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CA PARIS (pôle 5 ch. 6), 6 mars 2024

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 5 ch. 6), 6 mars 2024
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 5 ch. 6
Demande : 22/03788
Date : 6/03/2024
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 14/02/2022
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CERCLAB - DOCUMENT N° 10807

CA PARIS (pôle 5 ch. 6), 6 mars 2024 : RG n° 22/03788

Publication : Judilibre

 

Extraits : 1/ « Le Crédit foncier de France expose que depuis le jugement, le bien financé a fait l'objet d'une cession, et qu'à l'occasion de celle-ci le prêt octroyé à Mme Y. a été intégralement remboursé par anticipation (pièces nos 22 et 23 de l'intimé). Il en déduit un défaut d'intérêt de la demande dans la mesure où le contrat de prêt n'a plus à être exécuté. La faculté reconnue au consommateur d'invoquer le caractère abusif d'une clause insérée dans le contrat subsiste nonobstant l'exécution de celui-ci, puisque le caractère abusif de la clause litigieuse peut avoir pour conséquence des restitutions résultant du caractère non écrit de ladite clause, voire de l'anéantissement rétroactif du contrat. Mme Y., qui conserve un intérêt à agir, est donc recevable en ses demandes. »

2/ « Les parties conviennent que la clause litigieuse porte sur la définition de l'objet principal du contrat de prêt. Il revient donc à la cour d'examiner si elle est rédigée de façon claire et compréhensible et, si tel n'est pas le cas, si elles créent un déséquilibre significatif au détriment de l'emprunteur.

Sur ce point, il n'est pas produit en appel de nouvel argument ou de nouvelles pièces de nature à remettre en cause l'exacte analyse des premiers juges qui, après avoir considéré les circonstances qui entourent la conclusion du contrat, ainsi que ses autres clauses, ont estimé à bon droit que la clause litigieuse était claire et compréhensible, de sorte qu'ils n'avaient pas à en apprécier le caractère abusif. Il sera seulement ajouté que l'emprunteur est en mesure de comprendre le fonctionnement concret de la clause et d'en évaluer les conséquences économiques sur ses obligations financières, puisque le contrat détaille les suites que le prêteur peut donner à la vérification de la valeur de rachat du contrat d'assurance vie au huitième anniversaire du point de départ du prêt :

« Transformation à la date de rendez-vous : « À la date de rendez-vous et comme précisé dans le paragraphe ci-dessus (Obligations de l'emprunteur relatives à l'adossement), le prêteur est habilité à : « - amortir la totalité du capital restant dû à cette date, sur la durée résiduelle de la période in fine du prêt, « - maintenir le prêt en in fine, « - maintenir une fraction de son prêt en in fine et amortir l'autre fraction de prêt sur la durée résiduelle de la période in fine. « De même, le prêteur pourra transformer un prêt in fine en prêt amortissable à tout moment, et indépendamment des règles ci-dessus énoncées en cas de manquement à l'une quelconque des obligations contractuelles énoncées ci-après » (p. 11 des conditions particulières).

La cour observe qu'en l'occurrence, si les mensualités de 1.201,01 euros appelées à la suite de la transformation du prêt sont supérieures aux mensualités initiales de 569,48 euros de la période de différé d'amortissement, elles restent inférieures aux mensualités de 1.616,32 euros indiquées dans le contrat pour la période d'amortissement (p. 2 des conditions particulières).

Les critères d'évaluation, au huitième anniversaire du prêt, de l'adossement à la fin de la période in fine sont énoncés par la clause Obligations de l'emprunteur relatives à l'adossement : valeur de rachat nette de l'ensemble des frais et brute des prélèvements sociaux et de fiscalité ; montants placés sur les différents supports financiers.

À la fin de la clause susdite stipulant les « obligations de l'emprunteur relatives à l'adossement », l'emprunteur est en outre averti du risque attaché à la valorisation de l'adossement : « Le prêteur ne saurait être tenu pour responsable d'une valorisation de l'adossement non conforme aux prévisions. Quelle que soit cette valorisation, l'emprunteur est tenu de prendre toutes dispositions utiles pour rembourser le crédit en prenant l'une des dispositions énoncées ci-après. »

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il déboute Mme Y. de ses demandes fondées sur le caractère abusif de la clause. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 5 CHAMBRE 6

ARRÊT DU 6 MARS 2024

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 22/03788 (9 pages). N° Portalis 35L7-V-B7G-CFJ3Z. Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 novembre 2021 - Tribunal judiciaire de Paris - 9ème chambre 3ème section - RG n° 19/04783.

 

APPELANTE :

Madame X. épouse Y.

née le [Date naissance 1] à [Localité 5], [Adresse 4], [Adresse 6] (Pays), Représentée par Maître Alexandre BARBELANE de la SELARL BFB Avocats, avocat au barreau de Paris, toque : G 169

 

INTIMÉE :

SA CRÉDIT FONCIER DE FRANCE

[Adresse 2], [Localité 3], N° SIRET : XXX, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Clément DEAN de la SELARL PUGET LEOPOLD COUTURIER, avocat au barreau de Paris, Ayant pour avocat plaidant Maître Frédéric PUGET du même cabinet, avocat au barreau de Paris

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 23 Janvier 2024, en audience publique, devant la Cour composée de : M. Marc BAILLY, président de chambre, M. Vincent BRAUD, président chargé du rapport, Madame Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère, qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRÊT : - Contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Marc BAILLY, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Suivant offre préalable émise le 10 novembre 2009, acceptée le 1er décembre 2009, la société anonyme Le Crédit foncier de France a consenti à X. épouse Y. un prêt immobilier libellé « Foncier Transformable » consistant en un « prêt in fine suivi, en option, d'une période d'amortissement ». L'offre faisait mention de trois périodes : une période d'anticipation de 24 mois, une période de différé d'amortissement de 240 mois, et une période d'amortissement de 120 mois. Le prêt, d'un montant de 153.741 euros, était remboursable au taux d'intérêt de 3,95 % l'an « révisable à compter du 60e mois suivant le point de départ du différé d'amortissement, sur la base du taux interbancaire européen à un an, constaté le premier jour ouvré du mois de révision, majoré d'une partie fixe de 2,00 % et ensuite tous les 12 mois après la première révision », et était destiné à financer l'acquisition d'un logement neuf acquis en l'état futur d'achèvement, à usage locatif.

En garantie du remboursement du prêt, X. épouse Y. a procédé au nantissement de deux contrats d'assurance vie d'une valeur initiale de 10.000 euros chacun, l'un souscrit auprès de la société Inora Life et l'autre proposé par la société Le Crédit foncier de France. Aux termes de l'acte de nantissement, le constituant autorisait le prêteur à exercer le droit au rachat total ou partiel des contrats, sous certaines conditions, et lui déléguait les sommes issues du rachat effectué à hauteur de sa créance.

Par lettres des 8 novembre 2017 et 12 décembre 2017, la société Crédit foncier de France a sollicité X. épouse Y. afin de connaître la valeur à terme de son épargne et ainsi définir « la part in fine du crédit remboursé par l'épargne et le montant de la part du capital devant être rendu amortissable ». Elle lui fixait rendez-vous le 6 février 2018, et l'informait qu'à défaut de réponse de sa part dans un délai de trois mois, elle serait « dans l'obligation de transformer le prêt en amortissable sur la base des informations connues à l'origine ».

Le contrat d'assurance vie Inora Life, nanti au profit de la banque, arrivant à échéance, X. épouse Y. a entendu en reverser les fonds sur le contrat d'assurance vie souscrit auprès du Crédit foncier de France, également nanti en garantie du remboursement du prêt. Par lettre du 6 mars 2018, le Crédit foncier de France a adressé à X. épouse Y. un avenant au contrat de prêt prenant en compte les modifications des garanties. X. épouse Y. a accepté l'avenant le 6 avril 2018.

Puis, par courrier électronique du 16 avril 2018, la banque a suggéré à X. épouse Y. de provisionner le contrat d'assurance vie nanti, à hauteur de 91 680 euros, afin de maintenir le bénéfice de la période de différé d'amortissement.

Par lettre du 21 août 2018, le Crédit foncier de France a indiqué à X. épouse Y. que le prêt deviendrait amortissable à hauteur de 134.749 euros et serait maintenu sous la forme d'un prêt in fine à hauteur de 18.051 euros correspondant à la valeur de l'assurance vie affectée en nantissement. Le Crédit foncier de France a ainsi appelé, à compter du 6 décembre 2018, des mensualités de 1.109,40 euros pour la part amortissable de 134.749 euros, des mensualités de 28,58 euros pour la part in fine de 18.051 euros, outre 63,03 euros au titre des assurances, soit des prélèvements de 1.201,01 euros par mois. Il lui a précisé qu'afin de conserver son prêt dans sa structure initiale, elle pouvait effectuer un versement supplémentaire de 76.600 euros sur le contrat d'assurance vie nanti, nantir un autre contrat d'assurance vie pour un montant équivalent, ou mettre en place des versements mensuels de 1.040 euros sur le contrat d'assurance vie nanti.

Estimant que la société Crédit foncier de France avait procédé à une modification unilatérale et abusive des conditions contractuelles et soutenant n'avoir pas été informée sur la valorisation des contrats d'assurance vie ni alertée sur les risques d'une telle opération, X. épouse Y. a assigné la société Crédit foncier de France devant le tribunal de grande instance de Paris, en responsabilité et en déclaration de clause abusive, par exploit d'huissier en date du 16 avril 2019.

Par jugement contradictoire en date du 26 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :

DÉCLARE madame X. épouse Y. recevable en sa demande de dommages-intérêts ;

DÉBOUTE madame X. épouse Y. de l'ensemble de ses demandes ;

CONDAMNE madame X. épouse Y. à payer à la société anonyme Crédit Foncier de France la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE madame X. épouse Y. aux dépens ;

AUTORISE maître Frédéric Puget à recouvrer directement contre madame X. épouse Y. les frais compris dans les dépens dont il aurait fait l'avance sans en avoir reçu provision.

Par déclaration du 14 février 2022, Mme Y. a interjeté appel du jugement.

[*]

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 5 janvier 2024, X. épouse Y. demande à la cour de :

- INFIRMER la décision du 26 novembre 2021 en ce qu'elle a débouté madame X. épouse Y. de ses demandes tendant à :

* DIRE ET JUGER que la clause selon laquelle : « Une vérification de la valeur de rachat est effectuée à l'occasion d'un rendez-vous fixé au 8ème anniversaire du point de départ du prêt défini aux conditions générales. Cette valeur (et la répartition entre les supports financiers doit être fournie au prêteur par la compagnie d'assurance selon les dispositions prévues dans l'acte de garantie ou à défaut par le souscripteur et l'adhérent. A partir de cette valeur de rachat constatée, nette de l'ensemble des frais et brute des prélèvements sociaux et de fiscalité), le prêteur détermine une évaluation à la fin de la période in fine. Cette évaluation est fonction des montants placés sur les différents supports financiers choisis. L'emprunteur ne pourra conserver en in fine que la fraction dont le remboursement sera ainsi établi. La fraction dont le remboursement n'est pas assuré dans les conditions ci-dessus fera l'objet d'un amortissement sur la durée résiduelle de cette même période in fine d'origine, aux conditions contractuellement prévues au présent contrat. » est une clause abusive en ce qu'elle est imposée par un professionnel à un consommateur et en ce qu'elle lui procure un avantage excessif, à savoir un pouvoir discrétionnaire sur la fixation du pourcentage d'adossement attendu, à l'issue d'une période de 8 ans, lui permettant ainsi de modifier les conditions de remboursement du contrat de prêt,

* DECLARER en conséquence cette clause non-écrite,

* DIRE ET JUGER en conséquence, que le contrat de prêt se poursuivra aux conditions initialement prévues,

* CONDAMNER en conséquence le CRÉDIT FONCIER à rembourser à Madame Y. l'ensemble des échéances mensuelles perçues à compter de la modification unilatérale du prêt, avec intérêts à compter de la demande en justice,

* DIRE ET JUGER que le CRÉDIT FONCIER a commis une faute en modifiant unilatéralement le contrat de prêt avec la période in fine de 20 ans,

* DIRE ET JUGER que le CRÉDIT FONCIER a manqué à son devoir de conseil, à son obligation d'information et à son devoir de mise en garde, à l'origine d'un préjudice subi par Madame Y.,

* DIRE ET JUGER que l'indemnisation du préjudice doit couvrir les sommes exigées par le CRÉDIT FONCIER au titre du maintien du contrat de crédit in fine, dans les conditions initiales,

* CONDAMNER LE CRÉDIT FONCIER à payer à Madame Y. une somme de 91.680 euros en indemnisation de son préjudice et une somme de 6.000 euros au titre de son préjudice moral,

Dans l'hypothèse où le tribunal ne déclarerait pas non écrite la clause litigieuse,

* DIRE ET JUGER que le CRÉDIT FONCIER a manqué à son devoir de conseil, à son obligation d'information et à son devoir de mise en garde, à l'origine d'un préjudice subi par Madame Y.,

* DIRE ET JUGER que l'indemnisation du préjudice doit couvrir les sommes exigées par le CRÉDIT FONCIER au titre du maintien du contrat de crédit in fine, dans les conditions initiales,

* CONDAMNER le CRÉDIT FONCIER à lui verser la somme de 91.680 € à titre de dommages-intérêts en indemnisation de son préjudice, et à une somme de 6.000 euros au titre de son préjudice moral,

* CONDAMNER LE CRÉDIT FONCIER à rembourser à Madame Y. la somme de 7.168,40 euros, ainsi que la somme mensuelle de 896,05 euros jusqu'au jugement à intervenir, au titre du prêt contracté,

* CONDAMNER le CRÉDIT FONCIER à verser à Madame Y. une somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

* CONDAMNER le CRÉDIT FONCIER aux entiers dépens, et autoriser Me Dominique Laurier, Avocat, à en recouvrer le montant conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

* ORDONNER l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

- INFIRMER la décision du 26 novembre 2021 en ce qu'elle a condamné madame X. épouse Y. à payer à la société anonyme Crédit Foncier de France la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- INFIRMER la décision du 26 novembre 2021 en ce qu'elle a condamné madame X. épouse Y. aux dépens ;

- CONFIRMER la décision du 26 novembre 2021 en ce qu'elle a déclaré recevable la demande de dommages et intérêts et rejetant la demande de fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par le CRÉDIT FONCIER.

ET STATUANT A NOUVEAU

A titre principal

- DIRE ET JUGER que la clause selon laquelle : « Une vérification de la valeur de rachat est effectuée à l'occasion d'un rendez-vous fixé au 8ème anniversaire du point de départ du prêt défini aux conditions générales. Cette valeur (et la répartition entre les supports financiers doit être fournie au prêteur par la compagnie d'assurance selon les dispositions prévues dans l'acte de garantie ou à défaut par le souscripteur et l'adhérent. A partir de cette valeur de rachat constatée, nette de l'ensemble des frais et brute des prélèvements sociaux et de fiscalité), le prêteur détermine une évaluation à la fin de la période in fine. Cette évaluation est fonction des montants placés sur les différents supports financiers choisis. L'emprunteur ne pourra conserver en in fine que la fraction dont le remboursement sera ainsi établi. La fraction dont le remboursement n'est pas assuré dans les conditions ci-dessus fera l'objet d'un amortissement sur la durée résiduelle de cette même période in fine d'origine, aux conditions contractuellement prévues au présent contrat. » est une clause abusive en ce qu'elle est imposée par un professionnel à un consommateur et en ce qu'elle lui procure un avantage excessif, à savoir un pouvoir discrétionnaire sur la fixation du pourcentage d'adossement attendu, à l'issue d'une période de 8 ans, lui permettant ainsi de modifier les conditions de remboursement du contrat de prêt,

- DÉCLARER en conséquence cette clause non-écrite,

- PRONONCER la nullité du contrat de prêt ;

- ORDONNER les restitutions réciproques ;

A titre subsidiaire

- DIRE ET JUGER que la clause selon laquelle : « Une vérification de la valeur de rachat est effectuée à l'occasion d'un rendez-vous fixé au 8ème anniversaire du point de départ du prêt défini aux conditions générales. Cette valeur (et la répartition entre les supports financiers doit être fournie au prêteur par la compagnie d'assurance selon les dispositions prévues dans l'acte de garantie ou à défaut par le souscripteur et l'adhérent. A partir de cette valeur de rachat constatée, nette de l'ensemble des frais et brute des prélèvements sociaux et de fiscalité), le prêteur détermine une évaluation à la fin de la période in fine. Cette évaluation est fonction des montants placés sur les différents supports financiers choisis. L'emprunteur ne pourra conserver en in fine que la fraction dont le remboursement sera ainsi établi. La fraction dont le remboursement n'est pas assuré dans les conditions ci-dessus fera l'objet d'un amortissement sur la durée résiduelle de cette même période in fine d'origine, aux conditions contractuellement prévues au présent contrat. » est une clause abusive en ce qu'elle est imposée par un professionnel à un consommateur et en ce qu'elle lui procure un avantage excessif, à savoir un pouvoir discrétionnaire sur la fixation du pourcentage d'adossement attendu, à l'issue d'une période de 8 ans, lui permettant ainsi de modifier les conditions de remboursement du contrat de prêt,

- DÉCLARER en conséquence cette clause non-écrite,

- DIRE ET JUGER en conséquence, que le contrat de prêt se poursuivra aux conditions initialement prévues,

- CONDAMNER en conséquence le CRÉDIT FONCIER à rembourser à Madame Y. l'ensemble des échéances mensuelles perçues à compter de la modification unilatérale du prêt, avec intérêts à compter de la demande en justice,

En tout état de cause

- DÉBOUTER LE CRÉDIT FONCIER DE FRANCE de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions dont son appel incident ;

- CONDAMNER le CRÉDIT FONCIER à lui verser la somme de 179.133,60 € à titre de dommages-intérêts en indemnisation de son préjudice, et à une somme de 6.000 euros au titre de son préjudice moral,

- CONDAMNER LE CRÉDIT FONCIER à rembourser à Madame Y. la somme de 7.168,40 euros, ainsi que la somme mensuelle de 896,05 euros jusqu'au jugement à intervenir, au titre du prêt contracté, en réparation du préjudice subi du fait du prélèvement injustifié sur son assurance-vie ;

- CONDAMNER LE CRÉDIT FONCIER à payer la somme de 5.000,00 euros à Madame Y. au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER LE CRÉDIT FONCIER aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Alexandre Barbelane avocat aux contrats de droit, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

[*]

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 7 décembre 2023, le Crédit foncier de France demande à la cour de :

Déclarer Madame X. épouse Y. irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes, et l'en débouter ;

Déclarer le CRÉDIT FONCIER recevable et bien fondée en son appel incident partiel ;

Infirmer la décision déférée en ce qu'elle a déclaré Mme X. épouse Y. recevable en ses demandes de dommages et intérêts ;

A titre principal et subsidiairement confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a jugé que Mme X. épouse Y. est mal fondée en ses demandes et l'en a débouté ;

Condamner Madame X. épouse Y. à payer la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner Madame X. épouse Y. aux entiers dépens.

[*]

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2024 et l'audience fixée au 23 janvier 2024.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

CELA EXPOSÉ,

Sur l'action en déclaration de clause abusive :

Sur la recevabilité de la demande :

Le Crédit foncier de France expose que depuis le jugement, le bien financé a fait l'objet d'une cession, et qu'à l'occasion de celle-ci le prêt octroyé à Mme Y. a été intégralement remboursé par anticipation (pièces nos 22 et 23 de l'intimé). Il en déduit un défaut d'intérêt de la demande dans la mesure où le contrat de prêt n'a plus à être exécuté.

La faculté reconnue au consommateur d'invoquer le caractère abusif d'une clause insérée dans le contrat subsiste nonobstant l'exécution de celui-ci, puisque le caractère abusif de la clause litigieuse peut avoir pour conséquence des restitutions résultant du caractère non écrit de ladite clause, voire de l'anéantissement rétroactif du contrat. Mme Y., qui conserve un intérêt à agir, est donc recevable en ses demandes.

 

Sur le bien-fondé de la demande :

Aux termes de l'article L. 132-1, alinéa premier, du code de la consommation dans sa rédaction applicable à l'espèce, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Conformément à l'alinéa 7 du même texte, l'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

Les parties conviennent que la clause litigieuse porte sur la définition de l'objet principal du contrat de prêt. Il revient donc à la cour d'examiner si elle est rédigée de façon claire et compréhensible et, si tel n'est pas le cas, si elles créent un déséquilibre significatif au détriment de l'emprunteur.

Sur ce point, il n'est pas produit en appel de nouvel argument ou de nouvelles pièces de nature à remettre en cause l'exacte analyse des premiers juges qui, après avoir considéré les circonstances qui entourent la conclusion du contrat, ainsi que ses autres clauses, ont estimé à bon droit que la clause litigieuse était claire et compréhensible, de sorte qu'ils n'avaient pas à en apprécier le caractère abusif.

Il sera seulement ajouté que l'emprunteur est en mesure de comprendre le fonctionnement concret de la clause et d'en évaluer les conséquences économiques sur ses obligations financières, puisque le contrat détaille les suites que le prêteur peut donner à la vérification de la valeur de rachat du contrat d'assurance vie au huitième anniversaire du point de départ du prêt :

« Transformation à la date de rendez-vous :

« À la date de rendez-vous et comme précisé dans le paragraphe ci-dessus (Obligations de l'emprunteur relatives à l'adossement), le prêteur est habilité à :

« ' amortir la totalité du capital restant dû à cette date, sur la durée résiduelle de la période in fine du prêt,

« ' maintenir le prêt en in fine,

« ' maintenir une fraction de son prêt en in fine et amortir l'autre fraction de prêt sur la durée résiduelle de la période in fine.

« De même, le prêteur pourra transformer un prêt in fine en prêt amortissable à tout moment, et indépendamment des règles ci-dessus énoncées en cas de manquement à l'une quelconque des obligations contractuelles énoncées ci-après » (p. 11 des conditions particulières).

La cour observe qu'en l'occurrence, si les mensualités de 1 201,01 euros appelées à la suite de la transformation du prêt sont supérieures aux mensualités initiales de 569,48 euros de la période de différé d'amortissement, elles restent inférieures aux mensualités de 1 616,32 euros indiquées dans le contrat pour la période d'amortissement (p. 2 des conditions particulières).

Les critères d'évaluation, au huitième anniversaire du prêt, de l'adossement à la fin de la période in fine sont énoncés par la clause Obligations de l'emprunteur relatives à l'adossement : valeur de rachat nette de l'ensemble des frais et brute des prélèvements sociaux et de fiscalité ; montants placés sur les différents supports financiers.

À la fin de la clause susdite stipulant les « obligations de l'emprunteur relatives à l'adossement », l'emprunteur est en outre averti du risque attaché à la valorisation de l'adossement :

« Le prêteur ne saurait être tenu pour responsable d'une valorisation de l'adossement non conforme aux prévisions. Quelle que soit cette valorisation, l'emprunteur est tenu de prendre toutes dispositions utiles pour rembourser le crédit en prenant l'une des dispositions énoncées ci-après. »

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il déboute Mme Y. de ses demandes fondées sur le caractère abusif de la clause.

 

Sur l'action en indemnisation :

Sur la recevabilité de la demande :

Mme Y. recherche la responsabilité du Crédit foncier de France pour manquements à ses obligations d'information, de mise en garde et de conseil, et pour modification unilatérale du contrat de prêt.

Le Crédit foncier de France lui oppose que son action est irrecevable pour être prescrite, considérant que le point de départ du délai de prescription quinquennal est la date de conclusion du prêt.

Mme Y. sollicite devant la cour les indemnités suivantes :

- 179.133,60 euros en indemnisation du coût total du crédit qui n'aurait pas été souscrit si elle avait eu connaissance des conséquences d'un tel prêt ; à tout le moins celle de 91 680 euros, demandée devant les premiers juges au titre du manquement au devoir d'information de la banque, cette somme correspondant au montant que le Crédit foncier de France aurait dû lui conseiller d'épargner ;

- la somme de 6.000 euros également demandée en première instance au titre de son préjudice moral, résidant dans les tracas et soucis causés par l'attitude de la banque.

Le dommage invoqué par Mme Y. consiste en la perte de la chance d'éviter la réalisation du risque que la valorisation des contrats d'assurance-vie au huitième anniversaire du prêt ne permette pas de maintenir le différé d'amortissement. Ce risque n'a pu se réaliser qu'à l'occasion du rendez-vous fixé au huitième anniversaire du prêt, lorsque le prêteur a déterminé son évaluation de la valeur de rachat à la fin de la période in fine, de sorte que ce dommage n'a pu survenir qu'à la date du 16 avril 2018, où le Crédit foncier de France a informé Mme Y. de la somme nécessaire pour conserver le prêt in fine, et que l'action exercée le 16 avril 2019 n'est donc pas prescrite de ce chef.

Les soucis et tracas dont se plaint corrélativement l'emprunteur ne sont pareillement apparus qu'à cette même date. Le jugement mérite donc confirmation en ce qu'il déclare recevables les demandes de dommages et intérêts présentées devant lui par Mme Y.

 

Sur le bien-fondé de la demande :

Le banquier dispensateur de crédit doit éclairer l'emprunteur sur les caractéristiques du prêt accordé. Il a été précédemment jugé que le contrat expose de manière suffisamment claire et précise les conditions d'une transformation du prêt in fine en prêt amortissable en raison du défaut du niveau d'abondement au contrat d'assurance vie. Le contrat détaille les différentes périodes du prêt et la variabilité de leur durée en fonction de l'abondement de l'emprunteur aux assurances vie nanties, et donc leur impact sur le plan de remboursement. En outre, il résulte des conditions particulières et financières du prêt précitées que Mme Y. a été avertie par le Crédit foncier de France sur les risques du crédit liés à l'adossement du crédit aux contrats d'assurance vie. La fiche européenne d'information standardisée indique que dans le cas d'un prêt au logement par reconstitution (prêt in fine), l'emprunteur pourra choisir de rembourser le prêt par le capital constitué sur le ou les contrats d'assurance vie ou d'épargne pris en garantie. La banque a ainsi satisfait à son devoir d'information.

Mme Y. n'est pas fondée à reprocher au Crédit foncier de France de n'avoir pas prévu de mensualités complémentaires s'imputant sur l'assurance vie, ce qui lui aurait laissé croire que les deux contrats d'assurance vie ainsi que l'hypothèque conventionnelle suffisaient à titre de garantie pour rembourser le prêt. D'une part, il est stipulé que « l'adossement est destiné à assurer le remboursement au terme de tout ou partie du capital emprunté », de sorte que rien ne laissait penser que les deux contrats nantis de 10.000 euros chacun suffiraient à rembourser la totalité de l'emprunt de 153.741 euros. D'autre part, le contrat de prêt n'imposait pas à l'emprunteur de procéder à des versements réguliers sur les contrats d'assurance vie, versements qui auraient eu pour but de garantir le remboursement de la totalité du capital emprunté.

Par ailleurs, les débats d'appel et les pièces soumises à la cour n'apportent aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l'exacte appréciation des circonstances de l'espèce faite par le tribunal, qui l'a amené à écarter l'existence tant d'une obligation de mise en garde que d'une obligation de conseil à la charge du prêteur.

Enfin, le Crédit foncier de France n'a pas modifié unilatéralement le contrat, mais a fait une application régulière des clauses prévoyant sa transformation.

Aucune faute n'étant caractérisée contre l'intimé, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il déboute Mme Y. de ses demandes de dommages et intérêts et de remboursement.

 

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Mme Y. en supportera donc la charge.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :

1° À l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

2° Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991.

Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent.

La somme allouée au titre du secundo ne peut être inférieure à la part contributive de l'État majorée de 50 %.

Sur ce fondement, l'appelante sera condamnée à payer au C. F. F. la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

LA COUR,

PAR CES MOTIFS,

DÉCLARE X. épouse Y. recevable en sa demande de déclaration de clause abusive ;

CONFIRME le jugement ;

Y ajoutant,

CONDAMNE X. épouse Y. à payer au Crédit foncier de France la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE X. épouse Y. aux entiers dépens.

LE GREFFIER                                            LE PRÉSIDENT