CA BESANÇON (1re ch. civ. com.), 4 septembre 2024
- TJ Besançon (Jme), 7 mars 2024 : RG n° 22/00966 ; Dnd
CERCLAB - DOCUMENT N° 22940
CA BESANÇON (1re ch. civ. com.), 4 septembre 2024 : RG n° 24/00448
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « En effet, le remboursement effectué par un emprunteur en méconnaissance de l'existence d'une ou plusieurs clauses abusives pouvant affecter le contrat de prêt qu'il exécute n'est pas de nature à le priver du droit d'agir en déclaration du caractère abusif de clauses de ce contrat postérieurement à l'extinction de son obligation de paiement. C'est donc à bon droit que le premier juge a écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir. »
2/ « C'est toutefois aux termes d'une motivation circonstanciée et pertinente, que la cour reprend à son compte, que le premier juge a rappelé qu'il ne lui appartenait d'apprécier que la seule recevabilité des prétentions soumises par le demandeur au juge du fond, savoir en l'espèce celles tendant à déclarer abusives certaines clauses des contrats de prêts souscrits auprès du Crédit Agricole, et ordonner la restitution de sommes indûment versées, et non de procéder, comme le sollicite en définitive la banque, à l'appréciation au fond du mal-fondé de ces demandes pour leur appliquer un régime juridique différent de celui invoqué par le demandeur, et soumis à des règles de prescription différentes, dont il conviendrait alors de constater la méconnaissance.
L'appelante invoque à cet égard à tort les dispositions de l'article 789 du code de procédure civile, selon lesquelles, lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Ce texte ne permet en effet au juge de la mise en état de trancher que les questions de fond dont dépend directement la recevabilité d'une prétention telle qu'elle est soumise au tribunal, mais ne l'autorise pas à trancher le litige au fond pour déterminer si, autrement fondée, l'action ne serait pas susceptible de se heurter à une cause d'irrecevabilité.
En l'espèce, la question de savoir si l'action en déclaration du caractère abusif de clauses contractuelles, telle qu'elle est soumise au tribunal par le demandeur, n'impose nullement l'examen préalable du fond.
L'ordonnance déférée devra donc être approuvée en ce qu'elle a écarté le moyen de prescription de la demande tel qu'invoqué par le Crédit Agricole.
Il sera ensuite observé qu'aux termes de ses écritures, le Crédit Agricole indique expressément qu'il n'entend pas plaider le fait que l'action tendant à voir déclarer des clauses abusives est soumise à un délai de prescription. Il n'y a donc pas lieu de s'attarder sur l'applicabilité à l'espèce du principe d'imprescriptibilité de l'action tendant à faire déclarer les clauses abusives non écrites, que le premier juge a au demeurant pertinemment rappelé. »
3/ « Il est constant que l'action en restitution fondée sur les clauses abusives se prescrit selon le délai quinquennal de droit commun de l'article 2224 du code civil, dont le point de départ est constitué par le jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Par un arrêt du 12 juillet 2023 (Civ. 1ère, 12 juillet 2023, n° 22-17030), rendu au visa de la jurisprudence de la CJUE, la Cour de cassation a retenu que le point de départ du délai de prescription quinquennal, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil et à l'article L. 110-4 du code de commerce, de l'action en restitution de sommes indûment versées au titre des clauses abusives d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses. C'est vainement que le Crédit Agricole critique la pertinence de la solution retenue par la haute cour, laquelle est parfaitement conforme à la jurisprudence de la CJUE, et répond à la nécessité d'assurer l'effectivité de la protection du consommateur poursuivie par le droit européen, au regard de sa situation d'infériorité par rapport au professionnel. En effet, le fait de retenir un point de départ de prescription de l'action en répétition antérieur à la consécration judiciaire du caractère abusif de la clause serait de nature à porter atteinte à l'effectivité du droit imprescriptible du consommateur de saisir le juge aux fins de voir déclarer non écrite une clause contractuelle abusive.
Contrairement à ce que soutient la banque, cette jurisprudence n'est pas contraire aux principes posés par la Convention européenne des droits de l'Homme, en ce qu'elle n'instaure pas une imprescriptibilité de l'action en répétition, mais a pour objet de déterminer le point de départ du délai de prescription de cette action, dans le respect nécessaire de l'effectivité de la protection du consommateur, à l'action duquel ne peut être opposé l'écoulement d'un délai de prescription ayant commencé à courir avant qu'il n'ait acquis une connaissance certaine de l'abus fondant l'action.
Par ailleurs, si la CJUE a récemment eu l'occasion de préciser dans deux arrêts en date du 25 avril 2024, qui ne remettent pas en cause le principe selon lequel le délai de prescription de l'action en restitution commence à courir à la date à laquelle le caractère abusif de la clause a fait l'objet d'une décision définitive, que la directive 93-13 ne s'opposait toutefois pas à ce que le professionnel ait la faculté de prouver que le consommateur avait ou pouvait raisonnablement avoir connaissance du caractère abusif de la clause avant que n'intervienne le jugement en constatant la nullité, cette solution ne déroge bien évidemment pas au principe d'effectivité de la protection du consommateur, ce qui impose qu'il puisse être établi par le professionnel que le consommateur a, antérieurement à la décision consacrant le caractère abusif de la clause, été expressément informé de celui-ci, ou, à tout le moins, qu'au vu des éléments portés à sa connaissance, le consommateur ne pouvait avoir aucun doute raisonnable sur le caractère abusif de la clause. Or, en l'espèce, force est de constater que les éléments fournis par le Crédit Agricole, en particulier le fait d'avoir adressé au mois de novembre 2013 à M. X. une lettre d'information comportant l'indication de la contrevaleur en euros des capitaux restant dus au titre des deux prêts, ne permettent pas de démontrer que l'intéressé avait pu se convaincre dès cette date, de manière certaine, du caractère abusif des clauses litigieuses, alors qu'il n'était à cette période pas concrètement exposé au risque de change, du fait du remboursement des contrats en francs suisses, et du caractère pouvant être estimé temporaire de la dépréciation de l'euro au regard du franc suisse.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a rejeté le moyen de prescription opposé à l'action en restitution. »
4/ « Le point de départ de l'action en responsabilité d'un établissement bancaire pour manquement à son obligation d'information se situe à la date à laquelle l'emprunteur a connaissance du préjudice lié à ce manquement. Cette connaissance ne peut se situer à la date de conclusion des contrats, à laquelle le risque de chance était purement hypothétique, mais à celle à laquelle le risque de change s'est réalisé au détriment de M. X.
Contrairement à ce que soutient le Crédit Agricole, cette date ne correspond pas à la communication, au mois de novembre 2013, d'une information relative aux prêts souscrits comportant l'indication des contrevaleurs en euros des sommes empruntées et des capitaux restant dus, respectivement à la date de la mise à disposition et à la date du relevé, dès lors qu'à cette date le risque de change ne s'était pas effectivement réalisé, M. X. continuant à cette époque à procéder au remboursement des prêts en francs suisses. Ce n'est qu'à la date du remboursement anticipé de l'un des prêts, soit le 9 décembre 2021, que M. X. a été concrètement exposé au risque de change, de sorte que c'est à bon droit que le premier juge a fixé à cette date le point de départ de l'action en responsabilité à l'encontre de la banque. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 4 SEPTEMBRE 2024
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 24/00448. N° Portalis DBVG-V-B7I-EYAS. Décision déférée à la Cour : jugement du 7 mars 2024 - RG n° 22/00966 - JUGE DE LA MISE EN ETAT DE BESANCON. Code affaire : 53A - Prêt - Demande en nullité du contrat ou d'une clause du contrat
COMPOSITION DE LA COUR : M. Michel WACHTER, président de chambre. M. Cédric SAUNIER et Mme Anne-Sophie WILLM, conseillers.
Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile B85D525D8D5030285E5B8CDF386E109B 71192CCF7D68F6ECF7E8E35EE0AB5BBF, l'affaire a été débattue le 5 juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés devant M. Michel WACHTER, président, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour.
DÉLIBÉRÉ : M. Michel WACHTER, président de chambre a rendu compte, conformément à l’article 786 du code de procédure civile 0869559C6FBB904D5629DB010747EAAB aux autres magistrats : M. Cédric SAUNIER et Mme Anne-Sophie WILLM, conseillers
L'affaire oppose :
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE :
CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DE FRANCHE-COMTÉ
société coopérative à capital variable, agréée en tant qu'établissement de crédit, immatriculée sous le numéro XXX au RCS de Besançon prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège Sise [Adresse 2], Représentée par Maître France ECHAUBARD-FERNIOT, avocat au barreau de BESANCON
ET :
INTIMÉ :
Monsieur X.
né le [Date naissance 1] à [Localité 3], de nationalité française, demeurant [Adresse 4], Représenté par Maître David DANA de la SELEURL DANA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, Représenté par Maître Olivier GAUTHIER, avocat au barreau de MONTBELIARD, avocat postulant
ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile F23D2CC483AC17020CAB97538F82B395. - signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par exploit du 1er juin 2022, M. X. a fait assigner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Franche-Comté (le Crédit Agricole) devant le tribunal judiciaire de Besançon aux fins de voir annuler deux prêts immobiliers de montants respectifs 404.889,33 CHF et 199.085,75 CHF qui lui ont été accordés par acte authentique du 22 février 2006, subsidiairement de voir constater pour chacun des prêts le caractère abusif de certaines clauses, d'obtenir restitution de diverses sommes ainsi que le versement de dommages et intérêts pour manquement de la banque à son obligation d'information.
Le demandeur a par la suite abandonné sa demande tendant à la nullité des prêts, et a maintenu le surplus de ses demandes.
Le Crédit Agricole a saisi le juge de la mise en état de fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité pour agir de M. X. au titre de l'un des prêts, qui avait été remboursé par anticipation, de la prescription de l'action tendant à voir déclarer les clauses abusives, subsidiairement de la prescription de l'action en restitution, et de la prescription de l'action en responsabilité.
M. X. s'est opposé aux fins de non-recevoir, faisant valoir que le remboursement ne valait pas renonciation à agir en déclaration de clause abusive, que cette action était imprescriptible et que le point de départ de la prescription quinquennale de l'action en restitution se situait au jour de la décision consacrant le caractère abusif des clauses. S'agissant de l'action en responsabilité, il a exposé n'avoir eu connaissance du dommage qu'au jour où il avait subi la perte de change.
Par ordonnance du 7 mars 2024, le juge de la mise en état a :
- rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de M. X. au titre du contrat de prêt n°55XXX27 ;
- rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Franche-Comté au titre du délai pour agir en constatation du caractère abusif des clauses des contrats de prêt des 22 février 2006 et 6 janvier 2010 et en restitution des sommes versées en application de clauses abusives ;
- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en dommages et intérêts pour manquement de la banque à son obligation d'information au titre du contrat de prêt n°55XXX27 ;
- rejeté les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que les dépens de l'incident suivront le sort de ceux de l'instance principale.
Pour statuer ainsi, le juge de la mise en état a retenu :
- que les dispositions de l'article 1338 du code civil concernant la confirmation d'un acte nul ne s'appliquaient pas au litige, le demandeur ne soutenant plus la nullité du contrat, et ces dispositions n'étant pas applicables à une clause abusive qui serait déclarée non écrite, et n'aurait par conséquent jamais pu être exécutée, comme n'ayant jamais existé ;
- qu'il n'entrait pas dans les pouvoirs du juge de la mise en état saisi d'une fin de non-recevoir tirée de la prescription d'une demande, de statuer au préalable sur le bien-fondé de la demande, et qu'il était interdit au juge de modifier l'objet du litige ; qu'en soutenant que la demande de M. X. devait s'analyser en une demande d'anéantissement des clauses litigieuses n'obéissant pas au régime de la prescription applicable en matière de clauses abusives, mais à celui du droit commun, il était demandé au juge de la mise en état de modifier les prétentions du demandeur, qui sollicitait exclusivement que soit constaté le caractère non écrit de certaines clauses et les restitutions consécutives ; que le juge ne pouvait créer une demande subsidiaire qui n'existait pas pour appliquer un autre régime de prescription, et finalement statuer, au moyen d'un artifice juridique, sur la fin de non-recevoir invoquée ;
- qu'il résultait d'une jurisprudence ancienne que la sanction d'une clause abusive n'était pas sa nullité, mais son caractère non écrit, qui opérait de plein droit, de sorte que l'action destinée à y faire échec n'était pas soumise à la prescription ; qu'il ressortait en outre d'un arrêt de la CJUE du 21 novembre 2022 qu'était exclue la possibilité d'opposer la prescription au consommateur se prévalant de l'existence d'une clause abusive ; que l'action de M. X., en ce qu'il se prévalait, sur le fondement des dispositions du code de la consommation, du caractère abusif de certaines clauses des contrats de prêt, n'était pas prescrite, la question de savoir si ces clauses concernaient l'objet principal du contrat et étaient rédigées de façon claire et compréhensible au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation n'étant pas un préalable nécessaire pour trancher la fin de non-recevoir tirée de la prescription ;
- que, s'agissant de la demande en restitution de sommes d'argent consécutivement à l'existence de clauses abusives, il résultait des jurisprudences de la CJUE et de la Cour de cassation que l'action en restitution de sommes indûment versées en exécution d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, fondée sur la constatation du caractère abusif d'une clause du contrat en application des dispositions du code de la consommation, ne peut avoir commencé à courir tant qu'aucune juridiction ne s'était prononcée sur le caractère abusif de la clause litigieuse ; que, contrairement à ce que concluait la banque, on ne voyait pas en quoi cette jurisprudence, dont l'objet était de permettre la protection effective du consommateur au regard des dispositions du droit européen telles qu'interprétées par la CJUE, ne concernerait que les prêts libellés en francs suisses et remboursables en euros, et non les prêts libellés en francs suisses, et remboursables en francs suisses ;
- que, s'agissant de l'action en responsabilité de la banque pour manquement à son devoir d'information, le point de départ de la prescription ne pouvait être fixé à la date de conclusion du contrat de prêt, le risque futur de change résultant de l'évolution de la parité entre euros et francs suisses étant totalement hypothétique ; que la date à laquelle le risque de change s'était réalisé était celle à laquelle l'emprunteur sollicitait le remboursement anticipé du capital ou ne pouvait plus régler les mensualités directement en francs suisses, puisqu'il était alors en mesure de savoir qu'il allait subir une perte consécutive à un risque de change ; qu'en l'espèce, ce point de départ devait être fixé au 9 décembre 2021, date à laquelle M. X. avait vendu le bien immobilier financé, le privilège de deniers et l'hypothèque figurant au contrat lui imposant alors le remboursement anticipé du capital restant dû.
Le Crédit Agricole a relevé appel de cette décision le 22 mars 2024.
[*]
Par conclusions récapitulatives n°2 transmises le 1er juillet 2024, l'appelante demande à la cour :
- d'infirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
- de déclarer irrecevables les demandes de M. X. formées au titre du prêt n°55XXX27 pour défaut de qualité à agir ;
- de déclarer irrecevable comme étant prescrite la demande de M. X. tendant à voir constater le caractère abusif de la clause de « remboursement », de la clause de « remboursement anticipé », de la clause intitulée « coût total du crédit », de la clause relative au « disposition particulière relative au risque de change » des contrats de prêt remis en cause ainsi que de la « notice d'information - prêts en devises » et par voie de conséquence de déclarer sans objet les demandes qui en découlent ;
- subsidiairement, si une telle demande était déclarée recevable, de déclarer irrecevable comme étant prescrite l'action visant à faire valoir les effets restitutifs de cette contestation et par voie de conséquence de déclarer sans objet les demandes qui en découlent ;
- de déclarer irrecevable comme étant prescrite l'action en responsabilité de M. X. à l'encontre de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Franche-Comté pour manquement à son obligation d'information concernant le prêt n°55XXX27 ;
En conséquence,
- de déclarer irrecevables toutes les demandes de M. X. ;
- de débouter M. X. de toutes ses demandes, fins, moyens et conclusions contraires aux présentes écritures ;
En tout état de cause,
- de débouter M. X. de son appel incident ;
- de condamner M. X. à verser à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Franche-Comté la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en première instance et à hauteur d'appel ;
- de débouter M. X. de toutes ses demandes, fins, moyens et conclusions contraires aux présentes ;
- de condamner M. X. aux dépens de première instance et d'appel.
[*]
Par conclusions n°3 notifiées le 1er juillet 2024, M. X. demande à la cour :
- de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a :
* rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité agir de M. X. au titre du contrat de prêt n°55XXX27 ;
* rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Franche Comté, au titre du délai pour agir en constatation du caractère abusif des clauses des contrats de prêt des 22 février 2006 et 6 janvier 2010 et en restitution des sommes versées en application de clauses abusives ;
* rejeté la fin de non-recevoir soulevée tirée de la prescription de l'action en dommages-intérêts pour manquement de la banque à son obligation d'information au titre du contrat de prêt n°55XXX27 ;
- d'infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a :
* rejeté les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
Et, statuant à nouveau :
- de condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Franche Comté à régler à M. X. la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'incident, ainsi qu'aux dépens de première instance ;
En tout état de cause :
- de rejeter les demandes, fins et prétentions de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Franche Comté ;
- de condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Franche Comté à régler à M. X. la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'instance et d'appel.
[*]
La clôture de la procédure a été prononcée le 2 juillet 2024.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Sur ce, la cour,
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir :
Poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, l'appelante fait valoir en premier lieu que M. X. est dépourvu de qualité pour agir au titre du prêt n°55XXX27, qui a été intégralement remboursé par anticipation. Elle en déduit que le contrat étant éteint du fait du paiement, il ne pouvait plus être remis en cause.
M. X. s'oppose à bon droit à cette argumentation, en soutenant que le remboursement effectué n'emportait pas renonciation à agir, en l'absence de mention expressément stipulée en ce sens.
En effet, le remboursement effectué par un emprunteur en méconnaissance de l'existence d'une ou plusieurs clauses abusives pouvant affecter le contrat de prêt qu'il exécute n'est pas de nature à le priver du droit d'agir en déclaration du caractère abusif de clauses de ce contrat postérieurement à l'extinction de son obligation de paiement.
C'est donc à bon droit que le premier juge a écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir.
Sur la prescription de l'action en déclaration de clause abusive :
Le Crédit Agricole fait grief au premier juge d'avoir méconnu les dispositions de l'article 789 du code de procédure civile, et soutient qu'il aurait dû, comme elle l'y avait invité, apprécier si les clauses litigieuses concernaient l'objet principal du contrat et si elles étaient rédigées de manière claire et compréhensible au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa version applicable au litige, et, par conséquent, si elles devaient être soumises au contrôle de l'exigence d'un déséquilibre significatif entre les parties. Elle ajoute que cette vérification aurait dû conduire le juge de la mise en état à retenir que les clauses litigieuses, si elles concernaient effectivement l'objet principal du contrat, étaient cependant rédigées de manière claire et compréhensible, de sorte qu'elles ne constituaient pas des clauses abusives, et que les demandes y afférentes étaient en conséquence soumises au délai de prescription du droit commun, lequel était expiré à la date de l'assignation.
C'est toutefois aux termes d'une motivation circonstanciée et pertinente, que la cour reprend à son compte, que le premier juge a rappelé qu'il ne lui appartenait d'apprécier que la seule recevabilité des prétentions soumises par le demandeur au juge du fond, savoir en l'espèce celles tendant à déclarer abusives certaines clauses des contrats de prêts souscrits auprès du Crédit Agricole, et ordonner la restitution de sommes indûment versées, et non de procéder, comme le sollicite en définitive la banque, à l'appréciation au fond du mal-fondé de ces demandes pour leur appliquer un régime juridique différent de celui invoqué par le demandeur, et soumis à des règles de prescription différentes, dont il conviendrait alors de constater la méconnaissance.
L'appelante invoque à cet égard à tort les dispositions de l'article 789 du code de procédure civile, selon lesquelles, lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Ce texte ne permet en effet au juge de la mise en état de trancher que les questions de fond dont dépend directement la recevabilité d'une prétention telle qu'elle est soumise au tribunal, mais ne l'autorise pas à trancher le litige au fond pour déterminer si, autrement fondée, l'action ne serait pas susceptible de se heurter à une cause d'irrecevabilité.
En l'espèce, la question de savoir si l'action en déclaration du caractère abusif de clauses contractuelles, telle qu'elle est soumise au tribunal par le demandeur, n'impose nullement l'examen préalable du fond.
L'ordonnance déférée devra donc être approuvée en ce qu'elle a écarté le moyen de prescription de la demande tel qu'invoqué par le Crédit Agricole.
Il sera ensuite observé qu'aux termes de ses écritures, le Crédit Agricole indique expressément qu'il n'entend pas plaider le fait que l'action tendant à voir déclarer des clauses abusives est soumise à un délai de prescription. Il n'y a donc pas lieu de s'attarder sur l'applicabilité à l'espèce du principe d'imprescriptibilité de l'action tendant à faire déclarer les clauses abusives non écrites, que le premier juge a au demeurant pertinemment rappelé.
Sur la prescription de l'action en restitution :
La banque critique la décision déférée en ce qu'elle a considéré que l'action en restitution fondée sur les clauses abusives n'était pas prescrite, faisant valoir que le point de départ du délai quinquennal de prescription n'était pas constitué par la date à laquelle le caractère abusif des clauses était judiciairement reconnu, mais celle à laquelle le demandeur avait pu se convaincre du caractère prétendument abusif des clauses qu'il invoquait, soit en l'espèce le mois de novembre 2013, au cours duquel il avait reçu une information dont il résultait clairement de l'impact de la variation du cours du change sur ses prêts. Le Crédit Agricole critique à cet égard la décision de la Cour de cassation évoquée par le premier juge, qu'il indique n'être pas pertinente au regard de l'arrêt de la CJUE auquel il se référait, et se prévaut de deux arrêts de la CJUE en date du 25 avril 2024 énonçant que la directive 93-13 ne s'opposait pas à ce que le professionnel ait la faculté de prouver que le consommateur avait ou pouvait raisonnablement avoir connaissance du caractère abusif de la clause avant que n'intervienne le jugement en constatant la nullité.
Il est constant que l'action en restitution fondée sur les clauses abusives se prescrit selon le délai quinquennal de droit commun de l'article 2224 du code civil, dont le point de départ est constitué par le jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Par un arrêt du 12 juillet 2023 (Civ. 1ère, 12 juillet 2023, n° 22-17030), rendu au visa de la jurisprudence de la CJUE, la Cour de cassation a retenu que le point de départ du délai de prescription quinquennal, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil et à l'article L. 110-4 du code de commerce, de l'action en restitution de sommes indûment versées au titre des clauses abusives d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses.
C'est vainement que le Crédit Agricole critique la pertinence de la solution retenue par la haute cour, laquelle est parfaitement conforme à la jurisprudence de la CJUE, et répond à la nécessité d'assurer l'effectivité de la protection du consommateur poursuivie par le droit européen, au regard de sa situation d'infériorité par rapport au professionnel. En effet, le fait de retenir un point de départ de prescription de l'action en répétition antérieur à la consécration judiciaire du caractère abusif de la clause serait de nature à porter atteinte à l'effectivité du droit imprescriptible du consommateur de saisir le juge aux fins de voir déclarer non écrite une clause contractuelle abusive.
Contrairement à ce que soutient la banque, cette jurisprudence n'est pas contraire aux principes posés par la Convention européenne des droits de l'Homme, en ce qu'elle n'instaure pas une imprescriptibilité de l'action en répétition, mais a pour objet de déterminer le point de départ du délai de prescription de cette action, dans le respect nécessaire de l'effectivité de la protection du consommateur, à l'action duquel ne peut être opposé l'écoulement d'un délai de prescription ayant commencé à courir avant qu'il n'ait acquis une connaissance certaine de l'abus fondant l'action.
Par ailleurs, si la CJUE a récemment eu l'occasion de préciser dans deux arrêts en date du 25 avril 2024, qui ne remettent pas en cause le principe selon lequel le délai de prescription de l'action en restitution commence à courir à la date à laquelle le caractère abusif de la clause a fait l'objet d'une décision définitive, que la directive 93-13 ne s'opposait toutefois pas à ce que le professionnel ait la faculté de prouver que le consommateur avait ou pouvait raisonnablement avoir connaissance du caractère abusif de la clause avant que n'intervienne le jugement en constatant la nullité, cette solution ne déroge bien évidemment pas au principe d'effectivité de la protection du consommateur, ce qui impose qu'il puisse être établi par le professionnel que le consommateur a, antérieurement à la décision consacrant le caractère abusif de la clause, été expressément informé de celui-ci, ou, à tout le moins, qu'au vu des éléments portés à sa connaissance, le consommateur ne pouvait avoir aucun doute raisonnable sur le caractère abusif de la clause.
Or, en l'espèce, force est de constater que les éléments fournis par le Crédit Agricole, en particulier le fait d'avoir adressé au mois de novembre 2013 à M. X. une lettre d'information comportant l'indication de la contrevaleur en euros des capitaux restant dus au titre des deux prêts, ne permettent pas de démontrer que l'intéressé avait pu se convaincre dès cette date, de manière certaine, du caractère abusif des clauses litigieuses, alors qu'il n'était à cette période pas concrètement exposé au risque de change, du fait du remboursement des contrats en francs suisses, et du caractère pouvant être estimé temporaire de la dépréciation de l'euro au regard du franc suisse.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a rejeté le moyen de prescription opposé à l'action en restitution.
Sur la prescription de l'action en responsabilité de la banque :
Le Crédit Agricole sollicite l'infirmation de l'ordonnance ayant rejeté sa fin de non-recevoir, en faisant valoir que le demandeur disposait, dès la conclusion du prêt, dont les clauses étaient claires et compréhensibles, et au plus tard depuis l'information qui lui avait été dispensée au mois de novembre 2013 des éléments lui permettant de mettre en cause la responsabilité du prêteur, et que la prescription était acquise faute d'introduction de l'action dans les cinq années suivantes.
Le point de départ de l'action en responsabilité d'un établissement bancaire pour manquement à son obligation d'information se situe à la date à laquelle l'emprunteur a connaissance du préjudice lié à ce manquement.
Cette connaissance ne peut se situer à la date de conclusion des contrats, à laquelle le risque de chance était purement hypothétique, mais à celle à laquelle le risque de change s'est réalisé au détriment de M. X.
Contrairement à ce que soutient le Crédit Agricole, cette date ne correspond pas à la communication, au mois de novembre 2013, d'une information relative aux prêts souscrits comportant l'indication des contrevaleurs en euros des sommes empruntées et des capitaux restant dus, respectivement à la date de la mise à disposition et à la date du relevé, dès lors qu'à cette date le risque de change ne s'était pas effectivement réalisé, M. X. continuant à cette époque à procéder au remboursement des prêts en francs suisses.
Ce n'est qu'à la date du remboursement anticipé de l'un des prêts, soit le 9 décembre 2021, que M. X. a été concrètement exposé au risque de change, de sorte que c'est à bon droit que le premier juge a fixé à cette date le point de départ de l'action en responsabilité à l'encontre de la banque.
Sur ce point également, la décision entreprise devra être confirmée.
Sur les autres dispositions :
L'ordonnance déférée sera confirmée s'agissant des dépens et des frais irrépétibles.
L'appelante sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à M. X. la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs :
Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 7 mars 2024 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Besançon ;
Y ajoutant :
Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Franche-Comté aux dépens d'appel ;
Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Franche-Comté à payer à M. X. la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.
Le greffier, Le président,