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CA GRENOBLE (2e ch. civ.), 6 février 2024

Nature : Décision
Titre : CA GRENOBLE (2e ch. civ.), 6 février 2024
Pays : France
Juridiction : Grenoble (CA), 2e ch. civ.
Demande : 22/01638
Date : 6/02/2024
Nature de la décision : Infirmation
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 21/04/2022
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CERCLAB - DOCUMENT N° 10747

CA GRENOBLE (2e ch. civ.), 6 février 2024 : RG n° 22/01638

Publication : Judilibre

 

Extrait : « Selon l'article L. 212-1 du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

En l'espèce, il est constant que l'établissement du projet d'implantation a été effectué sur la base de mesures prises par les acquéreurs eux-mêmes alors que ces derniers ne sont pas des professionnels et ne sont pas en mesure de vérifier que les cotes relevées sont fiables. La société Fab concept ne s'est pas rendue sur les lieux avant la signature des contrats et n'a pas appelé l'attention de ses clients sur le fait que la réunion de deux appartements impliquait notamment l'accord des autres copropriétaires, et donc un passage en assemblée générale. Elle n'a pas non plus vérifié que les travaux projetés pouvaient complètement s'intégrer dans le nouvel appartement ainsi construit.

A cet égard, la clause figurant à l'article 2 des bons de commande, selon laquelle « le client déclare avoir informé la société des éléments spécifiques de la pièce devant recevoir l'installation (cotes, arrivées des fluides, ouvertures, etc.) et [...] le projet et le bon de commande ont été réalisés sur sa demande et ses indications » doit être considérée comme une clause abusive, en ce qu'elle fait peser sur le client une obligation qui est imputable au professionnel.

La société Fab concept allègue qu'un technicien est venu au domicile des appelants, mais cette visite a eu lieu postérieurement à l'établissement du devis.

En l'absence d'éléments essentiels, et notamment en l'absence de métré, la signature des devis ne saurait être considérée comme un engagement ferme et il convient de prononcer la nullité des deux contrats litigieux. »

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 6 FÉVRIER 2024

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 22/01638. N° Portalis DBVM-V-B7G-LKY5. Appel d'un jugement (R.G. n° 21/02080) rendu par le tribunal judiciaire de [Localité 2] en date du 7 février 2022, suivant déclaration d'appel du 21 avril 2022.

 

APPELANTS :

Mme X.

née le [date] à [Localité 2], [Adresse 1], [Localité 2]

M. Y.

né le [date] à [Localité 2], [Adresse 1], [Localité 2]

représentés par Maître Régine Payet, avocat au barreau de [Localité 2]

 

INTIMÉE :

SARL Fab concept

prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège [Adresse 4], [Localité 3], représentée par Maître Thomas Bonzy de la SELARL Gumuschian Roguet Bonzy, avocat au barreau de [Localité 2]

 

COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ : Mme Emmanuèle Cardona, présidente, Mme Anne-Laure Pliskine, conseillère, Mme Ludivine Chetail, conseillère,

DÉBATS : A l'audience publique du 5 décembre 2023, Mme Anne-Laure Pliskine, conseillère, qui a fait son rapport, assistée de Mme Claire Chevallet, greffière, a entendu seule les avocats en leurs conclusions, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile. Il en a été rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DU LITIGE :

Monsieur Y. et Madame X. sont propriétaires de deux appartements distincts situés sur le même palier de l'immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 2].

Dans le cadre de leur visite sur la foire de [Localité 2], ils ont pris attache avec la société Fab concept.

Deux bons de commandes ont été établis le 7 novembre 2019 :

- l'un, établi sur un document intitulé « projet personnalisé salle de bains » pour l'installation de deux salles de bains, l'aménagement d'une chambre de rangement, l'aménagement de deux dressings, les travaux d'électricité, la fourniture et la pose de carrelage et parquet, pour un montant de 30.000 euros TTC ;

- l'autre, établi sur un document intitulé « projet personnalisé cuisine » pour la construction et fourniture d'une cloison, la fourniture et pose de 7 radiateurs électriques, la fourniture et pose d'une verrière, la fourniture et pose de 6 portes palières et une jardinière de séparation, une bibliothèque ouverte, doublage phonique de la chambre, la pose de carrelage, pour un montant de 60.000 euros TTC.

Une somme de 40.000 euros était versée le jour même par Madame X. à titre d'acompte pour les deux commandes.

Souhaitant finalement annuler cette commande et en litige avec la société, par acte d'huissier en date du 22 avril 2021, Mme X. et M. Y. ont fait assigner la société Fab concept devant le tribunal judiciaire de [Localité 2] aux fins de :

- Constater que le contrat était signé dans le cadre de pratiques commerciales agressives,

- Constater la nullité des contrats,

- Constater que la société Fab concept a résilié les contrats signés

- Condamner la société Fab concept à restituer l'acompte de 40.000 euros outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 6 mars 2020

- Condamner la société Fab concept à leur verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement réputé contradictoire du 7 février 2022, le tribunal judiciaire de [Localité 2] a :

- dit n'y avoir lieu de constater la nullité des contrats

- débouté Monsieur Y. et Madame X. de l'intégralité de leurs demandes visant à être remboursés de la somme de 40.000 euros versée à titre d'acompte aux contrats passés auprès de la SARL Fab concept le 07 novembre 2019,

- condamné Monsieur Y. et Madame X. au paiement des entiers dépens.

Par déclaration en date du 21 avril 2022, Mme X. et M. Y. ont interjeté appel du jugement.

[*]

Dans leurs conclusions notifiées le 14 septembre 2023, Mme X. et M.Y. demandent à la cour de :

Vu les articles du code de la consommation :

- L. 111-1, L. 111-2 sur l'obligation d'information

- L. 121-6, L. 121-7 et L. 132-10 sur la pratique commerciale agressive et la sanction applicable

- L. 212-1 et R. 212-1 sur les clauses abusives

Vu les articles du code civil :

- 1103 et 1104 sur le contrat

- 1128 sur la validité du contrat

- 1163 sur l'obligation déterminée

Vu les articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile

Vu les jurisprudences citées,

Vu les pièces produites aux débats,

- juger recevable et bien fondé leur appel à l'encontre du jugement rendu par le tribunal judiciaire de [Localité 2] le 7 février 2022,

- réformer le jugement du tribunal judiciaire de [Localité 2], en ce qu'il a :

- dit n'y avoir lieu de constater la nullité des contrats

- débouté Monsieur Y. et Madame X. de l'intégralité de leurs demandes visant à être remboursés de la somme de 40.000 euros versée à titre d'acompte aux contrats passés auprès de la SARL Fab concept le 7 novembre 2019,

- condamné Monsieur Y. et Madame X. au paiement des entiers dépens

Statuant de nouveau

- juger recevable leur demande de voir prononcer la nullité des bons de commandes n°002138 et 002193 datés du 7 novembre 2019,

- prononcer la nullité des bons de commandes n°002138 et 002193 datés du 07 novembre 2019, à titre principal, pour pratiques commerciales agressives, et à titre subsidiaire, pour absence d'engagement ferme et définitif, et ou pour absence de consentement de Monsieur Y.

- condamner la société Fab concept à leur restituer la somme de 40.000 euros versée le 7 novembre 2019 avec intérêts au taux légal à compter à dater de son encaissement, soit du 21 novembre 2017, et subsidiairement à compter de la mise en demeure du 20 mars 2020

- la condamner également au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, d'un montant de 4.000 euros

- la condamner enfin aux entiers dépens d'instance et d'appel.

En tout état de cause

- débouter la société Fab concept de l'ensemble de ses demandes, notamment d'article 700 et condamnation aux dépens.

Au soutien de leurs demandes, Mme X. et M. Y. énoncent que les demandes tendant à voir prononcer l'annulation des bons de commande tendent aux mêmes fins que celles présentées en première instance en ce qu'elles visent à obtenir le remboursement de la somme de 40.000 euros versée à la société Fab concept, qu'elles sont donc recevables, au regard de l'article 565 du code de procédure civile.

Ils font état de pratiques commerciales agressives.

Ils affirment que malgré le caractère illisible du document présenté - compte tenu de la masse d'informations figurant sur le document présenté comme étant un devis-, le refus systématique des vendeurs de répondre à leur demande de précision, l'absence d'information sur les produits proposés, et l'impossibilité pour eux de se retirer un instant pour réfléchir, Madame X. n'a pas eu d'autre choix, pour en terminer et quitter le stand, de signer les contrats proposés.

Ils déclarent que Monsieur Z. leur a été présenté comme étant architecte, disponible pour concrétiser leur projet, que c'est lui qui a réalisé les plans et schémas sur le stand sur la base des « quelques cotes de leur appartement » qu'ils avaient fournies et que c'est sa présence qui a les a convaincus d'accepter de discuter de leur projet avec la société Fab concept.

Ils indiquent prouver la matérialité du versement de l'acompte.

Ils déclarent que la société Fab concept n'a pas respecté son obligation de conseil, en contradiction avec les dispositions du code de la consommation, qu'en l'espèce, l'obligation de vérification sur place s'imposait d'autant plus qu'il s'agissait de réunir deux appartements en un, avec la pose d'une seule cuisine, impliquant également une redistribution complète des cloisonnements et des pièces, avec le percement du mur séparatif et la condamnation de l'une des deux entrées.

[*]

Dans ses conclusions notifiées le 27 avril 2023, la société Fab concept demande à la cour de :

Vu l'article 564 du code de procédure civile

Vu les articles 1128 et 1163 du code civil

- juger recevable mais non fondé l'appel relevé par Monsieur Y. et Madame X. à l'encontre du jugement rendu par le tribunal judiciaire de [Localité 2] le 7 février 2022.

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de [Localité 2] le 7 février 2022.

- juger irrecevables, car présentées pour la première fois en cause d'appel, les demandes visant à voir prononcer la nullité des bons de commande.

En conséquence :

- débouter Monsieur Y. et Madame X. de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

A titre subsidiaire, si la Cour devait estimer recevables les demandes visant à voir prononcer l'annulation des bons de commande

- débouter Monsieur Y. et Madame X. de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

- condamner Monsieur Y. et Madame X. à payer à la SARL Fab concept une somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, de première instance et d'appel.

La société Fab concept souligne que dans leur assignation, Monsieur Y. et Madame X. ont seulement sollicité le constat de la nullité du contrat, ce à quoi il leur a été répondu que les demandes de « constater » ne constituaient pas une prétention au sens du code de procédure civile, et qu'il s'en suivait que le tribunal n'était pas saisi de la demande tendant à voir constater la nullité, ne pouvant statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif, qu'en conséquence, la demande visant à voir prononcer la nullité des contrats constitue une demande nouvelle en appel, au sens de l'article 564 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire, elle conteste toute pratique commerciale agressive, déclarant que les appelants ne se sont pas rendus à la foire pour une simple visite, et n'ont pas été accostés et sollicités par les vendeurs de la sociétés Fab concept, qu’ils avaient déjà leur projet, et qu'il n'y avait aucun architecte d'intérieur présent sur le stand.

Elle allègue qu'ils n'ont rien signé le 2 novembre 2019, et ont sollicité un devis, après être retournés chez eux et avoir adressé les plans qu'ils sont ensuite revenus sur le stand, le 7 novembre, et ce n'est que ce jour-là qu'ils ont signé le bon de commande, après avoir négocié fortement les prix.

Elle souligne qu'aux termes des dispositions contractuelles, l'acompte reste acquis à la société Fab concept en cas de résiliation du contrat par les acquéreurs.

Elle précise qu'en tout état de cause, elle a reçu, avant la commande, non seulement les mesures effectuées par Monsieur Y., mais également les plans d'architecte, et il s'agissait bien de l'architecte des appelants, et non d'un architecte de la société Fab concept, et que lorsque le technicien de la société est venu sur les lieux, il a confirmé la faisabilité du projet en vérifiant les côtes.

[*]

La clôture a été prononcée le 4 octobre 2023.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

Sur la recevabilité des demandes :

Selon l'article 565 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

En l'espèce, M. Y. et Mme X. ont demandé en première instance la condamnation de la société Fab concept à leur restituer la somme de 40.000 euros.

En cause d'appel, ils demandent à la cour de prononcer la nullité des bons de commande, aux fins de récupérer cette même somme de 40.000 euros.

Il ne s'agit donc pas d'une demande nouvelle, elle est recevable.

 

Sur la nullité des bons de commande :

Les consorts X. et Y. font état de pratiques commerciales agressives, en se fondant sur les articles L. 121-6 et L. 121-7 du code de la consommation, au motif qu'ils ont été accostés par la société FGab concept lors de leur visite à la foire de [Localité 2], et que Mme X., compte tenu de la pression exercée sur elle, n'a pas eu d'autre choix que de signer les contrats proposés.

Toutefois, ces affirmations sont démenties par les propres documents communiqués par les appelants, et notamment la pièce n°16 sur laquelle figure la mention manuscrite suivante : « demande de mesures entre le 2 et le 7 novembre 2019 par archi Fab concept ». Cette mention tend en revanche à corroborer la version donnée par la société Fab concept qui indique que les appelants sont venus une première fois sur le stand le 2 novembre et qu'ils sont revenus le 7 novembre 2019, après avoir adressé le plan, sachant que les deux bons de commande litigieux ont bien été signés le 7 et non le 2.

Les appelants se fondent ensuite sur les articles 1103 et 1104 du code civil et indiquent que la réglementation impose au professionnel, avant toute signature de contrat définitif, de vérifier sur place si le projet envisagé est faisable compte tenu de la configuration des lieux.

Selon l'article L. 212-1 du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

En l'espèce, il est constant que l'établissement du projet d'implantation a été effectué sur la base de mesures prises par les acquéreurs eux-mêmes alors que ces derniers ne sont pas des professionnels et ne sont pas en mesure de vérifier que les cotes relevées sont fiables.

La société Fab concept ne s'est pas rendue sur les lieux avant la signature des contrats et n'a pas appelé l'attention de ses clients sur le fait que la réunion de deux appartements impliquait notamment l'accord des autres copropriétaires, et donc un passage en assemblée générale. Elle n'a pas non plus vérifié que les travaux projetés pouvaient complètement s'intégrer dans le nouvel appartement ainsi construit.

A cet égard, la clause figurant à l'article 2 des bons de commande, selon laquelle « le client déclare avoir informé la société des éléments spécifiques de la pièce devant recevoir l'installation (cotes, arrivées des fluides, ouvertures, etc.) et [...] le projet et le bon de commande ont été réalisés sur sa demande et ses indications » doit être considérée comme une clause abusive, en ce qu'elle fait peser sur le client une obligation qui est imputable au professionnel.

La société Fab concept allègue qu'un technicien est venu au domicile des appelants, mais cette visite a eu lieu postérieurement à l'établissement du devis.

En l'absence d'éléments essentiels, et notamment en l'absence de métré, la signature des devis ne saurait être considérée comme un engagement ferme et il convient de prononcer la nullité des deux contrats litigieux.

En conséquence, la société Fab concept sera condamnée à restituer la somme de 40.000 euros à Mme X., à compter de la mise en demeure du 20 mars 2020.

La société Fab concept qui succombe à l'instance sera condamnée aux dépens.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi :

Déclare recevable la demande tendant à voir prononcer la nullité des bons de commande ;

Infirme le jugement déféré et statuant de nouveau ;

Prononce la nullité des bons de commande n° 002138 et 002193 datés du 07 novembre 2019 ;

Condamne la société Fab concept à payer à Mme X. la somme de 40.000 euros versée à titre d'acompte à compter de la mise en demeure du 20 mars 2020 ;

Condamne la société Fab concept à payer à Mme X. et M. Y. la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Fab concept aux dépens.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, présidente de la deuxième chambre civile et par Mme Caroline Bertolo, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIERE                    LA PRÉSIDENTE