CA BESANÇON (1re ch. civ. com.), 10 avril 2024
CERCLAB - DOCUMENT N° 22934
CA BESANÇON (1re ch. civ. com.), 10 avril 2024 : RG n° 23/01446
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « Toutefois, le premier juge a pertinemment retenu qu'à la différence de la norme législative, la jurisprudence était par principe d'application immédiate et rétroactive, la cour ajoutant que, dans le cadre des arrêts ayant, à la suite de la CJUE, consacré l'imprescriptibilité des actions en déclaration du caractère non écrit des clauses abusives, la Cour de cassation n'a aucunement reporté l'application de cette jurisprudence, comme elle le fait lorsque la solution qu'elle retient est en rupture avec une position antérieure et incompatible avec l'impératif de sécurité juridique.
En tout état de cause, il sera rappelé que l'imprescriptibilité se déduit nécessairement du fait que la sanction du caractère abusif d'une clause contractuelle n'est pas sa nullité, mais son caractère non écrit, qui opère de plein droit. Or, cette imprescriptibilité ne constitue en rien un principe jurisprudentiel nouveau résultant de décisions récentes de la Cour de cassation, mais a au contraire donné lieu à des décisions qui, pour certaines, sont antérieures à la souscription du prêt litigieux, que ce soit par la Cour de cassation (civ.3ème, 1er avril 1987, n° 85-15010) ou par la CJCE (21 novembre 2002 C-473/00), de sorte qu'il ne saurait être considéré qu'il existe en la matière une atteinte à la sécurité juridique du fait d'un bouleversement de la jurisprudence. »
2/ « Par un arrêt du 12 juillet 2023 (Civ.1ère, 12 juillet 2023, n° 22-17030), rendu au visa de la jurisprudence de la CJUE, la Cour de cassation a retenu que le point de départ du délai de prescription quinquennal, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil et à l'article L. 110-4 du code de commerce, de l'action en restitution de sommes indûment versées au titre des clauses abusives d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses.
La même observation que précédemment doit être faite s'agissant de l'application rétroactive de cette jurisprudence, étant observé que la Cour de cassation n'a pas reporté l'application de la solution jurisprudentielle qu'elle retient.
C'est vainement que la CCM critique la pertinence de la solution retenue par la haute cour, laquelle est parfaitement conforme à la jurisprudence de la CJUE, et répond à la nécessité d'assurer l'effectivité de la protection du consommateur poursuivie par le droit européen, au regard de sa situation d'infériorité par rapport au professionnel. En effet, le fait de retenir un point de départ de prescription de l'action en répétition antérieur à la consécration judiciaire du caractère abusif de la clause serait de nature à porter atteinte à l'effectivité du droit imprescriptible du consommateur de saisir le juge aux fins de voir déclarer non écrite une clause contractuelle abusive »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE BESANÇON
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 10 AVRIL 2024
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 23/01446. N° Portalis DBVG-V-B7H-EVWA. Décision déférée à la Cour : jugement du 13 septembre 2023 - RG n° 21/00396 - JUGE DE LA MISE EN ETAT DE MONTBELIARD. Code affaire : 38E - Autres actions en responsabilité exercées contre un établissement de crédit.
COMPOSITION DE LA COUR : M. Michel WACHTER, Président de chambre, M. Cédric SAUNIER, conseiller, Mme Anne-Sophie WILLM, conseiller.
Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 3 avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés devant M. Michel Wachter, président, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour.
DÉLIBÉRÉ : Monsieur Michel Wachter, président a rendu compte, conformément à l'article 786 du code de procédure civile aux autres magistrats : Madame Anne-Sophie Willm et Monsieur Cédric Saunier, conseillers.
L'affaire oppose :
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE :
CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL MULHOUSE EUROPE
Association coopérative inscrite à responsabilité limitée auprès du TJ de Mulhouse sous le Volume : IX0066, Prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés pour ce audit siège, Sise [Adresse 3], Siret numéro XXX, Représentée par Maître Serge PAULUS de la SELARL ORION AVOCATS & CONSEILS, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant, Représentée par Maître Caroline LEROUX, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant
ET :
INTIMÉS :
Monsieur X.
né le [Date naissance 2] à [Localité 5], de nationalité française, demeurant [Adresse 4], Représenté par Maître Charles CONSTANTIN-VALLET de la SELARL CONSTANTIN-VALLET, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, Représenté par Maître Valentin RICHE, avocat au barreau de MONTBELIARD, avocat postulant
Madame Y. épouse X.
née le [Date naissance 1] à [Localité 5], de nationalité française, demeurant [Adresse 4], Représentée par Maître Charles CONSTANTIN-VALLET de la SELARL CONSTANTIN-VALLET, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, Représentée par Maître Valentin RICHE, avocat au barreau de MONTBELIARD, avocat postulant
ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par exploit du 24 juin 2021, M. X. et son épouse, née Y., ont fait assigner la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe (la CCM) devant le tribunal judiciaire de Montbéliard aux fins de voir déclarer non écrites diverses clauses d'un prêt immobilier in fine d'un montant de 215.000 CHF qui leur a été accordé selon offre acceptée le 21 décembre 2006, d'obtenir restitution de montants trop-perçus et indemnisation de leurs dommages.
La CCM a saisi le juge de la mise en état de fins de non-recevoir tirées de la prescription de l'action tendant à voir déclarer les clauses abusives, de l'action en restitution et de l'action en responsabilité. Elle a notamment fait valoir que les époux X. ne pouvaient se prévaloir de la jurisprudence nouvelle issue des arrêts de la Cour de cassation de 2022 relativement à l'imprescriptibilité de l'action en déclaration de clause abusive, subsidiairement a soutenu que cette imprescriptibilité ne concernait pas l'action en restitution, qui restait en tout état de cause soumise à la prescription quinquennale, laquelle était acquise.
Les époux X. se sont opposés aux fins de non-recevoir, arguant de l'imprescriptibilité de l'action en déclaration de clause abusive, et ajoutant que le point de départ de la prescription quinquennale de l'action en restitution se situait au jour de la décision consacrant le caractère abusif des clauses. S'agissant de l'action en responsabilité, ils ont exposé n'avoir eu connaissance du dommage qu'au jour où ils ont fait valoriser le bien financé, soit le 28 avril 2021, qui constituait en conséquence le point de départ du délai de prescription.
Par ordonnance du 13 septembre 2023, le juge de la mise en état a :
Vu l'article 789 du code de procédure civile,
Rejeté la demande de renvoi devant la chambre civile du tribunal des fins de non-recevoir soulevées par la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe ;
- déclaré non prescrite la demande de M. X. et Mme X. née Y. tendant à voir réputer non écrite une clause abusive ;
- déclaré non prescrite la demande de M. X. et Mme X. née Y. tirée de l'action restitutoire, à savoir en restitution des sommes versées par les emprunteurs ;
- déclaré non prescrite la demande de M. [C] X. et Mme X. née Y. tendant à rechercher la responsabilité contractuelle, pour manquements, de la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe ;
En conséquence,
- rejeté les fins de non-recevoir formulées par la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe ;
- condamné la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe à payer à M. X. et Mme X. née Y. la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe aux dépens du présent incident.
Pour statuer ainsi, le juge de la mise en état a retenu :
- sur la prescription de l'action en réputé non écrit d'une clause abusive, qu'une jurisprudence nouvelle était d'application immédiate, et qu'ainsi, la sécurité juridique invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable, pour contester l'application immédiate d'une solution nouvelle résultant d'une évolution de la jurisprudence, ne pouvait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s'en prévalait n'était pas privée du droit d'accès au juge ; que la demande qui tendait à voir réputer non écrite une clause abusive n'était pas soumise à prescription et était par nature imprescriptible afin de garantir aux consommateurs une protection réelle et efficace qui imposait de ne pas enfermer leur demande dans un délai de prescription ; que l'action des époux X. n'était donc pas prescrite ;
- sur la prescription de l'action en restitution, que le point de départ du délai de prescription devait être fixé à la date de la décision de justice constant le caractère abusif des clauses, et qu'aucune déclaration ayant force de chose jugée n'avait encore été rendue à ce sujet ;
- sur la prescription de l'action en responsabilité contractuelle, que si les époux X., emprunteurs non avertis, avaient connaissance, dès la souscription, du fait que le prêt était en devises étrangères, remboursable in fine en euros, et que le taux d'intérêts était variable, cette connaissance contractuelle objective ne leur avait pas permis de prendre pleinement conscience du dommage qu'ils subiraient par leur impossibilité matérielle de rembourser le prêt ; que cette pleine et entière connaissance du dommage s'était réalisée lorsque les époux X. avaient souhaité connaître la valorisation du bien immobilier financé, pour éventuellement procéder au remboursement par anticipation du prêt in fine, soit le 28 avril 2021 ; qu'à titre surabondant, les échéances d'intérêts étaient restées stables, et ne pouvaient constituer le point de départ de la prescription comme ne permettant pas aux emprunteurs de connaître l'existence d'un risque de change.
La CCM a relevé appel de cette décision le 2 octobre 2023.
[*]
Par conclusions n°2 transmises le 22 décembre 2023, l'appelante demande à la cour :
Vu les articles 2222 et 2224 du code civil,
Vu les articles 122 et 789 du code de procédure civile,
Vu l'article 651 de la Convention européenne des droits de l'Homme et l'article 1er du protocole additionnel,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
- de déclarer l'appel de la CCM recevable et bien fondé ;
- d'infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a jugé :
* déclare non prescrite la demande de M. X. et Mme X. née Y. tendant à voir réputer non écrite une clause abusive ;
* déclare non prescrite la demande de M. X. et Mme X. née Y. tirée de l'action restitutoire, à savoir en restitution des sommes versées par les emprunteurs ;
* déclare non prescrite la demande de M. X. et Mme X. née Y. tendant à rechercher la responsabilité contractuelle, pour manquements, de la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe ;
En conséquence,
* rejette les fins de non-recevoir formulées par la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe ;
* condamne la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe à payer à M. X. et Mme X. née Y. la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* renvoie l'affaire à la mise en état électronique du 15 novembre 2023, à charge pour la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe de conclure pour cette date ;
* condamne la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe aux dépens du présent incident ;
Statuant à nouveau,
- de déclarer que l'action visant à faire valoir les effets restitutifs de la constatation du caractère abusif des clauses intitulées « remboursement du crédit » (art. 5.3), « coût du crédit » (art.5.2), « Notice relative aux conditions et modalités de variation du taux d'intérêt » (art.6) et « dispositions propres aux crédits en devises » (art. 10) est prescrite ;
- de déclarer que la jurisprudence nouvelle, notamment issue des arrêts rendus par la Cour de cassation les 30 mars 2022 et 20 avril 2022, ne s'appliquera pas au présent litige ;
- de déclarer que l'action tendant à voir déclarer abusives les clauses intitulées « remboursement du crédit » (art. 5.3), « coût du crédit » (art.5.2), « Notice relative aux conditions et modalités de variation du taux d'intérêt » (art.6) et « dispositions propres aux crédits en devises » (art. 10) est prescrite ;
- de déclarer que les demandes des époux X. relatives à la responsabilité de la CCM sont prescrites ;
En conséquence,
- de déclarer que les demandes des époux X. se heurtent à des fins de non-recevoir ;
- de déclarer irrecevables les demandes des époux X. ;
- de débouter les époux X. de l'ensemble de leurs demandes ;
En tout état de cause,
- de condamner les époux X. à verser à la CCM Mulhouse Europe la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner les époux X. aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel.
[*]
Par conclusions notifiées le 25 novembre 2023, les époux X. demandent à la cour :
Vu la directive 93/13/CEE et les articles L. 212-1 et suivants du code de la consommation,
Vu les articles 122, 696, 700 et 789 du code de procédure civile,
- de confirmer l'ordonnance déférée dans l'ensemble de ses dispositions ;
- de débouter en conséquence la CCM de ses fins de non-recevoir en ce qu'elles sont mal fondées ;
- de débouter en conséquence la CCM de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner la CCM à verser aux époux X. la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner la CCM aux entiers dépens.
[*]
La clôture de la procédure a été prononcée le 14 février 2024.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.
[*]
A titre liminaire, il y a lieu de rectifier l'erreur matérielle affectant l'ordonnance déférée s'agissant du prénom de M. X.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Sur ce, la cour,
Bien que la CCM invoque à titre principal l'absence de prescription de l'action en restitution fondée sur les clauses abusives, et subsidiairement l'absence de prescription de l'action en déclaration de clauses abusives elle-même, la logique impose que cette dernière soit examinée en premier lieu, dès lors qu'en cas de prescription de cette dernière action, l'examen de la prescription de l'action en restitution deviendrait nécessairement sans objet.
Sur la prescription de l'action en déclaration de clause abusive :
Pour poursuivre l'infirmation de la décision déférée, la CCM conteste que puissent être appliqués, rétroactivement au cas d'espèce, des arrêts récents de la Cour de cassation consacrant l'imprescriptibilité de l'action tendant à faire déclarer les clauses abusives non écrites, sous peine de porter atteinte à la sécurité juridique, alors qu'elle s'était conformée au droit applicable au moment de l'octroi du prêt.
Toutefois, le premier juge a pertinemment retenu qu'à la différence de la norme législative, la jurisprudence était par principe d'application immédiate et rétroactive, la cour ajoutant que, dans le cadre des arrêts ayant, à la suite de la CJUE, consacré l'imprescriptibilité des actions en déclaration du caractère non écrit des clauses abusives, la Cour de cassation n'a aucunement reporté l'application de cette jurisprudence, comme elle le fait lorsque la solution qu'elle retient est en rupture avec une position antérieure et incompatible avec l'impératif de sécurité juridique.
En tout état de cause, il sera rappelé que l'imprescriptibilité se déduit nécessairement du fait que la sanction du caractère abusif d'une clause contractuelle n'est pas sa nullité, mais son caractère non écrit, qui opère de plein droit. Or, cette imprescriptibilité ne constitue en rien un principe jurisprudentiel nouveau résultant de décisions récentes de la Cour de cassation, mais a au contraire donné lieu à des décisions qui, pour certaines, sont antérieures à la souscription du prêt litigieux, que ce soit par la Cour de cassation (civ.3ème, 1er avril 1987, n° 85-15010) ou par la CJCE (21 novembre 2002 C-473/00), de sorte qu'il ne saurait être considéré qu'il existe en la matière une atteinte à la sécurité juridique du fait d'un bouleversement de la jurisprudence.
Les développements consacrés subsidiairement par la CCM à la responsabilité encourue par le notaire au cas où l'imprescriptibilité serait retenue sont quant à eux sans emport sur le présent débat.
L'ordonnance déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a écarté la fin de non-recevoir opposée par la CCM à l'action tendant à faire déclarer les clauses abusives non écrites.
Sur la prescription de l'action en restitution fondée sur les clauses abusives :
Au soutien de son appel, la CCM fait valoir que cette action se prescrit selon le délai quinquennal de droit commun, et soutient que le point de départ n'en est pas la date à laquelle le caractère abusif de la clause serait judiciairement consacré, mais celle à laquelle l'emprunteur a pu se convaincre du caractère prétendument abusif de la clause, soit en l'espèce le moment où la hausse du cours du franc suisse avait été suffisamment importante pour avoir un impact sur les échéances du prêt. Elle critique en cela le bien-fondé de la solution récente retenue par la Cour de cassation, dont elle estime en outre qu'elle n'a pas vocation à s'appliquer de manière rétroactive au cas d'espèce.
Les époux X. sollicitent sur ce point la confirmation de la décision déférée.
Il n'est pas contesté que l'action en restitution fondée sur les clauses abusives se prescrit selon le délai quinquennal de droit commun, les parties étant cependant contraires sur le point de départ de ce délai, qui, selon les termes de l'article 2224 du code civil, est constitué par le jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Par un arrêt du 12 juillet 2023 (Civ.1ère, 12 juillet 2023, n° 22-17030), rendu au visa de la jurisprudence de la CJUE, la Cour de cassation a retenu que le point de départ du délai de prescription quinquennal, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil et à l'article L. 110-4 du code de commerce, de l'action en restitution de sommes indûment versées au titre des clauses abusives d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses.
La même observation que précédemment doit être faite s'agissant de l'application rétroactive de cette jurisprudence, étant observé que la Cour de cassation n'a pas reporté l'application de la solution jurisprudentielle qu'elle retient.
C'est vainement que la CCM critique la pertinence de la solution retenue par la haute cour, laquelle est parfaitement conforme à la jurisprudence de la CJUE, et répond à la nécessité d'assurer l'effectivité de la protection du consommateur poursuivie par le droit européen, au regard de sa situation d'infériorité par rapport au professionnel. En effet, le fait de retenir un point de départ de prescription de l'action en répétition antérieur à la consécration judiciaire du caractère abusif de la clause serait de nature à porter atteinte à l'effectivité du droit imprescriptible du consommateur de saisir le juge aux fins de voir déclarer non écrite une clause contractuelle abusive.
Sur ce point également, l'ordonnance entreprise sera confirmée, dès lors qu'aucune décision judiciaire n'a encore déclaré les clauses litigieuses abusives.
Sur la prescription de l'action en responsabilité de la CCM :
C'est par des motifs pertinents, dont l'argumentation développée en appel par la banque ne permet pas de remettre en cause le bien-fondé, que le premier juge a retenu, au visa de l'article 2224 du code civil, que ce n'était qu'à la date à laquelle ils avaient fait procéder à l'évaluation du bien financé que les époux X. avaient pu réellement prendre conscience des difficultés auxquelles ils allaient être confrontés pour procéder au remboursement du prêt litigieux, et qu'il en a légitimement déduit que c'était à cette date, soit le 28 avril 2021, que devait être fixé le point de départ du délai quinquennal de prescription de l'action en responsabilité dirigée contre la CCM.
La confirmation s'impose également sur ce point.
Sur les autres dispositions :
La décision sera encore confirmée s'agissant des dépens de l'incident et des frais irrépétibles.
La CCM sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer aux époux X. la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs :
Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,
Rectifie l'erreur matérielle affectant l'ordonnance rendue le 13 septembre 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Montbéliard ;
En conséquence Dit que, à tout endroit où il apparaît le prénom de « C. » attribué à M. X. sera remplacé par le prénom « T. » ;
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 13 septembre 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Montbéliard ;
Y ajoutant :
Condamne la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe aux dépens d'appel ;
Condamne la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe à payer à M. X. et son épouse, née Y., la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.
Le greffier, Le président,