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CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 7 février 2024

Nature : Décision
Titre : CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 7 février 2024
Pays : France
Juridiction : Colmar (CA), 1re ch. civ. sect. A
Demande : 21/05329
Décision : 66/24
Date : 7/02/2024
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Judilibre
Numéro de la décision : 66
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CERCLAB - DOCUMENT N° 10777

CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 7 février 2024 : RG n° 21/05329 ; arrêt n° 66/24

Publication : Judilibre

 

Extraits : 1/ « M. X. demande à la cour de prononcer la nullité du contrat de prêt au motif que, libellé en francs suisses, il aurait ignoré la règle d'ordre public du cours légal de la monnaie, et l'infirmation de la décision de première instance qui a considéré cette action prescrite.

Pour autant, la juridiction de première instance a, à juste titre, considéré sur ce sujet, que le délai de prescription court à compter de la signature de l'offre de crédit, relevant que le demandeur n'invoquait pas un dol sur ce point, alors qu'il résultait clairement de l'offre de prêt immobilier, acceptée le 17 octobre 2006 par le demandeur, en ses articles. 4, 4.2, 4.3, que le prêt est stipulé en devises suisses. Les développements de M. X., relatifs à la date de survenance de son dommage qui ne serait apparu que bien après la signature du prêt, à savoir au moment où, à l'occasion de la vente en 2015 de son bien situé à [Localité 8] (77), il se serait aperçu de l'incidence des fluctuations importantes du cours du franc suisse, sont inopérants. Puisque son action en nullité est fondée sur une prétendue contrariété de la clause d'indexation à l'ordre public économique, elle renvoie nécessairement aux dispositions mêmes du contrat de prêts qu'il connaissait parfaitement dès le jour de sa signature. En outre, les articles portant sur l'octroi du prêt en francs suisses, étaient parfaitement clairs, en ce que les clauses précitées, dont les termes viennent d'être rappelés, stipulaient que le montant du prêt accordé était en francs suisses, que les remboursements se feraient « dans la devise empruntée », que « tous les remboursements en capital, paiement des intérêts et des commissions et cotisations d'assurance auront lieu dans la devise empruntée » et que « l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro ».

La prescription de son action étant déjà en cours lors de l'entrée en vigueur de la réforme de 2008 (le 19 juin 2008) instaurant le délai quinquennal, cette dernière était acquise 5 ans après l'entrée en vigueur de cette réforme, soit le 19 juin 2013. En conséquence, l'appelant aurait dû introduire son action avant le 19 juin 2013, ce qu'il n'a pas fait.

Le jugement entrepris sera donc confirmé, en ce qu'il a jugé l'action en nullité du prêt pour non-respect de la règle du cours légal de la monnaie, prescrite, et partant, irrecevable. »

2/ « Dès lors, la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation n'est pas soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil. En conséquence, l'action en constatation du caractère abusif des clauses 4.3, 8.3, et 8.5 de l'offre de prêt acceptée le 17 octobre 2006, doit être déclarée recevable. »

3/ « Ainsi, l'opposition d'un tel délai n'est pas en soi contraire au principe d'effectivité, pour autant que son application ne rende pas en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par cette directive. En conséquence, un délai de prescription est compatible avec le principe d'effectivité uniquement si le consommateur a eu la possibilité de connaître ses droits avant que ce délai ne commence à courir ou ne s'écoule.

Par arrêt du 9 juillet 2020 (C-698/18 et C-699/18), la CJUE a dit pour droit que […] .S'agissant du respect du principe d'équivalence, il sera rappelé qu'en droit interne, le délai de prescription des actions en restitution, consécutives à l'annulation d'un contrat ou d'un testament, ne court qu'à compter de cette annulation, que cette annulation résulte de l'accord des parties ou d'une décision de justice (Cour de cassation, Civ. 1ère, 1er juillet 2015, pourvoi n° 14-20.369 ; Civ. 1ère, 28 octobre 2015, pourvoi n° 14-17.893 ; Civ. 3ème, 14 juin 2018, pourvoi n° 17-13.422 ; Civ. 1ère, 13 juillet 2022, pourvoi n° 20-20.738).

S'agissant du principe d'effectivité, il serait contradictoire de déclarer imprescriptible l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause et de soumettre la principale conséquence de cette reconnaissance à un régime de prescription la privant d'effet.

Il s'en déduit que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil, de l'action fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses (Cour de cassation, Civ. 1ère, 12 juillet 2023, pourvoi n° 22-17.030).

Concernant le moyen relatif à la sécurité juridique soulevé par la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 7] Europe, il sera rappelé que : - la prohibition des clauses abusives remonte à la directive 93/13 CEE du Conseil du 5 avril 1993, applicable à tous les contrats conclus à compter du 1er janvier 1995, - cette directive a été transposée en droit interne par la loi n° 95-96 du 1er février 1995, - la jurisprudence tant européenne que nationale n'a fait qu'interpréter les règles européennes et nationales relatives aux clauses abusives, dont elle a éclairé et précisé la signification et la portée, telles qu'elles auraient dû être comprises depuis leur entrée en vigueur ; en conséquence, ces règles ainsi interprétées doivent être appliquées par le juge à tous les rapports juridiques nés et constitués postérieurement à cette entrée en vigueur, quand bien même ils l'ont été antérieurement à cette jurisprudence et seule la CJUE peut décider des limitations dans le temps à apporter à une telle interprétation (CJUE, 21 décembre 2016, C-154/15, C-307-15 et C-308-12), - la Cour européenne des droits de l'homme juge que les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante (CEDH, 18 décembre 2008, Unédic c. France), - enfin, cette jurisprudence sur l'imprescriptibilité de l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause d'un contrat et sur le point de départ du délai de prescription de l'action restitutoire ne présente pas d'inconvénients manifestement disproportionnés dès lors qu'elle ne prive pas la banque de son accès au juge et de son droit à un procès équitable mais d'une partie de sa rémunération et qu'elle est sans conséquence sur son droit de propriété. »

4/ « S'il résulte de ces stipulations une énonciation compréhensible sur le plan formel et grammatical des conditions et modalités d'exécution du prêt qui permettait à M. X. de comprendre le mécanisme du prêt en devise, que la monnaie de compte est le franc suisse, que les échéances de prêt seraient prélevées sur un compte en devise dédié, que la monnaie de paiement demeurait l'Euro, que l'emprunteur restait libre de s'acquitter de sa dette à tout moment dans la monnaie ayant cours en France, il n'en reste pas moins qu'au-delà de cette description, les effets de l'évolution de la parité entre l'euro d'une part et le franc suisse d'autre part n'y sont pas mis en relief ni même expliqués de telle manière que l'emprunteur puisse envisager concrètement l'impact économique, potentiellement significatif, d'une évolution défavorable de la parité des monnaies sur ses obligations et évaluer en toute connaissance de cause, le risque auquel il accepte de s'exposer, consistant en l'augmentation de la valeur du capital emprunté.

Il n'est notamment pas expressément indiqué que, l'emprunteur s'expose à un risque de change, en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus, par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt est accordé et aucun élément ne lui permet d'évaluer le coût total potentiel de l'emprunt et de prendre conscience des difficultés auxquelles il serait confronté, en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus. Aucun exemple de calcul concret n'est mentionné dans le contrat ou ses annexes et aucune notice d'information, sur le cours de change, n'y figure, alors qu'une telle notice est jointe concernant les conditions et modalités de variation du taux d'intérêt.

Le texte de l'article 8.5 - qui est censé attirer l'attention de l'emprunteur sur le risque de change - est ainsi bien trop laconique et sommaire pour remplir son rôle, en ce qu'il n'est pas à même de permettre à un emprunteur 'moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé', - tel que l'est M. X., que sa qualité d'ingénieur cadre dans l'automobile ne met pas, de ce fait, en mesure d'appréhender la complexité et la spécificité du mécanisme en cause, le fait qu'il ait été conseillé par la société Tasquin Conseil était sans emport - de prendre conscience des effets d'une variation du taux de change euro/franc suisse favorable à la valeur helvétique, et ce que ce soit pour le paiement des intérêts ou pour le capital payable 'in fine'.

En outre, les clauses contractuelles n'attirent pas l'attention du consommateur sur le fait que le risque de change est renforcé par le mécanisme, même du prêt « in fine » qui reporte à une échéance lointaine, le règlement de l'intégralité du capital emprunté, en l'espèce 15 ans après la signature de la convention de prêt. Rien dans les clauses litigieuses n'informe le consommateur sur cette prise de risque, qui porte sur le capital emprunté, sur 15 ans.

Enfin, l'attestation signée par M. X. en date du 17 octobre 2006 - dans laquelle il affirme avoir pris connaissance des risques de change liés au franc suisse ainsi que des règles relatives à la variation de l'index LIBOR en franc suisse - est insuffisante pour venir démontrer que le Crédit Mutuel l'a informé, par ailleurs utilement, sur le risque de change pris, notamment au regard du fait que le capital serait réglé 15 ans plus tard, sachant que cette attestation ne précise nullement quelle aurait été la nature de cette information dispensée. Dans ces conditions, il y a lieu de constater que les clauses litigieuses ne forment pas un ensemble clair et compréhensible, au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation. »

5/ « En conséquence de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de déclarer abusives les clauses 4.3, 8.3 et 8.5, qui sont indivisibles, en ce que le principe descriptif de l'emprunt en francs suisses remboursable en euros, est décliné par le fonctionnement de deux comptes dans chacune des devises, par les opérations de change et par les modalités de remboursement dans le temps.

Les clauses litigieuses, reconnues abusives ci-dessus, doivent donc être réputées non écrites et l'emprunteur doit se retrouver dans la situation qui aurait été la sienne, si elles n'avaient jamais existé. Plus particulièrement, en l'espèce, étant rappelé que les alinéas 6 et 8 de l'article L. 132-1 précité, disposent que les clauses abusives sont réputées non écrites et que le contrat restera applicable, dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives, s'il peut subsister sans lesdites clauses, et qu'il y a lieu de considérer le caractère essentiel de ces clauses dans la construction du prêt, la cour ne peut que constater que le contrat de prêt ne peut guère subsister sans celles-ci, de sorte qu'il y a de replacer les parties dans la situation qui était la leur au moment de la contraction du prêt, et ce comme le préconise la décision rendue par la Cour de cassation dans un arrêt du 12 juillet 2023. Dans un cas similaire, elle a en effet validé la condamnation du consommateur à restituer la contre-valeur en euros de la somme prêtée, selon le taux de change applicable à la date de la mise à disposition des fonds et la banque à restituer la contre-valeur en euros de chacune des sommes perçues en exécution du prêt, selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements, le différentiel dû, après compensation, portant ensuite intérêt au taux légal à compter de la signification de l'arrêt avec capitalisation (Cass. 1ère civ., 12 juillet 2023, pourvoi n° 22-17.030).

Aussi, la demande de nullité du contrat - qui entraîne de facto l'obligation de replacer les parties dans la situation qui était la leur avant le contrat - sollicitée par M. X., au cas d'espèce, sera-t-elle acceptée et l'appelant condamné à restituer au Crédit Mutuel, en tant que de besoin, dans la mesure où il a été relevé que le prêt avait été soldé, mais cela relève des comptes à faire entre les parties, la contre-valeur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds en 2006, de la somme prêtée.

La banque sera, quant à elle, condamnée à restituer à M. X. toutes les sommes qu'elle a perçues en exécution du prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes perçues selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements. Il y aura lieu d'ordonner la compensation des sommes, et d'assortir la somme résiduelle due de l'intérêt légal, à compter de la signification du présent arrêt. »

6/ « Il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage - mais également du dommage résultant d'un éventuel défaut de conseil ou d'information plus général - commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, ainsi que le soutient en l'espèce la banque, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'a pas été, n'est pas ou ne sera pas en mesure de faire face (Com., 25 janvier 2023, pourvoi n° 20-12.811). Il ressort de l'attestation jointe à la note en délibéré précitée, que M. X., qui a pu régler les échéances d'intérêts, même si celles-ci ont augmenté, a été en mesure de solder le prêt par anticipation en février 2020. C'est donc à cette date qu'il a été à même de découvrir « les réelles conséquences de l'évolution du taux de change euro/franc suisse ». En conséquence, l'action en responsabilité contractuelle engagée par M. X. n'est manifestement pas prescrite, tant à l'égard de la banque que de la SARL Tasquin Conseil, le jugement de première instance devant être infirmé sur ce point. »

7/ « En revanche, il est certain que la banque a commis une faute de conseil, en proposant à M. X. un prêt en monnaie étrangère, dans le cadre justement d'un prêt in fine, car il n'est pas démontré - comme exposé plus haut - qu'elle a clairement et précisément attiré l'attention de son client sur le risque particulièrement important encouru du fait que le prêt était fait en francs suisse avec un risque de change. S'il avait été dûment conseillé et informé par le professionnel de la banque, M. X. aurait pu, en connaissance de cause, renoncer à contracter un prêt présentant de telles caractéristiques, et aurait pu emprunter dans le cadre d'un prêt classique en euros.

Pour établir le préjudice qu'il a subi du fait de ce défaut de conseil, il convient de définir l'assiette sur laquelle portera le pourcentage de perte de chance : or, en l'espèce, il convient de constater que cette assiette est nulle. En effet, suite à l'invalidation des clauses contractuelles et à l'annulation du contrat de prêt, les parties sont replacées dans la situation qui était la leur en 2006, avant de signer les contrats, et il n'est nullement rapporté la preuve de ce que ce retour à la situation initiale est de nature à générer un préjudice économique pour M. X., précision donnée qu'aucun préjudice moral n'a été réclamé. Dès lors, la perte de chance portera sur une assiette vide, de sorte que la demande de dommages et intérêts ne saurait être accueillie. »

8/ « La société Tasquin Conseil s'est contentée de proposer à M. X. un investissement, à savoir l'acquisition d'un bien immobilier en l'état futur d'achèvement, selon contrat de réservation. L'étude a été réalisée sur la base « d'euros », et il n'est pas soutenu que la livraison du bien et sa mise en location n'ont pas eu lieu conformément aux prévisions. […] L'existence d'une faute imputable à la SARL Tasquin Conseil n'est pas rapportée, de sorte que la demande formée contre elle sera rejetée. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE COLMAR

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION A

ARRÊT DU 7 FÉVRIER 2024

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 1 A 19/05329. Arrêt n° 66/24. N° Portalis DBVW-V-B7D-HH3A. Décision déférée à la Cour : 15 novembre 2019 par le Tribunal de grande instance de MULHOUSE - 1ère chambre civile.

 

APPELANT - INTIMÉ INCIDEMMENT :

Monsieur X.

[Adresse 3], Représenté par Maître Céline RICHARD, avocat à la Cour, Avocat plaidant : Maître RAMOND, avocat au barreau de PARIS

 

INTIMÉE - APPELANTE INCIDEMMENT :

CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL [Localité 7] EUROPE

prise en la personne de son représentant légal, [Adresse 2], Représentée par Maître Laurence FRICK, avocat à la Cour, Avocat plaidant : Maître PAULUS, avocat au barreau de STRASBOURG

 

INTIMÉE :

SARL TASQUIN CONSEIL

prise en la personne de son représentant légal, [Adresse 1], Représentée par Maître Thierry CAHN, avocat à la Cour

 

PARTIE INTERVENANTE VOLONTAIRE :

SARL TASQUIN IMMOBILIER

prise en la personne de son représentant légal, [Adresse 1], Représentée par Maître Thierry CAHN, avocat à la Cour

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 13 novembre 2023, en audience publique, un rapport de l'affaire ayant été présenté à l'audience, devant la Cour composée de : M. WALGENWITZ, Président de chambre, M. ROUBLOT, Conseiller, Mme RHODE, Conseillère, qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRÊT : - Contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par M. Franck WALGENWITZ, président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Vu l'arrêt rendu le 1er juin 2022, auquel il sera renvoyé pour l'exposé des faits et de la procédure antérieure, et par lequel la cour de céans a :

- ordonné la réouverture des débats,

- révoqué l'ordonnance de clôture en date du 25 août 2021,

- invité les parties à se prononcer sur l'application, à l'espèce, de la jurisprudence issue des arrêts rendus par la Cour de cassation, notamment les 30 mars et 20 avril 2022, à la suite de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne en date du 10 juin 2021,

- renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience de mise en état,

- réservé le surplus des demandes, les dépens et les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

[*]

Vu les dernières conclusions en date du 13 octobre 2022, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles M. X. demande à la cour de :

« INFIRMER la décision rendue par le Tribunal judiciaire de Mulhouse en date du 15 novembre 2019 en ce qu'elle a :

« Déclaré irrecevable l'action en nullité du prêt immobilier accepté le 17 octobre 2006, et en répétition d'un indu de ce chef ;

Dit que la clause précitée relative à la charge du risque de change n'est pas abusive ;

Rejette en conséquence la demande de « nullité » de cette clause ;

Déclare irrecevable l'action aux fins d'indemnisation dirigée contre la CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 7] EUROPE pour manquement aux obligations d'information, et ce conseil, pour cause de prescription ;

Déclare irrecevable l'action aux fins d'indemnisation dirigée contre la SARL TASQUIN CONSEILS pour pratiques délibérément trompeuses ;

Rejette la demande d'indemnisation dirigée contre la SARL TASQUIN CONSEIL pour pratiques délibérément trompeuses ;

Rejette cette demande de répétition d'un indu pour non-application du libor négatif

Rejette la demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile de X. dirigée contre la SARL TASQUIN CONSEILS

CONDAMNE Monsieur X. aux dépens exposés par la SARL TASQUIN CONSEILS » ;

LA CONFIRMER en ce qu'elle a :

« Déclaré recevable l'action en constatation du caractère abusif de l'article 8.5 du prêt en cause en sa partie relative au risque de change,

Déclaré recevable l'action en indemnisation dirigée contre la SARL TASQUIN CONSEIL pour pratiques délibérément trompeuses ;

Déclaré recevable l'action en répétition d'un indu dirigée contre la CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 7] EUROPE pour non-application du LIBOR CHF 3 mois négatif »

Condamné la CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 7] EUROPE à payer à Monsieur X. la somme de 2.000,00 € au titre de l'article 700 CPC

Condamné la CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 7] EUROPE aux dépens exposés par Monsieur X. »

EN STATUANT A NOUVEAU :

* RECEVOIR Monsieur X. en ses demandes et les dire bien fondées ;

* DEBOUTER la société CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 7] EUROPE et la société TASQUIN CONSEIL de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

* DEBOUTER la société CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 7] EUROPE de son appel incident ;

- Vu l'article L. 212-1 du Code de la consommation

DECLARER abusives les clauses relatives au remboursement du crédit (clause 4.3), au changement de parité (8.5), et à la conversion (8.3)

EN CONSEQUENCE, s'agissant de clauses constituant l'objet principal du contrat,

DECLARER le contrat de prêt litigieux nul et non avenu,

CONSTATER que les parties doivent être remises en la même situation que si l'opération litigieuse n'avait jamais existé,

ORDONNER la restitution des sommes perçues par chacune des parties et,

CONSTATER leur compensation à due concurrence

- Vu les articles 1178 et suivants du Code civil,

* DECLARER le contrat de prêt souscrit auprès de la société CCM [Localité 7] EUROPE contraire à l'ordre public économique ;

EN CONSEQUENCE

DECLARER le contrat de prêt litigieux nul et non avenu,

CONSTATER que les parties doivent être remises en la même situation que si l'opération litigieuse n'avait jamais existé,

ORDONNER la restitution des sommes perçues par chacune des parties et,

CONSTATER leur compensation à due concurrence ;

- Vu l'article 1382 du Code civil (nouvel article 1240 du Code civil)

* DIRE ET JUGER que la société CCM [Localité 7] EUROPE et la société TASQUIN CONSEIL ont manqué à leur obligation d'information et de conseil à l'égard de Monsieur X. ;

* CONDAMNER solidairement la société CCM [Localité 7] EUROPE et la société TASQUIN CONSEIL à payer à Monsieur X. la somme de 262.431,68 € à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;

* CONDAMNER la société TASQUIN CONSEIL à payer à Monsieur X. la somme de 200.831,00 € à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la surévaluation des biens situés à [Localité 6] et à [Localité 8].

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

* CONDAMNER solidairement la société CCM [Localité 7] EUROPE et la société TASQUIN CONSEIL à payer à Monsieur X. la somme de 6.000,00 € par application des dispositions de l'article 700 du CPC et aux entiers dépens »

et ce, en invoquant, notamment :

- l'absence de prescription de son action, tant concernant l'action en responsabilité pour manquements à l'obligation d'information et de conseil, applicables à un prêt in fine, le point de départ du délai courant donc à compter de la réalisation du bien financé, tout comme pour l'action relative à la défiscalisation, que s'agissant de l'action fondée sur les clauses abusives qui serait imprescriptible, l'action restitutoire en résultant se prescrivant, pour sa part, à compter de la constatation du caractère abusif de la clause, et n'étant donc pas davantage prescrite,

- le caractère abusif des clauses relatives au remboursement du crédit, au changement de parité et à la conversion, à défaut d'information reçue et comprise par l'emprunteur sur le risque de change et ses conséquences, et en présence de clauses ni claires, ni intelligibles pour le consommateur, au regard du principe de transparence, les clauses litigieuses créant à son détriment, en l'absence de lien avec la Suisse, un déséquilibre significatif,

- la nullité du prêt en francs suisses comme contraire à l'ordre public économique dans la mesure où il comporte une clause de paiement en monnaie étrangère, s'agissant d'un contrat purement interne, impliquant une restitution par la banque des sommes reçues et par l'emprunteur du capital prêté,

- le manquement du Crédit Mutuel à son obligation d'information, faute de l'avoir correctement informé, c'est-à-dire de manière claire et avec une offre intelligible l'avisant de l'ampleur des risques encourus, sur les caractéristiques de l'emprunt en devises étrangères soumis à une réglementation et à un contrôle strict, et notamment sur le risque d'augmentation du capital lié à l'évolution du change, alors qu'il était profane, étant éloigné du monde de la finance et de la banque,

- le manquement de la banque et de la société Tasquin Conseil à leur devoir de conseil, au titre de la souscription d'un prêt en francs suisses qui n'était pas appropriée à l'objet du financement et à la situation de l'emprunteur, s'agissant, de surcroît, d'un prêt in fine, alors que la vente du bien immobilier se ferait en euros, accroissant les difficultés de remboursement en devises,

- des manquements contractuels de la banque relatifs à la non-application du LIBOR négatif, le Crédit Mutuel ayant cependant accepté d'appliquer rétroactivement au prêt un taux négatif et de rembourser le concluant,

- un manquement des sociétés intimées à leur devoir d'information concernant les caractéristiques de l'investissement locatif « Demessine » financé par le prêt litigieux, la société Tasquin Conseil s'étant abstenue de l'informer qu'elle lui proposait des biens supports d'investissements locatifs à des prix largement surévalués, surévaluation dont elle était nécessairement informée et dont elle aurait profité, sa rémunération étant un pourcentage du prix de vente, cette surévaluation initiale devant, en outre, s'apprécier à la revente au regard des promesses de plus-values,

- un préjudice, représenté par la seule perte de chance, devant cependant être réparée intégralement, de contracter un autre prêt et d'échapper au risque d'avoir à faire face à une augmentation du capital prêté exprimé en euros.

[*]

Vu les dernières conclusions en date du 19 octobre 2023, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 7] Europe demande à la cour de :

« Vu les articles 2222 et 2224 du Code civil,

Vu l'article 122 du Code de procédure civile,

Vu l'ancien article 1134 du Code civil,

Vu l'ancien article 1147 du Code civil,

Vu les articles L. 314-1 et R. 314 et suivants du Code de la consommation,

Vu l'article L. 112-2 du Code monétaire et financier,

Vu l'article 6 § 1 de Convention Européenne des Droits de l'Homme et l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de l'Homme ;

Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne,

Vu l'article 700 du Code de procédure civile,

1/ sur l'appel principal de Monsieur X.

A titre principal,

REJETER l'appel,

CONFIRMER le jugement déféré rendu le 15 novembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de MULHOUSE en ce qu'il :

« DECLARE irrecevable l'action en nullité du prêt immobilier accepté le 17 octobre 2006 et en répétition d'un indu de ce chef ;

DECLARE recevable l'action en constatation du caractère abusif de l'article 8.5 en sa partie relative au risque de change, du prêt en cause ;

DIT que la clause précitée relative à la charge du risque de change, du prêt en cause n'est pas abusive ;

REJETTE la demande de « nullité » de cette clause ;

DECLARE irrecevable l'action aux fins d'indemnisation dirigée contre la CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 7] EUROPE, pour manquement aux obligations d'information, et de conseil, pour cause de prescription ;

DECLARE irrecevable l'action aux fins d'indemnisation pour manquement à une obligation de renseignement, une obligation d'information sur les risques financiers des contrats ou de l'opération de placement financier, une obligation de conseil, dirigée contre la SARL TASQUIN CONSEIL ;

REJETTE cette demande de répétition d'un indu pour 'non-application du LIBOR négatif » ;

En conséquence,

DEBOUTER Monsieur X. de l'ensemble de ses demandes ;

« Sur la licéité du contrat de prêt,

A titre principal,

DECLARER que la clause d'indexation et le contrat de prêt sont licites ;

DEBOUTER Monsieur X. de ses demandes de nullité ;

A titre subsidiaire s'il devait être jugé que la monnaie de paiement est le franc suisse,

DECLARER que le prêt n'impose pas à l'emprunteur de rembourser les échéances en francs suisse ;

DECLARER par conséquent que le prêt n'est pas contraire à l'ordre public qui interdit uniquement d'imposer à l'emprunteur un remboursement dans une devise autre que l'euro ;

DEBOUTER Monsieur X. de ses demandes ;

« Sur les clauses abusives,

DEBOUTER Monsieur X. de ses demandes tendant à constater le caractère abusif de la clause 8.5 du contrat de prêt relative au risque de change dans la mesure où elle constitue l'objet principal du contrat, est rédigée de manière claire et compréhensible et qu'en tout état de cause elle ne crée pas déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ;

A titre subsidiaire,

DECLARER que la jurisprudence nouvelle, notamment issue des arrêts rendus par la Cour de cassation les 30 mars 2022 et 20 avril 2022, ne s'appliquera pas au présent litige ;

A titre subsidiaire,

DECLARER la demande tendant à la transmission d'une question préjudicielle à la Cour de Justice de l'Union Européenne recevable et bien fondée,

SOUMETTRE à la COUR DE JUSTICE DE L'UNION EUROPEENNE en vue de l'interprétation des traités européens la question préjudicielle suivante :

« L'article 4.2 de la directive 93/13/CE s'oppose-t-il à une interprétation juridictionnelle selon laquelle, dans un litige où a été souscrit un prêt en devise, la clause faisant peser le risque de change sur l'emprunteur, et qui définit ainsi l'objet principal du contrat, est abusive du seul fait qu'elle n'est pas rédigée de façon claire et compréhensible, sans qu'il y ait lieu de rechercher si elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ? » 

ORDONNER le sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de Justice de l'Union Européenne se soit prononcée sur la question préjudicielle ;

A titre infiniment subsidiaire, si le prêt est annulé ou la clause relative au risque de change réputée non-écrite,

CONDAMNER Monsieur X. à restituer le montant du capital emprunté en CHF de chaque prêt, à sa contrevaleur en euros au cours de change au jour du jugement à intervenir, cette somme produira intérêt au taux légal à compter du jour du déblocage des fonds

DECLARER en conséquence que la CCM devra restituer à Monsieur X. le montant des intérêts perçus pendant la durée de chaque prêt, à sa contrevaleur en euros au cours de change de chaque échéance,

ORDONNER la compensation des sommes dues entre les parties ;

« Sur le manquement au devoir de mise en garde et d'information

DECLARER que la CCM [Localité 7] EUROPE n'a pas manqué à ses obligations contractuelles à l'égard de l'emprunteur ;

DEBOUTER Monsieur X. de ses demandes d'indemnisation au titre des préjudices subis dès lors que la CCM n'a commis aucune faute et que Monsieur X. ne justifie d'aucun préjudice ;

2/ sur l'appel incident formé par la CCM [Localité 7] EUROPE,

RECEVOIR la CCM dans son appel incident et le dire bien fondé ;

INFIRMER le jugement du 15 novembre 2019 en ce qu'il :

'DECLARE recevable l'action en constatation du caractère abusif de l'article 8.5 en sa partie relative au risque de change, du prêt en cause ;

DECLARE recevable l'action en répétition d'un indu, dirigée contre la CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 7] EUROPE pour 'non application du LIBOR négatif » ;

CONDAMNE la CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 7] EUROPE à payer M. X. la somme de 2.000 euros (DEUX MILLE EUROS) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNE la CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 7] EUROPE aux dépens exposés par Monsieur X.

Statuant à nouveau,

« Sur les clauses abusives

DECLARER que l'action tendant à voir déclarée abusive la clause 8.5 relative au risque de change est prescrite et par voie de conséquence irrecevable ;

DECLARER en tout état de cause, que l'action visant à faire valoir les effets restitutifs de la constatation du caractère abusif de la clause 8.5 relative au risque de change est prescrite ;

DEBOUTER en conséquence, Monsieur X. de ses demandes,

« Sur l'application du LIBOR

CONSTATER que Monsieur X. ne formule plus aucune demande de ce chef ;

CONSTATER que la CCM [Localité 7] EUROPE a appliqué rétroactivement la valeur réelle du LIBOR, sous la réserve que la variation de la valeur de l'Index ne conduise pas à un taux négatif, et qu'en conséquence elle a reversé le montant des intérêts trop-perçus sur le compte courant en CHF de Monsieur X., soit un montant de 10.143,80 CHF ;

DEBOUTER par conséquent Monsieur X. de ses demandes de restitution à ce titre ;

'Sur l'article 700 de première instance et les dépens

DEBOUTER Monsieur X. de sa demande au titre de l'article 700 pour la procédure de première instance ;

CONDAMNER Monsieur X. aux entiers frais et dépens de la procédure de première instance ;

En tout état de cause,

DEBOUTER Monsieur X. de ses demandes d'indemnisation au titre des préjudices subis ;

CONDAMNER Monsieur X. à verser à la CCM [Localité 7] EUROPE la somme de 5.000 Euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER Monsieur X. aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel »

et ce, en invoquant, notamment :

- l'irrecevabilité, pour prescription, tant de l'action en nullité du prêt, en ce qu'elle concernerait les dispositions mêmes du contrat de prêt, M. X. étant ainsi parfaitement en mesure de connaître les faits lui permettant d'exercer son action dès sa signature, que de l'action en responsabilité intentée par M. X., dont la prescription courrait à compter de la date d'octroi du crédit, faute pour l'emprunteur de démontrer qu'il pouvait, à cette date, légitimement ignorer ce dommage, l'aléa lié au risque de change étant inhérent au contrat de prêt en devise, et subsidiairement à compter de 2009, au plus tard de 2011, dates auxquelles les conséquences défavorables de l'augmentation du franc suisse sur les prêts en devises se sont manifestées, peu important le caractère in fine du prêt, et la décision de M. X. de revendre le bien financé,

- l'absence de contrariété du prêt à l'ordre public, eu égard à la validité tant de la clause « monnaie étrangère », destinée à évaluer la dette, comme clause d'indexation du prêt, comme étant en relation directe avec l'activité de la CCM, le paiement étant, en outre, effectué en monnaie française, que de la clause « espèce étrangère », relative au règlement de la dette, seul étant prohibé le fait d'imposer un paiement en monnaie étrangère,

- l'absence de caractère abusif des clauses litigieuses, comme définissant l'objet principal du contrat et revêtant un caractère clair et compréhensible, et subsidiairement en l'absence de démonstration d'un déséquilibre significatif, compte tenu de la symétrie du risque de change, de l'existence d'une contrepartie pour l'emprunteur en termes de taux d'intérêt, et de l'absence de pouvoir unilatéral du prêteur concernant le déroulement du remboursement du prêt, dont seul l'emprunteur pouvait modifier les modalités, et subsidiairement également, l'absence d'application rétroactive de la jurisprudence nouvelle, notamment issue des arrêts rendus par la Cour de cassation les 30 mars 2022 et 20 avril 2022, compte tenu de la position des juridictions lors de la conclusion du contrat en 2007, la CJUE retenant même alors une prescription de l'action pour clauses abusives, et nonobstant la rétroactivité de principe de la jurisprudence, dès lors que des dérogations sont admises lorsque l'application immédiate de la solution nouvelle ou du revirement aurait pour effet d'affecter irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi, ce qui serait le cas en l'espèce, la concluante ayant respecté, en l'état du droit applicable lors de la conclusion du contrat, l'ensemble des obligations qui lui incombaient, sans pouvoir prévoir les évolutions de jurisprudence ultérieures, les principes applicables en la matière aux notaires devant l'être aux banques, en conformité également avec les droits au procès équitable et au respect des biens garantis par la CEDH,

- la critique de la position de la Cour de cassation, retenant que le déséquilibre significatif peut découler de l'absence de clarté de la clause, ce qui ne ressortirait, clairement, pas des textes applicables, à savoir les articles 3 et 4 de la Directive 93/13 du 5 avril 1993, et l'article L. 212-1 du code de la consommation les reprenant, et aurait été rappelé par la CJUE à plusieurs reprises, cette contrariété de position avec les juridictions françaises motivant une demande de question préjudicielle sur ce point,

- plus subsidiairement, sur les conséquences de la nullité ou du caractère abusif des clauses contestées, et au-delà de la prescription des demandes y afférentes, l'application du taux de change en vigueur au jour de la restitution, en vertu du principe du nominalisme,

- l'absence de responsabilité de la concluante, à défaut de faute de sa part, et ce en l'absence de risque d'endettement de l'emprunteur, et subsidiairement en raison de son caractère averti, l'obligation de mise en garde et d'information ayant, en tout état de cause été satisfaite,

- à titre subsidiaire, l'absence de préjudice certain subi par M. X. et de lien de causalité,

- à titre subsidiaire, sur appel incident, la prescription de l'action tendant à voir déclarer la clause de change abusive, demande prescriptible en elle-même, au moins s'agissant de l'action restitutoire, pour peu que l'emprunteur dispose d'un délai pour utilement préparer et former un recours effectif, impliquant que le délai de prescription correspondant puisse courir, conformément à la jurisprudence récente de la CJUE, dès qu'il avait connaissance du caractère abusif de la clause ou était en mesure 'd'apprécier lui-même le caractère abusif de la clause contractuelle', la jurisprudence récente de la Cour de cassation n'impliquant pas que le point de départ du délai de prescription de l'action en restitution ait à être corrélé au jugement qui constate ce caractère abusif,

- sur l'application du LIBOR, la validation de sa position par la Cour de cassation, et l'application de la valeur réelle de l'indice au profit de M. X., qui a obtenu l'intégralité du différentiel d'intérêts, fût-ce en cours d'instance compte tenu des incertitudes juridiques existant précédemment, ce qui impliquerait l'infirmation, sur ce point, du jugement entrepris.

[*]

Vu les dernières conclusions en date du 16 octobre 2023, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la SARL Tasquin Conseil et la SARL Tasquin Immobilier demandent à la cour de :

« Vu la procédure en l'état ;

Vu les articles 2222 et 2224 du Code Civil ;

Vu l'article 122 du Code de Procédure Civile ;

Vu l'ancien article 1134 du Code Civil ;

Vu l'ancien article 1147 du Code Civil ;

Vu les articles L. 314-1 et R. 314 et suivants du Code de la Consommation ;

Vu l'article L. 122-2 du Code Monétaire et Financier ;

Vu l'article 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et l'Article 1er du premier protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de l'Homme ;

Vu l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

DONNER acte à la Société TASQUIN IMMOBILIER de son intervention.

CONFIRMER purement et simplement le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de MULHOUSE.

REJETER l'ensemble des prétentions des appelants.

A titre principal :

DIRE ET JUGER que les demandes relatives à la responsabilité de la Société TASQUIN CONSEIL sont prescrites.

En conséquence, DIRE ET JUGER que les demandes de Monsieur X. se heurtent à des fins de non-recevoir.

DECLARER irrecevables les demandes de Monsieur X.

DEBOUTER Monsieur X. de l'ensemble de ses demandes.

A titre subsidiaire :

DIRE ET JUGER que la Société TASQUIN CONSEIL n'a commis aucune faute.

DIRE ET JUGER que Monsieur X. n'a subi aucun préjudice.

DEBOUTER en conséquence Monsieur X. en toutes ses fins et conclusions.

DONNER acte à la Société TASQUIN IMMOBILIER de son intervention.

DIRE ET JUGER à titre infiniment subsidiaire que la Société TASQUIN IMMOBILIER devra garantir la Société TASQUIN CONSEIL de toutes condamnations prononcées à son égard concernant une prétendue surévaluation des biens immobiliers acquis par Monsieur X. »

et ce, en invoquant, notamment :

- la prescription de l'action de M. X. à son encontre, comme retenu par le premier juge, alors que son intervention serait antérieure à l'offre de prêt, et qu'en tout état de cause, même en prenant en compte l'évolution du change du franc suisse, la prescription serait acquise, comme courant à compter du 6 septembre 2011, date de l'introduction d'un taux plancher, et sans que la concluante ne soit concernée par la clause contestée, contenue dans le contrat liant M. X. à la banque, outre que son obligation de conseil s'apprécierait en l'état du droit positif applicable lors de la signature du contrat, et non en appliquant rétroactivement une jurisprudence nouvelle,

- sur le fond, sur les financements en CHF, son rôle limité à défaut d'intervention dans le choix d'un prêt en devises, pour lequel elle réfute toute réalisation d'une simulation par ses soins, et l'absence de préjudice subi par M. X. s'il était fait droit à sa demande principale, ce qui lui permettrait de bénéficier d'un 'crédit gratuit', et en tout état de cause, l'absence de préjudice autre qu'éventuel s'agissant d'une opération à long terme,

- à titre subsidiaire également, sur les acquisitions immobilières, s'agissant des deux premiers biens, l'absence de préjudice lié aux avantages, fiscal ou autre, dont il aurait bénéficié et à la faible moins-value réalisée à la revente, ou s'agissant du dernier bien, l'incidence, non imputable aux concluantes, de la défaillance du premier locataire et l'absence de preuve d'une perte de valeur de ce bien.

[*]

Vu l'ordonnance de clôture en date du 31 octobre 2023,

Vu les débats à l'audience du 13 novembre 2023,

Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

Sur les demandes relatives au prêt :

M. X. a souscrit auprès de la Caisse de Crédit Mutuel (CCM) [Localité 7] Europe, ci-après également dénommée « le Crédit Mutuel » ou « la banque », un prêt selon offre en date du 17 octobre 2006, pour un montant, libellé en devises, de 394.000 francs suisses (CHF) portant intérêts au taux variable selon l'lndex LIBOR 3 mois, avec capital à rembourser en une échéance à la date du 30 novembre 2021, étant précisé que, selon note en délibéré déposée le 21 novembre 2023, la banque produit une attestation de fin de prêt dont il ressort que celui-ci a été remboursé en totalité à la date du 25 février 2020.

Ce prêt visait à assurer le financement de l'acquisition, à la suite d'un conseil d'investissement de la SARL Tasquin Conseil, d'un appartement situé à [Localité 4] (04), pour un montant de 217 164 euros soumis au régime de la loi Demessine, dont le contrat de réservation a été signé le 6 mars 2006.

Il est à noter que M. X. avaient déjà acquis deux autres immeubles dont un situé à [Localité 8].

Le prêt litigieux comporte, notamment, les clauses suivantes :

4.3. : « Tous remboursements en capital, paiement des intérêts et des commissions et cotisations d'assurance auront lieu dans la devise empruntée.

Les échéances seront débitées sur tout compte en devises ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du préteur.

La monnaie de paiement est l'euro, l'emprunteur ayant toujours la faculté de rembourser en euros les échéances au moment de leur prélèvement.

Les échéances seront débitées sur tout compte en devises (ou le cas échéant en euros) ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du préteur.

Les frais de garanties seront payables en euros.

Si le compte en devises ne présente pas la provision suffisante au jour de l'échéance, le préteur est en droit de convertir le montant de l'échéance impayée en euros, et de prélever ce montant sur tout compte en euros ouvert dans les livres du prêteur, au nom de l'emprunteur ou du coemprunteur. Le cours du change appliqué sera le cours du change tiré. »

8.3. : « Le prêt est réputé convertible en euros. L'emprunteur pourra demander au prêteur la conversion du prêt en euros sous préavis de 30 jours minimum. La conversion ne pourra intervenir qu'à une date d'échéance. Les caractéristiques du taux d'intérêt seront négociées entre les parties à ce moment-là, étant précisé qu'à défaut d'accord, l'emprunteur devra à son choix poursuivre le prêt en devises ou le rembourser par anticipation ».

8.5. « DISPOSITIONS PROPRES AUX CRÉDITS EN DEVISES » : « il est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'à complet remboursement du prêt ».

Ainsi que cela a été rappelé, M. X. poursuit la nullité du contrat de prêt litigieux, à la fois au motif de la contrariété de la clause de remboursement en monnaie étrangère (article 4.3) à l'ordre public économique, demande qui a été déclarée irrecevable comme prescrite par le juge de première instance, et au motif du caractère abusif des trois clauses précitées, demande qui a été déclarée recevable, mais rejetée par le premier juge.

 

Sur l'action en nullité du prêt pour non-respect du cours légal de la monnaie :

M. X. demande à la cour de prononcer la nullité du contrat de prêt au motif que, libellé en francs suisses, il aurait ignoré la règle d'ordre public du cours légal de la monnaie, et l'infirmation de la décision de première instance qui a considéré cette action prescrite.

Pour autant, la juridiction de première instance a, à juste titre, considéré sur ce sujet, que le délai de prescription court à compter de la signature de l'offre de crédit, relevant que le demandeur n'invoquait pas un dol sur ce point, alors qu'il résultait clairement de l'offre de prêt immobilier, acceptée le 17 octobre 2006 par le demandeur, en ses articles. 4, 4.2, 4.3, que le prêt est stipulé en devises suisses.

Les développements de M. X., relatifs à la date de survenance de son dommage qui ne serait apparu que bien après la signature du prêt, à savoir au moment où, à l'occasion de la vente en 2015 de son bien situé à [Localité 8] (77), il se serait aperçu de l'incidence des fluctuations importantes du cours du franc suisse, sont inopérants. Puisque son action en nullité est fondée sur une prétendue contrariété de la clause d'indexation à l'ordre public économique, elle renvoie nécessairement aux dispositions mêmes du contrat de prêts qu'il connaissait parfaitement dès le jour de sa signature.

En outre, les articles portant sur l'octroi du prêt en francs suisses, étaient parfaitement clairs, en ce que les clauses précitées, dont les termes viennent d'être rappelés, stipulaient que le montant du prêt accordé était en francs suisses, que les remboursements se feraient « dans la devise empruntée », que « tous les remboursements en capital, paiement des intérêts et des commissions et cotisations d'assurance auront lieu dans la devise empruntée » et que « l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro ».

La prescription de son action étant déjà en cours lors de l'entrée en vigueur de la réforme de 2008 (le 19 juin 2008) instaurant le délai quinquennal, cette dernière était acquise 5 ans après l'entrée en vigueur de cette réforme, soit le 19 juin 2013.

En conséquence, l'appelant aurait dû introduire son action avant le 19 juin 2013, ce qu'il n'a pas fait.

Le jugement entrepris sera donc confirmé, en ce qu'il a jugé l'action en nullité du prêt pour non-respect de la règle du cours légal de la monnaie, prescrite, et partant, irrecevable.

 

Sur l'action fondée sur les clauses abusives :

Le jugement de première instance a déclaré recevables les demandes de M. X. sur ce fondement, mais les a rejetées au fond, au motif que les clauses discutées, étant constitutives de l'objet principal du contrat, avaient été rédigées de manière claire et compréhensible.

A hauteur d'appel, M. X. sollicitent l'infirmation de la décision au fond pour que soit reconnu le caractère abusif desdites clauses.

Quant à la banque, si elle sollicite la confirmation de la décision au fond, en revanche elle demande l'infirmation des dispositions qui avaient déclaré recevable cette action, soutenant qu'elle serait frappée par la prescription.

Il convient, dès lors, de vérifier si les clauses litigieuses sont abusives au sens des législations européenne et française. Pour ce faire, il sera nécessaire de retracer la position des jurisprudences de la Cour de cassation et de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) - tant sur la question de la prescription que de l'application au fond des actions restitutoire ou déclaratoire - pour vérifier leur compatibilité et leur conformité à l'aune du corpus législatif de l'Union (et s'il conviendrait d'adresser une demande préjudicielle).

Au préalable, il sera rappelé que l'article L. 132-1 du code de la consommation, qui a été abrogé le 14 mars 2016, mais qui était applicable au moment de la signature du contrat litigieux en 2006, édicte que :

« Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la commission instituée à l'article L. 534-1, détermine une liste de clauses présumées abusives ; en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse.

Un décret pris dans les mêmes conditions détermine des types de clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu'elles portent à l'équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives au sens du premier alinéa.

Ces dispositions sont applicables quels que soient la forme ou le support du contrat. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie, bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies.

Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1156 à 1161,1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l'exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l'une de l'autre.

Les clauses abusives sont réputées non écrites.

L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses.

Les dispositions du présent article sont d'ordre public. »

 

Sur la recevabilité :

* Sur l'action déclaratoire :

L'article 7 § 1 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs prévoit que les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

Par arrêts du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19 et C-609/19), la CJUE a dit pour droit que l'article 6 § 1 et l'article 7 § 1 de la directive 93/13 précitée, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription.

Dès lors, la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation n'est pas soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil.

En conséquence, l'action en constatation du caractère abusif des clauses 4.3, 8.3, et 8.5 de l'offre de prêt acceptée le 17 octobre 2006, doit être déclarée recevable.

 

* Sur l'action restitutoire :

L'article 2224 du code civil énonce que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Par arrêts du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19 et C-609/19), la CJUE a dit pour droit que l'article 6 § 1 et l'article 7 § 1, précités, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l'acceptation de l'offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l'ensemble de ses droits découlant de cette directive. Elle a relevé que les modalités de mise en oeuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive 93/13 ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d'équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivité).

S'agissant de l'opposition d'un délai de prescription à une demande introduite par un consommateur, aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de clauses abusives au sens de la directive 93/13 précitée, elle a rappelé avoir dit pour droit que l'article 6 § 1 et l'article 7 § 1 de cette directive ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui, tout en prévoyant le caractère imprescriptible de l'action tendant à constater la nullité d'une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, soumet à un délai de prescription l'action visant à faire valoir les effets restitutifs de cette constatation, sous réserve du respect des principes d'équivalence et d'effectivité (CJUE, 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C-698/18 et C-699/18 ; CJUE, 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C-224/19 et C-259/19). Ainsi, l'opposition d'un tel délai n'est pas en soi contraire au principe d'effectivité, pour autant que son application ne rende pas en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par cette directive. En conséquence, un délai de prescription est compatible avec le principe d'effectivité uniquement si le consommateur a eu la possibilité de connaître ses droits avant que ce délai ne commence à courir ou ne s'écoule.

Par arrêt du 9 juillet 2020 (C-698/18 et C-699/18), la CJUE a dit pour droit que l'article 2, sous b), l'article 6 § 1, et l'article 7 § 1 de la directive 93/13/CEE précitée, ainsi que les principes d'équivalence, d'effectivité et de sécurité juridique doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une interprétation juridictionnelle de la réglementation nationale selon laquelle l'action judiciaire en restitution des montants indûment payés sur le fondement d'une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est soumise à un délai de prescription de trois ans qui court à compter de la date de l'exécution intégrale de ce contrat, lorsqu'il est présumé, sans besoin de vérification, que, à cette date, le consommateur devait avoir connaissance du caractère abusif de la clause en cause ou lorsque, pour des actions similaires, fondées sur certaines dispositions du droit interne, ce même délai ne commence à courir qu'à partir de la constatation judiciaire de la cause de ces actions.

S'agissant du respect du principe d'équivalence, il sera rappelé qu'en droit interne, le délai de prescription des actions en restitution, consécutives à l'annulation d'un contrat ou d'un testament, ne court qu'à compter de cette annulation, que cette annulation résulte de l'accord des parties ou d'une décision de justice (Cour de cassation, Civ. 1ère, 1er juillet 2015, pourvoi n° 14-20.369 ; Civ. 1ère, 28 octobre 2015, pourvoi n° 14-17.893 ; Civ. 3ème, 14 juin 2018, pourvoi n° 17-13.422 ; Civ. 1ère, 13 juillet 2022, pourvoi n° 20-20.738).

S'agissant du principe d'effectivité, il serait contradictoire de déclarer imprescriptible l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause et de soumettre la principale conséquence de cette reconnaissance à un régime de prescription la privant d'effet.

Il s'en déduit que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil, de l'action fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses (Cour de cassation, Civ. 1ère, 12 juillet 2023, pourvoi n° 22-17.030).

Concernant le moyen relatif à la sécurité juridique soulevé par la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 7] Europe, il sera rappelé que :

- la prohibition des clauses abusives remonte à la directive 93/13 CEE du Conseil du 5 avril 1993, applicable à tous les contrats conclus à compter du 1er janvier 1995,

- cette directive a été transposée en droit interne par la loi n° 95-96 du 1er février 1995,

- la jurisprudence tant européenne que nationale n'a fait qu'interpréter les règles européennes et nationales relatives aux clauses abusives, dont elle a éclairé et précisé la signification et la portée, telles qu'elles auraient dû être comprises depuis leur entrée en vigueur ; en conséquence, ces règles ainsi interprétées doivent être appliquées par le juge à tous les rapports juridiques nés et constitués postérieurement à cette entrée en vigueur, quand bien même ils l'ont été antérieurement à cette jurisprudence et seule la CJUE peut décider des limitations dans le temps à apporter à une telle interprétation (CJUE, 21 décembre 2016, C-154/15, C-307-15 et C-308-12),

- la Cour européenne des droits de l'homme juge que les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante (CEDH, 18 décembre 2008, Unédic c. France),

- enfin, cette jurisprudence sur l'imprescriptibilité de l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause d'un contrat et sur le point de départ du délai de prescription de l'action restitutoire ne présente pas d'inconvénients manifestement disproportionnés dès lors qu'elle ne prive pas la banque de son accès au juge et de son droit à un procès équitable mais d'une partie de sa rémunération et qu'elle est sans conséquence sur son droit de propriété.

En conséquence, la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de M. X., en restitution de sommes indûment payées au Crédit mutuel, en exécution des clauses dont il soutient qu'elles sont abusives, sera rejetée, l'appelant devant, dès lors, être déclaré recevable en sa prétention.

 

* Sur le caractère abusif des clauses litigieuses :

Aux termes de l'article L. 132-1, précité, du code de la consommation, dans sa version applicable au litige, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, doivent être déclarées abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Les clauses abusives sont réputées non écrites. Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives, s'il peut subsister sans lesdites clauses.

La Cour de justice de l'Union européenne a jugé que les clauses de monnaie de paiement et de monnaie de compte, qui permettent le remboursement en francs suisses voire en monnaie nationale, relèvent de l'objet principal du contrat, dans la mesure où elles définissent cet objet principal, dès lors qu'elles décrivent et déclinent l'obligation principale de l'emprunteur.

Il en résulte que de telles clauses ne peuvent être regardées comme abusives, si elles sont rédigées de façon claire et précise. Tel sera le cas si elles sont non seulement intelligibles pour le consommateur sur un plan grammatical, mais également si le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause concernée.

A cet égard, la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C782-19), a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause, et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.

La CJUE a rappelé que, le consommateur se trouvant dans une situation d'infériorité à l'égard du professionnel en ce qui concerne son niveau d'information, cette exigence de transparence doit être entendue de manière extensive.

Ainsi, cette exigence de transparence nécessite une information concrète, suffisante et exacte, qui met le consommateur en mesure de comprendre le risque encouru et ses conséquences potentielles en cas de réalisation de ce risque, exemples chiffrés et significatifs à l'appui (Cassation, Civ. 1ère, 20 avril 2022, pourvoi n° 20-16.316).

Selon la Cour de justice de l'Union européenne, les clauses d'un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu'il soit plafonné, sur l'emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d'une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.

Il ressort de ces développements, que les jurisprudences nationales et de la CJUE, sont claires quant à l'interprétation à donner, notamment de l'article 4.2 de la directive 93/13/CE s'agissant des clauses faisant peser le risque de change sur l'emprunteur, qui définissent l'objet principal du contrat, en ce qu'elles sont abusives du seul fait qu'elles ne sont pas rédigées de façon claire et compréhensible sans qu'il ne soit nécessaire de rechercher si elles créent au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

Dans ces conditions, et dès lors que les règles ci-dessus rappelées étant dorénavant bien connues, et appliquées sans difficulté par les juridictions nationales - notamment quant à la recherche du caractère abusif des clauses qui varie selon leur nature, selon qu'elle définit l'objet du contrat (comme c'est le cas en l'espèce) ou non, il n'y a aucun intérêt à soumettre à la CJUE la question préjudicielle proposée par la CCM [Localité 7] Europe. Cette demande sera dès lors écartée.

En l'espèce, les termes des clauses litigieuses ont été rappelés ci-dessus. Ainsi que cela a également été rappelé, il en ressort, notamment, que le montant du prêt accordé était en francs suisses, qu'il était convertible en euros, que les remboursements se feraient « dans la devise empruntée », que « tous les remboursements en capital, paiement des intérêts et des commissions et cotisations d'assurance auront lieu dans la devise empruntée » et que « l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro ».

La banque entend, notamment, préciser que les échéances, payables en euros, étant libellées en francs suisses, les changements de parité se répercuteraient directement et immédiatement sur le montant prélevé en euro et que la durée du prêt n'est pas affectée.

S'il résulte de ces stipulations une énonciation compréhensible sur le plan formel et grammatical des conditions et modalités d'exécution du prêt qui permettait à M. X. de comprendre le mécanisme du prêt en devise, que la monnaie de compte est le franc suisse, que les échéances de prêt seraient prélevées sur un compte en devise dédié, que la monnaie de paiement demeurait l'Euro, que l'emprunteur restait libre de s'acquitter de sa dette à tout moment dans la monnaie ayant cours en France, il n'en reste pas moins qu'au-delà de cette description, les effets de l'évolution de la parité entre l'euro d'une part et le franc suisse d'autre part n'y sont pas mis en relief ni même expliqués de telle manière que l'emprunteur puisse envisager concrètement l'impact économique, potentiellement significatif, d'une évolution défavorable de la parité des monnaies sur ses obligations et évaluer en toute connaissance de cause, le risque auquel il accepte de s'exposer, consistant en l'augmentation de la valeur du capital emprunté.

Il n'est notamment pas expressément indiqué que, l'emprunteur s'expose à un risque de change, en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus, par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt est accordé et aucun élément ne lui permet d'évaluer le coût total potentiel de l'emprunt et de prendre conscience des difficultés auxquelles il serait confronté, en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus. Aucun exemple de calcul concret n'est mentionné dans le contrat ou ses annexes et aucune notice d'information, sur le cours de change, n'y figure, alors qu'une telle notice est jointe concernant les conditions et modalités de variation du taux d'intérêt.

Le texte de l'article 8.5 - qui est censé attirer l'attention de l'emprunteur sur le risque de change - est ainsi bien trop laconique et sommaire pour remplir son rôle, en ce qu'il n'est pas à même de permettre à un emprunteur 'moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé', - tel que l'est M. X., que sa qualité d'ingénieur cadre dans l'automobile ne met pas, de ce fait, en mesure d'appréhender la complexité et la spécificité du mécanisme en cause, le fait qu'il ait été conseillé par la société Tasquin Conseil était sans emport - de prendre conscience des effets d'une variation du taux de change euro/franc suisse favorable à la valeur helvétique, et ce que ce soit pour le paiement des intérêts ou pour le capital payable 'in fine'.

En outre, les clauses contractuelles n'attirent pas l'attention du consommateur sur le fait que le risque de change est renforcé par le mécanisme, même du prêt « in fine » qui reporte à une échéance lointaine, le règlement de l'intégralité du capital emprunté, en l'espèce 15 ans après la signature de la convention de prêt. Rien dans les clauses litigieuses n'informe le consommateur sur cette prise de risque, qui porte sur le capital emprunté, sur 15 ans.

Enfin, l'attestation signée par M. X. en date du 17 octobre 2006 - dans laquelle il affirme avoir pris connaissance des risques de change liés au franc suisse ainsi que des règles relatives à la variation de l'index LIBOR en franc suisse - est insuffisante pour venir démontrer que le Crédit Mutuel l'a informé, par ailleurs utilement, sur le risque de change pris, notamment au regard du fait que le capital serait réglé 15 ans plus tard, sachant que cette attestation ne précise nullement quelle aurait été la nature de cette information dispensée.

Dans ces conditions, il y a lieu de constater que les clauses litigieuses ne forment pas un ensemble clair et compréhensible, au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation.

A défaut pour le Crédit Mutuel d'avoir justifié de la communication d'informations complémentaires, de nature à éclairer le consommateur - portant sur les éléments fondamentaux du contrat tenant au risque de change, susceptible d'avoir une incidence particulièrement importante sur la portée de l'engagement pris sur 15 ans par l'emprunteur - lui permettant d'évaluer notamment le coût total potentiel de l'emprunt et de prendre conscience des difficultés auxquelles il pourrait être confronté, en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus, il y a lieu de considérer que les clauses de remboursement du crédit (4.3 et 8.3), et celle portant sur le risque de change (8.5) - même éclairées par les autres stipulations du contrat de prêt - n'ont pas été rédigées de manière claire et de nature à permettre à l'emprunteur de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de ces clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée du contrat dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de l'euro dans laquelle il percevait ses revenus par rapport à la monnaie de compte, à savoir le franc suisse. (voir Civ. 1ère, 8 septembre 2022, pourvoi n° 20-20.826).

En conséquence de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de déclarer abusives les clauses 4.3, 8.3 et 8.5, qui sont indivisibles, en ce que le principe descriptif de l'emprunt en francs suisses remboursable en euros, est décliné par le fonctionnement de deux comptes dans chacune des devises, par les opérations de change et par les modalités de remboursement dans le temps.

Les clauses litigieuses, reconnues abusives ci-dessus, doivent donc être réputées non écrites et l'emprunteur doit se retrouver dans la situation qui aurait été la sienne, si elles n'avaient jamais existé.

Plus particulièrement, en l'espèce, étant rappelé que les alinéas 6 et 8 de l'article L. 132-1 précité, disposent que les clauses abusives sont réputées non écrites et que le contrat restera applicable, dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives, s'il peut subsister sans lesdites clauses, et qu'il y a lieu de considérer le caractère essentiel de ces clauses dans la construction du prêt, la cour ne peut que constater que le contrat de prêt ne peut guère subsister sans celles-ci, de sorte qu'il y a de replacer les parties dans la situation qui était la leur au moment de la contraction du prêt, et ce comme le préconise la décision rendue par la Cour de cassation dans un arrêt du 12 juillet 2023.

Dans un cas similaire, elle a en effet validé la condamnation du consommateur à restituer la contre-valeur en euros de la somme prêtée, selon le taux de change applicable à la date de la mise à disposition des fonds et la banque à restituer la contre-valeur en euros de chacune des sommes perçues en exécution du prêt, selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements, le différentiel dû, après compensation, portant ensuite intérêt au taux légal à compter de la signification de l'arrêt avec capitalisation (Cass. 1ère civ., 12 juillet 2023, pourvoi n° 22-17.030).

Aussi, la demande de nullité du contrat - qui entraîne de facto l'obligation de replacer les parties dans la situation qui était la leur avant le contrat - sollicitée par M. X., au cas d'espèce, sera-t-elle acceptée et l'appelant condamné à restituer au Crédit Mutuel, en tant que de besoin, dans la mesure où il a été relevé que le prêt avait été soldé, mais cela relève des comptes à faire entre les parties, la contre-valeur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds en 2006, de la somme prêtée.

La banque sera, quant à elle, condamnée à restituer à M. X. toutes les sommes qu'elle a perçues en exécution du prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes perçues selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements.

Il y aura lieu d'ordonner la compensation des sommes, et d'assortir la somme résiduelle due de l'intérêt légal, à compter de la signification du présent arrêt.

 

Sur les actions en responsabilité contre la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 7] Europe et la société Tasquin Conseil :

* Sur la recevabilité :

Il convient d'apprécier si la demande de M. X., fondée sur la responsabilité contractuelle de la banque et de la SARL Tasquin Conseil est prescrite, étant rappelé que l'appelant reproche, notamment, à la banque un manquement à son devoir de conseil et d'information, englobant en fait aussi l'obligation de mise en garde, comme cela ressort de l'évocation d'un risque d'endettement excessif eu égard aux caractéristiques du prêt litigieux et de conseil, et à la SARL Tasquin Conseil d'avoir mis en place un projet fondé sur une surévaluation du bien immobilier.

Selon l'article 2224 du code civil, leur action doit être engagée dans un délai de cinq ans à compter du jour où ils ont eu, ou auraient dû avoir, connaissance des faits leur permettant de l'exercer.

Le manquement d'une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti, sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt, prive cet emprunteur d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt.

Il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage - mais également du dommage résultant d'un éventuel défaut de conseil ou d'information plus général - commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, ainsi que le soutient en l'espèce la banque, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'a pas été, n'est pas ou ne sera pas en mesure de faire face (Com., 25 janvier 2023, pourvoi n° 20-12.811).

Il ressort de l'attestation jointe à la note en délibéré précitée, que M. X., qui a pu régler les échéances d'intérêts, même si celles-ci ont augmenté, a été en mesure de solder le prêt par anticipation en février 2020. C'est donc à cette date qu'il a été à même de découvrir « les réelles conséquences de l'évolution du taux de change euro/franc suisse ».

En conséquence, l'action en responsabilité contractuelle engagée par M. X. n'est manifestement pas prescrite, tant à l'égard de la banque que de la SARL Tasquin Conseil, le jugement de première instance devant être infirmé sur ce point.

 

Sur l'action concernant la banque :

L'article 1147 du code civil, applicable au moment des faits, prévoyait que le débiteur d'une obligation contractuelle, en l'espèce la banque, tenue d'une obligation de mise en garde ou de conseil, peut être condamnée à paiement de dommages et intérêts en raison de l'inexécution de l'obligation ou du retard pris dans cette exécution. Il est nécessaire de démontrer une faute à la charge du banquier et un préjudice.

S'agissant du défaut de mise en garde mis en avant par M. X., la cour ne peut que constater que celui-ci ne s'est jamais trouvé en situation d'endettement, ayant toujours pu honorer les échéances et même rembourser par anticipation le capital, avec plus d'un an d'avance sur l'échéance. Aucun défaut de mise en garde ne peut ainsi être retenu.

Quant au défaut de devoir de conseil, concernant la réalisation et le choix de l'investissement financé, il convient de rappeler que la banque, dispensatrice de crédit, qui n'a pas à s'immiscer dans les affaires de son client pour apprécier l'opportunité des opérations auxquelles il procède, n'est pas tenue, en cette seule qualité, à une obligation de conseil envers l'emprunteur, sauf si elle en a pris l'engagement. Ce n'est que lorsqu'elle a délivré un conseil que celui-ci doit être adapté à la situation personnelle de son client dont elle a connaissance.

Or, en l'espèce, M. X. était conseillé par la SARL Tasquin Conseil, laquelle lui a établi un bilan financier prenant en compte sa situation patrimoniale, ainsi qu'un plan de trésorerie et de rentabilité. Il ne saurait donc être reproché à la banque par M. X. de ne pas l'avoir conseillé sur la faisabilité de cet investissement en sachant qu'en tout état de cause, comme cela vient d'être rappelé, une banque n'a pas à se prononcer sur l'opportunité, la qualité ou l'utilité de l'opération à financer.

Enfin s'agissant des reproches formulés par l'appelant contre la banque, au motif que cette dernière n'aurait pas dû lui proposer un prêt in fine, ou encore en francs suisses, il y a lieu de constater pour le premier reproche, que M. X. ne rapporte pas la preuve d'une faute dans le conseil de la mise en place du prêt in fine, qui comportait l'avantage d'alléger les mensualités de remboursement.

En revanche, il est certain que la banque a commis une faute de conseil, en proposant à M. X. un prêt en monnaie étrangère, dans le cadre justement d'un prêt in fine, car il n'est pas démontré - comme exposé plus haut - qu'elle a clairement et précisément attiré l'attention de son client sur le risque particulièrement important encouru du fait que le prêt était fait en francs suisse avec un risque de change.

S'il avait été dûment conseillé et informé par le professionnel de la banque, M. X. aurait pu, en connaissance de cause, renoncer à contracter un prêt présentant de telles caractéristiques, et aurait pu emprunter dans le cadre d'un prêt classique en euros.

Pour établir le préjudice qu'il a subi du fait de ce défaut de conseil, il convient de définir l'assiette sur laquelle portera le pourcentage de perte de chance : or, en l'espèce, il convient de constater que cette assiette est nulle. En effet, suite à l'invalidation des clauses contractuelles et à l'annulation du contrat de prêt, les parties sont replacées dans la situation qui était la leur en 2006, avant de signer les contrats, et il n'est nullement rapporté la preuve de ce que ce retour à la situation initiale est de nature à générer un préjudice économique pour M. X., précision donnée qu'aucun préjudice moral n'a été réclamé.

Dès lors, la perte de chance portera sur une assiette vide, de sorte que la demande de dommages et intérêts ne saurait être accueillie.

 

Sur l'action contre la SARL Tasquin Conseil :

La société Tasquin Conseil n'est pas intervenue au niveau de la signature de l'acte de prêt, mais en amont pour étudier la situation de M. X. et lui proposer, s'agissant à tout le moins du dernier immeuble acquis par son intermédiaire ou sur ses conseils, un projet transmis ensuite à un établissement bancaire. M. X. ne démontre, d'ailleurs, pas que la société Tasquin Conseil lui aurait proposé de financer son projet par un prêt en devise étrangère.

La société Tasquin Conseil s'est contentée de proposer à M. X. un investissement, à savoir l'acquisition d'un bien immobilier en l'état futur d'achèvement, selon contrat de réservation. L'étude a été réalisée sur la base « d'euros », et il n'est pas soutenu que la livraison du bien et sa mise en location n'ont pas eu lieu conformément aux prévisions.

Par ailleurs, M. X. entend faire grief à la société Tasquin Conseil de l'avoir mal conseillé, dans la mesure où les trois biens qu'il a acquis, le premier, à [Localité 6], pour un montant de 196 667 euros, le deuxième à [Localité 8], pour 220.000 euros, et le troisième, financé par l'emprunt, à [Localité 4], pour 217 164 euros, ont été revendus, pour les deux premiers, à hauteur de 149.000 et 184.000 euros, respectivement, le troisième faisant l'objet d'une évaluation à 100.000 euros, ajoutant que la rentabilité de l'opération, reposant, selon la simulation, sur un loyer libre mensuel de 529 euros, le contrat de réservation mentionnant un loyer annuel de 6 704,52 euros TTC, devant permettre le remboursement des intérêts de l'emprunt octroyé pour financer ce projet, aurait été décevante, la locataire payant irrégulièrement son loyer.

Toutefois, outre qu'il sera constaté, s'agissant de l'évaluation du dernier bien, qu'elle repose sur une attestation succincte, reposant sur le simple constat qu' « au vu du marché, il serait préférable de ne pas dépasser ce montant », en l'absence, par ailleurs, d'éléments comparatifs avec d'éventuelles ventes réalisées dans la même résidence ou dans des résidences de même type, la cour considère, à l'instar du premier juge, que M. X. ne rapporte pas la preuve que la SARL Tasquin Conseil l'aurait trompé, soit en lui cachant des informations déterminantes auxquelles il n'avait pas accès, soit en lui présentant des informations délibérément fausses.

Ainsi, comme l'a d'ailleurs rappelé, en substance, le premier juge, il est de notoriété publique que le marché immobilier connaît des fluctuations, et comporte une part d'aléa, rendant incertaine toute projection, de sorte que M. X. ne peut affirmer qu'il pouvait avoir la certitude que les biens acquis seraient valorisés à un montant supérieur ou égal à leur valeur d'achat en sortie de projet, étant, au demeurant, observé que le contrat de réservation était assorti d'une offre 'solution privilège' qui permet au client de ne pas payer les frais d'acquisition, ni les intérêts intercalaires, ce qui a pour effet de minorer sa moins-value éventuelle, ou finalement avérée, à la revente.

D'ailleurs, s'agissant à tout le moins de l'appartement de [Localité 4], les documents remis en 2006 à l'investisseur, intitulés « Etude d'investissement : RTC ZZR trésorerie sur 15 ans - [Adresse 5] : Lot 3408 » précisent expressément au bas de chacune de ses pages « Document non contractuel et susceptible de changer », ce dont il ressort bien qu'aucune valorisation de l'investissement n'était garantie.

L'existence d'une faute imputable à la SARL Tasquin Conseil n'est pas rapportée, de sorte que la demande formée contre elle sera rejetée.

 

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

La Caisse de Crédit Mutuel [Localité 7] Europe, succombant pour l'essentiel, sera tenue des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, M. X. devant cependant être condamné aux dépens exposés à hauteur d'appel par la SARL Tasquin Conseil, outre confirmation du jugement déféré sur cette question.

L'équité commande, en outre, de mettre à la charge de la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 7] Europe, une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 3.000 euros au profit de M. X., tout en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de ce dernier, que ce soit à la demande de la banque ou de la SARL Tasquin Conseil, envers laquelle M. X. sera également débouté de sa demande à ce titre. Les dispositions du jugement déféré de ce chef seront, par ailleurs, confirmées.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Infirme le jugement rendu le 15 novembre 2019 par le tribunal de grande instance de Mulhouse en ce qu'il a :

- dit que la clause précitée relative à la charge du risque de change, du prêt en cause n'était pas abusive,

- rejeté la demande de « nullité » de cette clause,

- déclaré irrecevable l'action aux fins d'indemnisation dirigée contre la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 7] Europe, pour manquement aux obligations d'information, et de conseil, pour cause de prescription,

- déclaré irrecevable l'action aux fins d'indemnisation pour manquement à une obligation de renseignement, une obligation d'information sur les risques financiers des contrats ou de l'opération de placement financier, une obligation de conseil, dirigée contre la SARL Tasquin Conseil,

- déclaré recevable l'action en indemnisation dirigée contre la SARL Tasquin Conseil pour pratiques délibérément trompeuses,

- rejeté la demande d'indemnisation dirigée contre la SARL Tasquin Conseil pour pratiques délibérément trompeuses,

Le confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Rejette la demande de la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 7] Europe, tendant à transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne,

Déclare abusives et non écrites les clauses présentes contenues dans l'offre de prêt du 26 septembre 2006, acceptée le 17 octobre 2006 et reprise dans l'acte notarié de prêt du 8 novembre 2006, à savoir :

* l'article 4.3. : « Tous remboursements en capital, paiement des intérêts et des commissions et cotisations d'assurance auront lieu dans la devise empruntée.

Les échéances seront débitées sur tout compte en devises ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du préteur.

La monnaie de paiement est l'euro, l'emprunteur ayant toujours la faculté de rembourser en euros les échéances au moment de leur prélèvement.

Les échéances seront débitées sur tout compte en devises (ou le cas échéant en euros) ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du préteur.

Les frais de garanties seront payables en euros.

Si le compte en devises ne présente pas la provision suffisante au jour de l'échéance, le préteur est en droit de convertir le montant de l'échéance impayée en euros, et de prélever ce montant sur tout compte en euros ouvert dans les livres du prêteur, au nom de l'emprunteur ou du coemprunteur. Le cours du change appliqué sera le cours du change tiré »

* l'article 8.3. : « Le prêt est réputé convertible en euros. L'emprunteur pourra demander au prêteur la conversion du prêt en euros sous préavis de 30 jours minimum. La conversion ne pourra intervenir qu'à une date d'échéance. Les caractéristiques du taux d'intérêt seront négociées entre les parties à ce moment-là, étant précisé qu'à défaut d'accord, l'emprunteur devra à son choix poursuivre le prêt en devises ou le rembourser par anticipation »

* l'article 8.5 : « Il est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt »

Annule le contrat de prêt du 26 septembre 2006,

Déclare M. X. recevable en son action restitutoire dirigée à l'encontre de la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 7] Europe,

Condamne M. X. à restituer à la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 7] Europe la contre-valeur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds en 2006, de la somme prêtée,

Condamne la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 7] Europe à restituer à M. X. toutes les sommes qu'elle a perçues en exécution du prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes perçues, selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements,

Ordonne la compensation des sommes et assortit la somme résiduelle due de l'intérêt légal à compter de la signification du présent arrêt,

Condamne la partie débitrice de cette somme obtenue après compensation à la verser à l'autre partie,

Déclare recevable la demande de M. X. en dommages et intérêts, en son action dirigée contre la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 7] Europe et contre la SARL Tasquin Conseil,

Déboute M. X. de sa demande de dommages et intérêts, en son action dirigée contre la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 7] Europe,

Rejette la demande de M. X. en dommages et intérêts, en son action dirigée contre la SARL Tasquin Conseil.

Condamne la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 7] Europe aux dépens de la procédure d'appel,

Condamne la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 7] Europe à payer à M. X. la somme de 3.000 euros (trois mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 7] Europe de ses demandes au titre des dépens et frais irrépétibles,

Condamne M. X. aux dépens exposés à hauteur d'appel par la SARL Tasquin Conseil,

Déboute M. X. de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile contre la SARL Tasquin Conseil,

Déboute la SARL Tasquin Conseil de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile contre M. X.

La Greffière :                                               le Président :