CA CAEN (2e ch. civ. com.), 14 mars 2024
CERCLAB - DOCUMENT N° 10776
CA CAEN (2e ch. civ. com.), 14 mars 2024 : RG n° 22/00756
Publication : Judilibre
Extrait : « Le premier juge a justement qualifié le bail litigieux de bail mixte, dès lors que le local commercial comprend également une partie à usage d'habitation, celle-ci étant soumise aux règles des baux d'habitation, le bailleur devant assurer au locataire un logement décent.
Il ressort des productions, notamment du bail du 20 décembre 2005, de son avenant du 29 novembre 2017, de l'état des lieux d'entrée du 20 novembre 2017, des procès-verbaux de constat d'huissier de justice des 14 novembre 2019 et 22 mars 2022, du diagnostic-constat décence établi par la CAF le 27 avril 2021, que les lieux loués étaient en bon état lors de l'entrée de Mme X. dans les lieux, que les désordres constatés ultérieurement dans la partie commerciale des lieux loués, concernant notamment l'état de la porte d'entrée, la non-conformité aux normes de l'installation électrique, relèvent des obligations du preneur en vertu du bail commercial et de son avenant dont les clauses relatives aux obligations d'entretien et de réparations locatives, à l'obligation d'entretien complet de la devanture et des fermetures de l'immeuble et au nettoyage annuel des gouttières par un professionnel et à l'obligation du preneur d'assumer les dépenses relatives au travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre en conformité l'immeuble avec la réglementation dès lors que ceux-ci ne relèvent pas des grosses réparations de l'article 606 du code civil, ne sauraient être qualifiées de clauses abusives en ce qu'elles sont conformes aux dispositions de l'article R. 145-35 du code de commerce dans sa version applicable au litige, de l'article 4 de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 réputant non écrites certaines clauses insérées dans les baux d'habitation et ne créent pas au détriment du preneur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat au sens de l'article 1171 du code civil. »
COUR D’APPEL DE CAEN
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 14 MARS 2024
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 22/00756. ORIGINE : DÉCISION du TJ d'ARGENTAN en date du 24 février 2022.
APPELANTE :
Madame X.
née le [date] à [Localité 7], [Adresse 1], [Localité 5], Représentée et assistée de Maître Lori HELLOCO, avocat au barreau d'ARGENTAN (bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro XXX du [date] accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CAEN)
INTIMÉS :
Monsieur B. Y.
né le [date] à [Localité 8], [Adresse 2], [Localité 4], (bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro YYY du [date] accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CAEN)
Monsieur G. Y.
né le [date] à [Localité 8], [Adresse 3], [Localité 5]
Madame Z. épouse Y.
née le [date] à [Localité 6], [Adresse 3], [Localité 5]
Représentés et assistés de Maître Jean-Michel ARIN, avocat au barreau d'ARGENTAN
DÉBATS : A l'audience publique du 15 janvier 2024, sans opposition du ou des avocats, M. GOUARIN, Conseiller, a entendu seul les plaidoiries et en a rendu compte à la cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme LE GALL, greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ : Madame EMILY, Président de Chambre, Mme COURTADE, Conseillère, M. GOUARIN, Conseiller
ARRÊT prononcé publiquement le 14 mars 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS :
Selon acte notarié du 20 décembre 2005, MM. G. et B. Y. et Mme Z., épouse Y. (les consorts Y.), ont donné à bail à Mme W. une maison à usage de commerce et d'habitation située [Adresse 1] à [Localité 7], à compter du 1er janvier 2006, pour une durée de neuf ans.
Le 1er septembre 2014, Mme W. a cédé son fonds de commerce de bar, restaurant, brasserie, débit de boissons à Mme V.
Suivant acte notarié du 30 janvier 2015, le bail a été renouvelé au profit de Mme V. pour une durée de neuf ans à compter du 1er janvier 2015, moyennant un loyer annuel de 6.768,30 euros.
Le 29 novembre 2017, Mme V. a cédé son fonds de commerce à Mme X.
Le même jour, un avenant au bail a été établi par acte notarié prévoyant un loyer mensuel de 563,94 euros, s'appliquant à concurrence de 283,94 euros pour la partie des locaux à usage commercial et de 280 euros pour la partie des locaux à usage d'habitation, une remise de deux mois de loyer en contrepartie des travaux effectués par la locataire dans les locaux, les autres conditions restant inchangées.
Le 20 novembre 2017, un état des lieux avait été établi contradictoirement.
Depuis le 13 juillet 2018, M. B. Y. est seul propriétaire des lieux loués.
Mme X. a, par acte d'huissier du 25 septembre 2020, fait assigner les bailleurs devant le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de [Localité 7] aux fins, notamment, de se voir autorisée à séquestrer les loyers, de voir réduire le montant du loyer de 75 % jusqu'à la remise en état des locaux et de voir condamner sous astreinte les bailleurs à remettre en état la toiture et la porte d'entrée de la maison louée.
Selon jugement du 18 décembre 2020, le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de [Localité 7] s'est déclaré incompétent au profit du tribunal judiciaire d'Argentan.
Par jugement du 24 février 2022, le tribunal judiciaire d'Argentan a, notamment :
- déclaré recevables les demandes formées par Mme X. à l'encontre des consorts Y.,
- débouté Mme X. de sa demande de résiliation du bail aux torts des bailleurs,
- prononcé la résiliation du bail commercial du 29 novembre 2017 à compter de sa décision,
- ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux loués, dans les quinze jours de la signification de sa décision, l'expulsion de Mme X. et de tout occupant de son chef avec le concours, si besoin, de la force publique et d'un serrurier,
- dit n'y avoir lieu de prononcer une astreinte,
- fixé l'indemnité d'occupation due par Mme X. à compter de la résiliation du bail et jusqu'à libération effective des lieux par la remise des clefs à une somme de 591,74 euros et en tant que besoin a condamné cette dernière au paiement de cette somme,
- condamné Mme X. à payer à M. B. Y. la somme de 6.344,88 euros au titre des loyers impayés au 30 avril 2021,
- débouté M. B. Y. de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,
-condamné Mme X. à payer à M. B. Y. la somme de 1.000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux dépens.
Les lieux loués ont été libérés le 22 mars 2022.
Selon déclaration du 25 mars 2022, Mme X. a interjeté appel de cette décision.
[*]
Par dernières conclusions du 21 juin 2022, l'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de résiliation du bail aux torts exclusifs des bailleurs, a fixé l'indemnité d'occupation due par elle à compter de la résiliation du bail et jusqu'à libération effective des lieux par la remise des clefs à une somme de 591,74 euros et en tant que besoin l'a condamnée au paiement de cette somme, l'a condamnée à payer à M. B. Y. la somme de 6.344,88 euros au titre des loyers impayés au 30 avril 2021, l'a condamnée à payer à M. B. Y. la somme de 1.000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux dépens, statuant à nouveau de ces chefs, de prononcer la résiliation du bail commercial mixte aux torts exclusifs du bailleur à compter du 2 décembre 2018, de dire n'y avoir lieu à indemnité d'occupation à compter de la résiliation judiciaire du bail, de condamner in solidum les consorts Y. au paiement de la somme de 591,74 euros par mois à compter de décembre 2018 jusqu'au 22 mars 2022 à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice de jouissance subi par elle, soit la somme globale de 23.669,60 euros, de condamner in solidum les consorts Y. à lui payer la somme de 10.000 euros pour résistance abusive, celle de 6.344,88 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement des articles 1134 ancien et 1104 nouveau du code civil, de débouter les consorts Y. de toutes demandes reconventionnelles et de condamner ceux-ci in solidum au paiement de la somme de 3.000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux entiers dépens.
[*]
Par dernières conclusions du 20 septembre 2022, les consorts Y. demandent à la cour de mettre hors de cause M. G. Y. et Mme Z., épouse Y., de débouter Mme X. de toutes ses demandes, de condamner celle-ci à payer à M. G. Y. et Mme Z., épouse Y., la somme de 2.000 euros pour procédure abusive, de dire y avoir lieu à une indemnité d'occupation d'un montant de 591,74 euros par mois jusqu'à la libération des lieux par Mme X., de prononcer la résiliation du bail commercial aux torts exclusifs de Mme X. à compter de la décision à intervenir, de condamner Mme X. à verser à M. B. Y. la somme de 11.969,22 euros au titre des loyers impayés au 22 mars 2022, celle de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédures abusives et frais de gestion, celle de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles de M. G. Y. et Mme Z., épouse Y., celle de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles de M. B. Y. ainsi qu'aux entiers dépens.
[*]
La mise en état a été clôturée le 13 décembre 2023.
Pour plus ample exposé des prétentions et moyens, il est référé aux dernières écritures des parties.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
1. Sur la saisine de la cour :
Il y a lieu de relever qu'au dispositif de leurs dernières conclusions, qui seul saisit la cour en vertu de l'article 954 du code de procédure civile, les consorts Y. ne forment aucune prétention tendant à la confirmation, à l'infirmation ou à l'annulation du jugement entrepris.
Il ne sera donc pas statué sur les demandes formées par les consorts Y., dont la cour n'est pas saisie.
2. Sur les demandes principales :
Le premier juge a justement qualifié le bail litigieux de bail mixte, dès lors que le local commercial comprend également une partie à usage d'habitation, celle-ci étant soumise aux règles des baux d'habitation, le bailleur devant assurer au locataire un logement décent.
Il ressort des productions, notamment du bail du 20 décembre 2005, de son avenant du 29 novembre 2017, de l'état des lieux d'entrée du 20 novembre 2017, des procès-verbaux de constat d'huissier de justice des 14 novembre 2019 et 22 mars 2022, du diagnostic-constat décence établi par la CAF le 27 avril 2021, que les lieux loués étaient en bon état lors de l'entrée de Mme X. dans les lieux, que les désordres constatés ultérieurement dans la partie commerciale des lieux loués, concernant notamment l'état de la porte d'entrée, la non-conformité aux normes de l'installation électrique, relèvent des obligations du preneur en vertu du bail commercial et de son avenant dont les clauses relatives aux obligations d'entretien et de réparations locatives, à l'obligation d'entretien complet de la devanture et des fermetures de l'immeuble et au nettoyage annuel des gouttières par un professionnel et à l'obligation du preneur d'assumer les dépenses relatives au travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre en conformité l'immeuble avec la réglementation dès lors que ceux-ci ne relèvent pas des grosses réparations de l'article 606 du code civil, ne sauraient être qualifiées de clauses abusives en ce qu'elles sont conformes aux dispositions de l'article R. 145-35 du code de commerce dans sa version applicable au litige, de l'article 4 de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 réputant non écrites certaines clauses insérées dans les baux d'habitation et ne créent pas au détriment du preneur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat au sens de l'article 1171 du code civil.
S'agissant de l'obligation des bailleurs de fournir un logement décent, les pièces précitées établissent à suffisance le caractère indécent de la partie des locaux loués à usage d'habitation au regard des dispositions de l'article 1719 du code civil et de l'article 2 du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 concernant le couvert et la ventilation, la présence d'humidité dans ces pièces étant due à la présence d'un trou dans la toiture constituant une grosse réparation destinée à assurer le couvert de l'immeuble ainsi qu'à l'absence de VMC.
Les attestations et la facture établies les 12 septembre 2019, 8 octobre 2020 et 26 octobre 2020 par la société Chatelais démontrent que la fuite du toit, lequel avait fait l'objet d'un entretien et de réparations en 2017 et 2019 établis par les factures produites par les intimés, a été réparée le 20 octobre 2020 à l'initiative du bailleur, plusieurs tentatives d'intervention à compter du 5 août 2019 ayant échoué du fait de l'absence ou du refus de la locataire, sans que cette dernière rapporte la preuve contraire et conteste utilement la valeur probante de ces attestations.
Les autres griefs invoqués par la locataire ne constituent pas des motifs d'indécence du logement.
Le préjudice de jouissance subi par la locataire à raison des importantes traces d'humidité présentes dans les locaux loués doit être évalué à 10 % du loyer mensuel dû entre le 4 février 2019, date de la lettre adressée par la locataire au bailleur invoquant des problèmes d'humidité, et le 22 mars 2022, date de libération des lieux et du constat d'état des lieux de sortie démontrant que la persistance de traces d'humidité, soit à la somme de 2.218,87 euros (59,17 euros x 37,5 mois).
Le caractère inhabitable des locaux loués n'étant pas établi, la locataire ne saurait invoquer une quelconque exception d'inexécution au sens de l'article 1219 du code civil pour justifier le non-paiement des loyers pour un montant non discuté de 6.344,88 euros au 30 avril 2021 retenu par le premier juge ou pour s'opposer au versement d'une indemnité d'occupation telle qu'exactement fixée par le premier juge.
La locataire ne peut davantage invoquer les mesures gouvernementales d'interdiction de recevoir du public prises entre mars 2020 et mai 2021 en raison de l'épidémie de Covid 19 pour reprocher au bailleur un manquement à son obligation de délivrance ou alléguer une perte de la chose louée sur le fondement de l'article 1722 du code civil, dès lors que ces mesures générales de police administrative n'étaient pas imputables au bailleur, que la locataire est demeurée en possession des lieux loués dans lesquels restait autorisée son activité de restauration par vente à emporter et que l'interdiction administrative de recevoir du public ne peut être assimilée à une perte de la chose louée (Civ. 3ème, 30 juin 2022, n°21-20.127, 21-20.190, 21-19.889).
L'absence de proposition de délais de paiement des loyers par le bailleur ne saurait être considérée comme une exécution de mauvaise foi du contrat de bail, étant relevé que la locataire ne justifie pas avoir sollicité de tels délais.
L'appelante ne rapporte pas la preuve de la réalité d'un préjudice moral résultant du caractère indécent du logement distinct du préjudice de jouissance, ni d'une résistance abusive des bailleurs, qui ont diligenté des réparations du toit dès l'été 2019.
Au regard de ces éléments, notamment des diligences entreprises par les bailleurs dès l'été 2019 pour remédier à la fuite de la toiture, le bail ne saurait être résolu aux torts exclusifs des bailleurs.
Les demandes indemnitaires formées par Mme X. autres que celle fondée sur le préjudice de jouissance seront rejetées.
Non autrement contesté, le jugement entrepris sera donc confirmé sauf en ce qu'il a débouté Mme X. de sa demande de dommages-intérêts et la cour statuant à nouveau de ce chef, les consorts Y. seront condamnés in solidum à payer à Mme X. la somme de 2.218,87 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice de jouissance.
3. Sur les demandes accessoires :
Les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance, fondées sur une exacte appréciation, seront confirmées.
M. G. Y., Mme Z., épouse Y., et M. B. Y., qui succombent en leurs principales prétentions, seront condamnés in solidum aux dépens d'appel, déboutés de leur demande d'indemnité de procédure et condamnés sous la même solidarité à payer à Mme X. la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté Mme X. de sa demande de dommages-intérêts ;
Statuant à nouveau du chef de la disposition infirmée et y ajoutant,
Condamne in solidum M. G. Y., Mme Z., épouse Y., et M. B. Y. à payer à Mme X. la somme de 2.218,87 euros à titre de dommages-intérêts ;
Rejette toutes autres demandes ;
Condamne in solidum M. G. Y., Mme Z., épouse Y., et M. B. Y. aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à loi sur l'aide juridictionnelle et à payer à Mme X. la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
N. LE GALL F. EMILY