CA PARIS (pôle 1 ch. 10), 21 mars 2024
CERCLAB - DOCUMENT N° 10835
CA PARIS (pôle 1 ch. 10), 21 mars 2024 : RG n° 23/16364 ; arrêt n° 165
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « L'article 16 du code de procédure civile dispose : « Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. »
En l'espèce, il est constant que le juge de l'exécution a soulevé d'office le caractère abusif de la clause d'exigibilité immédiate stipulée dans le contrat de prêt sans soumettre cette question au débat contradictoire et sans avoir invité les parties, notamment la Cagefi, à présenter leurs observations. Le jugement doit donc être annulé pour non-respect du principe de la contradiction. Toutefois, compte tenu de l'effet dévolutif de l'appel, il y a lieu de statuer sur le fond du litige. »
2/ « En l'espèce, la clause intitulée « Exigibilité immédiate » stipule : « Les sommes dues seront de plein droit et immédiatement exigibles, si bon semble au prêteur, sans formalité ni mise en demeure, nonobstant les termes et délais ci-dessus fixés dans l'un quelconque des cas suivants : - en cas de non-paiement à bonne date de la totalité ou d'une partie seulement d'une échéance en capital, intérêts, frais ou accessoires. [...] » Ainsi, cette clause est clairement de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur, qui se voit, sans avertissement préalable, imposer le remboursement immédiat de la totalité du prêt au bon vouloir du prêteur. Elle est donc abusive et doit être réputée non écrite.
La Cagefi invoque vainement un prétendu principe de non rétroactivité de la jurisprudence nouvelle, alors que la jurisprudence est par principe et par nature rétroactive. Ce n'est qu'exceptionnellement que la jurisprudence nouvelle est non rétroactive. En effet, selon la Cour de cassation, si la jurisprudence nouvelle s'applique de plein droit à tout ce qui été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, il en va différemment si la mise en œuvre de ce principe affecte irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi en se conformant à l'état du droit applicable à la date de leur action. Il en résulte que le juge doit procéder à une évaluation des inconvénients justifiant qu'il soit fait exception au principe de la rétroactivité de la jurisprudence et rechercher, au cas par cas, s'il existe, entre les avantages qui y sont attachés et ses inconvénients, une disproportion manifeste (Civ. 1ère, 19 mai 2021, n° 20-12.520 ; Civ. 1ère, 21 septembre 2022, n° 21-50.049). Or, la définition de la clause abusive, telle que rappelée ci-dessus, n'a pas évolué depuis 1995. Le contrat de prêt conclu en 2004 entre la Cagefi et M. X. est bien postérieur à l'entrée en vigueur de la législation sur les clauses abusives, de sorte que l'application de cette législation protectrice du consommateur sur une clause de ce contrat était largement prévisible. La Cagefi ne saurait prétendre qu'elle s'est conformée, de bonne foi, à l'état du droit applicable pour se prévaloir de l'exception au principe de rétroactivité de la jurisprudence nouvelle, dès lors que la clause d'exigibilité immédiate rappelée ci-dessus laisse à l'entière discrétion du prêteur la résiliation du contrat pour le moindre défaut paiement, sans permettre à l'emprunteur de régulariser l'impayé après une mise en demeure. Le déséquilibre créé par cette clause au détriment du consommateur entre les droits et obligations des parties est tellement flagrant, injustifié et considérable, que le prêteur devait s'attendre, dès la conclusion du contrat en 2004, à ce que la clause soit un jour ou l'autre déclarée non écrite comme étant abusive. Par conséquent, c'est à tort que la Cagefi soutient que la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne du 8 décembre 2022 ne peut être appliquée en l'espèce.
Par ailleurs, la Cour de cassation a pu admettre que pouvait être maintenue en partie une clause de déchéance du terme dont seules certaines des causes étaient abusives, dès lors qu'en raison de sa divisibilité, la suppression des éléments qui la rendaient abusive n'affectait pas sa substance, et que la clause pouvait survivre par voie de retranchement des dispositions prévoyant des causes de déchéance du terme extérieures au contrat (Civ. 1ère, 2 juin 2021, n° 19-22.455). En l'espèce, la clause litigieuse contient certes de nombreuses causes de déchéance du terme, notamment des causes extérieures au contrat, mais c'est en vain que la Cagefi soutient que les causes directement liées à l'exécution du contrat, telles que la défaillance dans le remboursement des échéances, sont valables. En effet, ce qui est abusif dans la clause litigieuse n'est pas la cause de déchéance du terme, à savoir le non-paiement des sommes dues par l'emprunteur, mais les conditions de mises en œuvre de la déchéance du terme prévues par cette clause, à savoir « si bon semble au prêteur, sans formalité ni mise en demeure».
Enfin, il importe peu que deux mises en demeure aient été adressées à l'emprunteur le 9 juillet 2014 et le 10 septembre 2014 préalablement au prononcé de la déchéance du terme en date du 7 octobre 2014, laissant ainsi un délai raisonnable à M. X. pour exécuter ses obligations. En effet, les conditions effectives de mise en œuvre de la clause sont sans effet sur la validité de celle-ci, qui doit être appréciée in abstracto. En d'autres termes, il importe peu que le prêteur ait octroyé dans les faits un premier délai de quinze jours, puis un second de huit jours, à l'emprunteur pour payer les mensualités impayées avant de prononcer la déchéance du terme, dès lors que les délais ainsi fixés, outre qu'ils ne sont pas d'une durée si raisonnable que prétendu, ne dépendent que du prêteur et demeurent par conséquent discrétionnaires, caractérisant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations respectives du professionnel et du consommateur au détriment de ce dernier.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, la clause d'exigibilité immédiate est réputée non écrite, de sorte que la déchéance du terme n'a pas été valablement mise en œuvre. Dès lors, la créance de la Cagefi ne peut être considérée comme étant exigible. »
3/ « C'est en vain que la Cagefi fait valoir que l'inexécution grave par M. X. de ses obligations contractuelles a justifié le prononcé de la résolution unilatérale du contrat, dès lors qu'elle n'a adressé aucun courrier en ce sens à l'emprunteur. Au regard de l'ensemble de ces éléments, la Cagefi ne justifie pas d'une créance exigible de 184.891,38 euros comme elle le soutient, de sorte que les conditions de l'article L. 311-2 du code des procédures civiles d'exécution ne sont pas remplies. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 1 CHAMBRE 10
ARRÊT DU 21 MARS 2024
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 23/16364. Arrêt n° 165. N° Portalis 35L7-V-B7H-CIK2S. Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 avril 2023 -Juge de l'exécution de BOBIGNY RG n° 22/07763.
APPELANTE :
La société dénommée CAGEFI
Société coopérative de crédit à capital variable et à responsabilité statutairement limitée inscrite au RCS de LAVAL sous le nº XXX dont le siège social se situe à [Adresse 9], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux y domiciliés ès-qualité. Représentée par Maître Sylvie LANGLAIS de la SCP LANGLAIS CHOPIN, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 7
INTIMÉS :
Monsieur X.
[Adresse 1], [Localité 6]
SERVICE DES IMPÔTS DES PARTICULIERS DE [Localité 8]
[Adresse 2], [Localité 4]
SERVICE DES IMPÔTS DES PARTICULIERS DE [Localité 5]
[Adresse 3], [Localité 5]
n'ont pas constitué avocat
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 21 février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de : Mme Bénédicte PRUVOST, Présidente de chambre, Madame Valérie DISTINGUIN, Conseiller, Madame Catherine LEFORT, Conseillère, qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Catherine LEFORT, Conseillère, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : M. Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT : - RENDUE PAR DÉFAUT - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Bénédicte PRUVOST, Présidente de chambre et par Grégoire GROSPELLIER, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Suivant commandement de payer valant saisie immobilière en date du 19 avril 2022, publié le 7 juin 2022 au service de la publicité foncière de [Localité 7], la société Cagefi a entrepris une saisie d'un bien immobilier situé [Adresse 1] à [Localité 6] (93) appartenant à M. X., pour avoir paiement d'une somme de 142.204,26 euros, en vertu d'un acte notarié de prêt du 6 décembre 2004.
Par acte d'huissier du 27 juillet 2022, elle a fait assigner M. X. à l'audience d'orientation du juge de l'exécution de [Localité 7] du 20 septembre 2022 aux fins de vente forcée.
Le commandement a été dénoncé, avec assignation à comparaître à l'audience d'orientation, à la trésorerie d'[Localité 6] et au Service des Impôts des Particuliers (SIP) d'[Localité 6]. Le SIP de [Localité 5], venant aux droits du SIP d'[Localité 6], a constitué avocat et a déclaré sa créance.
Par mention au dossier du 22 novembre 2022, le juge de l'exécution a ordonné la réouverture des débats pour signification aux parties non constituées des pièces produites par note en délibéré et pour observations sur la prescription.
M. X. n'a pas constitué avocat et n'a comparu à aucune audience.
Par jugement du 11 avril 2023, le juge de l'exécution a :
- dit abusive la clause d'exigibilité immédiate stipulée au paragraphe 19 des conditions générales du contrat de prêt conclu entre la société Cagefi et M. X. annexé à l'acte notarié du 6 décembre 2004,
- débouté la société Cagefi de ses demandes,
- condamné la société Cagefi aux dépens.
Pour statuer ainsi, le juge de l'exécution a fait application de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) en matière de clause abusive et a retenu que la clause intitulée « Exigibilité immédiate », qui prévoit la résiliation de plein droit sans mise en demeure préalable de régler les impayés et sans préavis d'une durée raisonnable, créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement du crédit. Il a également considéré que les pièces produites ne lui permettaient pas d'apprécier la prescription de chacune des échéances impayées.
Par déclaration du 5 octobre 2023, la société Cagefi a fait appel de ce jugement, puis elle a, par acte de commissaire de justice du 24 novembre 2023, déposé au greffe par le Rpva le 13 décembre 2023, fait assigner à jour fixe M. X., le SIP de Bondy et le SIP de Villepinte devant la cour d'appel de Paris après y avoir été autorisée par ordonnance du 26 octobre 2023.
[*]
Par conclusions du 13 décembre 2023, la société Cagefi demande à la cour de :
- annuler le jugement du 11 avril 2023 pour violation du principe du contradictoire,
En tout état de cause,
- réformer le jugement du 11 avril 2023 en toutes ses dispositions pour violation du principe du contradictoire,
- réformer le jugement du 11 avril 2023 en ce qu'il a méconnu le principe de non rétroactivité de la jurisprudence nouvelle faisant obstacle à l'application de la jurisprudence de la Cour de cassation au visa de l'arrêt de la CJUE du 22 décembre 2022, à l'action qu'elle a engagée suivant commandement de payer valant saisie immobilière du 19 avril 2022 et assignation du 27 juillet 2022,
- juger régulière la procédure qu'elle a engagée sur le fondement de la clause d'exigibilité figurant au contrat du 6 décembre 2004,
- juger que son action est parfaitement recevable et n'encourt pas la prescription,
- fixer sa créance à la somme de 184.891,38 euros au 14 juin 2023, au titre des échéances impayées, du capital exigible et de la clause [l'indemnité] de résiliation, outre les intérêts postérieurs au taux contractuel,
- ordonner la vente forcée du bien sis [Adresse 1] à [Localité 6] appartenant à M. X.,
- fixer la date de l'audience de vente, laquelle interviendra sur la mise à prix de 185.000 euros,
- l'autoriser à faire procéder à la visite des biens saisis par tel huissier de son choix, dans les jours précédant la vente, lequel pourra pénétrer dans le bien avec l'assistance, si nécessaire, d'un serrurier et de la force publique, ou dans l'impossibilité de cette dernière de deux témoins majeurs conformément à l'article L.142-1 du code des procédures civiles d'exécution,
- ordonner que l'huissier de justice pourra se faire assister, lors d'une des visites, d'un ou plusieurs professionnels agréés chargés d'établir et de réactualiser les différents diagnostics immobiliers prévus par la réglementation en vigueur,
- ordonner que la publicité de la vente se fera conformément aux règles des articles R.322-31 et R.322-32 du code des procédures civiles d'exécution, avec une parution sur les sites internet vench.fr et avoventes.fr,
- ordonner que la décision à intervenir, désignant l'huissier de justice pour assurer les visites, devra être signifiée trois jours au moins avant les visites, aux occupants du bien saisi,
- renvoyer l'affaire devant le juge de l'exécution de [Localité 7] aux fins de fixation de la date d'adjudication,
- condamner M. X. aux dépens d'appel au paiement d'une somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dire que les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés et pourront être recouvrés dans le cadre de la procédure de saisie immobilière devant le juge de l'exécution.
L'appelante invoque le non-respect de l'article 16 du code de procédure civile par le juge de l'exécution en ce qu'il a soulevé d'office le caractère abusif de la clause d'exigibilité prévue au contrat de prêt au vu de la jurisprudence de la CJUE du 8 décembre 2022 sans l'avoir invitée à présenter ses observations. Elle précise que si elle avait été mis en mesure de s'expliquer, elle aurait anticipé et communiqué le relevé de compte dans son intégralité pour permettre d'apprécier la recevabilité de l'action au regard de la date des échéances impayées.
Sur le principe de non-rétroactivité de la jurisprudence nouvelle, elle rappelle qu'il est de jurisprudence constante que si la jurisprudence nouvelle s'applique de plein droit à tout ce qui a été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, il en va différemment si la mise en œuvre de ce principe affecte irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi en se conformant à l'état du droit applicable à la date de leur action, et que le juge de l'exécution, en faisant application de l'arrêt de la CJUE du 8 décembre 2022, a méconnu ce principe à son détriment alors qu'elle a agi de bonne foi en se conformant à l'état du droit applicable à la date de son action.
Elle fait valoir que la clause d'exigibilité n'est pas abusive et que le prononcé de la déchéance du terme est valable. Elle explique que bien que la clause d'exigibilité figurant au paragraphe 19 du contrat prévoie expressément que le créancier est dispensé de mise en demeure préalable, elle a adressé à M. X. deux lettres de mise en demeure de payer les échéances impayées dans un délai raisonnable, et qu'en l'absence de réponse et de règlement, elle a prononcé la déchéance du terme, et ce alors même que la jurisprudence de la Cour de Cassation de 2015 sur la mise en demeure préalable était inapplicable à cette déchéance du terme prononcée en 2014. Elle précise que dans un cas similaire, la Cour de cassation (Civ. 1ère, 2 juin 2021) a retenu que la clause jugée abusive pouvait être maintenue.
Enfin, au cas où la clause d'exigibilité serait jugée abusive, elle soutient que l'inexécution grave par M. X. de ses obligations contractuelles justifie le prononcé de la résolution du contrat conformément aux dispositions de l'article 1184 du code civil et demande donc à la cour de juger que la résolution unilatérale du contrat de prêt est intervenue régulièrement puisque M. X. est défaillant depuis 2014, malgré les mises en demeure qui lui ont été adressées, le délai raisonnable qui lui a été laissé pour exécuter ses obligations et les actes d'exécution entrepris.
[*]
Régulièrement cités à étude, M. X., le SIP de [Localité 8] et le SIP de [Localité 5] n'ont pas constitué avocat devant la cour.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur l'annulation du jugement :
L'article 16 du code de procédure civile dispose :
« Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. »
En l'espèce, il est constant que le juge de l'exécution a soulevé d'office le caractère abusif de la clause d'exigibilité immédiate stipulée dans le contrat de prêt sans soumettre cette question au débat contradictoire et sans avoir invité les parties, notamment la Cagefi, à présenter leurs observations.
Le jugement doit donc être annulé pour non-respect du principe de la contradiction.
Toutefois, compte tenu de l'effet dévolutif de l'appel, il y a lieu de statuer sur le fond du litige.
Sur la clause d'exigibilité immédiate :
Il résulte de l'article L. 311-2 du code des procédures civiles d'exécution que pour procéder à une saisie immobilière le créancier doit être muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible.
L'article L. 132-1 alinéa 1er du code de la consommation dispose que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Par un arrêt du 22 mars 2023 (n° 21-16.044), et dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour de justice de l'union européenne issue des arrêts du 26 janvier 2017 et 8 décembre 2022, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a décidé qu'était abusive comme créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur, exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, une clause d'un contrat de prêt immobilier prévoyant la résiliation de plein droit du contrat après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d'une durée raisonnable, rappelant dans un arrêt du même jour qu'il incombait au juge d'examiner d'office l'existence d'un tel abus.
En l'espèce, la clause intitulée « Exigibilité immédiate » stipule : « Les sommes dues seront de plein droit et immédiatement exigibles, si bon semble au prêteur, sans formalité ni mise en demeure, nonobstant les termes et délais ci-dessus fixés dans l'un quelconque des cas suivants :
- en cas de non-paiement à bonne date de la totalité ou d'une partie seulement d'une échéance en capital, intérêts, frais ou accessoires.
[...] »
Ainsi, cette clause est clairement de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur, qui se voit, sans avertissement préalable, imposer le remboursement immédiat de la totalité du prêt au bon vouloir du prêteur. Elle est donc abusive et doit être réputée non écrite.
La Cagefi invoque vainement un prétendu principe de non rétroactivité de la jurisprudence nouvelle, alors que la jurisprudence est par principe et par nature rétroactive. Ce n'est qu'exceptionnellement que la jurisprudence nouvelle est non rétroactive.
En effet, selon la Cour de cassation, si la jurisprudence nouvelle s'applique de plein droit à tout ce qui été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, il en va différemment si la mise en oeuvre de ce principe affecte irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi en se conformant à l'état du droit applicable à la date de leur action. Il en résulte que le juge doit procéder à une évaluation des inconvénients justifiant qu'il soit fait exception au principe de la rétroactivité de la jurisprudence et rechercher, au cas par cas, s'il existe, entre les avantages qui y sont attachés et ses inconvénients, une disproportion manifeste (Civ. 1ère, 19 mai 2021, n° 20-12.520 ; Civ. 1ère, 21 septembre 2022, n° 21-50.049).
Or, la définition de la clause abusive, telle que rappelée ci-dessus, n'a pas évolué depuis 1995. Le contrat de prêt conclu en 2004 entre la Cagefi et M. X. est bien postérieur à l'entrée en vigueur de la législation sur les clauses abusives, de sorte que l'application de cette législation protectrice du consommateur sur une clause de ce contrat était largement prévisible.
La Cagefi ne saurait prétendre qu'elle s'est conformée, de bonne foi, à l'état du droit applicable pour se prévaloir de l'exception au principe de rétroactivité de la jurisprudence nouvelle, dès lors que la clause d'exigibilité immédiate rappelée ci-dessus laisse à l'entière discrétion du prêteur la résiliation du contrat pour le moindre défaut paiement, sans permettre à l'emprunteur de régulariser l'impayé après une mise en demeure. Le déséquilibre créé par cette clause au détriment du consommateur entre les droits et obligations des parties est tellement flagrant, injustifié et considérable, que le prêteur devait s'attendre, dès la conclusion du contrat en 2004, à ce que la clause soit un jour ou l'autre déclarée non écrite comme étant abusive.
Par conséquent, c'est à tort que la Cagefi soutient que la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne du 8 décembre 2022 ne peut être appliquée en l'espèce.
Par ailleurs, la Cour de cassation a pu admettre que pouvait être maintenue en partie une clause de déchéance du terme dont seules certaines des causes étaient abusives, dès lors qu'en raison de sa divisibilité, la suppression des éléments qui la rendaient abusive n'affectait pas sa substance, et que la clause pouvait survivre par voie de retranchement des dispositions prévoyant des causes de déchéance du terme extérieures au contrat (Civ. 1ère, 2 juin 2021, n° 19-22.455).
En l'espèce, la clause litigieuse contient certes de nombreuses causes de déchéance du terme, notamment des causes extérieures au contrat, mais c'est en vain que la Cagefi soutient que les causes directement liées à l'exécution du contrat, telles que la défaillance dans le remboursement des échéances, sont valables. En effet, ce qui est abusif dans la clause litigieuse n'est pas la cause de déchéance du terme, à savoir le non-paiement des sommes dues par l'emprunteur, mais les conditions de mises en 'uvre de la déchéance du terme prévues par cette clause, à savoir « si bon semble au prêteur, sans formalité ni mise en demeure ».
Enfin, il importe peu que deux mises en demeure aient été adressées à l'emprunteur le 9 juillet 2014 et le 10 septembre 2014 préalablement au prononcé de la déchéance du terme en date du 7 octobre 2014, laissant ainsi un délai raisonnable à M. X. pour exécuter ses obligations. En effet, les conditions effectives de mise en œuvre de la clause sont sans effet sur la validité de celle-ci, qui doit être appréciée in abstracto. En d'autres termes, il importe peu que le prêteur ait octroyé dans les faits un premier délai de quinze jours, puis un second de huit jours, à l'emprunteur pour payer les mensualités impayées avant de prononcer la déchéance du terme, dès lors que les délais ainsi fixés, outre qu'ils ne sont pas d'une durée si raisonnable que prétendu, ne dépendent que du prêteur et demeurent par conséquent discrétionnaires, caractérisant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations respectives du professionnel et du consommateur au détriment de ce dernier.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, la clause d'exigibilité immédiate est réputée non écrite, de sorte que la déchéance du terme n'a pas été valablement mise en œuvre. Dès lors, la créance de la Cagefi ne peut être considérée comme étant exigible.
Sur la résolution unilatérale :
L'article 1184 du code civil, dans sa rédaction applicable au contrat, dispose :
« La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.
Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.
La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances. »
La jurisprudence reconnaît toutefois qu'une partie à un contrat peut le résilier unilatéralement, à ses risques et périls, en cas de faute grave de la part de l'autre partie. Il appartiendra alors au juge qui serait saisi d'apprécier si la faute invoquée était suffisamment grave pour permettre la résiliation unilatérale.
C'est en vain que la Cagefi fait valoir que l'inexécution grave par M. X. de ses obligations contractuelles a justifié le prononcé de la résolution unilatérale du contrat, dès lors qu'elle n'a adressé aucun courrier en ce sens à l'emprunteur.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, la Cagefi ne justifie pas d'une créance exigible de 184.891,38 euros comme elle le soutient, de sorte que les conditions de l'article L. 311-2 du code des procédures civiles d'exécution ne sont pas remplies.
Elle sera donc déboutée de toutes ses demandes, étant précisé que celle tendant à voir juger que l'action n'est pas prescrite est sans objet.
Sur les demandes accessoires :
L'issue du litige commande de condamner la Cagefi aux dépens de première instance et d'appel et de la débouter de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
ANNULE le jugement rendu le 11 avril 2023 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Bobigny,
REPUTE non écrite la clause d'exigibilité immédiate insérée au contrat de prêt conclu entre M. X. et la société Cagefi le 6 décembre 2004 comme étant abusive,
DEBOUTE la société Cagefi de l'ensemble de ses demandes, y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Cagefi aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Le greffier, Le président,