 1244-1 du Code civil,
- REFORMER le jugement en ce qu'il a :
rejeté toutes les demandes formées par M. X. ;
condamné M. X. aux dépens.
Statuant à nouveau :
A titre principal :
- JUGER que les crédits sont irréguliers en ce qu'il emporte une obligation de remboursement en francs suisses ;
- PRONONCER la nullité des crédits n°09XX15 et n°09YY16 souscrits par M. X. ;
- JUGER sinon que les crédits ont été souscrits à l'issue d'un démarchage illicite ;
- PRONONCER derechef la nullité des crédits souscrits par M. X. pour démarchage illicite ;
- CONSTATER les turpitudes de Banque Populaire qui a mis en place des prêts dont elle ne pouvait ignorer les vices ;
Ce faisant et en conséquence,
- DIRE et JUGER que Banque Populaire est déchue de son droit à obtenir restitution du capital en vertu du principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ;
- CONDAMNER sinon Banque Populaire à verser une indemnité à M. X. égale au montant du capital emprunté, savoir 194.889 euros ;
- JUGER ainsi que M. X. n'est plus débiteur ni du capital emprunté, ni des intérêts et que de manière générale que l'emprunteur ne sera le cas échéant débiteur que de la seule différence entre les sommes débloquées en euros à son profit lors de la mise en place du prêt, et tout règlement effectué par ce dernier au titre du prêt et de ses accessoires, à charge pour la société de crédit de justifier préalablement auprès du débiteur des éléments de ce calcul,
- ORDONNER en conséquence :
- la restitution de l'intégralité des sommes versées par M. X. à Banque Populaire,
- la production par la Banque Populaire des décomptes des sommes versées par M. X. au titre des deux prêts litigieux et de leurs justificatifs et assortir cette obligation de production d'une astreinte provisoire fixée à la somme de 500 € par jour de retard, courant à compter du jour du prononcé de l'arrêt à intervenir et s'en réserver la liquidation ;
- la prise en charge par Banque Populaire de la perte de change,
- la perte du droit de Banque Populaire à la restitution du principal de la somme prêtée
- les compensations entre les créances réciproques des parties.
A titre subsidiaire, s'il n'était pas fait droit à la demande de nullité :
- JUGER que la clause des prêts stipulant une indexation de la dette du débiteur selon le cours de change euro/franc suisse est abusive ;
- CONSTATER l'inopposabilité de cette clause ;
- JUGER que M. X. n'est débiteur que du capital en euro d'origine ;
- CONDAMNER en conséquence Banque Populaire à rembourser l'intégralité des sommes versées par M. X. au-delà du capital d'origine emprunté et des intérêts conventionnels ;
- ENJOINDRE en conséquence sous astreinte de 500 euros par jour de retard la Banque Populaire à produire l'historique des versements effectués par M. X. distinguant le capital remboursé et les intérêts depuis l'origine du prêt ;
A titre plus subsidiaire :
- CONSTATER en outre le défaut d'information et de mise en garde de la Banque Populaire envers M. X. lors de la souscription de son emprunt ;
- CONSTATER également le défaut d'information et de mise en garde de MGA Finance ;
- DIRE et JUGER en conséquence que la Banque Populaire et MGA Finance ont commis des fautes qui ont causé la perte de change ;
- DIRE et JUGER que la perte de change doit être en conséquence supportée intégralement et solidairement par la Banque Populaire et MGA Finance et que dès lors M. X. n'est débiteur que du capital originellement prêté, savoir 194.889 euros ;
- CONSTATER en outre que les crédits violent les dispositions légales impératives du Code de la consommation ;
- PRONONCER en conséquence la déchéance du droit aux intérêts de la Banque Populaire pour les prêts ci-avant énoncés sans pour autant faire application de l'intérêt légal ;
- CONDAMNER en conséquence la Banque Populaire à rembourser à M. X. la somme correspondant aux intérêts conventionnels indûment versés ;
- DIRE ET JUGER que la Banque Populaire ne sera plus autorisée pour l'avenir à percevoir d'intérêts au titre des crédits conclus avec M. X. ;
En toute hypothèse :
- ORDONNER que la Banque Populaire produise l'historique des échéances de remboursements des crédits souscrits par M. X. distinguant les sommes perçues au titre des commissions et les sommes perçues au titre des intérêts ;
- ASSORTIR l'obligation de la Banque Populaire de produire cet historique d'une astreinte provisoire fixée à la somme de mille (1.000) euros par jour de retard, courant à compter du jour du prononcé du jugement à intervenir et s'en réserver la liquidation ;
- CONDAMNER la Banque Populaire à verser au demandeur la somme de sept mille deux cents (7.200) euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER la Banque Populaire aux entiers dépens de 1ere instance et d'appel'
et ce, en invoquant, notamment :
- la nullité du contrat de prêt pour illicéité de la clause stipulant un remboursement en francs suisses, par prélèvement sur un compte ouvert dans cette devise, comme contenant une obligation de rembourser dans une monnaie n'ayant pas cours en France, et relevant d'une règle d'ordre public absolue, s'agissant d'une situation purement interne, et la banque étant seule maîtresse d'une conversion du prêt en euros, nécessitant de redéfinir ses modalités, en particulier le taux applicable,
- l'absence de prescription de cette demande, soumise à la prescription trentenaire de l'article 2262 du code civil, alors en vigueur, le délai de prescription ayant été interrompu par l'assignation en justice, certes fondée sur le démarchage illicite, mais ayant le même but, à savoir la nullité du prêt et la mise à la charge de la banque de la perte de change,
- l'annulation, en conséquence, du contrat de prêt, sans remise en cause nécessaire de la vente, et emportant restitution réciproque afin de placer les parties dans la situation antérieure à la signature des prêts litigieux,
- à titre subsidiaire, un démarchage illicite du concluant par MGA Finance, qui lui aurait proposé, à la faveur de déplacements physiques sur son lieu de travail, et sans incidence de leurs relations antérieures, un montage complet incluant un plan de financement avec le concours de la Banque Populaire, et serait intervenue en qualité d'intermédiaire en opérations de banque (IOB), activité pour laquelle elle était d'ailleurs assurée, en prospectant des clients pour les mettre en relation avec la banque en vue de son concours, et aurait ainsi été mandataire de la banque au titre de la réalisation de certains actes matériels, la banque se trouvant, dès lors responsable, en qualité de mandant, mais aussi d'établissement ayant externalisé ses propres prestations, des agissements de l'IOB, même excédant le cadre du mandat, et ce alors que la société MGA Finance aurait violé les règles du démarchage, à défaut d'habilitation au démarchage bancaire, de mandat écrit de la banque ou encore de carte de démarchage ou d'enregistrement en qualité de démarcheur en tant qu'IOB, et également de non-respect de l'obligation de s'enquérir de l'expérience et des besoins de l'investisseur, et d'absence d'écrit nominatif, le crédit en francs suisses étant, en outre, un produit interdit au démarchage, dont le risque maximum n'est pas connu et dont le risque de perte peut être supérieur au montant de l'apport initial,
- en conséquence, la nullité de l'opération emportant restitution des sommes empruntées, et la responsabilité du banquier, à la fois comme mandante et pour avoir été défaillante dans le contrôle de l'IOB, la privant de sa créance de restitution,
- plus subsidiairement, l'inopposabilité de la clause d'indexation implicite au franc suisse et de la clause d'intérêts conventionnels stipulée dans le prêt, s'agissant de clauses abusives à défaut de caractère clair et intelligible, créant un déséquilibre significatif, à défaut d'information du concluant par la banque lui permettant, de manière concrète, « d'évaluer sur le fondement de critères précis et intelligibles les conséquences économiques » résultant d'un crédit en francs suisses, mais également en raison du pouvoir, qualifié d'exorbitant, de la banque, qui pourrait déterminer à loisir le cours de change retenu pour évaluer la dette de M. X., et encore en raison de l'illicéité des clauses, et enfin en raison du déséquilibre dans le risque de change,
- à titre encore plus subsidiaire, un manquement de la banque et de MGA à leur devoir d'information et de mise en garde, qui résulte insuffisamment de la rédaction des clauses du contrat, envers M. X., investisseur profane, en proposant à la signature des produits spéculatifs, recelant de multiples risques, lié à la variation du change et des intérêts, en violation des règles propres des marchés financiers et des règles communes à ceux-ci et au droit du crédit, le dommage en résultant devant être réparé en couvrant la perte de valeur de l'euro par rapport au franc suisse,
- toujours plus subsidiairement, des manquements multiples de la banque aux dispositions protectrices de la loi Scrivener, que le concluant détaille, emportant déchéance, pour chacun d'entre eux, du droit aux intérêts du prêteur.
[*]
Vu les dernières conclusions en date du 8 novembre 2022, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne demande à la cour de :
« SUR L'APPEL PRINCIPAL
CONFIRMER le jugement de la 1ère Chambre Civile du Tribunal Judiciaire de STRASBOURG du 15 avril 2021 en toutes ses dispositions.
Y ajoutant :
DECLARER prescrite l'action en nullité des contrats de prêts en devises souscrits par Monsieur X. pour démarchage illicite.
DECLARER prescrite l'action en nullité des contrats en devises souscrits par Monsieur X. en raison d'une obligation de remboursement en CHF.
En conséquence et en tout état de cause :
DEBOUTER Monsieur X. de l'intégralité de ses fins, moyens et prétentions.
CONDAMNER Monsieur X. à payer à la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE une indemnité de 7.200 € en application de l'article 700 du C.P.C et pour la procédure d'appel.
CONDAMNER Monsieur X. en tous les frais et dépens de la procédure d'appel principale et de la procédure d'appel en garantie.
CONDAMNER Monsieur X. à garantir la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE de toute condamnation en principal, intérêts, frais et accessoires qui pourraient être mis à sa charge au profit de la SARL MGA FINANCE si celui-ci est débouté de ses demandes au titre du démarchage illicite qu'il lui impute.
SUR L'APPEL INCIDENT ET EN GARANTIE DE LA BANQUE POPULAIRE ET SUR L'APPEL INCIDENT DE LA SARL MGA FINANCE
CONDAMNER la SARL MGA FINANCE à tenir la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE quitte et indemne de toute condamnation en principal, intérêts, frais et accessoires qui pourrait être prononcée à son encontre du chef de Monsieur X. et d'un démarchage illicite, ainsi que de leurs conséquences.
DEBOUTER la Société MGA FINANCE de l'intégralité de ses fins, moyens et prétentions, ainsi que de son appel incident.
Si la Cour devait estimer que Monsieur X. n'est plus tenu de rembourser à la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE le capital emprunté et les intérêts et a droit à la restitution des sommes d'ores et déjà versées
CONDAMNER la SARL MGA FINANCE à rembourser à la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE l'intégralité des sommes qu'elle devra restituer à Monsieur X., ainsi que le capital, les intérêts, frais et accessoires que la banque avait vocation à percevoir si la Cour n'avait pas déchargé Monsieur X. de ses obligations contractuelles de paiement.
CONDAMNER la société MGA FINANCE, subsidiairement Monsieur X., à payer à la BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE une indemnité complémentaire de 8.000 € en application de l'article 700 du C.P.C et au titre de la procédure d'appel.
CONDAMNER la société MGA FINANCE, subsidiairement Monsieur X., en tous les frais et dépens de la procédure d'appel principal, de la procédure d'appel incident et en garantie »
et ce, en invoquant, notamment :
- la mauvaise foi de la partie adverse qui aurait déjà contracté, sans le mentionner à la concluante, des prêts en francs suisses auprès d'un autre établissement, donnant lieu à un contentieux dont l'issue serait cependant sans emport sur celle du présent litige,
- la prescription de la demande de nullité des prêts, dont le caractère absolu est contesté tant au regard de la jurisprudence traditionnelle excluant tout fondement dans le cours légal ou forcé de la monnaie que de considérations tirées de la politique monétaire, à défaut de compétence de l'État français en la matière, la prescription étant néanmoins encourue même en cas de nullité absolue, soumise à un délai de cinq ans courant à compter de la formation définitive du contrat de prêt,
- l'irrecevabilité, en tout état de cause, de la demande de nullité adverse, en raison de l'indivisibilité des stipulations de l'acte notarié, alors que le notaire et le vendeur ne sont pas en la cause,
- en tout état de cause, l'absence de clause imposant un paiement en francs suisses, qui ne sont que la monnaie de compte, M. X., qui payait les échéances en euros pour être ensuite et instantanément converties en CHF et permettre le remboursement du capital emprunté en CHF, disposant de la possibilité de demander la conversion du capital ou des échéances réglées en euros avec application des conditions de prêt en vigueur et applicables pour tout client à la date de la demande, sans pouvoir unilatéral de la banque,
- en tout état de cause également, l'impossibilité de prononcer la nullité d'une clause imposant un remboursement en devises étrangères en raison de la compétence exclusive de l'Union européenne, au titre de la politique monétaire, le principe de prohibition des clauses 'espèces étrangères' étant incompatible avec le droit de l'Union et doit être écartée en vertu de la primauté de ce droit,
- la contestation du préjudice adverse dans son principe, la concluante ne pouvant être privée d'une créance de restitution, comme dans son quantum, que M. X. n'est pas en mesure de chiffrer,
- la prescription de la demande de nullité pour démarchage illicite, sur laquelle le premier juge n'aurait pas statué, et dont l'appelant ne discuterait pas, et qui serait soumise à la prescription quinquennale s'appliquant à toutes les obligations, comme déjà jugé par la cour de céans,
- la contestation de la qualité d'IOB de MGA, qui ne ressort ni de l'attestation d'assurance très postérieure, ni de l'interprétation des dispositions applicables du CMF, en vertu desquelles les activités de MGA, désigné comme conseil financier excluant la qualification d'IOB, relèverait de l'apporteur d'affaires, et de la mise en relation excluant tout mandat de la concluante, avec laquelle n'a été signée qu'ultérieurement à la conclusion des prêts litigieux une convention de prescription de crédits,
- l'absence de recours habituel de la concluante à des intermédiaires et son opposition au démarchage, et l'absence de preuve suffisante, par l'appelant, d'un démarchage, la concluante n'ayant, en outre, été contactée qu'après la signature du compromis de vente, et en tout état de cause d'un démarchage illicite, notamment portant sur une opération de banque suffisamment caractérisée, les prêts litigieux n'étant, en outre, pas interdits au démarchage et pas susceptibles de nullité à ce titre, en l'absence de vice du consentement les affectant de surcroît,
- subsidiairement, la contestation des revendications financières adverses à ce titre, au regard de ce qui précède et de la bonne foi de la concluante, qui conteste toute privation de sa créance de restitution,
- l'absence de manquement de la concluante aux règles spécifiques du droit des marchés financiers,
- l'absence de caractère abusif des clauses du contrat de prêt, d'ailleurs non précisément désignées par M. X., et en particulier de la clause d'indexation et de la clause de monnaie de compte, constituant des obligations essentielles, et rédigées de façon claire et compréhensible, au regard, de surcroît, du caractère avisé de l'emprunteur, sans créer, en outre, de déséquilibre significatif, en l'absence de dissymétrie des aléas invoqués et de pouvoir exorbitant de la concluante, au regard des possibilités de conversion dont disposait M. X., dont les revendications financières sont, en tout état de cause, également contestées,
- l'absence de manquement de la banque à des obligations d'information et de mise en garde découlant de dispositions non encore en vigueur lors de la souscription des prêts, lesquels n'auraient, par ailleurs, aucun caractère spéculatif, à défaut également de manquement à l'obligation d'information précontractuelle, alors que M. X. était assisté d'un professionnel, et que cette obligation aurait été exécutée, l'attention de l'emprunteur ayant été appelée sur le caractère variable du taux, le risque de change et de surcoût financier, le prêteur n'étant pas, en outre, débiteur d'une obligation de mise en garde, au demeurant réalisée, en présence d'un emprunteur averti et en l'absence de disproportion des concours, intégralement remboursés par M. X.,
- l'absence d'obligation de conseil de la concluante qui n'a pas effectué le montage financier de l'opération réalisée par M. X. et MGA,
- l'absence de preuve d'un préjudice subi par M. X. du fait de ces manquements,
- la réfutation, en détail, des manquements allégués aux exigences de la loi Scrivener, et l'exclusion, le cas échéant, de toute annulation des stipulations d'intérêts en résultant, en vertu d'une action d'ailleurs prescrite, la sanction relevant d'une déchéance du droit aux intérêts qui peut être partielle, les circonstances de la cause, tout comme la conclusion de l'opération dans un unique but de défiscalisation, justifiant, en l'espèce, que toute déchéance du droit aux intérêts soit rejetée, ou qu'elle soit analysée sous l'angle de la perte de chance,
- la garantie due par MGA s'il était jugé que cette société a commis un démarchage illicite, sans que celle-ci ne démontre avoir subi ni l'atteinte à son image et à sa réputation auprès de ses clients, ni la perte de chance, ni encore moins « la perte de chiffre d'affaires sur la clientèle actuelle par cette mise en cause injustifiée » qu'elle allègue.
[*]
Vu les dernières conclusions en date du 1er novembre 2022, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la SARL MGA Finance demande à la cour de :
« Vu les articles L. 341-1 ; L. 431-3 ; L. 341-2 et R. 519-2 du Code monétaire et financier,
Vu les articles 1240 et 1353 du Nouveau Code civil,
Vu l'article 1304 ancien du Code civil dans sa version applicable aux faits,
Vu l'article L. 110-4 I du Code de commerce (version antérieure et postérieure à la réforme de 2008) ;
Vu les articles 2222 et 1382 du Code Civil ;
Vu l'article 700 du Code de procédure civile,
Vu les pièces versées au débat,
Sur l'appel principal de Monsieur X. et sur l'appel incident et l'appel en garantie et en intervention forcée de la SA BANQUE POPULAIRE :
A TITRE PRINCIPAL :
DECLARER IRRECEVABLES les demandes dirigées contre la société MGA FINANCE du fait de l'acquisition de la prescription
A TITRE SUBSIDIAIRE :
DEBOUTER la SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE et Monsieur X. de l'intégralité de leurs fins et conclusions ;
En conséquence :
CONFIRMER le Jugement du Tribunal Judiciaire de STRASBOURG du 15 avril 2021 en ce qu'il a :
- Rejeté toutes les demandes formulées par Monsieur X. ;
- Rejeté la demande d'appel en garantie formée par la Banque Populaire contre la société MGA FINANCE
- Condamné Monsieur X. aux dépens ;
Sur l'appel incident de la société MGA FINANCE :
INFIRMER le jugement du Tribunal Judiciaire de STRASBOURG du 15 avril 2021 en ce qu'il a rejeté les demandes formulées par MGA FINANCE contre la Banque Populaire
Et statuant à nouveau :
CONDAMNER, la BANQUE POPULAIRE D'ALSACE à payer la somme de 150.000 euros à la société MGA FINANCE au titre de dommages et intérêts correspondant à la fois à la mise en cause injustifiée de cette société dans cette affaire, à l'atteinte à son image et sa réputation auprès de ses clients et enfin à la perte de chance de nouer à l'avenir de nouvelles relations de clientèle au regard de la convention conclue avec la BANQUE POPULAIRE D'ALSACE et de la perte de chiffre d'affaires sur la clientèle actuelle par cette mise en cause injustifiée ;
En tout état de cause,
CONDAMNER Monsieur X. et la SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE
CHAMPAGNE aux entiers frais et dépens des deux instances ;
CONDAMNER Monsieur X. et la SA BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE
CHAMPAGNE à payer à SARL MGA FINANCE une indemnité de 10.000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile »
et ce, en invoquant, notamment :
- la prescription de l'action concernant le démarchage, ainsi que de celle relative à des manquements aux obligations d'information, de conseil et de mise en garde,
- à titre subsidiaire, l'absence de qualité d'intermédiaire en opérations de banque de la concluante, en sa qualité de conseil en investissement,
- l'absence de preuve d'un démarchage illicite commis, au préjudice de M. X., par la concluante, cliente de la Banque Populaire mais sans vocation à effectuer du démarchage financier en matière de crédit, auquel n'est pas nécessairement attaché le produit de défiscalisation,
- un préjudice subi par la concluante, du fait de son assignation en intervention forcée et en garantie, résultant d'une atteinte à son image et à sa réputation,
- l'absence de manquement de la concluante à l'obligation de conseil et de mise en garde, en particulier sur le risque de change, compte tenu de son intervention dans la recherche et la négociation en amont de la souscription du prêt.
[*]
Vu l'ordonnance de clôture en date du 9 novembre 2022,
Vu le renvoi de l'affaire lors de l'audience du 7 décembre 2022, puis de celle du 26 juin 2023,
Vu les débats à l'audience du 13 novembre 2023,
Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Au préalable, la cour rappelle que :
- aux termes de l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion,
- ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à « dire et juger » ou « constater », en ce que, hors les cas prévus par la loi, elles ne sont pas susceptibles d'emporter de conséquences juridiques, mais constituent en réalité des moyens ou arguments, de sorte que la cour n'y répondra qu'à la condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans son dispositif mais dans ses motifs, sauf à statuer sur les demandes des parties tendant à « dire et juger » lorsqu'elles constituent un élément substantiel et de fond susceptible de constituer une prétention (Civ. 2ème, 13 avril 2023, pourvoi n° 21-21.463).
Sur la demande principale de M. X. en nullité du contrat de prêt pour non-respect du cours légal de la monnaie :
Sur la prescription :
La cour observe que, si la Banque Populaire entend solliciter la confirmation du jugement entrepris, lequel a, pourtant, retenu que l'action de M. X. de ce chef était recevable comme n'étant pas prescrite, le jugement n'ayant certes, pas expressément déclaré l'action recevable dans son dispositif, mais statué au fond sur la demande, il n'en reste pas moins que la banque invoque, à hauteur de cour, à nouveau, l'irrecevabilité de la demande adverse, la recevabilité de cette demande comme le fait qu'elle saisisse la cour n'étant pas contestée.
Cela étant, M. X. demande à la cour de prononcer la nullité du contrat de prêt au motif que, libellé en francs suisses, il aurait ignoré la règle d'ordre public du cours légal de la monnaie.
Or, M. X., qui n'invoque pas l'existence d'un dol, ne pouvait ignorer l'existence des clauses prévoyant un remboursement en francs suisses, et ce, dès la lecture de l'offre de prêt qu'il a acceptée le 23 mai 2005, date qui constitue donc le point de départ du délai de prescription.
La prescription de son action, que ce délai soit, d'ailleurs trentenaire ou, comme le soutient la banque, décennal, étant déjà en cours lors de l'entrée en vigueur, le 19 juin 2008, de la loi du 17 juin 2008, instaurant le délai quinquennal, cette dernière était acquise 5 ans après l'entrée en vigueur de cette réforme, soit le 19 juin 2013.
Pour autant, s'il n'est pas contesté que le moyen invoqué, tiré de la nullité du prêt pour utilisation du franc suisse comme monnaie de paiement n'a été invoqué, en premier lieu, que par conclusions en date du 19 avril 2016, c'est à bon droit que le juge de première instance a retenu que l'assignation délivrée le 11 septembre 2012, dès lors qu'elle tendait, fût-ce en invoquant d'autres moyens de droit, en l'espèce le démarchage illicite, à la nullité du prêt, interrompait le délai de prescription (voir, notamment, Civ. 1ère, 7 juillet 2021, pourvoi n° 19-11.638, publié au Bulletin, Civ. 3ème, 26 mars 2014, pourvoi n° 12-24.203, 12-24.208, Bull. 2014, III, n° 42), ce dont il résulte que la demande de nullité du contrat tiré de la stipulation du franc suisse comme monnaie de paiement, développée dans le nouveau délai de prescription de cinq ans courant à compter de l'assignation, est recevable.
Sur l'irrecevabilité de la demande de nullité du prêt pour indivisibilité avec l'acte de vente :
La SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne ne formule, à ce titre, aucune demande dans le dispositif de ses conclusions, alors que, comme il a été rappelé, elle demande, par ailleurs, la confirmation du jugement entrepris, qui a statué au fond.
Cela étant, elle fait valoir, dans le corps de ses écritures, que le notaire a reçu, dans un acte unique, la vente des biens immobiliers et les prêts en devises accordés à M. X. pour le financement de l'opération, ces prêts en devise constituant donc une condition déterminante pour M. X. alors surtout qu'ils s'inscrivaient dans une nouvelle opération de défiscalisation, l'intégralité des stipulations de l'acte notarié étant, ainsi, indivisibles.
En tout état de cause, si l'acte de vente notarié mentionne un financement par l'emprunt, décrivant par le détail les caractéristiques des prêts, avec une promesse d'emploi au financement de l'acquisition, et l'octroi de garanties au prêteur, portant sur le bien financé, il n'en demeure pas moins que la remise en cause des actes de prêt serait sans emport sur les relations entre l'acquéreur et le vendeur du bien, qui a reçu paiement du prix et en a donné quittance à l'acquéreur, et partant, sans incidence sur la validité de l'acte de vente.
Sur la nullité :
Tout d'abord, la cour entend rappeler que dans les contrats internes, la clause obligeant le débiteur à payer en monnaie étrangère est nulle et de nullité absolue car portant atteinte au cours légal de la monnaie. À cet égard, si la banque entend contester le caractère absolu de cette nullité au regard des considérations de politique monétaire, « alors que les États européens, dont la France, ont perdu toute compétence en la matière », il convient de relever que, si la France a entendu souverainement déléguer la conduite de sa politique monétaire à la Banque centrale européenne, institution de l'Union européenne, il n'en demeure pas moins que seul l'euro a cours légal en France, et ce, en vertu tant des dispositions du droit de l'Union, la Commission européenne ayant, ainsi, adopté le 22 mars 2010 une recommandation sur l'étendue et les effets du cours légal des billets et des pièces en euros, que du droit interne, qui en assure la protection, afin d'assurer la confiance des usagers dans la monnaie et permettre ainsi le bon fonctionnement de l'économie (voir, notamment, Civ. 3ème, 18 octobre 2005, pourvoi n° 04-13.930, Bull. 2005, III, n° 196 ; Civ. 1ère, 14 novembre 2013, pourvoi n° 12-23.208 ; Civ. 1ère, 11 juillet 2018, pourvoi n° 17-19.873).
Il sera également rappelé qu'est en cause une offre portant sur l'octroi de deux prêts, tous deux libellés en francs suisses (CHF), l'un pour un montant de 170.800 CHF, remboursable sur 180 mois, l'autre pour un montant de 132.700 CHF, remboursable sur 204 mois, les deux au taux de 2,26 % au jour de l'acte, indexé sur le LIBOR 3 mois, les conditions particulières de l'offre stipulant, notamment, que :
- sous l'intitulé « conditions spécifiques des prêts multidevises », « L'emprunteur déclare avoir été informé des risques de changement de parité entre la devise empruntée et l'euro ainsi que des variations de taux pouvant intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt et, de ce fait, en assume toutes les conséquences.
L'emprunteur reconnaît avoir été informé par la banque du risque qu'il encourt d'un surcoût financier du prêt résultant d'une évolution défavorable du cours de change, en raison de l'absence (ou de la faiblesse) de ses revenus dans la devise du prêt.
Il décharge la banque de toute responsabilité particulièrement au titre de l'obligation de conseil pesant sur elle.
L'emprunteur déclare faire son affaire personnelle du suivi de l'évolution de la devise du prêt et des dispositions à prendre pour la sauvegarde de ses intérêts.
Toutes les opérations initiées sur le compte en devise, telles qu'inscription au compte, remise de fonds en espèces, opération de change, etc... seront effectuées selon les conditions usuelles (délais, commissions...) pratiquées par la banque pour chaque type d'opérations. L'emprunteur reconnaît être informé des conditions de fonctionnement d'un tel compte.
Il est précisé que les garanties conférées resteront valables jusqu'à complet désintéressement de la banque en capital, intérêts, frais, et accessoires et risque de change, même si par la suite des dispositions réglementaires ou si pour des raisons de convenance entre les parties la créance de la banque se trouvait temporairement ou définitivement convertie en euros, sans qu'il soit nécessaire de la reprendre autrement.
L'emprunteur se chargera de convertir, le cas échéant, en euros, les montants indiqués en devises.
Tout terme impayé à son échéance sera automatiquement converti en euros. »
- sous l'intitulé « conversion du prêt », « l'emprunteur a la possibilité à compter de la signature du contrat de prêt de changer la devise de référence, tel que précisé ci-dessus, moyennant préavis de cinq (5) jours ouvrés, adressé à la banque par Fax.
Le prêt en CHF pourra être converti dans la devise Euros.
Particularité : la conversion d'un prêt en euros dans la devise CHF entraînera l'ouverture d'un compte dans la devise CHF, et les échéances seront prélevées sur ce nouveau compte qui devra, au préalable, être dûment provisionné. Un nouveau tableau d'amortissement sera établi après transformation du prêt en CHF.
Le changement de devise et du taux de référence adossé à la devise s'app1iqueront à la date de prochaine échéance.
La banque et l'emprunteur se réserveront la possibilité à 1'expiration d'une période annuelle moyennant préavis de huit jours signifié à l'autre partie, et à condition de respecter les dispositions réglementaires en vigueur, de convertir ce prêt en devises pour la totalité du solde dû en capital en EURO.
L'hypothèse de cette conversion par la banque pourrait se poser par voie d'autorité de la direction du trésor ou suite à des contraintes réglementaires.
Dans ce cas, la banque sera obligée de porter le montant de cette contre-valeur en euro au débit d'un compte spécial qu'elle ouvrira au nom de l'emprunteur, pour éviter l'effet novatoire du compte courant et préserver ainsi la validité des garanties attachées à la présente opération.
Dans tous les cas, le changement de devise n'entraînera pas novation,
La banque pourra également si bon lui semble, ouvrir un tel compte spécial au nom de l'emprunteur, pour y comptabiliser toutes sommes en euros, représentant la contre-valeur totale ou partielle d'une ou plusieurs échéances en capital ou intérêts du prêt en devises ainsi que tous frais et accessoires qui n'auraient pas été couvertes et remboursées selon les stipulations des présentes.
Par ailleurs, dans l'hypothèse de l'adhésion de la SUISSE à l'euros [sic], les conditions du présent contrat seront maintenues avec les adaptations suivantes :
Indexation : dès conversion, il sera fait application du taux retenu par les autorités de marché en substitution du LIBOR CHF indiqué au contrat avec maintien de la majoration fixe.
Conversion : le prêt sera converti en EURO au taux de conversion légal retenu par les autorités. »
Ainsi, les prêts sont bien libellés en CHF, ce qui n'est pas, en soi, illicite ou contraire à l'ordre public, dès lors que les parties peuvent avoir recours à la devise en tant qu'instrument de compte.
Pour autant, le mécanisme du prêt ne ressort pas des stipulations de l'offre elle-même, qui se borne à envisager, dans le seul cas de la conversion d'un prêt en euros en CHF, l'ouverture d'un compte dans cette devise, avec prélèvement des échéances sur ce nouveau compte qui devra, au préalable, être dûment provisionné.
Il s'évince toutefois des éléments versés aux débats, par l'emprunteur comme par la banque, que ce mécanisme fait apparaître un prélèvement en euros, sur le compte chèque ouvert dans cette devise par l'emprunteur, à hauteur de la contre-valeur en euros des échéances libellées en CHF des deux prêts, selon le taux de change applicable lors du prélèvement, puis une conversion en CHF, opérée sur un compte ouvert en devises assurant le règlement d'échéances elles-mêmes libellées en francs suisses. Les éventuels impayés sont, par ailleurs, « convertis en euros ».
Si le fonctionnement de l'opération apparaît donc de nature à permettre, fût-ce par le biais de la conversion de sommes prélevées initialement sur un compte en euros, le règlement effectif en francs suisses d'échéances libellées dans cette devise, il n'en résulte, pour autant, aucune obligation pour l'emprunteur de régler les échéances du prêt dans une devise autre que l'euro, dès lors que celui-ci dispose de la faculté de modifier unilatéralement la devise de référence et de convertir, ainsi, le prêt en euros, dans les conditions qui ont été rappelées ci-avant.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. X. de sa demande de nullité à ce titre.
Sur la demande subsidiaire de M. X. en nullité du contrat de prêt pour démarchage illicite :
M. X. invoque le bénéfice de l'article L. 341-1 du code monétaire et financier (CMF), lequel dispose, dans sa rédaction applicable à la cause, que constitue un acte de démarchage bancaire ou financier toute prise de contact non sollicitée, par quelque moyen que ce soit, avec une personne physique ou une personne morale déterminée, en vue d'obtenir, de sa part, un accord sur (.) 2° La réalisation par une des personnes mentionnées au 1° de l'article L. 341-3 d'une opération de banque ou d'une opération connexe définie aux articles L. 311-1 et L. 311-2, et que constitue également un acte de démarchage bancaire ou financier, quelle que soit la personne à l'initiative de la démarche, le fait de se rendre physiquement au domicile des personnes, sur leur lieu de travail ou dans les lieux non destinés à la commercialisation de produits, instruments et services financiers, en vue des mêmes fins.
Ces dispositions étant édictées dans l'intérêt des personnes démarchées, que ce soit dans le contexte d'une prise de contact non sollicitée ou à leur domicile. Ce texte a vocation à protéger le consommateur. Son non-respect est sanctionné par une nullité relative, laquelle est régie par la prescription quinquennale, régie, en l'état du droit applicable, par l'article 1304 du code civil, sans modification sur ce point par la réforme de 2008, et dont le délai court, en l'espèce, à compter de la signature de l'acte litigieux, soit au mois de mai 2005.
L'action de M. X. ayant été introduite par assignation délivrée le 11 septembre 2012, soit au-delà de l'expiration du délai de prescription, elle sera donc déclarée irrecevable comme prescrite, en infirmation du jugement entrepris.
En conséquence, la demande d'appel en garantie formée par la Banque Populaire est dépourvue d'objet et sera donc rejetée, comme l'a jugé la juridiction de première instance dont la décision sera confirmée sur ce point.
Sur le caractère abusif de la clause d'indexation :
M. X. entend voir juger que la clause des prêts stipulant une indexation de la dette du débiteur selon le cours de change euro/ franc suisse est abusive, et qu'elle lui serait, en conséquence, inopposable.
Sur la prescription :
La banque entend opposer à M. X. une fin de non-recevoir tirée de la prescription de sa demande, invoquée pour la première fois dans des conclusions du 19 avril 2016, au motif qu'elle serait soumise au délai de prescription quinquennal de l'article 2224 du code civil et de l'article L. 110-4 du code de commerce.
Pour autant, l'article 7 § 1 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, prévoit que les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.
Par arrêts du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19 et C-609/19), la CJUE a dit pour droit que l'article 6 § 1 et l'article 7 § 1 de la directive 93/13 précitée, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription.
Dès lors, la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation n'est pas soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil.
En conséquence l'action en constatation du caractère abusif de la clause d'indexation de l'offre de prêt acceptée le 24 mai 2005, doit être déclarée recevable.
Quant à la demande de M. X., tendant au remboursement des sommes versées au-delà du capital d'origine et des intérêts conventionnels, qui constitue donc une action restitutoire, la CJUE a dit pour droit, dans les arrêts précités du 10 juin 2021, que l'article 6 § 1, et l'article 7 § 1, précités, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l'acceptation de l'offre de prêt, de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l'ensemble de ses droits découlant de cette directive. Elle a relevé que les modalités de mise en œuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive 93/13 ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d'équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivité).
S'agissant de l'opposition d'un délai de prescription à une demande introduite par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de clauses abusives au sens de la directive 93/13 précitée, elle a rappelé avoir dit pour droit que l'article 6 § 1 et l'article 7 § 1 de cette directive ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui, tout en prévoyant le caractère imprescriptible de l'action tendant à constater la nullité d'une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, soumet à un délai de prescription l'action visant à faire valoir les effets restitutifs de cette constatation, sous réserve du respect des principes d'équivalence et d'effectivité (CJUE, 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C-698/18 et C-699/18 ; CJUE, 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C-224/19 et C-259/19). Ainsi, l'opposition d'un tel délai n'est pas en soi contraire au principe d'effectivité, pour autant que son application ne rende pas en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par cette directive. En conséquence, un délai de prescription est compatible avec le principe d'effectivité uniquement si le consommateur a eu la possibilité de connaître ses droits avant que ce délai ne commence à courir ou ne s'écoule.
Par arrêt du 9 juillet 2020 (C-698/18 et C-699/18), la CJUE a dit pour droit que l'article 2, sous b), l'article 6 § 1, et l'article 7 § 1 de la directive 93/13/CEE précitée, ainsi que les principes d'équivalence, d'effectivité et de sécurité juridique doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une interprétation juridictionnelle de la réglementation nationale selon laquelle l'action judiciaire en restitution des montants indûment payés sur le fondement d'une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est soumise à un délai de prescription de trois ans qui court à compter de la date de l'exécution intégrale de ce contrat, lorsqu'il est présumé, sans besoin de vérification, que, à cette date, le consommateur devait avoir connaissance du caractère abusif de la clause en cause ou lorsque, pour des actions similaires, fondées sur certaines dispositions du droit interne, ce même délai ne commence à courir qu'à partir de la constatation judiciaire de la cause de ces actions.
S'agissant du respect du principe d'équivalence, il sera rappelé qu'en droit interne, le délai de prescription des actions en restitution, consécutives à l'annulation d'un contrat ou d'un testament, ne court qu'à compter de cette annulation, que cette annulation résulte de l'accord des parties ou d'une décision de justice (Cour de cassation, Civ. 1ère, 1er juillet 2015, pourvoi n° 14-20.369 ; Civ. 1ère, 28 octobre 2015, pourvoi n° 14-17.893 ; Civ. 3ème, 14 juin 2018, pourvoi n° 17-13.422 ; Civ, 1ère, 13 juillet 2022, pourvoi n° 20-20.738).
S'agissant du principe d'effectivité, il serait contradictoire de déclarer imprescriptible l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause et de soumettre la principale conséquence de cette reconnaissance à un régime de prescription la privant d'effet.
Il s'en déduit que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil, de l'action fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées, doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses (Cour de cassation, 1ère Civ. 12 juillet 2023, pourvoi n° 22-17.030).
En conséquence, la demande de M. X. en restitution de sommes indûment payées à la Banque Populaire, en exécution des clauses dont il soutient qu'elles sont abusives, n'est pas davantage prescrite.
Sur le caractère abusif des clauses litigieuses :
Aux termes de l'article L. 132-1, précité, du code de la consommation, dans sa version applicable au litige, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, doivent être déclarées abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Les clauses abusives sont réputées non écrites. Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses.
La Cour de justice de l'Union européenne a jugé que les clauses de monnaie de paiement et de monnaie de compte, qui permettent le remboursement en francs suisses voire en monnaie nationale, relèvent de l'objet principal du contrat dans la mesure où elles définissent cet objet principal dès lors qu'elles décrivent et déclinent l'obligation principale de l'emprunteur.
Il en résulte que de telles clauses ne peuvent être regardées comme abusives si elles sont rédigées de façon claire et précise. Tel sera le cas si elles sont non seulement intelligibles pour le consommateur sur un plan grammatical, mais également si le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause concernée.
A cet égard, la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C782-19), a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause, et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.
La CJUE a rappelé que, le consommateur se trouvant dans une situation d'infériorité à l'égard du professionnel en ce qui concerne son niveau d'information, cette exigence de transparence doit être entendue de manière extensive.
Ainsi, cette exigence de transparence nécessite une information concrète, suffisante et exacte qui met le consommateur en mesure de comprendre le risque encouru et ses conséquences potentielles en cas de réalisation de ce risque, exemples chiffrés et significatifs à l'appui (Cassation, Civ. 1ère, 20 avril 2022, pourvoi n° 20-16.316).
Selon la Cour de justice de l'Union européenne, les clauses d'un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu'il soit plafonné, sur l'emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d'une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.
Il ressort de ces développements que les jurisprudences nationales et de la CJUE, sont claires quant à l'interprétation à donner, notamment de l'article 4.2 de la directive 93/13/CE s'agissant des clauses faisant peser le risque de change sur l'emprunteur qui définissent l'objet principal du contrat, en ce qu'elles sont abusives du seul fait qu'elles ne sont pas rédigées de façon claire et compréhensible sans qu'il ne soit nécessaire de rechercher si elles créent au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
Ainsi, cette exigence de transparence nécessite une information concrète, suffisante et exacte qui met le consommateur en mesure de comprendre le risque encouru et ses conséquences potentielles en cas de réalisation de ce risque, exemples chiffrés et significatifs à l'appui (Cass. Civ. 1ère, 20 avril 2022, pourvoi n° 20-16.316).
En l'espèce, les clauses, dont les termes ont été rappelés ci-dessus, en dépit d'une énonciation compréhensible sur le plan formel et grammatical des conditions et modalités d'exécution du prêt (en ce qu'il s'agissait d'un prêt libellé en francs suisses, exposant l'emprunteur à un risque de surcoût lié au change, dont il faisait son affaire de suivre l'évolution, tout en reconnaissant être informé du fonctionnement du compte en devise, et en étant avisé, de manière circonstanciée, des modalités dans lesquelles il pouvait choisir de convertir le prêt litigieux en euros), bien qu'elles mentionnent expressément l'existence d'un risque de change auquel s'expose l'emprunteur en cas d'évolution défavorable de la parité entre les devises, ne lui permettent cependant pas, de disposer d'informations suffisamment précises pour appréhender de manière concrète le fonctionnement du mécanisme en cause et ses conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, sur ses obligations pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation de l'euro, monnaie dans laquelle il percevait ses revenus et la monnaie dans laquelle était libellé le prêt. En outre, le fonctionnement même du mécanisme, en dehors de la reconnaissance, par l'emprunteur, qui a été informé du fonctionnement du compte en devise, n'est pas clairement expliqué.
Il importe peu, à cet égard, que M. X. ait lui-même sollicité des prêts en francs suisses, l'étude de MGA faisant, au demeurant, état de financements libellés en euros, la fiche de financement établi par le même organisme ne mentionnant pas la devise en cause, sous réserve de la mention du taux 'CHF 3 mois'. De même, le fait qu'il ait souscrit d'autres prêts en devise ne le mettait pas nécessairement en mesure d'en mesurer les implications tant que les taux de change variaient peu.
Il est également sans emport que M. X. ait pu bénéficier d'une conversion de son prêt en euros, dès lors qu'il devait être à même de comprendre, avant la survenance de tout préjudice éventuel lié à la variation du taux de change, les enjeux liés à la variation des taux et à l'intérêt d'une conversion, d'autant que l'un des deux prêts comportait une échéance finale en capital, et que les clauses contractuelles n'attirent pas l'attention du consommateur sur le fait que le risque de change est renforcé par le mécanisme même du prêt « in fine » qui reporte à une échéance lointaine, en l'espèce 15 ans après la signature de la convention de prêt, le règlement de l'intégralité du capital emprunté.
En conséquence de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de déclarer abusives les clauses reproduites ci-dessus, stipulant une indexation de la dette du débiteur selon le cours de change euro/franc suisse, s'agissant plus particulièrement de la clause intitulée « conditions spécifiques des prêts multidevises », laquelle est indivisible, par son objet, de la clause intitulée « conversion du prêt », ainsi que de la clause prévoyant le libellé des prêts litigieux en CHF.
Les clauses litigieuses, reconnues abusives ci-dessus, doivent donc être réputées non écrites et l'emprunteur doit se retrouver dans la situation qui aurait été la sienne si elles n'avaient jamais existé. À cet égard, si M. X. entend invoquer l'inopposabilité des clauses, et ce, explique-t-il, pour ne pas mettre en cause, à ce titre, la validité du contrat dans son ensemble, il évoque bien la sanction du réputé non écrit, et sa demande, visant à voir condamner la Banque Populaire à rembourser l'intégralité des sommes versées par M. X. au-delà du capital d'origine emprunté, en l'occurrence de sa contre-valeur en euros, et des intérêts conventionnels tend bien à le replacer dans la situation qui aurait été la sienne si ces clauses n'avaient pas existé.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il avait rejeté cette demande.
La banque sera, en conséquence, condamnée à rembourser l'intégralité des sommes versées par M. X. au-delà du capital d'origine emprunté et des intérêts conventionnels.
S'agissant de la demande de faire injonction à la banque de produire l'historique des versements effectués par M. X., distinguant le capital remboursé et les intérêts depuis l'origine du prêt, cette demande relève de l'exécution de la présente décision, et il n'y a donc pas lieu d'y faire droit.
Il n'y a pas lieu, dans ces conditions, d'examiner les demandes formées à titre subsidiaire par M. X. à l'encontre de la banque comme de la société MGA Finance au titre du devoir de conseil et de mise en garde, l'appelant n'ayant, au demeurant, plus de préjudice au titre de la perte de change eu égard aux conclusions auxquelles la cour est parvenue.
Sur les demandes de la société MGA Finance contre la banque :
La cour n'aperçoit pas de raison de s'écarter des conclusions auxquelles est parvenu le premier juge sur ce point, et approuve, par conséquent les motifs pertinents par lesquels il a justifié qu'il ne soit pas fait droit à la demande indemnitaire formée par la société MGA Finance à l'encontre de la Banque Populaire, dont elle ne démontre pas, de manière suffisante, qu'elle aurait agi à son encontre de manière abusive ou dilatoire, peu important qu'il ne soit pas fait droit aux demandes de cette dernière, et ce alors que M. X. entendait également mettre en cause le comportement de la société MGA Finance.
Il y a donc lieu à confirmation du jugement entrepris sur cette question.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
La Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne, succombant pour l'essentiel, sera tenue des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, outre de ceux de la première instance, en infirmation du jugement déféré sur cette question.
L'équité commande en outre de mettre à la charge de la Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 4.000 euros au profit de M. X., tout en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la banque, comme de la société MGA Finance, et en infirmant les dispositions du jugement déféré de ce chef.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Déclare M. X. recevable en sa demande de nullité de l'offre de prêt signée en date du 24 mai 2005, pour non-respect du cours légal,
Infirme le jugement rendu le 15 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Strasbourg, en ce qu'il a :
- rejeté toutes les demandes formées par M. X.,
- condamné M. X. à payer à la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté les autres demandes, en ce qu'elles portent sur l'article 700 du code de procédure civile,
Confirme le jugement entrepris pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs de demande infirmés et y ajoutant,
Déclare abusives et non écrites les clauses contenues dans l'offre de prêt acceptée le 24 mai 2005 et reprise dans l'acte notarié de prêt du 10 juin 2005, et stipulant une indexation de la dette du débiteur selon le cours de change euro/franc suisse, à savoir la clause intitulée 'conditions spécifiques des prêts multidevises', la clause intitulée 'conversion du prêt', ainsi que de la clause prévoyant le libellé des prêts litigieux en CHF,
Les déclare, par voie de conséquence, inopposables à M. X.,
Condamne, en conséquence, la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne à rembourser l'intégralité des sommes versées par M. X., au-delà du capital d'origine emprunté et des intérêts conventionnels,
Déboute M. X. de sa demande d'injonction de produire l'historique des versements effectués par lui, distinguant le capital remboursé et les intérêts depuis l'origine du prêt,
Condamne la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne aux dépens de première instance et d'appel,
Condamne la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne à payer à M. X. la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice tant de la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne que de la SARL MGA Finance.
La Greffière : Le Conseiller :