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TJ PARIS (Jex), 1er février 2024

Nature : Décision
Titre : TJ PARIS (Jex), 1er février 2024
Pays : France
Juridiction : T.jud. Paris
Demande : 23/81413
Date : 1/02/2024
Mode de publication : Judilibre
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CERCLAB - DOCUMENT N° 10816

TJ PARIS (Jex), 1er février 2024 : RG n° 23/81413 

Publication : Judilibre

 

Extraits : 1/ « L’examen du caractère abusif d’une clause doit se faire au regard de sa seule rédaction, non de la manière dont le professionnel l’a mise en œuvre (CJUE, 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14, §75 ; CJUE, ordonnance du 11 juin 2015, Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C-602/13, non publiée, §§50 et 54). »

2/ « Le 17 mai 2022, par un arrêt de grande chambre, cette Cour a, sur question préjudicielle d’une juridiction italienne, dit pour droit (affaires jointes C-693/19 et C-831/19) que la directive de 1993 devait être interprétée comme s’opposant à une réglementation nationale qui prévoit que, lorsqu’une injonction de payer prononcée par un juge à la demande d’un créancier n’a pas fait l’objet d’une opposition formée par le débiteur, le juge de l’exécution ne peut pas, au motif que l’autorité de la chose jugée dont cette injonction est revêtue couvre implicitement la validité de ces clauses, excluant tout examen de la validité de ces dernières, ultérieurement, contrôler l’éventuel caractère abusif des clauses du contrat qui ont servi de fondement à ladite injonction. Le mécanisme de l’ordonnance portant injonction de payer et l’institution du juge de l’exécution étant similaires en Italie et en France, il ne fait pas de doute que cette solution est directement transposable en droit français. »

3/ « De ces quatre arrêts, résumés au bulletin de jurisprudence de la Cour de justice de mai 2022, pp. 37 à 40, il résulte que le juge de l’exécution français est, d’une manière générale, au stade de l’exécution forcée d’un quelconque titre exécutoire, nonobstant l’autorité de chose jugée pouvant lui être attachée, tenu d’examiner d’office le caractère abusif des clauses du contrat ayant donné lieu à l’émission ou à la constitution de ce titre, pourvu qu’il dispose des éléments de droit et de fait permettant cet examen, au premier chef desquels le contrat.

La Cour de cassation a rapidement confirmé que l’autorité de la chose jugée, en l’occurrence attachée à la décision d’admission de la créance à une procédure collective prise par un juge commissaire, ne faisait pas obstacle au contrôle, par le juge de l’exécution, des éventuelles clauses abusives affectant les actes notariés de prêt consentis au débiteur poursuivi (Cass. com., 8 févr. 2023, n° 21-17.763, publié au rapport).

En l’espèce, ni le juge d’instance, statuant le 15 avril 2008 sur la requête en injonction de payer qui lui a été présentée par la société Finaref sur le fondement d’un crédit à la consommation octroyé le 19 février 2001 à Mme X., ni le tribunal d’instance, statuant sur l’opposition de celle-ci à cette ordonnance portant injonction de payer, n’ont examiné le caractère abusif des clauses pouvant être contenues dans ce contrat. »

4/ « Mais ledit contrat n’est produit par aucune des parties, ce à quoi ne peut suppléer la production, par Mme X., de quatre modèles de contrat de crédit commercialisés par Finaref entre 1993 et 2010. De là suit que le juge de l’exécution ne dispose pas des éléments de fait nécessaires à l’examen de la demande tendant à voir réputée non écrite, comme abusive, la clause de déchéance du terme prétendument contenue dans ce contrat. Il convient en conséquence d’écarter cette demande, partant la demande d’annulation du commandement de payer aux fins de saisie vente critiquée, présentée par voie de conséquence. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS

PÔLE DE L’EXÉCUTION

JUGEMENT DU 1er FÉVRIER 2024

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 23/81413. N° Portalis 352J-W-B7H-C2WEB.

 

DEMANDERESSE :

Madame X.

née le [Date naissance 1] en [pays], [Adresse 3], [Adresse 3], représentée par Maître Paul-Emile BOUTMY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #C280

 

DÉFENDERESSE :

La société EOS FRANCE (anciennement dénommée EOS CREDIREC)

RCS PARIS B xxx, Es qualité de mandataire recouvreur du fonds commun de titrisation FONCRED II, compartiment FONCRED II-A (venant aux droits de la société FINAREF), ayant pour société de gestion la société EUROTITRISATION, [Adresse 2], [Adresse 2], [Adresse 2], représentée par Maître Cédric KLEIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #C1312

 

JUGE : Monsieur Cyril ROTH, 1er Vice-Président adjoint, juge de l’Exécution par délégation du Président du Tribunal judiciaire de PARIS.

GREFFIER : Madame Camille RICHY lors des plaidoiries, Madame Amel OUKINA lors de la mise à disposition

DÉBATS : à l’audience du 13 décembre 2023 tenue publiquement,

JUGEMENT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoire, susceptible d’appel

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par une ordonnance du 15 avril 2008, le juge du tribunal d'instance du XVe arrondissement de Paris a fait injonction à Mme X. de payer diverses sommes à la société Finaref.

Par un jugement du 18 décembre 2008, le tribunal d'instance du XVe arrondissement de Paris a déclaré irrecevable l'opposition formée par Mme X. contre cette ordonnance.

Sur le fondement de ces décisions, le fonds commun de titrisation Foncred II, compartiment Foncred-II-A, a, le 16 mai 2023, fait délivrer à Mme X. un commandement de payer aux fins de saisie vente.

Le 7 août 2023, Mme X. a assigné la société Eos France devant le juge de l’exécution.

Elle demande à ce juge de réputée non écrite comme abusive la clause de déchéance du terme figurant au contrat de crédit ayant donné lieu à l'ordonnance portant injonction de payer de 15 avril 2008 ; d'annuler le commandement de payer aux fins de saisie vente du 16 mai 2023 ; subsidiairement, d'en cantonner les effets à la somme de 1.418,79 € et de lui accorder pour s'en acquitter des délais de paiement sous la forme d'un échelonnement sur 24 mois ; en tout cas, de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 €.

En défense, la société Eos France, ès qualités de mandataire du fonds commun de titrisation, conclut au rejet de ces prétentions et réclame une indemnité de procédure de 1.500 €.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est fait référence à leurs conclusions écrites respectives visées à l'audience.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

Sur le contrôle de la clause prétendument abusive :

Reprenant la substance de l’article 35 de la loi du 10 janvier 1978 relative l'information et a la protection des consommateurs dans le domaine de certaines opérations de crédit, l’article L. 212-1 du code de la consommation dispose, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations :

Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Aux termes de l’article 6 § 1, de la directive 3/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,

Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s'il peut subsister sans les clauses abusives.

En droit interne, au plan civil, selon le principe résultant de l’article 35 précité de la loi de 1978, aujourd’hui énoncé à l’article L. 241-1 du code de la consommation, les clauses abusives sont réputées non écrites.

L’examen du caractère abusif d’une clause doit se faire au regard de sa seule rédaction, non de la manière dont le professionnel l’a mise en œuvre (CJUE, 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14, §75 ; CJUE, ordonnance du 11 juin 2015, Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C-602/13, non publiée, §§50 et 54).

Le 4 juin 2009, dans un arrêt Pannon (C-243/08), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ; plusieurs arrêts subséquents ont assis cette jurisprudence (voir notamment CJUE, 14 mars 2013, Aziz, C-415/11, §46 ; 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C-154/15, C-307/15 et C-308/15, §58  ; 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14, §43).

Le 17 mai 2022, par un arrêt de grande chambre, cette Cour a, sur question préjudicielle d’une juridiction italienne, dit pour droit (affaires jointes C-693/19 et C-831/19) que la directive de 1993 devait être interprétée comme s’opposant à une réglementation nationale qui prévoit que, lorsqu’une injonction de payer prononcée par un juge à la demande d’un créancier n’a pas fait l’objet d’une opposition formée par le débiteur, le juge de l’exécution ne peut pas, au motif que l’autorité de la chose jugée dont cette injonction est revêtue couvre implicitement la validité de ces clauses, excluant tout examen de la validité de ces dernières, ultérieurement, contrôler l’éventuel caractère abusif des clauses du contrat qui ont servi de fondement à ladite injonction.

Le mécanisme de l’ordonnance portant injonction de payer et l’institution du juge de l’exécution étant similaires en Italie et en France, il ne fait pas de doute que cette solution est directement transposable en droit français.

Le même jour, en grande chambre, la Cour de justice de l’Union européenne l’a exprimée en termes similaires dans une affaire roumaine (C-725/19) et dans deux affaires espagnoles (C-600/19 et C-869/19).

Dans la première des affaires espagnoles, la Cour dit pour droit que la directive s’oppose à une législation nationale qui, en raison de l’effet de l’autorité de la chose jugée et de la forclusion, ne permet ni au juge d’examiner d’office le caractère abusif de clauses contractuelles dans le cadre d’une procédure d’exécution hypothécaire ni au consommateur, après l’expiration du délai pour former opposition, d’invoquer le caractère abusif de ces clauses dans cette procédure ou dans une procédure déclarative subséquente, lorsque lesdites clauses ont déjà fait l’objet, lors de l’ouverture de la procédure d’exécution hypothécaire, d’un examen d’office par le juge de leur caractère éventuellement abusif, mais que la décision juridictionnelle autorisant l’exécution hypothécaire ne comporte aucun motif, même sommaire, attestant de l’existence de cet examen ni n’indique que l’appréciation portée par ce juge à l’issue dudit examen ne pourra plus être remise en cause en l’absence d’opposition formée dans ledit délai.

De ces quatre arrêts, résumés au bulletin de jurisprudence de la Cour de justice de mai 2022, pp. 37 à 40, il résulte que le juge de l’exécution français est, d’une manière générale, au stade de l’exécution forcée d’un quelconque titre exécutoire, nonobstant l’autorité de chose jugée pouvant lui être attachée, tenu d’examiner d’office le caractère abusif des clauses du contrat ayant donné lieu à l’émission ou à la constitution de ce titre, pourvu qu’il dispose des éléments de droit et de fait permettant cet examen, au premier chef desquels le contrat.

La Cour de cassation a rapidement confirmé que l’autorité de la chose jugée, en l’occurrence attachée à la décision d’admission de la créance à une procédure collective prise par un juge commissaire, ne faisait pas obstacle au contrôle, par le juge de l’exécution, des éventuelles clauses abusives affectant les actes notariés de prêt consentis au débiteur poursuivi (Cass. com., 8 févr. 2023, n° 21-17.763, publié au rapport).

En l’espèce, ni le juge d’instance, statuant le 15 avril 2008 sur la requête en injonction de payer qui lui a été présentée par la société Finaref sur le fondement d’un crédit à la consommation octroyé le 19 février 2001 à Mme X., ni le tribunal d’instance, statuant sur l’opposition de celle-ci à cette ordonnance portant injonction de payer, n’ont examiné le caractère abusif des clauses pouvant être contenues dans ce contrat.

Mais ledit contrat n’est produit par aucune des parties, ce à quoi ne peut suppléer la production, par Mme X., de quatre modèles de contrat de crédit commercialisés par Finaref entre 1993 et 2010.

De là suit que le juge de l’exécution ne dispose pas des éléments de fait nécessaires à l’examen de la demande tendant à voir réputée non écrite, comme abusive, la clause de déchéance du terme prétendument contenue dans ce contrat.

Il convient en conséquence d’écarter cette demande, partant la demande d’annulation du commandement de payer aux fins de saisie vente critiquée, présentée par voie de conséquence.

 

Sur la demande de cantonnement :

Les créances périodiques nées d'une créance en principal fixée par un titre exécutoire à la suite de la fourniture d'un bien ou d'un service par un professionnel à un consommateur sont soumises au délai de prescription prévu à l'article L. 218-2 du code de la consommation, applicable au regard de la nature de la créance (Avis de la Cour de cassation, 4 juillet 2016, n° 16-70.004, Bull. 2016, Avis n° 4 ; Cass., 1re Civ., 22 janvier 2020, pourvoi n° 18-25.027).

En matière de crédit à la consommation, la prescription des intérêts dus à la suite d'une condamnation est ainsi biennale.

Cette solution est mise en œuvre avec constance par la cour d’appel de Paris (voir récemment 19 mai 2022, n°21/03766 ; 1er juillet 2021, n°20/13548 ; 25 mars 2021, n°20/04348 ; 14 janvier 2021, n°19/21254 ; 24 septembre 2020, n°20/01952).

La société Eos France est particulièrement mal fondée à prétendre que les intérêts qui sont dus dans cette matière sont soumis à la prescription quinquennale prévue à l'article 2244 du code civil, dès lors que l'avis susvisé de la Cour de cassation ayant fixé le droit, rendu dans une formation présidée par le premier président de la Cour et notamment composée par l’ensemble de ses présidents de chambre, sur un rapport rédigé avec l’assistance du service de la documentation, des études et du rapport, a été prononcé dans une affaire à laquelle était partie le fonds commun de titrisation Credinvest, qui appartient au même groupe.

En l'espèce, la créance constatée par l'ordonnance portant injonction de payer dont l'exécution est poursuivie a pour origine un crédit à la consommation.

Le décompte figurant au commandement critiqué impute à Mme X. des intérêts calculés sans tenir compte de leur prescription biennale, pour un montant total de 1.414,15 €.

Les parties s’accordent sur le fait que les intérêts échus et non prescrits au regard de la prescription biennale s’élèvent à la somme de 608,37 €.

Les effets de la saisie-attribution, pratiquée le recouvrement d’une somme globale de 2.586,79 €, déduction déjà faite d’un acompte de 900 €, seront donc en l’état cantonnés à la somme de 2.586,79 - 1.414,15 + 608,37 = 1.718,01 €.

 

Sur la demande de délais de paiement :

Aux termes de l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

En l'espèce, compte tenu des pièces versées aux débats, dont il résulte notamment que la demanderesse, allocataire du RSA, n'était pas imposable au titre des revenus de 20021 et de 2022, il convient d'accueillir la demande de délais de paiement selon les modalités prévues au dispositif.

 

Sur les demandes accessoires :

L'équité commande de n'allouer d'indemnité de procédure à aucune des parties.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS,

le juge de l’exécution :

Rejette la demande tendant à voir déclarer non écrite la clause de déchéance du terme contenue dans le contrat de crédit ayant donné lieu à l'ordonnance portant injonction de payer du 15 avril 2008 ;

Rejette la demande d'annulation du commandement de payer aux fins de saisie vente du 16 mai 2023 ;

En cantonne les effets à la somme globale de 1.718,01 € ;

Autorise Mme X. à s'acquitter de cette dette par mensualités de 100 € jusqu'à apurement ;

Dit que chacune de ces mensualités devra être versée avant le 10 de chaque mois, à compter du mois suivant la signification du présent jugement ;

Dit qu'à défaut de paiement d'une seule de ces mensualités, la totalité de la dette subsistante deviendra immédiatement exigible ;

Rejette les demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme X. aux dépens.

Le greffier                                         Le juge de l’exécution