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TJ VERSAILLES (3e ch.), 1er février 2024

Nature : Décision
Titre : TJ VERSAILLES (3e ch.), 1er février 2024
Pays : France
Demande : 21/03586
Date : 1/02/2024
Nature de la décision : Admission
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 24/06/2021
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CERCLAB - DOCUMENT N° 10820

TJ VERSAILLES (3e ch.), 1er février 2024 : RG n° 21/03586

Publication : Judilibre

 

Extrait : « En vertu de l’article 1110 du code civil, le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont négociables entre les parties. Le contrat d’adhésion est celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties.

L’article 1171 du code civil dispose que dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation.

En l’espèce, il résulte des termes clairs et précis du contrat de bail, paraphé et signé par les parties, que ces dernières ont reconnu que les clauses du titre I et du titre II avaient fait l’objet de négociations ayant conduit à un accord global et équilibré et que le contrat de bail régularisé constituait bien un contrat de gré à gré et non un contrat d’adhésion au sens de l’article 1110 du code civil.

Dès lors, à défaut de tout autre élément corroborant ses allégations, la demande de la société Komo Marché tendant à qualifier le contrat régularisé de contrat d’adhésion et à écarter ses clauses abusives sera rejetée. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES

TROISIÈME CHAMBRE

JUGEMENT DU 1er FÉVRER 2024

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 21/03586. N° Portalis DB22-W-B7F-QCA4. Code NAC : 30A

 

DEMANDERESSE :

La société KOMO MARCHE

société à responsabilité limitée immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VERSAILLES sous le numéro XXX dont le siège social est situé Lieu-dit [Localité 4] de [Localité 3] [Localité 3], représentée par son gérant en exercice, représentée par Maître Manal BEN AMAR, avocat plaidant/postulant au barreau de VERSAILLES.

 

DÉFENDERESSE :

La société KENSINGTON [Localité 3] INDUSTRIAL PROPCO

société en nom collectif immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro YYY dont le siège social est situé [Adresse 1], représentée par son représentant légal en exercice, représentée par Maître Jean Christophe NEIDHART, avocat plaidant au barreau de PARIS et par Maître Valérie YON de la SCP GAZAGNE & YON, avocat postulant au barreau de VERSAILLES.

 

ACTE INITIAL du 28 avril 2021 reçu au greffe le 24 juin 2021.

DÉBATS : A l'audience publique tenue le 5 décembre 2023, après le rapport de Madame GARDE, Juge désigné par le Président de la Chambre, l’affaire a été mise en délibéré au 1er février 2024.

COMPOSITION DU TRIBUNAL : M. JOLY, Vice-Président, Madame GARDE, Juge, Madame VERNERET-LAMOUR,

GREFFIER : Madame LOPES DOS SANTOS

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DU LITIGE :

Suivant acte sous seing privé en date du 8 novembre 2018, la société Kensington [Localité 3] Industrial Propco (ci-après la société Kensington) a donné à bail à la société Komo Marché le lot n° 6 d’un ensemble immobilier situé [Adresse 2] à [Localité 3] (78), à usage d’activités, pour une durée de 36 mois à compter du 8 novembre 2018, moyennant un loyer annuel en principal de 27.950 €.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 mai 2020, la société Komo Marché a donné congé à la société Kensington pour le 8 novembre 2020. Par missive en réponse du 5 juin 2020, la société Kensington a rétorqué que ce congé était nul, les stipulations contractuelles ne permettant pas au preneur de donner congé avant la date d’échéance du bail. La société Komo Marché a alors contesté la durée du bail et la validité de la clause de résiliation liant les parties.

Faisant grief à la société Komo Marché de ne pas s’acquitter du loyer dû, la société Kensington lui a fait notifier, le 29 octobre 2020, une mise en demeure d’avoir à payer la somme de 24.147,23 €, restée sans effet. Elle lui a ensuite fait signifier, le 3 novembre 2020, un commandement de payer pour le même montant. Puis elle a fait pratiquer sur ses comptes bancaires, le 20 novembre 2020, une saisie conservatoire fructueuse à concurrence de 358.167,88 €, qu’elle lui a dénoncée par acte du même jour. La société Komo Marché a contesté cette saisie devant le juge de l’exécution par exploit du 11 décembre 2020.

Entre-temps, afin d’obtenir un titre exécutoire, la société Kensington a, par exploit d’huissier signifié le 9 décembre 2020, fait assigner la société Komo Marché devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Versailles en paiement d’une provision à valoir sur les sommes dues.

Parallèlement, la société Komo Marché a, par exploit introductif d’instance délivré le 28 avril 2021, fait assigner son bailleur devant le tribunal judiciaire de Versailles afin d’obtenir, d’une part, la requalification du contrat de bail en contrat de louage de droit commun et, d’autre part, la validation du congé délivré.

Dans une ordonnance rendue le 2 juillet 2021, le juge des référés a dit n’y avoir lieu à référé, la demande en paiement intervenant en application d’un contrat dont la qualification était contestée.

Par ailleurs, dans une décision rendue le 6 octobre 2021, le juge de l’exécution de Versailles a constaté que les demandes de la société Komo Marché étaient devenues sans objet, la société Kensington ayant renoncé à la saisie conservatoire diligentée et procédé à sa main-levée.

Un état des lieux de sortie avec remise des clés s’est tenu le 5 avril 2022.

[*]

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées au greffe par voie électronique le 21 novembre 2022, la société Komo Marché demande au tribunal de :

- Juger que le statut de bail dérogatoire est inapplicable aux locaux litigieux situés [Adresse 2] à [Localité 3] au motif pris que la société Komo Marché n’y exploite aucune activité commerciale, artisanale ou industrielle ; les locaux ayant été à usage uniquement d’entrepôt,

- Qualifier le contrat litigieux de contrat d’adhésion et écarter les clauses relatives à la durée et à la résiliation, en raison de l’absence de réciprocité de la clause résolutoire et compte tenu de leur caractère imposé et déterminé à l’avance, créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties,

- Juger que le bail litigieux est soumis au droit commun des contrats,

- Constater que le congé intervenu à la demande de la société Komo Marché doit produire ses effets au 1er juillet 2020,

- Débouter la société Kensington [Localité 3] Industrial Propco de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

- Condamner la société Kensington [Localité 3] Industrial Propco à rembourser à la société Komo Marché le dépôt de garantie, demande de paiement assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir,

- Condamner la société Kensington [Localité 3] Industrial Propco à verser à la société Komo Marché la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société Kensington [Localité 3] Industrial Propco aux entiers dépens,

En tout état de cause,

- Juger que les sommes sollicitées au titre des charges sur provision ne sont pas fondées faute pour la société Kensington [Localité 3] Industrial Propco de justifier du bien fondé de celles-ci,

- Juger que la société Kensington [Localité 3] Industrial Propco n’est pas fondée à solliciter d’indemnité d’occupation au-delà du terme contractuel prévu au contrat soit le 7 novembre 2021,

- Juger la retenue du dépôt de garantie comme étant abusive, la société Kensington [Localité 3] Industrial Propco ne justifiant pas des dégradations imputées à la société Komo Marché,

- Débouter la société Kensington [Localité 3] Industrial Propco de sa demande de condamnation au titre des frais et honoraires d’huissier,

- Qualifier la clause d’intérêts au taux contractuel-majoration de clause pénale,

- Limiter le montant des intérêts contractuels au titre d’éventuelles condamnations au taux légal, lesquels seront dus passé un délai d’un mois à compter de la signification du jugement à intervenir.

La société Komo Marché soutient, au visa de l’article 12, alinéas 1 et 2, du code de procédure civile et de l’article 1188 du code civil, que le juge du fond est tenu de restituer l’exacte qualification juridique des faits et actes allégués et que la validité d’un bail précaire ou bail dérogatoire suppose une volonté expresse et non équivoque des parties.

Elle rappelle que, par définition, le bail dérogatoire est un contrat de bail pour la location de locaux destinés à l’exploitation d’un fonds de commerce industriel, commercial ou artisanal. Elle en déduit que le bail à destination d’entrepôt, qui ne peut être soumis au statut des baux commerciaux, ne peut a fortiori faire l’objet d’un bail dérogatoire. Elle prétend ne jamais avoir exploité de fonds de commerce au [Adresse 2] à [Localité 3]. Elle explique avoir pris à bail ces locaux pour y stocker les marchandises de son activité commerciale, exploitée dans un tout autre établissement situé au Forum de [Localité 3]. Les conditions tenant à l’application de plein droit du statut des baux commerciaux n’étant pas réunies, elle conclut que la qualification du bail comme bail dérogatoire est erronée et qu’il s’agit, en réalité, d’un bail de droit commun.

Elle réfute, en parallèle, toute soumission volontaire au statut des baux commerciaux, la volonté expresse et non équivoque des parties ne résultant d’aucune stipulation contractuelle.

Elle fait encore valoir que toutes les clauses contenues aux termes du bail ont été déterminées à l’avance par le bailleur, spécialisé dans le secteur de la location de terrains et de biens immobiliers, et que le contrat doit recevoir la qualification de contrat d’adhésion. Elle souligne que la clause de résiliation permettant au seul bailleur de procéder à la résiliation du contrat avant son terme à chaque date anniversaire est une clause abusive créant un déséquilibre significatif entre les parties et devant être réputée non écrite.

Elle expose avoir quitté les locaux donnés à bail dès le mois de juin 2020 et s’être heurtée, pour la remise des clés et la tenue d’un état des lieux de sortie, à l’opposition de son bailleur. Corrélativement, elle conteste être redevable, sur la période postérieure au 30 juin 2020, du paiement de loyers ou d’une quelconque indemnité d’occupation.

Elle réplique, au visa des articles L. 145-40-2 et R. 145-36 du code de commerce, que les provisions sur charges versées n’ont jamais été régularisées et que la société Kensington n’a pas justifié, dans le cadre de la présente procédure, des sommes réellement exposées.

Elle critique aussi le décompte locatif du bailleur. Elle observe qu’il comprend des dépens de procédure indus, le juge de l’exécution ainsi que le juge des référés ayant laissé à chaque partie la charge des frais et dépens qu’elle avait personnellement exposés. Elle réfute être à l’origine des dégradations de la fenêtre et de la dalle de béton et conteste devoir assumer le coût des réparations / du nettoyage.

Si le tribunal devait faire droit aux demandes de la société Kensington, elle estime que la date d’exigibilité des sommes dues devrait être fixée à l’issue d’un délai d’un mois suivant la signification du jugement à intervenir et ce, compte tenu du débat juridique ayant opposé les parties. Elle soulève, à titre subsidiaire, le caractère comminatoire de la clause d’intérêts contractuels et sa qualification comme clause pénale.

[*]

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées au greffe par voie électronique le 7 février 2023, la société Kensington [Localité 3] Industrial Propco demande au tribunal de

- Recevoir la société Komo Marché en son action et la disant mal fondée,

- Juger que le bail conclu établit que la société Komo Marché a manifesté une volonté expresse et non équivoque de déroger au statut des baux commerciaux dans l’intérêt de son commerce, puisqu’il était nécessaire qu’elle puisse entreposer ses marchandises, activité accessoire de la vente de denrées alimentaires qu’elle reconnaît pratiquer à l’adresse de son siège social,

- Dire et juger que le droit commun des baux est inapplicable à l’espèce,

En conséquence,

- Débouter la société Komo Marché de ses moyens et demandes en ce compris sa demande de remboursement du dépôt de garantie,

- Juger que le contrat de bail dérogatoire conclu le 8 novembre 2018 constitue la loi des parties et doit être exécuté de bonne foi,

Reconventionnellement,

- Recevoir la société Kensington [Localité 3] Industrial Propco en sa demande reconventionnelle, et la disant bien fondée,

- Fixer le montant de l’indemnité d’occupation à la somme de 72.019,23 € HT par an, soit 800,21 euros HT par jour, par application de l’article 26 du bail (250 % du montant du dernier loyer, soit 28.807,69 euros),

- Condamner la société Komo Marché à payer à la société Kensington [Localité 3] Industrial Propco :

* la somme de 116.885,68 euros pour les causes sus énoncées,

* les intérêts calculés au jour le jour au taux Euribor trois mois + 500 points de base, payables avec la somme en principal,

- Juger que les intérêts dus au moins pour une année entière porteront eux-mêmes intérêts selon l’article 1343-2 du code civil,

En tout état de cause,

- Condamner la société Komo Marché à payer à la société Kensington [Localité 3] Industrial Propco, la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

- La condamner aux entiers dépens de l’instance qui comprendront le coût du commandement de payer du 3 novembre 2020, en l’état 237,11 euros, dont distraction au profit de la SCP Gazagne et Yvon, société d’avocats au Barreau de Versailles, par application de l’article 699 code de procédure civile.

La société Kensington [Localité 3] Industriel Propco expose que la volonté des parties, qui ont toutes les deux contracté en qualité de professionnelles, est exprimée en page 4 du bail. Elle considère que l’expression de la volonté de la société Komo Marché de déroger au statut des baux commerciaux est expresse et non équivoque.

Elle soutient que la société Komo Marché a reconnu par écrit que l’ensemble des clauses des titres I et II du contrat avait fait l’objet de négociations ayant conduit à un accord global et équilibré. Elle en déduit que la convention doit être qualifiée de contrat de gré à gré et non de contrat d’adhésion. Elle ajoute que chaque partie a déclaré avoir fait part à l’autre des informations qui avaient pour elle une importance déterminante au sens de l’article 1112-1 du code civil. Elle s’oppose ainsi à la demande de requalification formulée.

Elle fait valoir que les locaux ont été loués à usage principal d’activités et non d’entreposage ou de stockage. Elle ajoute qu’il importe peu que les conditions d’un bail commercial ne soient pas réunies, le bail dérogatoire n’ayant pas été prolongé à échéance. En tout état de cause, elle souligne que la société Komo Marché stockait dans les locaux donnés à bail ses marchandises, activité accessoire indispensable à celle qu’elle a reconnu exercer à l’adresse de son siège social.

Elle observe que l’absence de clause de résiliation à l’initiative du preneur dans le bail dérogatoire n’est pas contraire aux dispositions de l’article L. 145-5 du code de commerce ou à l’ordre public. Elle en conclut que le congé délivré n’a pu produire effet avant l’échéance triennale du bail, ce d’autant que les clés n’ont été remises que le 5 avril 2022.

Elle relève, à titre subsidiaire, que même dans l’hypothèse d’une requalification du contrat, les sommes demeureraient dues, les locaux n’ayant été repris

que le 5 avril 2022. Elle évalue la dette locative à la somme de 116.885,68 € selon décompte arrêté au 7 novembre 2022. Elle indique que l’article 25 du contrat de bail prévoit la fixation du montant de l’indemnité d’occupation à hauteur de 250 % du montant du dernier loyer, soit 72.019,23 € par mois du 7 novembre 2021 au 5 avril 2022. Elle ajoute, au visa de l’article 1347 du code civil, qu’une compensation a été opérée au jour de la restitution des locaux entre le montant de la dette locative et le montant du dépôt de garantie versé.

[*]

L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 juin 2023.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

Sur la qualification du contrat de bail liant les parties :

Sur la qualification de bail dérogatoire ou de droit commun :

Le statut des baux commerciaux est défini aux articles L. 145-1 à L. 145-60 du code de commerce. Selon que les conditions fixées par l’article L. 145-1 du code de commerce sont ou non vérifiées, il est de nature impérative ou facultative, les parties pouvant toujours choisir de s’y soumettre par convention.

L’article L. 145-5 du code de commerce prévoit la possibilité pour les parties, lors de l’entrée dans les lieux du preneur, de déroger aux dispositions impératives du statut à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. Si, à l’expiration de cette durée et au plus tard à l’issue d’un délai d’un mois à compter de l’échéance, le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont les effets sont réglés par le statut des baux commerciaux.

Ainsi que le relève à juste titre la société Komo Marché, le régime spécifique du bail dérogatoire s’applique aux seuls baux dont la soumission au statut des baux commerciaux est de nature impérative. En effet, si les parties demeurent libres de leur choix, la dérogation légale n’a pas lieu d’être.

En l’espèce, le contrat que les parties ont régularisé le 8 novembre 2018 est intitulé « bail dérogatoire » et il est expressément stipulé, dans l’exposé préalable, que « conformément à la faculté qui leur est octroyée aux termes de l’article L. 145-5 du code de commerce, les parties entendent déroger au statut des baux commerciaux en toutes ses dispositions et particulièrement en ce qui concerne le droit au renouvellement auquel le preneur déclare en tant que de besoin renoncer expressément ».

Il est néanmoins indiqué, dans l’article 2 du titre I des conditions particulières, qu’ainsi « qu’il est précisé à l’article 3 des conditions générales, à l’expiration du bail, celui-ci prendra fin de plein droit par la simple survenance du terme sans qu’aucune formalité ne soit requise de l’une ou l’autre des parties, et sans possibilité de reconduction, même tacite, pour une nouvelle période. Si, contre toute attente, le preneur se maintenait dans les locaux loués, il devrait être considéré comme occupant sans droit ni titre et son expulsion aurait lieu sur simple ordonnance de référé », ce qui s’inscrit en contradiction avec le régime légal du bail dérogatoire dont la spécificité est justement, en cas de maintien dans les lieux du preneur, d’entraîner la mise en œuvre d’un nouveau bail dont les effets sont régis par le statut impératif des baux commerciaux.

Afin de trancher la question du régime du bail liant les parties, il convient donc de se reporter aux conditions du statut impératif des baux commerciaux fixées par l’article L. 145-1 du code de commerce.

Les parties s’accordent sur le fait qu’aucun fonds de commerce n’était exploité dans les locaux donnés à bail. Or, pour que le statut des baux commerciaux s’applique de plein droit aux baux de locaux accessoires à l’exploitation d’un fonds de commerce, encore faut-il qu’en cas de pluralité de propriétaires (comme c’est le cas en l’espèce), les locaux accessoires aient été loués au vu et au su du bailleur en vue de l’utilisation jointe.

Cette preuve n’étant pas rapportée, la soumission de plein droit du contrat liant les parties au statut des baux commerciaux n’est pas établie.

Dans ces conditions, la qualification de bail dérogatoire au statut des baux commerciaux doit être écartée au profit de celle de bail de droit commun, soumis aux dispositions des articles 1709 et suivants du code civil.

 

Sur la qualification de contrat d’adhésion ou de gré à gré :

En vertu de l’article 1110 du code civil, le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont négociables entre les parties. Le contrat d’adhésion est celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties.

L’article 1171 du code civil dispose que dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation.

En l’espèce, il résulte des termes clairs et précis du contrat de bail, paraphé et signé par les parties, que ces dernières ont reconnu que les clauses du titre I et du titre II avaient fait l’objet de négociations ayant conduit à un accord global et équilibré et que le contrat de bail régularisé constituait bien un contrat de gré à gré et non un contrat d’adhésion au sens de l’article 1110 du code civil.

Dès lors, à défaut de tout autre élément corroborant ses allégations, la demande de la société Komo Marché tendant à qualifier le contrat régularisé de contrat d’adhésion et à écarter ses clauses abusives sera rejetée.

 

Sur le terme du bail et la validité du congé délivré :

L’article 1737 du code civil dispose que le bail cesse de plein droit à l'expiration du terme fixé, lorsqu'il a été fait par écrit, sans qu'il soit nécessaire de donner congé.

En application de l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

En l’espèce, les locaux ont été donnés à bail pour une durée de trente-six mois à compter du 8 novembre 2018 et les parties sont convenues que seul le bailleur aurait la faculté, sous diverses conditions, de donner congé au preneur avant le terme contractuel.

Il s’ensuit que le congé donné par la société Komo Marché aux termes de son courrier en date du 19 mai 2020 l’a été de manière irrégulière et n’a pu produire effet avant la date d’échéance contractuelle, fixée au 7 novembre 2021.

 

Sur les demandes en paiement :

Au titre de l’exécution du contrat de bail

Conformément aux dispositions de l’article 1728 du code civil, le preneur est tenu de payer le prix du bail aux termes convenus.

Selon l’article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

En l’espèce, le contrat de bail a été consenti et accepté moyennant un loyer annuel initial égal à 27.950 € en principal, payable trimestriellement et d’avance, avec une franchise égale à trois mois de loyer à compter de la date de prise d’effet et une indexation sur l’ILAT.

Le preneur s’est également engagé à régler diverses provisions sur charges.

 

Sur le relevé de comptes arrêté au 7 novembre 2022

Au soutien de sa demande en paiement, la société Kensington produit un relevé de compte arrêté au 7 novembre 2022 difficilement exploitable en ce qu’il ne précise pas le solde restant dû cumulé en fonction des écritures comptables qui y sont répertoriées.

 

Sur les provisions sur charges

La liste des charges et dépenses dont la société Komo Marché est redevable est énoncée à l’article 8 du contrat de bail. Les parties sont convenues que, pour s’en acquitter, le preneur verserait en sus de son loyer une provision trimestrielle qui ferait par la suite l’objet d’une régularisation.

Au soutien de sa demande en paiement, la société Kensington produit un certain nombre de factures et d’avoirs édités par son gestionnaire immobilier.

Ces pièces établissent qu’une régularisation de charges a été effectuée pour :

- la période courant du 8 novembre 2018 au 31 décembre 2018,

- la période courant du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019,

- la période courant du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2020.

Aucune régularisation n’a cependant été effectuée pour les charges 2021.

Bien plus, le bailleur ne produit aucune pièce susceptible d’établir la nature et le montant des charges qu’il a réellement exposées par rapport aux provisions facturées sur la période courant du 8 novembre 2018 au 7 novembre 2021. La présente juridiction n’est donc en mesure ni de vérifier l’imputabilité des charges facturées, ni leur quantum.

Les provisions sur charges, contrairement aux charges forfaitaires, constituent des avances faites par le preneur au profit du bailleur pour les charges que ce dernier est susceptible d’exposer. Il s’ensuit qu’à défaut, pour le bailleur, de justifier de la nature et du montant des charges réellement exposées, y compris en cours de procédure, le preneur est en droit de solliciter le remboursement des provisions sur charges versées.

En revanche, cela ne peut l’exonérer, en amont, du paiement des provisions sur charges que le fondement contractuel suffit à rendre exigibles.

Par conséquent, la société Komo Marché, qui ne démontre pas s’être libérée de son obligation, sera tenue de s’acquitter de l’intégralité des provisions sur charges appelées jusqu’au 7 novembre 2021.

 

Sur les frais de poursuite et de procédure :

La société Kensington ne développe aucun moyen relatif à la facturation au preneur des mises en demeure, procès-verbaux de saisie, frais d’assignation, commandements de payer et honoraires juridiques visés dans le décompte pour un total d’un peu plus de 8.000 € à la date d’échéance du bail.

Au surplus, il appert des pièces versées aux débats que le juge de l’exécution ainsi que le juge des référés ont, aux termes de leurs décisions respectives, laissé à chaque partie la charge de leurs dépens et frais irrépétibles.

Ces sommes-là seront ainsi déduites du solde restant dû, pour un montant total, au 7 novembre 2021 inclus, de 8.312,03 € (1.680 + 2.279 + 780 + 219,06 + 18,05 + 780 + 193,44 + 36,10 + 1.512 + 32,94 + 193,44 + 588)

 

Sur le coût de réparation des dégradations :

L’article 10.1 du contrat de bail prévoyait expressément l’établissement d’un état des lieux d’entrée. Il précisait qu’au cas où, pour une raison imputable au preneur, cet état des lieux n’était pas dressé, alors même que le bailleur aurait fait toutes diligences pour son établissement, les locaux loués seraient considérés comme ayant été loués en parfait état.

En l’espèce, il n’est produit aucun état des lieux d’entrée et la société Kensington ne démontre pas avoir fait toutes diligences pour l’établir. Dans ces conditions, et conformément aux stipulations contractuelles, aucune présomption de bon état / parfait état ne saurait lui bénéficier.

Il s’ensuit qu’à défaut de rapporter la preuve que les dégradations alléguées sont intervenues pendant la période de jouissance de la société Komo Marché, elle n’est pas fondée à lui demander d’en assumer le coût, pour une somme totale de 4.167,60 € (1.980 + 2.187,60).

Cette somme-là sera donc également déduite du solde restant dû, au 7 novembre 2021 inclus.

 

Sur la compensation du montant du dépôt de garantie :

En vertu de l’article 1347 du code civil, la compensation est l'extinction simultanée d'obligations réciproques entre deux personnes.

Elle s'opère, sous réserve d'être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies.

L’article 9.1 des conditions générales et l’article 4.1 des conditions particulières du contrat de bail prévoient le versement d’un dépôt de garantie. Il est indiqué que le dépôt de garantie sera remboursable en fin de jouissance du locataire et après déduction de toutes sommes pouvant être dues au titre des loyers, charges, impôts remboursables, taxes, réparations ou autres.

Les développements précédents établissent que la société Kensington dispose d’une créance à l’endroit de la société Komo Marché au titre des loyers et provisions sur charges restant dus sur la période courant du 1er juillet 2020 au 7 novembre 2021 inclus.

Le montant du dépôt de garantie sera donc déduit du solde restant dû.

* Compte tenu de l’ensemble des irrégularités affectant le décompte versé aux débats, lequel n’est au demeurant pas utilement exploitable par la présente juridiction, la condamnation en paiement de la société Komo Marché pour la période courant jusqu’au terme contractuel, c’est-à-dire le 7 novembre 2021 inclus, sera plafonnée à la somme de 34.673,16 € selon le calcul suivant :

* Solde restant dû au 8 novembre 2022 = 117.350,68 € (déduction faite du montant du dépôt de garantie et de tous les paiements déjà effectués)

* Débits postérieurs au 7 novembre 2021 inclus (avec réparations)

= 74.365,49 €

* Facturation indue pour les frais de poursuite et de procédure

= 8.312,03 €

Au titre de l’occupation sans droit ni titre des lieux

En vertu de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

L’indemnité d’occupation de droit commun vise tant à compenser la perte de loyers qu’à indemniser le bailleur qui n’a pas la libre disposition de son bien. Elle suppose une faute, un préjudice et un lien de causalité direct et certain.

Il est de principe que la libération définitive des lieux est marquée par la remise des clés.

En l’espèce, il est établi par les pièces versées aux débats que la société Kensington, tout en constatant que le congé délivré n’était pas régulier et ne pouvait exonérer la société Komo Marché de l’exécution du bail jusqu’à son terme, s’est opposée, dans son courriel du 2 juillet 2021, à la remise des clés proposée par le preneur.

Si la société Kensington, professionnelle de l’immobilier, explique que, par la suite, elle a rencontré des difficultés pour joindre la société Komo Marché et convenir d’une date de rendez-vous pour l’établissement de l’état des lieux de sortie, elle ne verse aux débats qu’un seul courriel adressé au preneur le 13 décembre 2021, sans justifier d’aucune autre démarche par lettre recommandée avec accusé de réception ou par l’intermédiaire de son conseil, alors même qu’elle savait que la société Komo Marché n’occupait plus les locaux donnés à bail depuis le mois de juin 2020.

Ainsi, il appert que le préjudice subi par la société Kensington n’est pas en lien de causalité direct et certain avec une faute commise par le preneur mais avec, d’une part, son refus de se voir remettre les clés dès le mois de juillet 2021 alors même que la société Komo Marché lui l’avait officiellement proposé et, d’autre part, son absence de diligences, à l’approche de l’échéance contractuelle, pour convoquer le preneur à un état des lieux de sortie contradictoire étant précisé qu’à cette date-là, la présente instance était déjà engagée.

La demande en paiement formée sera donc rejetée.

 

Sur les intérêts de retard :

L’article 22 du contrat de bail est libellé dans les termes suivants :

« Tous paiements de loyers et de toutes sommes dues en application du bail qui ne seraient pas effectués au plus tard le jour de leur exigibilité porteront intérêts à titre de pénalité au taux Euribor trois mois plus cinq cents points de base calculés au jour le jour et payables avec la somme principale, sans préjudice de la faculté du bailleur de se prévaloir de la clause résolutoire prévue à l’article 23.1. Dans l’hypothèse où le taux Euribor précité serait négatif, le taux d’intérêt sera égal à 5 %. Les intérêts seront dus à compter de la date d’exigibilité de chaque somme concernée et, s’ils sont dus au moins pour une année entière, ils porteront eux-mêmes intérêts selon l’article 1343-2 du code civil. »

Cette stipulation s'analyse en une clause pénale, dont la nature est indemnitaire et comminatoire.

En application de l’article 1231-5 du code civil, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Lorsque l'engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d'office, à proportion de l'intérêt que l'exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l'application de l'alinéa précédent.

L'excès manifeste est apprécié par les juges du fond au jour où la décision est rendue, par comparaison entre le montant de la peine et la valeur du préjudice.

Selon l’article 1231-6 du code civil, dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte.

En l’espèce, s’il est établi que la société Komo Marché a manqué à ses obligations contractuelles et privé son bailleur de revenus liés au paiement du prix du bail aux termes convenus, la société Kensington ne démontre pas que sa trésorerie en ait, pour autant, été particulièrement obérée. De plus, les dispositions légales applicables indiquent que le retard pris dans le paiement d’une obligation est réparé par la condamnation au paiement des intérêts au taux légal.

La mise à exécution d’une pénalité mensuelle égale à l’application du taux Euribor trois mois majoré de 500 points de base apparaît, dans ces conditions, manifestement excessive et sera réduite à hauteur de 3.000 €.

Les intérêts au taux légal seront quant à eux dus, en application de l’article 1231-6 du code civil, à compter de l’assignation délivrée le 28 avril 2021 et pourront être capitalisés dans les conditions prévues par l’article 1343-2 du code civil.

 

Sur les autres demandes :

Sur les dépens :

Conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En vertu de l’article 699 du code de procédure civile, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision.

La société Komo Marché, qui succombe en ses demandes à titre principal, sera condamnée aux dépens de l’instance, lesquels n’incluent pas le coût du commandement de payer signifié le 3 novembre 2020, ce dernier n’étant pas un acte nécessaire à l’introduction de la présente instance.

La SCP Gazagne et Yvon pourra recouvrer directement contre la société Komo Marché ceux des dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision.

 

Sur les frais irrépétibles :

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

La société Komo Marché, partie tenue aux dépens, sera condamnée à payer à la société Kensington la somme qu’il est équitable de fixer à 4.000 €.

 

Sur l’exécution provisoire :

En application de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la décision rendue n’en dispose autrement.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,

QUALIFIE le contrat de bail liant les parties et portant sur les locaux situés

[Adresse 2] à [Localité 3] (78) de contrat de gré à gré de louage de droit commun,

DECLARE nul et de nul effet le congé délivré par la société Komo Marché à la société Kensington [Localité 3] Industrial Propco par courrier du 19 mai 2020,

CONDAMNE la société Komo Marché à payer à la société Kensington [Localité 3] Industrial Propco la somme de 34.673,16 € au titre des loyers

et charges dus en exécution du contrat de bail selon décompte arrêté

au 7 novembre 2021 inclus et ce, après déduction du montant du dépôt

de garantie,

DIT que les intérêts au taux légal seront dus à compter du 28 avril 2021,

ORDONNE la capitalisation des intérêts,

CONDAMNE la société Komo Marché à payer à la société Kensington [Localité 3] Industrial Propco la somme de 3.000 € au titre de la clause pénale stipulée au bail,

CONDAMNE la société Komo Marché à payer à la société Kensington [Localité 3] Industrial Propco la somme de 4.000 € au titre des frais exposés pour la défense de ses droits,

CONDAMNE la société Komo Marché aux dépens de l’instance avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Gazagne et Yvon, lesquels n’incluent pas le coût du commandement de payer signifié le 3 novembre 2020,

REJETTE les autres demandes des parties,

RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 FÉVRIER 2024 par M. JOLY, Vice-Président, assisté de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, lesquels ont signé la minute du présent jugement.

LE GREFFIER                                LE PRÉSIDENT

Carla LOPES DOS SANTOS         Eric JOLY