CA BESANÇON (1re ch. civ. com.), 4 septembre 2024
- TJ Besançon (Jme), 7 mars 2024 : RG n° 23/00012 ; Dnd
CERCLAB - DOCUMENT N° 22938
CA BESANÇON (1re ch. civ. com.), 4 septembre 2024 : RG n° 24/00396
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « La CCM fait valoir que c'était à tort que le premier juge s'était déterminé au regard de l'intérêt à agir de la SCI Julmat.R, alors qu'il était conclu à son défaut de qualité pour agir sur le fondement du régime de l'imprescriptibilité des clauses abusives résultant de la Directive 93-13 CEE du Conseil du 5 avril 1993, faute de présenter la qualité de consommateur.
Toutefois, en tant qu'emprunteur, la SCI Julmat a incontestablement qualité pour agir aux fins de voir certaines clauses du prêt qu'elle a souscrit déclarées abusives, alors en tout état de cause que, comme l'a pertinemment retenu le premier juge, sa qualité de consommateur ou de non professionnel conditionne, non pas la recevabilité de son action, mais son bien-fondé. La fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir doit donc être écartée. »
2/ « L'appelante fait grief au premier juge d'avoir fait application de l'article 1171 du code civil à un contrat conclu antérieurement à la date d'entrée en vigueur de ce texte. Toutefois, avant de retenir l'absence de prescription dans le cadre d'une action fondée sur l'article 1171 du code civil, le juge de la mise en état a dûment rappelé que cette considération de recevabilité supposait que soit tranchée la question de l'applicabilité du texte concerné au contrat litigieux.
Or, l'appréciation de la pertinence du fondement juridique invoqué par les parties relève, non pas de la recevabilité de l'action, mais de son bien-fondé, de sorte que, ce fondement étant expressément invoqué par la SCI Julmat.R à l'appui de son action, c'est à bon droit que le juge de la mise en état s'est prononcé sur la recevabilité de celle-ci au regard de l'article 1171 du code civil. Au demeurant, l'absence d'applicabilité dans le temps du texte concerné ne vient au soutien d'aucune fin de non-recevoir développée par la CCM. »
3/ « La CCM conteste que puissent être appliqués rétroactivement au cas d'espèce des principes dégagés par des arrêts récents de la CJUE et de la Cour de cassation consacrant l'imprescriptibilité de l'action tendant, dans les actions diligentées par des consommateurs, à faire déclarer les clauses abusives non écrites, sous peine de porter atteinte à la sécurité juridique, alors qu'elle-même s'était conformée au droit applicable au moment de l'octroi du prêt. Elle ajoute que, par deux arrêts du 25 avril 2024, la CJUE a rappelé qu'il était toujours possible pour le professionnel de prouver que le consommateur pouvait raisonnablement avoir connaissance du caractère abusif de la clause avant que n'intervienne le jugement en constatant la nullité, et que tel était le cas en l'espèce, où la SCI Julmat.R avait eu connaissance du caractère prétendument abusif dès 2009, lorsque le franc suisse avait connu une augmentation significative.
Le premier juge a pertinemment rappelé que l'imprescriptibilité se déduit nécessairement du fait que la sanction du caractère abusif d'une clause contractuelle n'est pas sa nullité, mais son caractère non écrit, qui opère de plein droit, et que cette imprescriptibilité ne constituait en rien un principe jurisprudentiel nouveau résultant de décisions récentes de la Cour de cassation, mais avait au contraire donné lieu à des décisions antérieures à la souscription du prêt litigieux, que ce soit par la Cour de cassation (Civ. 3ème, 1er avril 1987, n° 85-15010), dont la solution est applicable quel que soit le régime juridique applicable aux clauses abusives, ou par la CJCE (21 novembre 2002 C-473/00). Il n'est ainsi pas fait la démonstration d'une atteinte à la sécurité juridique du fait d'un bouleversement de la jurisprudence.
Etant rappelé qu'à la différence de la norme législative, la jurisprudence est par principe d'application immédiate et rétroactive, le premier juge, faisant référence aux jurisprudences récentes de la CJUE et de la Cour de cassation, a ensuite pertinemment relevé que la Cour de cassation n'avait aucunement reporté l'application de cette jurisprudence, comme elle le fait lorsque la solution qu'elle retient est en rupture avec une position antérieure et incompatible avec l'impératif de sécurité juridique.
L'ordonnance déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a écarté, quel que soit le fondement juridique envisagé la fin de non-recevoir opposée par la CCM à l'action tendant à faire déclarer les clauses abusives non écrites.
L'action en restitution des sommes versées en application d'une clause abusive se prescrit selon le délai quinquennal de droit commun de l'article 2224 du code civil, dont le point de départ est constitué par le jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Le juge de la mise en état s'est à juste titre référé à un arrêt du 12 juillet 2023 (Civ. 1ère, 12 juillet 2023, n° 22-17030), rendu au visa de la jurisprudence de la CJUE, par lequel la Cour de cassation a retenu que le point de départ du délai de prescription quinquennal, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil et à l'article L. 110-4 du code de commerce, de l'action en restitution de sommes indûment versées au titre des clauses abusives d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses.
La même observation que précédemment doit être faite s'agissant de l'application rétroactive de cette jurisprudence, étant observé que la Cour de cassation n'a pas reporté l'application de la solution jurisprudentielle qu'elle retient.
C'est vainement que la CCM critique la pertinence de la solution retenue par la haute cour, laquelle est parfaitement conforme à la jurisprudence de la CJUE, et répond à la nécessité d'assurer l'effectivité de la protection du consommateur poursuivie par le droit européen, au regard de sa situation d'infériorité par rapport au professionnel. En effet, le fait de retenir un point de départ de prescription de l'action en répétition antérieur à la consécration judiciaire du caractère abusif de la clause serait de nature à porter atteinte à l'effectivité du droit imprescriptible du consommateur de saisir le juge aux fins de voir déclarer non écrite une clause contractuelle abusive.
Si certes la CJUE a récemment eu l'occasion de préciser dans deux arrêts en date du 25 avril 2024, sans remettre en cause le principe selon lequel le délai de prescription de l'action en restitution commence à courir à la date à laquelle le caractère abusif de la clause a fait l'objet d'une décision définitive, que la directive 93-13 ne s'opposait pas à ce que le professionnel ait la faculté de prouver que le consommateur avait ou pouvait raisonnablement avoir connaissance du caractère abusif de la clause avant que n'intervienne le jugement en constatant la nullité, force est de relever que la CCM ne démontre pas concrètement en quoi que l'emprunteur ait en l'espèce pu se convaincre du caractère abusif des clauses dénoncées du seul fait de l'augmentation du cours du franc suisse.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée dès lors qu'aucune décision judiciaire n'a encore déclaré les clauses litigieuses abusives.
Il en sera de même s'agissant du fondement alternatif de l'article 1171 du code civil, le premier juge ayant à juste titre considéré que l'existence d'un déséquilibre significatif ne pouvait être connu avec certitude qu'au jour de la décision statuant sur l'existence de la clause abusive. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE BESANÇON
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 4 SEPTEMBRE 2024
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 24/00396. N° Portalis DBVG-V-B7I-EX4Q. Décision déférée à la Cour : jugement du 7 mars 2024 - RG n° 23/00012 - JUGE DE LA MISE EN ETAT DE BESANCON. Code affaire : 53A - Prêt - Demande en nullité du contrat ou d'une clause du contrat
COMPOSITION DE LA COUR : M. Michel WACHTER, président de chambre. M. Cédric SAUNIER et Mme Anne-Sophie WILLM, conseillers.
Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile B85D525D8D5030285E5B8CDF386E109B 71192CCF7D68F6ECF7E8E35EE0AB5BBF, l'affaire a été débattue le 05 juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés devant M. Michel WACHTER, président, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour.
DÉLIBÉRÉ : M. Michel WACHTER, président de chambre a rendu compte, conformément à l'article 786 du code de procédure civile 0869559C6FBB904D5629DB010747EAAB aux autres magistrats : M. Cédric SAUNIER et Mme Anne-Sophie WILLM, conseillers.
L'affaire oppose :
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE :
CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE [Localité 3]
Société coopérative de crédit à capital variable et à responsabilité statutairement limitée, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Besançon sous le numéro XXX, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié pour ce audit siège ; Sise [Adresse 1], Représentée par Maître Caroline LEROUX, avocat au barreau de BESANÇON
ET :
INTIMÉE :
SCI JULMAT.R
Sise [Adresse 2], Inscrite au RCS de Besançon sous le numéro XXX, Représentée par Maître Olivier GAUTHIER, avocat au barreau de MONTBELIARD, avocat postulant, Représentée par Maître David DANA, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile F23D2CC483AC17020CAB97538F82B395. - signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par exploit du 27 décembre 2022, la SCI Julmat.R a fait assigner la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 3] (la CCM) devant le tribunal judiciaire de Besançon aux fins de voir déclarer non écrites diverses clauses d'un prêt immobilier d'un montant de 1.067.000 CHF qui lui avait été accordé suivant acte authentique du 25 janvier 2005, d'obtenir restitution de l'équivalent en euros du capital emprunté, augmenté des amortissements, intérêts, cotisations, commissions et primes d'assurance, subsidiairement de voir recalculer les intérêts avec restitution des montants trop-perçus.
La CCM a saisi le juge de la mise en état de fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité de la SCI Julmat.R pour agir sur le fondement de la règlementation des clauses abusives, comme n'ayant pas la qualité de consommateur, et de la prescription de l'action tendant à voir déclarer les clauses abusives, de l'action en restitution.
La SCI Julmat.R s'est opposée aux fins de non-recevoir, arguant, d'une part, de sa qualité pour agir tant sur le fondement des dispositions du code de la consommation que sur celles de l'article 1171 du code civil, sa qualité de consommateur relevant de l'appréciation du juge du fond, d'autre part de l'imprescriptibilité de l'action en déclaration de clause abusive, et de l'absence de prescription de l'action en restitution, le point de départ de celle-ci se situant au jour de la décision consacrant le caractère abusif des clauses.
Par ordonnance du 7 mars 2024, le juge de la mise en état a :
- rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la société coopérative Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 3] au titre de l'intérêt à agir de la SCI Julmat.R et du délai pour agir en constatation du caratère abusif de clauses du contrat de prêt du 8 août 2008 et en restitution des sommes versées en application des clauses abusives ;
- rejeté les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que les dépens de l'incident suivront le sort de ceux de l'instance principale.
Pour statuer ainsi, le juge de la mise en état a retenu :
- que la SCI Julmat.R avait bien intérêt pour agir à l'encontre de la CCM pour voir constater l'existence de clauses abusives dans le contrat conclu entre les parties, ainsi que pour obtenir restitution des sommes versées consécutivement à la reconnaissance du caractère non écrit des clauses abusives, sa qualité de consommateur ou de non professionnel conditionnant le bien-fondé du droit invoqué par la demanderesse, et non la recevabilité de son action ;
- qu'il résultait d'une jurisprudence ancienne, applicable quel que soit le régime juridique auquel sont soumises les clauses abusives, que la sanction d'une clause abusive n'était pas sa nullité, mais son caractère non écrit, qui opérait de plein droit, de sorte que l'action destinée à y faire échec n'était pas soumise à la prescription ; qu'il ressortait en outre d'un arrêt de la CJUE du 21 novembre 2022 qu'était exclue la possibilité d'opposer la prescription au consommateur se prévalant de l'existence d'une clause abusive ; que, par conséquent, quel que soit son fondement, l'action de la SCI Julmat.R fondée sur le caractère abusif de certaines clauses du contrat de prêt, ne saurait être prescrite ;
- que, s'agissant de la demande en restitution de sommes d'argent consécutivement à l'existence de clauses abusives, il résultait de la jurisprudence de la CJUE et de la Cour de cassation que l'action en restitution de sommes indûment versées en exécution d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, fondée sur la constatation du caractère abusif d'une clause du contrat en application des dispositions du code de la consommation ne peut avoir commencé à courir tant qu'aucune juridiction ne s'était prononcée sur le caractère abusif de la clause litigieuse ; que, relativement au fondement tiré par la SCI Julmat.R de l'article 1171 du code civil, la fin de non-recevoir ne pouvait être tranchée indépendamment de la question de savoir si cet article était applicable à un contrat conclu antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 ; que le point de départ s'agissant de l'action fondée sur le code civil devait également être fixé à la décision retenant le caractère abusif de la clause, dès lors que fixer ce point de départ à une date à laquelle le contractant aurait dû connaître les faits lui permettant de savoir que la clause était abusive était de nature à vider la protection de sa substance en rendant excessivement difficile et aléatoire l'action en restitution, l'existence du déséquilibre significatif ne pouvant être connu avec certitude qu'au jour de la décision statuant sur l'existence de la clause abusive.
La CCM a relevé appel de cette décision le 13 mars 2024.
[*]
Par conclusions n°2 transmises le 4 juin 2024, l'appelante demande à la cour :
Vu les articles 2222 et 2224 du code civil,
Vu les articles 905-2, 789 et 122 du code de procédure civile,
Vu l 'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l 'Homme,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
In limine litis,
- de juger irrecevables toutes conclusions et pièces de la SCI Julmat.R ;
- d'écarter toutes conclusions et pièces de la SCI Julmat.R ;
Sur le fond,
- d'infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :
* rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la société coopérative Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 3] au titre de l'intérêt à agir de la SCI Julmat.R et du délai pour agir en constatation du caratère abusif de clauses du contrat de prêt du 8 août 2008 et en restitution des sommes versées en application des clauses abusives ;
* rejeté les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* dit que les dépens de l'incident suivront le sort de ceux de l'instance principale.
Statuant à nouveau,
- de juger que l'action est irrecevable en raison du défaut de qualité de consommateur de la demanderesse ;
- de juger que le premier juge ne pouvait faire une application rétroactive de l'actuel article 1171 du code civil ;
- de juger que la SCI Julmat.R ne peut se prévaloir d'une imprescriptibilité de son action en l'absence d'application de la directive 93-13 ;
- de juger que l'action visant à faire valoir les effets restitutifs de la constatation du caractère abusif des clauses intitulées « remboursement du crédit » (art. 5.3), « coût du crédit » (art.5.2), « dispositions propres aux crédits en devise » (art. 12) est prescrite ;
- de déclarer que les demandes des époux [C] relatives à la responsabilité de la CCM sont
prescrites ;
En conséquence,
- de juger que les demandes de la SCI Julmat.R se heurtent à des fins de non-recevoir ;
- de déclarer irrecevables les demandes de la SCI Julmat.R ;
- de débouter la SCI Julmat.R de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
En tout état de cause,
- de condamner la SCI Julmat.R à verser à la CCM [Localité 3] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner la SCI Julmat.R aux entiers frais et dépens de la procédure.
[*]
Par ordonnance du 11 juin 2024, le président de chambre a déclaré irrecevables les conclusions d'intimée transmises le 17 mai 2024 par la SCI Julmat.R.
La clôture de la procédure a été prononcée le 12 juin 2024.
La SCI Julmat.R a notifié des conclusions le 19 juin 2024.
Par conclusions de procédure transmises le même jour, la CCM a demandé à la cour de déclarer irrecevables les conclusions déposées par la SCI Julmat.R.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Sur ce, la cour :
Sur les conclusions transmises le 19 juin 2024 par la SCI Julmat.R :
Ces conclusions devront être déclarées irrecevables, dès lors qu'elles ont été transmises postérieurement à l'ordonnance de clôture, et alors au demeurant que les premières conclusions d'intimée de la SCI Julmat.R avaient elles-mêmes été déclarées irrecevables par ordonnance du 11 juin 2024 pour avoir été déposées après l'expiration des délais impartis par l'article 905-2 du code de procédure civile.
Sur les fins de non-recevoir :
Il sera rappelé à titre liminaire que, la SCI Julmat.R n'ayant pas valablement conclu, elle est réputée s'approprier les motifs de la décision déférée en application de l'article 954 alinéa dernier du code de procédure civile.
1° Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir :
La CCM fait valoir que c'était à tort que le premier juge s'était déterminé au regard de l'intérêt à agir de la SCI Julmat.R, alors qu'il était conclu à son défaut de qualité pour agir sur le fondement du régime de l'imprescriptibilité des clauses abusives résultant de la Directive 93-13 CEE du Conseil du 5 avril 1993, faute de présenter la qualité de consommateur.
Toutefois, en tant qu'emprunteur, la SCI Julmat a incontestablement qualité pour agir aux fins de voir certaines clauses du prêt qu'elle a souscrit déclarées abusives, alors en tout état de cause que, comme l'a pertinemment retenu le premier juge, sa qualité de consommateur ou de non professionnel conditionne, non pas la recevabilité de son action, mais son bien-fondé.
La fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir doit donc être écartée.
2° Sur l'applicabilité dans le temps de l'article 1171 du code civil :
L'appelante fait grief au premier juge d'avoir fait application de l'article 1171 du code civil à un contrat conclu antérieurement à la date d'entrée en vigueur de ce texte.
Toutefois, avant de retenir l'absence de prescription dans le cadre d'une action fondée sur l'article 1171 du code civil, le juge de la mise en état a dûment rappelé que cette considération de recevabilité supposait que soit tranchée la question de l'applicabilité du texte concerné au contrat litigieux.
Or, l'appréciation de la pertinence du fondement juridique invoqué par les parties relève, non pas de la recevabilité de l'action, mais de son bien-fondé, de sorte que, ce fondement étant expressément invoqué par la SCI Julmat.R à l'appui de son action, c'est à bon droit que le juge de la mise en état s'est prononcé sur la recevabilité de celle-ci au regard de l'article 1171 du code civil.
Au demeurant, l'absence d'applicabilité dans le temps du texte concerné ne vient au soutien d'aucune fin de non-recevoir développée par la CCM.
3° Sur la prescription des actions en clause abusive et en restitution :
La CCM conteste que puissent être appliqués rétroactivement au cas d'espèce des principes dégagés par des arrêts récents de la CJUE et de la Cour de cassation consacrant l'imprescriptibilité de l'action tendant, dans les actions diligentées par des consommateurs, à faire déclarer les clauses abusives non écrites, sous peine de porter atteinte à la sécurité juridique, alors qu'elle-même s'était conformée au droit applicable au moment de l'octroi du prêt. Elle ajoute que, par deux arrêts du 25 avril 2024, la CJUE a rappelé qu'il était toujours possible pour le professionnel de prouver que le consommateur pouvait raisonnablement avoir connaissance du caractère abusif de la clause avant que n'intervienne le jugement en constatant la nullité, et que tel était le cas en l'espèce, où la SCI Julmat.R avait eu connaissance du caractère prétendument abusif dès 2009, lorsque le franc suisse avait connu une augmentation significative.
Le premier juge a pertinemment rappelé que l'imprescriptibilité se déduit nécessairement du fait que la sanction du caractère abusif d'une clause contractuelle n'est pas sa nullité, mais son caractère non écrit, qui opère de plein droit, et que cette imprescriptibilité ne constituait en rien un principe jurisprudentiel nouveau résultant de décisions récentes de la Cour de cassation, mais avait au contraire donné lieu à des décisions antérieures à la souscription du prêt litigieux, que ce soit par la Cour de cassation (Civ. 3ème, 1er avril 1987, n° 85-15010), dont la solution est applicable quel que soit le régime juridique applicable aux clauses abusives, ou par la CJCE (21 novembre 2002 C-473/00). Il n'est ainsi pas fait la démonstration d'une atteinte à la sécurité juridique du fait d'un bouleversement de la jurisprudence.
Etant rappelé qu'à la différence de la norme législative, la jurisprudence est par principe d'application immédiate et rétroactive, le premier juge, faisant référence aux jurisprudences récentes de la CJUE et de la Cour de cassation, a ensuite pertinemment relevé que la Cour de cassation n'avait aucunement reporté l'application de cette jurisprudence, comme elle le fait lorsque la solution qu'elle retient est en rupture avec une position antérieure et incompatible avec l'impératif de sécurité juridique.
L'ordonnance déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a écarté, quel que soit le fondement juridique envisagé la fin de non-recevoir opposée par la CCM à l'action tendant à faire déclarer les clauses abusives non écrites.
L'action en restitution des sommes versées en application d'une clause abusive se prescrit selon le délai quinquennal de droit commun de l'article 2224 du code civil, dont le point de départ est constitué par le jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Le juge de la mise en état s'est à juste titre référé à un arrêt du 12 juillet 2023 (Civ. 1ère, 12 juillet 2023, n° 22-17030), rendu au visa de la jurisprudence de la CJUE, par lequel la Cour de cassation a retenu que le point de départ du délai de prescription quinquennal, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil et à l'article L. 110-4 du code de commerce, de l'action en restitution de sommes indûment versées au titre des clauses abusives d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses.
La même observation que précédemment doit être faite s'agissant de l'application rétroactive de cette jurisprudence, étant observé que la Cour de cassation n'a pas reporté l'application de la solution jurisprudentielle qu'elle retient.
C'est vainement que la CCM critique la pertinence de la solution retenue par la haute cour, laquelle est parfaitement conforme à la jurisprudence de la CJUE, et répond à la nécessité d'assurer l'effectivité de la protection du consommateur poursuivie par le droit européen, au regard de sa situation d'infériorité par rapport au professionnel. En effet, le fait de retenir un point de départ de prescription de l'action en répétition antérieur à la consécration judiciaire du caractère abusif de la clause serait de nature à porter atteinte à l'effectivité du droit imprescriptible du consommateur de saisir le juge aux fins de voir déclarer non écrite une clause contractuelle abusive.
Si certes la CJUE a récemment eu l'occasion de préciser dans deux arrêts en date du 25 avril 2024, sans remettre en cause le principe selon lequel le délai de prescription de l'action en restitution commence à courir à la date à laquelle le caractère abusif de la clause a fait l'objet d'une décision définitive, que la directive 93-13 ne s'opposait pas à ce que le professionnel ait la faculté de prouver que le consommateur avait ou pouvait raisonnablement avoir connaissance du caractère abusif de la clause avant que n'intervienne le jugement en constatant la nullité, force est de relever que la CCM ne démontre pas concrètement en quoi que l'emprunteur ait en l'espèce pu se convaincre du caractère abusif des clauses dénoncées du seul fait de l'augmentation du cours du franc suisse.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée dès lors qu'aucune décision judiciaire n'a encore déclaré les clauses litigieuses abusives.
Il en sera de même s'agissant du fondement alternatif de l'article 1171 du code civil, le premier juge ayant à juste titre considéré que l'existence d'un déséquilibre significatif ne pouvait être connu avec certitude qu'au jour de la décision statuant sur l'existence de la clause abusive.
Sur les autres dispositions :
La décision sera confirmée s'agissant des dépens de l'incident et des frais irrépétibles.
La CCM sera condamnée aux dépens d'appel.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs :
Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,
Déclare irrecevables les conclusions transmises le 19 juin 2024 par la SCI Julmat.R ;
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 7 mars 2024 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Besançon ;
Y ajoutant :
Condamne la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 3] aux dépens d'appel.
Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.
Le greffier, Le président,