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CA LYON (1re ch. civ. A), 7 mars 2024

Nature : Décision
Titre : CA LYON (1re ch. civ. A), 7 mars 2024
Pays : France
Juridiction : Lyon (CA), 1re ch. A
Demande : 20/03830
Date : 7/03/2024
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 17/07/2020
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CERCLAB - DOCUMENT N° 10786

CA LYON (1re ch. civ. A), 7 mars 2024 : RG n° 20/03830 

Publication : Judilibre

 

Extrait : « En application de l'article 1170 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, la condition potestative est celle qui fait dépendre l'exécution de la convention d'un événement qu'il est du pouvoir de l'une ou l'autre des parties contractantes de faire arriver ou d'empêcher. En vertu de l'article 1174 du même code, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, toute obligation est nulle lorsqu'elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s'oblige.

L'article 11-1 du contrat, argué potestatif, est rédigé dans les termes suivants : « Les prix tels que définis à l'article 8 ont été établis en considération des informations communiquées par le CLIENT sur les conditions d'exploitation du service de restauration. Si, au cours des six premiers mois d'activité, les réalités d'exploitation ne correspondaient pas aux éléments sur la base desquels les parties sont convenues des prix définis à l'article 8, le présent contrat serait renégocié entre les parties. A défaut d'accord, il serait résilié par anticipation si bon semble au RESTAURATEUR, par lettre recommandée avec accusé de réception et en observant un préavis de 8 jours ».

La faculté de résiliation offerte au restaurateur se trouve conditionnée à l'existence d'une distorsion entre les réalités d'exploitation et les éléments sur la base desquels les parties sont convenues des prix, savoir les informations communiquées par l'EHPAD sur les conditions d'exploitation du service de restauration. Une telle distorsion constitue un élément objectif, extérieur à la volonté des parties et susceptible de contrôle judiciaire. Il s'ensuit que la clause ne revêt pas de caractère potestatif.

S'agissant du caractère prétendument abusif de la clause litigieuse, la cour constate que l'association EHPAD [5] a contracté pour satisfaire les besoins de sa clientèle en matière de restauration et qu'elle ne peut être regardée comme non-professionnelle au sens de l'article L. 212-2 du code de la consommation dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016. Elle ne peut donc se prévaloir de la législation sur les clauses abusives.

S'agissant en dernier lieu de la validité de la clause litigieuse, le premier juge a exactement rappelé que la modification du prix prévu au contrat n'est possible que par obligation légale, ou en application d'une méthode préétablie dans le contrat, ou du consentement mutuel des parties en cours de contrat, et que les clauses insérées au contrat ne peuvent obliger les parties à réviser le contrat mais seulement à entrer en négociation.

Or, l'article 11.1 du contrat n'oblige point les parties à convenir d'un nouveau prix à l'issue de la négociation et il n'est pas démontré que la faculté de résiliation offerte à la société SHCB, en cas d'échec des négociations, emporterait des conséquences d'une telle gravité qu'elle contraindrait l'EHPAD à consentir une modification du prix. La clause n'est donc pas irrégulière. Il n'y a pas lieu, partant, de l'annuler ou de la réputer non-écrite. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE LYON

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE A

ARRÊT DU 7 MARS 2024

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 20/03830. N° Portalis DBVX-V-B7E-NBVS. Décision du Tribunal Judiciaire de LYON, Au fond, du 4 juin 2020 (chambre 9 cab 09F) : RG n° 17/02523.

 

APPELANTE :

SAS SHCB GESTION

[Adresse 1], [Adresse 1], [Localité 3], Représentée par la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque : 1547, Et ayant pour avocat plaidant la SCP RGM, avocat au barreau de LYON, toque : T 694

 

INTIMÉE :

L'EHPAD [5]

[Adresse 2], [Localité 4], Représentée par Maître Alexandre BECAUD, avocat au barreau de LYON, toque : 1994

 

Date de clôture de l'instruction : 11 mai 2021

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 19 octobre 2023

Date de mise à disposition : 1er février 2024 prorogée au 15 février 2024, et 7 mars 2024 les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier alinéa du code de procédure civile

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré : - Anne WYON, président - Julien SEITZ, conseiller - Thierry GAUTHIER, conseiller, assistés pendant les débats de Séverine POLANO, greffier. A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, Signé par Anne WYON, président, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Suivant contrat régularisé le 21 juillet 2016, l'association EHPAD [5] (l'EHPAD) a confié à la société SHCB gestion (la société SHCB) mission d'offrir des prestations de restauration collective à son personnel et ses résidents, pour une durée de 5 ans commençant à courir le 1er juillet 2016.

Le prix du contrat a été déterminé par la société SHCB sur la base des informations communiquées par l'EHPAD quant au service attendu. La société SHCB a notamment estimé que la réalisation de cette prestation prévoyait la mise à disposition de 4 à 5 salariés.

Les parties ont également conclu une lettre de reprise de matériel, en vertu de laquelle la société SHCB a mis quatre chariots chauffants à la disposition de l'EHPAD. Cette lettre de reprise prévoit notamment le remboursement par l'EHPAD du prix des chariots en cas de résiliation anticipée du contrat.

Estimant, dans les premières semaines d'exécution, que sa prestation nécessitait la mise à disposition de 7 salariés, la société SHBC a sollicité la renégociation du contrat en application de l'article 11-1 des conventions des parties.

L'EHPAD ayant opposé une fin de non-recevoir, la société SHCB a résilié le contrat par courrier recommandé du 29 janvier 2017, à effet au 8 février 2017. Le terme du contrat a été ultérieurement prorogé au 28 février 2017.

Par assignation signifiée le 28 février 2017, la société SHCB a fait citer l'EHPAD devant le tribunal de grande instance de Lyon, afin qu'il soit statué sur les conséquences financières et économiques de cette résiliation.

Par jugement du 4 juin 2020, le tribunal judiciaire de Lyon a :

- condamné la société SHCB à payer à l'EHPAD les sommes de 6.000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive de contrat et de 3.000 euros en indemnisation de ses frais non répétibles ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- condamné la société SHCB aux dépens de l'instance.

La société SHCB a relevé appel de ce jugement selon déclaration enregistrée le 17 juillet 2020.

[*]

Aux termes de ses conclusions récapitulatives, déposées le 17 mars 2021, la société SHCB demande à la cour, au visa de l'article 1134 ancien du code civil, de :

- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il :

* la condamne à payer à l'EHPAD les sommes de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de restauration du 21 juillet 2016 et 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

* déboute les parties de toutes leurs autres demandes

* la condamne aux entiers dépens,

statuant à nouveau :

- la dire bien fondée à prononcer la résiliation anticipée du contrat de prestations de restauration collective régularisé entre les parties le 21 juillet 2016,

- condamner l'EHPAD à lui verser la somme de 35.000 euros au titre de son préjudice financier né du surcoût du personnel,

- condamner l'EHPAD à lui verser la somme de 244.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique subi par cette dernière correspondant aux gains manqués sur la durée initiale de 5 ans du contrat,

- condamner l'EHPAD à lui verser la somme de 135.348 euros TTC au titre du doublement de la facture des chariots chauffants tel que prévu à l'article 2 de la lettre de reprise de matériel,

- condamner l'EHPAD à lui verser la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

- débouter l'EHPAD de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de restauration du 21 juillet 2016,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté l'EHPAD de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 100.000 euros pour procédure abusive, ramenée à 10.000 euros à hauteur de cour,

- condamner l'EHPAD à lui verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la même aux entiers dépens de l'instance.

La société SHCB reproche au premier juge d'avoir fait dépendre la solution du litige de la nature et de l'ampleur des informations communiquées par l'EHPAD en amont de la signature du contrat, alors qu'elle résidait dans la démonstration objective d'une différence entre les éléments ayant conduit à la fixation du prix et la réalité de l'exploitation.

Elle estime que cette différence résulte suffisamment de la nécessité de mettre à disposition 7 salariés, plutôt que les 4,5 salariés à temps plein retenus lors de la fixation du prix. L'appelante se prévaut à cet égard de l'attestation de M. X., chef de secteur.

Elle ajoute que l'augmentation du personnel affecté au site de l'EHPAD a conduit à une exploitation déficitaire, ainsi qu'il résulte de l'attestation de M. Y..

Elle estime que la qualité de salariés de MM. X. et Y. ne suffit à remettre en cause leur crédibilité, au regard du caractère circonstancié de leurs observations, que l'EHPAD ne parvient pas à contredire.

En réponse aux moyens adverses, la société SHCB fait valoir que les clauses de renégociation des contrats sont licites et admises en jurisprudence. Elle conteste le caractère purement potestatif de la clause litigieuse, en faisant observer que l'obligation de renégocier ne dépend pas de la seule volonté de l'une des parties, mais d'un élément objectif extérieur à celle-ci, susceptible de contrôle judiciaire.

Concluant sur ses préjudices, elle indique avoir enduré des coûts d'exploitation imprévus de 35.000 euros, ainsi qu'une perte de gains espérés de 240.000 euros.

Elle ajoute que l'EHPAD reste lui devoir la somme de 56.395 euros au titre de la reprise des chariots chauffants, qu'il convient de doubler en application de la pénalité convenue dans la lettre de reprise de matériel.

Elle se prévaut en dernier lieu d'un préjudice moral, à raison du caractère dommageable des déclarations effectuées par la directrice de l'EHPAD dans la presse, amplement démontré par les attestations dressées par deux de ses salariés.

Concluant en dernier lieu sur les demandes reconventionnelles, la société SHCB fait valoir que l'EHPAD ne démontre pas la réalité et l'ampleur du préjudice né de la rupture prétendument abusive du contrat, en rappelant qu'elle a continué amiablement d'assurer sa prestation jusqu'au 28 février 2017 pour permettre à l'EHPAD de lui désigner un successeur.

Elle conteste enfin avoir agi de manière abusive et approuve le tribunal d'avoir rejeté la demande de dommages-intérêts correspondante.

[*]

Par conclusions récapitulatives déposées le 25 décembre 2020, l'EHPAD demande à la cour, au visa des articles 9, 32-1 et 700 du code de procédure civile et des articles 1134, 1147, 1170 et 1174 anciens du code civil, de :

- confirmer le jugement du tribunal judiciaire du 4 juin 2020 en ce qu'il a rejeté les demandes de la société SHCB,

- dire et juger que le contrat de prestations de restauration collective du 21 juillet 2016 a été conclu pour une durée déterminée de cinq ans, à compter du 1er juillet 2016 jusqu'au 30 juin 2021 inclus,

- dire et juger que l'article 2.2 du contrat du 21 juillet 2016 prévoyait les tâches présentées comme nouvelles par la société SHCB en novembre 2016 pour solliciter la renégociation du prix,

- dire et juger que le refus de l'EHPAD de toute augmentation du prix des prestations de la société SHCB est légitime,

- dire et juger que la société SHCB ne démontre pas la mise à disposition de l'EHPAD de sept salariés en lieu et place des 4,5 salariés prévus dans le contrat,

- dire et juger que les attestations des salariés de la société SHCB n'ont aucune valeur probante,

- dire et juger que la société SHCB, en qualité de professionnelle, se devait de dimensionner son devis en prévision de ses tâches en exécution du contrat de prestations de restauration collective du 21 juillet 2016,

- dire et juger que la société SHCB a fait preuve d'imprévision,

- dire et juger que la clause de renégociation de l'article 11.1 du contrat de prestations de restauration collective du 21 juillet 2016 est abusive et sera réputée nulle et non avenue,

- dire et juger que la condition relative à la renégociation est une condition potestative qui sera réputée non écrite,

- dire et juger que la résiliation du contrat du 21 juillet 2016 par la société SHCB est abusive,

- dire et juger que la société SHCB ne démontre pas l'existence d'un préjudice direct, réel et certain,

- dire et juger que la société SHCB est à l'origine de son propre préjudice,

- débouter en conséquence la société SHCB de l'intégralité de ses demandes,

- confirmer le jugement du tribunal judiciaire du 4 juin 2020 en ce qu'il a condamné la société SHCB au versement de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de restauration du 21 juillet 2016,

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire du 4 juin 2020 en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle de condamnation de la société SHCB au paiement d'une amende civile et de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- dire et juger que l'EHPAD a subi un dommage du fait de la résiliation abusive du contrat du 21 juillet 2016 par la société SHCB,

- dire et juger que l'action de la société SHCB à l'encontre de l'EHPAD est abusive,

- condamner la société SHCB à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de la résiliation abusive du contrat du 21 juillet 2016,

- condamner la société SHCB à lui payer à la somme de 10.000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- condamner la société SHCB à payer une amende civile de 10.000 euros pour procédure abusive,

- confirmer le jugement entrepris en ses autres dispositions,

- condamner la société SHCB à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société SHCB aux dépens.

L'EHPAD fait valoir que les tâches présentées comme nouvelles par la société SHCB pour solliciter la renégociation du prix ont été définies dès la signature du contrat et que les éléments présentés par l'appelante comme nouveaux étaient parfaitement connus lors de la fixation du prix.

Elle considère que la société SHCB se prévaut en réalité de son imprévision et de son erreur dans l'estimation de la charge de travail induite, en rappelant que la jurisprudence s'oppose au principe de la renégociation en pareilles hypothèses.

Elle estime en conséquence ne pas avoir à renégocier.

L'EHPAD conteste par ailleurs la réalité du nombre de salarié mis à disposition invoqué par la société SHCB ainsi que la réalité des surcoûts et pertes de gain induits, en faisant observer que la preuve correspondante ne repose que sur des attestations de salariés de l'appelante, dont elle estime qu'elles se trouvent privées de valeur probante.

Elle conteste le préjudice moral invoqué par l'appelante, en faisant valoir que sa directrice avait pris le soin d'adopter une position nuancée dans l'article de presse et que la société SHCB avait fait usage de son droit de réponse.

Elle querelle également la clause de renégociation invoquée par la société SHCB en faisant valoir :

- qu'elle serait nulle en raison de son caractère potestatif,

- qu'elle n'obéirait pas aux conditions de validité des clauses de renégociation et revêtirait un caractère abusif, en ce qu'elle imposerait non point de renégocier le prix, mais de le modifier, sous peine de résiliation,

- qu'elle revêtirait un caractère abusif compte tenu du délai de résiliation extrêmement court y stipulé.

L'EHPAD ajoute qu'en l'absence de toute obligation de renégocier valablement stipulée, la société SHCB cherche à lui imputer une rupture contractuelle qui n'est pas de son fait, mais de celui de l'appelante, dont elle rappelle qu'elle est à l'origine de la résiliation du contrat.

Elle affirme que la résiliation prononcée par la société SHCB en l'absence de motif conventionnel valable est fautive et que cette société ne peut en conséquence réclamer l'application de la lettre de reprise de matériel, sur la foi d'une facture au demeurant antérieure à la résiliation des conventions.

Elle se prévaut à titre reconventionnel du dommage que lui a causé cette rupture, en l'obligeant à rechercher un nouveau prestataire en urgence et estime que la procédure introduite par l'appelante revêt un caractère abusif.

[*]

Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture par ordonnance du 11 mai 2021 et l'affaire a été appelée à l'audience du 19 octobre 2023 à laquelle elle a été mise en délibéré au 01 février 2024. Le délibéré a été prorogé au 15 février 2024 puis au 7 mars 2024.

Par soit-transmis du 13 février 2024, la cour a invité les parties à conclure au plus tard le 28 février 2024 sur le moyen soulevé d'office tiré de ce que l'association EHPAD [5] ne pouvait être regardée comme non-professionnelle au sens des dispositions du code de la consommation. La société SHCB Gestion a déposé une note sur ce point le 27 février 2024. La société EPHAD [5] n'a pas conclu suite à l'invitation de la cour.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

Sur la validité de la clause de renégociation insérée au contrat :

En application de l'article 1170 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, la condition potestative est celle qui fait dépendre l'exécution de la convention d'un événement qu'il est du pouvoir de l'une ou l'autre des parties contractantes de faire arriver ou d'empêcher.

En vertu de l'article 1174 du même code, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, toute obligation est nulle lorsqu'elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s'oblige.

L'article 11-1 du contrat, argué potestatif, est rédigé dans les termes suivants :

« Les prix tels que définis à l'article 8 ont été établis en considération des informations communiquées par le CLIENT sur les conditions d'exploitation du service de restauration.

Si, au cours des six premiers mois d'activité, les réalités d'exploitation ne correspondaient pas aux éléments sur la base desquels les parties sont convenues des prix définis à l'article 8, le présent contrat serait renégocié entre les parties. A défaut d'accord, il serait résilié par anticipation si bon semble au RESTAURATEUR, par lettre recommandée avec accusé de réception et en observant un préavis de 8 jours ».

La faculté de résiliation offerte au restaurateur se trouve conditionnée à l'existence d'une distorsion entre les réalités d'exploitation et les éléments sur la base desquels les parties sont convenues des prix, savoir les informations communiquées par l'EHPAD sur les conditions d'exploitation du service de restauration.

Une telle distorsion constitue un élément objectif, extérieur à la volonté des parties et susceptible de contrôle judiciaire. Il s'ensuit que la clause ne revêt pas de caractère potestatif.

S'agissant du caractère prétendument abusif de la clause litigieuse, la cour constate que l'association EHPAD [5] a contracté pour satisfaire les besoins de sa clientèle en matière de restauration et qu'elle ne peut être regardée comme non-professionnelle au sens de l'article L. 212-2 du code de la consommation dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016. Elle ne peut donc se prévaloir de la législation sur les clauses abusives.

S'agissant en dernier lieu de la validité de la clause litigieuse, le premier juge a exactement rappelé que la modification du prix prévu au contrat n'est possible que par obligation légale, ou en application d'une méthode préétablie dans le contrat, ou du consentement mutuel des parties en cours de contrat, et que les clauses insérées au contrat ne peuvent obliger les parties à réviser le contrat mais seulement à entrer en négociation.

Or, l'article 11.1 du contrat n'oblige point les parties à convenir d'un nouveau prix à l'issue de la négociation et il n'est pas démontré que la faculté de résiliation offerte à la société SHCB, en cas d'échec des négociations, emporterait des conséquences d'une telle gravité qu'elle contraindrait l'EHPAD à consentir une modification du prix. La clause n'est donc pas irrégulière.

Il n'y a pas lieu, partant, de l'annuler ou de la réputer non-écrite.

 

Sur la résiliation du contrat de restauration :

Conformément à l'article 1212 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, lorsque le contrat est conclu pour une durée déterminée, chaque partie doit l'exécuter jusqu'à son terme.

Le premier juge a exactement rappelé qu'en dehors des hypothèses de résiliation d'un commun accord, de faculté de résiliation d'origine légale ou de clause contractuelle de résiliation unilatérale, une partie ne peut rompre un contrat à durée déterminée sans commettre de faute.

La société SHCB a prononcé la résiliation du contrat au visa de l'article 11-1 du contrat, en vertu duquel :

« Les prix tels que définis à l'article 8 ont été établis en considération des informations communiquées par le CLIENT sur les conditions d'exploitation du service de restauration.

Si, au cours des six premiers mois d'activité, les réalités d'exploitation ne correspondaient pas aux éléments sur la base desquels les parties sont convenues des prix définis à l'article 8, le présent contrat serait renégocié entre les parties. A défaut d'accord, il serait résilié par anticipation si bon semble au RESTAURATEUR, par lettre recommandée avec accusé de réception et en observant un préavis de 8 jours ».

Il résulte du premier alinéa de cet article que les éléments sur la base desquels les parties ont déterminé le prix figurant à l'article 8 s'entendent de la seule description de l'activité faite par le client.

Or, le nombre de 4,5 salariés employés à temps plein (ETP) n'apparaît pas aux articles 2 à 6 du contrat, contenant cette description, mais à l'article 8, contenant la décomposition du prix. Il ne participe point des « éléments sur la base desquels les parties sont convenues des prix définis à l'article 8 », mais découle au contraire de ceux-ci et sa fixation dépend uniquement de l'évaluation de la charge de travail incombant au prestataire.

L'affirmation de la société SHCB, selon laquelle « le prix a été convenu et arrêté entre les parties au regard des éléments indiqués à l'article 8 du contrat retenant un effectif de 4,5 salariés », est donc erronée, son raisonnement revenant à ériger en cause ce qui ne constitue qu'une conséquence et c'est par de justes motifs, que la cour adopte, que le tribunal judiciaire de Lyon a retenu :

- qu'en application de l'article 11-1 du contrat, 'les informations communiquées par le client sur les conditions d'exploitation du service de restauration', sur la base desquelles les parties ont fixé le prix des prestations de la société SHCB, s'entendaient de la description de la prestation attendue par l'EHPAD et de la description de l'activité à accomplir, résultant des articles 1 à 6 du contrat, et non du prix fixé par les parties, ni même de la décomposition de celui-ci en coût des aliments, des frais de personnel, des frais de gestion et d'exploitation, tels que décrits à l'article 8, lesquels avaient au contraire vocation à être déterminés par le prestataire en considération du service demandé et de la marge qu'il entendait dégager,

- que les motifs invoqués à l'appui de la demande de renégociation du prix avaient consisté dans le transfert de tâches prétendument induit par la mise en place du service à l'étage par l'emploi des chariots roulants, dans la mesure où ses employés devaient, depuis cette mise en place, préparer des plateaux individuels chargés dans les chariots puis distribués aux pensionnaires, au lieu d'assurer un service collectif comme auparavant, ce qui entraînait un temps de cuisine et de plonge supérieur aux prévisions,

- qu'ils avaient également consisté dans le travail supplémentaire induit par la nécessité de préparer plus de repas mixés ou moulés que les prévisions annoncées, quoique ce motif ait été abandonné à l'occasion du débat judiciaire,

- que l'article 2-2 du contrat révélait néanmoins que le service décrit et attendu par l'EHPAD consistait non seulement dans le service en salle de restaurant, mais également dans la distribution, aux différents étages, de repas disposés sur des plateaux individualisés et distribués par le personnel de cuisine, au moyen de chariots roulants chauffants,

- que l'article 2-2-2 du contrat prévoyait expressément la réalisation de plats mixés et reconstitués, sans que les parties n'aient fixé le nombre ou la proportion et sans que la société SHCB ait envisagé que cela puisse générer un surcoût,

- qu'il en résultait que les conditions d'exploitation décrites par l'EHPAD et acceptées par la société SHCB correspondaient à la réalité de l'exploitation et qu'il n'existait point de distorsion en la matière,

- que si la société SHCB avait fixé le nombre d'employés nécessaire pour répondre aux prestations décrites et fixé son prix à 4,5 ETP, alors qu'il en fallait en réalité 7, cela résultait d'une mauvaise appréciation de sa part, et non d'une description erronée par l'EHPAD de la prestation à accomplir et des conditions de son accomplissement,

- qu'en raison de l'intangibilité du contrat, cette incapacité par le professionnel d'évaluer correctement sa charge de travail ne lui permettait pas d'imposer au client une modification du prix, sans quoi il suffirait au prestataire de minorer systématiquement son prix pour emporter le marché puis de contraindre le client à une réévaluation malgré l'absence d'élément nouveau,

- qu'ainsi, les conditions de mise en œuvre de l'article 11-1 n'étaient pas réunies au cas d'espèce, si bien que la société SHCB ne pouvait se prévaloir de cet article pour prononcer la résiliation unilatérale du contrat, laquelle revêtait de ce fait un caractère fautif.

La société SHCB n'est pas fondée pour le surplus à soutenir qu'il serait impossible d'évaluer exactement en amont le nombre de salariés nécessaire à l'accomplissement du service décrit, alors que :

- elle a la qualité de professionnelle de la restauration collective et est réputée à ce titre pouvoir évaluer précisément le nombre de salariés nécessaire à l'accomplissement d'une tâche précisément décrite,

- l'augmentation du nombre d'assiettes à laver suite à la nécessité de disposer les repas sur des plateaux (une assiette par élément de repas et non plus une assiette par repas), décrite par son salarié X., était évidente et parfaitement prévisible.

La résiliation prononcée par l'appelante revêtant un caractère fautif, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté ses demandes indemnitaires formées au titre des surcoût d'exploitation et des pertes de gains attendus.

 

Sur la demande fondée sur la lettre de reprise :

La société SHCB fait valoir que le contrat et la lettre de reprise signée le même jour font obligation à l'EHPAD de l'indemniser en cas de rupture anticipée du contrat, à concurrence des sommes restant dues au titre du matériel mis à disposition par le prestataire.

Elle en déduit que l'EHPAD se trouve tenu de lui régler le montant de la facture de reprise des chariots roulants, d'un montant de 56.395 euros HT, augmenté de la clause pénale insérée dans la lettre de reprise.

Elle reproche au tribunal de lui avoir refusé cette indemnisation, motif tiré de ce qu'elle portait la responsabilité de la résiliation du contrat, alors d'une part que sa décision de rompre les relations contractuelles ne revêt pas de caractère fautif et que le tribunal ne pouvait d'autre part ajouter au contrat, en subordonnant la réparation à l'absence de faute.

Elle ajoute que la décision du tribunal conduit à un enrichissement sans cause de l'EHPAD.

L'EHPAD réplique que la facture de reprise des chariots ne lui a jamais été communiquée en amont de l'instance, en faisant observer qu'elle porte une date postérieure à celle de la lettre recommandée du 23 février 2017 à laquelle elle aurait été prétendument annexée, mais antérieure à la résiliation du contrat constituant son fait générateur.

Elle ajoute que la résiliation prononcée par la société SHCB revêt un caractère fautif et que l'appelante a provoqué son propre préjudice. Elle approuve en conséquence le tribunal d'avoir rejeté la demande correspondante.

Elle rappelle surtout que la société SHCB a opéré la reprise des chariots roulants le 24 juillet 2020.

Sur ce :

Aux termes de l'article 2 de la lettre de reprise signée le même jour que le contrat principal, « en cas de rupture du contrat avant son terme, le client s'engage à verser au restaurateur le solde des sommes dues sur le matériel mis à disposition du client prévu à l'article 1. Le montant dû est indiqué dans l'annexe 1 à cette lettre de reprise... ».

Cette disposition s'interprète comme subordonnant le versement de l'indemnité à la résiliation régulière du contrat, soit d'un commun accord, soit par décision judiciaire, soit en vertu d'une clause résolutoire valablement mise en œuvre.

Or, la résiliation anticipée du contrat par la société SHCB revêt un caractère fautif, en l'absence de réunion des conditions prévues à l'article 11.1 du contrat. L'appelante n'est donc pas fondée à solliciter l'indemnité prévue à l'article 2 de la lettre de mise à disposition.

La cour retient au surplus que l'enrichissement de l'EHPAD n'est pas dépourvu de cause, en ce qu'il trouve son origine dans le comportement fautif de sa cocontractante.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a rejeté la demande formée sur le fondement de la lettre de reprise.

 

Sur la demande en réparation d'un préjudice moral :

A l'occasion de l'entretien accordé au journal Le Progrès, la directrice de l'EHPAD a déclaré, s'agissant de la nature du différend entre les parties et de la volonté exprimée par la société SHCB de résilier le contrat : « C'est illégal. Sur le plan juridique, ils n'ont pas le droit de dénoncer le contrat. Cette société a sous-évalué son tarif, mais j'ai envie de dire que c'est son problème. J'ai fait appel à des spécialistes, c'est à eux de m'apporter une prestation et de la chiffrer. Je ne comprends pas qu'on puisse me dire, plusieurs mois plus tard, que le contrat ne tient plus... ».

S'agissant de la problématique liée à la nécessité de dresser les plateaux repas et de les porter dans les étages au moyen de chariots roulants, la directrice a ajouté : « C'est le cœur du problème. SHCB estime que ça prend trop de temps et menace de reprendre le service sans la réalisation des assiettes. Or, encore une fois, c'est bien écrit dans le contrat... Je suis inquiète car on prend les résidents en otage. Sans chariot, ils seront condamnés à manger de la nourriture froide ».

Ces propos font une relation exacte de la situation juridique et des conséquences du litige sur la situation des résidents, sans revêtir de caractère excessif. Il ne présentent donc pas de caractère fautif et n'ouvrent pas droit à réparation.

La cour retient pour finir que l'indication selon laquelle « L'inquitétude gagne l'Ehpad [5], où des familles ont lancé une pétition contre la société SHCB, qui prépare et sert les repas », figure en tête de l'article et représente un élément d'information apporté par le journaliste. Elle ne découle pas des propos de la directrice de l'EHPAD et ne peut lui être imputée à titre de faute.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire formée par la société SHCB au titre de son préjudice moral.

 

Sur les demandes reconventionnelles de l'EHPAD :

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Vu l'article 32-1 du code de procédure civile ;

L'EHPAD fait valoir que la résiliation prononcée par la société SHCB l'a obligée à trouver un remplaçant dans un délai très court, sous la menace exprimée par l'appelante d'une cessation de ses prestations. Elle précise que le délai contractuel de 8 jours, censé expirer le 08 février 2017 n'a été prorogé au 28 février 2017 qu'après d'âpres négociations. Elle estime en conséquence avoir subi un préjudice moral dont elle évalue la juste réparation à 10.000 euros.

Elle ajoute que l'action en justice, fondée sur des moyens considérés comme « fantaisistes » par le premier juge, revêt un caractère abusif et justifie l'octroi de dommages-intérêts, ainsi que le prononcé d'une amende civile.

La société SHCB fait valoir que l'EHPAD ne démontre pas la réalité de son préjudice moral. Elle conteste pour le surplus le caractère abusif de son action.

Sur ce :

C'est par de justes motifs, que la cour adopte, que le premier juge a condamné la société SHCB à payer à l'EHPAD la somme de 6.000 euros en indemnisation de son préjudice moral et rejeté les demandes de dommages-intérêts et d'amende civile formées sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile.

Y ajoutant, la cour retient que la nécessité de retrouver un prestataire dans un délai très court, initialement fixé à 8 jours et finalement porté à un mois seulement, pour une prestation donnant nécessairement lieu à d'importantes démarches pré-contractuelles, a mis l'EHPAD en difficulté et fait présumer la réalité du préjudice moral allégué.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris.

 

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile ;

La société SHCB succombe à l'instance d'appel et il convient de confirmer les dispositions du jugement de première instance relatives aux frais irrépétibles et dépens.

Il y a lieu également de condamner la société SHCB aux dépens de l'instance d'appel.

L'équité commande enfin de la condamner à payer à l'EHPAD la somme de 10.000 euros en indemnisation des frais irrépétibles exposés à hauteur de cour.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé en dernier ressort,

- Confirme le jugement prononcé le 4 juin 2020 entre les parties par le tribunal judiciaire de Lyon ;

Y ajoutant :

- Condamne la société SHCB aux dépens de l'instance d'appel ;

- Condamne la société SHCB Gestion à payer à l'association EHPAD [5] la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER                                LE PRÉSIDENT