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CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 3 juillet 2024

Nature : Décision
Titre : CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 3 juillet 2024
Pays : France
Juridiction : Colmar (CA), 1re ch. civ. sect. A
Demande : 19/01774
Décision : 339/24
Date : 3/07/2024
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 4/04/2019, 3/05/2019
Décision antérieure : CA Colmar, 27 septembre 2021 - TGI Mulhouse (1re ch. civ.), 5 février 2019 : Dnd
Numéro de la décision : 339
Décision antérieure :
  • CA Colmar, 27 septembre 2021 - TGI Mulhouse (1re ch. civ.), 5 février 2019 : Dnd
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CERCLAB - DOCUMENT N° 22964

CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 3 juillet 2024 : RG n° 19/01774 ; arrêt n° 339/24 

Publication : Judilibre

 

Extraits : 1/ « L'article L. 132 -1 du code de la consommation, dans sa version applicable au litige, prévoit que dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, doivent être déclarées abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Le bénéfice de ses dispositions ne peut être invoqué que par un non professionnel ou un consommateur. Or, une société civile immobilière agit en qualité de professionnel - et ne peut donc invoquer à son bénéfice la réglementation des clauses abusives - lorsqu'elle souscrit des prêts immobiliers pour financer l'acquisition d'immeubles conformément à son objet (Cass. 1ère civ., 28 juin 2023, n° 22-13.969) et développe une activité principale habituelle de vente de mise en location.

L'extrait Kbis de la SCI GB Créations précise que son activité est « la propriété, l'administration et l'exploitation de tous immeubles » (son annexe 1). L'extrait du site « dirigeant.com », produit par la banque en son annexe 23, présente la SCI comme étant une société « spécialisée dans le secteur d'activité de la location de terrains et d'autres biens immobiliers ». Le prêt litigieux de 850.000 euros a permis à la SCI GB Créations de financer un programme immobilier d'édification d'un immeuble, comprenant des logements destinés à la location. Elle se comporte dès lors comme un professionnel et n'a apporté aucun élément de langage ou de preuve de nature à infirmer ce constat. L'analyse des annexes 9 à 22 produites par la banque confirme le caractère professionnel de l'activité de la SCI appelante, qui a permis à ses deux associés de lancer une activité de mise en location d'immeubles ou de logements, qu'ils ont développée par la suite par le biais d'autres SCI. Aussi, ils ne sauraient prétendre qu'eux-mêmes ou la SCI dont ils sont gérants et associés - qui n'est en fait qu'un vecteur juridique leur permettant de développer leur activité - devraient être considérés comme de simples consommateurs, voire même comme des emprunteurs « non avertis ».

Sans être exhaustif, il sera rappelé que : - Monsieur Y. a développé de 2005 au 27 novembre 2013 (date de radiation) une activité personnelle spécialisée dans le secteur d'activité de la location de logements (annexe 13 de la banque), était président de la SAS JMB et gérant de 3 SCI dénommées JMC, JMB S., JMB H., dont les objets sociaux étaient la location de terrains et d'immeubles, - Monsieur X. est gérant depuis le 6 décembre 2005 de la société LG PROMOTION, spécialisée dans le secteur d'activité des travaux de maçonnerie générale et de gros œuvres, employant un effectif entre 10 et 19 salariés ayant réalisé en 2014 un chiffre d'affaires de plus 1,8 millions d'euros, dirige la société IMMO 2 G, marchand de biens, ainsi que 4 SCI dénommées 5G, 3 G, G, DE LA PAIX.

Dans ces conditions, outre le fait qu'il convient de considérer les deux associés de la SCI comme étant des « emprunteurs avertis », pour avoir eu recours à de nombreux prêts, la SCI qu'ils animent ne peut être considérée comme un non-professionnel, au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001. La SCI et ses associés ne sont dès lors pas autorisés à invoquer à leur bénéfice le caractère abusif des clauses du contrat de prêt dès lors que la contraction de ce prêt avait un rapport direct avec une activité de nature commerciale. Les demandes formulées à ce titre seront dès lors rejetées. »

2/ « En matière de prêt in fine, ce n'est qu'au moment du règlement de la dernière échéance du prêt, soit en l'espèce en 2026, que l'emprunteur sera en capacité de prendre connaissance de l'existence de son éventuel préjudice, qui ne pouvait se révéler précédemment. Dans ces conditions, d'une part il y a lieu de constater que le délai de prescription de l'action en responsabilité de la SCI et de ses associés contre la banque ne pouvait commencer à courir avant cette date, de sorte que celle-ci est recevable. D'autre part, au fond, avant la date de règlement du capital en 2026, il ne peut y avoir de préjudice avéré, dont l'existence ne peut être établie et démontrée qu'à l'issue de la vie du contrat. Dans ces conditions, la cour ne peut que rejeter la demande en dommages et intérêts et confirmer la décision de première instance. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE COLMAR

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION A

ARRÊT DU 3 JUILLET 2024

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 1 A 19/01774. Arrêt n° 339/24. N° Portalis DBVW-V-B7D-HB3D. Décision déférée à la Cour : 5 février 2019 par le Tribunal de Grande Instance de MULHOUSE - 1ère chambre civile.

 

APPELANTE - INTIMÉE INCIDEMMENT :

CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES

prise en la personne de son représentant légal, [Adresse 1], Représentée par Maître Laurence FRICK, avocat à la Cour

 

INTIMÉS - APPELANTS INCIDEMMENT :

Monsieur X.

[Adresse 2]

Monsieur Y.

[Adresse 5]

SCI GB CREATIONS

prise en la personne de son représentant légal, [Adresse 4], Représentés par Maître Raphaël REINS, avocat à la Cour

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 13 mai 2024, en audience publique, devant la Cour composée de : M. WALGENWITZ, Président de chambre, M. ROUBLOT, Conseiller, Mme RHODE, Conseillère, qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRÊT : - Contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile F23D2CC483AC17020CAB97538F82B395. - signé par M. Franck WALGENWITZ, président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Suivant contrat de prêt du 24 mai 2006, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges a consenti à la SCI GB Créations un prêt d'un montant de la contre-valeur en CHF de la somme de 850.000 euros, selon le cours d'Eurodevise à la date du 19 mai 2006.

Le prêt était garanti par le cautionnement solidaire de M. X. et de M. Y., chacun pour un montant égal à la contre-valeur en francs suisses de la somme de 1.500.000 euros, le nantissement des contrats d'assurance vie détenus respectivement par MM. X. et Y. et une hypothèque conventionnelle.

Par acte authentique établi le 3 novembre 2006 par un notaire, le prêt a été réitéré, MM. X. et Y. déclarant se porter caution.

Par acte d'huissier délivré le 16 février 2016, la SCI GB Créations, M. X. et M. Y. ont assigné le CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES en paiement de diverses sommes.

Affirmant qu'ils devaient être considérés comme des emprunteurs 'non avertis', ils soutenaient que le contrat devait être annulé, notamment en ce qu'il comprenait une clause d'indexation prohibée, qu'ils avaient été victimes d'une erreur sur la substance du contrat et d'un manquement de la part de la banque, qui les aurait exposés à un risque anormal de variation du taux de change.

Par jugement du 5 février 2019, le tribunal de grande instance de Mulhouse a :

- Dit que les clauses du contrat de prêt souscrit par la SCI GB CREATIONS, suivant offre de prêt acceptée le 24 mai 2006, réitérée par acte authentique du 3 novembre 2006, et portant paiement en devises suisses, sont nulles.

- Dit que, s'agissant de clauses déterminantes, leur nullité entraîne la nullité de la totalité du contrat de prêt.

- Dit que les parties doivent être replacées dans la situation où elles se trouvaient avant le contrat de prêt.

En conséquence,

- Condamné la SCI GB CREATIONS à restituer au Crédit Agricole Alsace Vosges les fonds empruntés tels qu'ils se trouvaient au jour de leur mise à disposition, soit la somme de 850.000,00 euros.

- Condamné le Crédit Agricole Alsace Vosges à restituer à la SCI GB CREATIONS les montants versés au titre du contrat de prêt.

- Rejeté la demande de compensation entre les sommes respectivement dues.

- Rejeté la demande de dommages et intérêts formée par le Crédit Agricole Alsace Vosges.

- Rejeté les demandes de dommages-intérêts formées respectivement par la SCI GB CREATIONS, M. X. et M. Y.

- Condamné le Crédit Agricole Alsace Vosges à payer 1.000,00 euros respectivement à la SCI GB CREATIONS, à M. X. et à M. Y., au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Rejeté la demande formée par le Crédit Agricole Alsace Vosges au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamné le Crédit Agricole Alsace Vosges aux entiers dépens.

- Rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties.

- Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision, en toutes ses dispositions y compris les dépens.

Par une déclaration d'appel faite au greffe le 4 avril 2019, la CAISSE REGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES a interjeté appel de ce jugement.

Par déclaration faite au greffe le 3 mai 2019, M. X., M. Y. et la SCI GB CREATIONS se sont constitués intimés.

Par un premier arrêt avant dire-droit en date du 27 septembre 2021, la Cour d'Appel de Colmar a, après avoir précisé dans ses développements que l'action en nullité du contrat devait être considérée comme prescrite, ordonné la réouverture des débats et renvoyé l'affaire à une audience de mise en état, afin que :

- d'une part, la SCI GB Créations, M. X. et M. Y. déterminent avec précision la clause qu'ils souhaitent voir déclarer abusive, notamment dans le dispositif de leurs dernières écritures, qu'ils indiquent les conséquences de cette éventuelle reconnaissance de son caractère abusif et qu'ils présentent leurs observations sur le point de départ de la prescription qui concerne l'action en restitution des fonds,

- d'autre part que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges présente ses observations sur ces points.

Dans un deuxième arrêt en date du 10 mai 2023, la Cour d'Appel de Colmar a déclaré irrecevables comme étant prescrites toutes les demandes en nullité portant sur le prêt et ses clauses. Elle a ordonné une nouvelle réouverture des débats, et a renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 22 septembre 2023, afin que les parties présentent leurs observations sur la jurisprudence de la CJUE et de la Cour de Cassation, en application de l'arrêt de la CJUE du 10 Juin 2021, susceptible d'avoir une influence sur la solution du litige.

[*]

Par ses dernières conclusions en date du 22 mars 2024, transmises par voie électroniques le même jour, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES demande à la Cour de :

Sur appel principal

- DÉCLARER l'appel recevable.

- LE DÉCLARER bien fondé.

- INFIRMER le jugement du Tribunal de Grande Instance de MULHOUSE en date du 5 février 2019, sauf en ce qu'il rejette les demandes de dommages et intérêts formées respectivement par la SCI GB CREATIONS, M. X. et M. Y. et en ce qu'il rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires formées par la SCI GB CREATIONS, M. X. et M. Y.

- STATUANT A NOUVEAU, dans cette limite,

DÉCLARER irrecevable la demande de nullité des clauses portant paiement en devises suisses du contrat de prêt souscrit par la SCI GB CREATIONS suivant offre de prêt acceptée le 24 mai 2006, réitérée par acte authentique du 3 novembre 2006.

- DÉCLARER irrecevable la demande de nullité du prêt.

- REJETER la demande de prononcer la nullité totale du contrat de prêt.

- DÉCLARER irrecevables les demandes de la SCI GB CREATIONS relatives aux conséquences du caractère abusif de clauses dans l'hypothèse où la Cour retiendrait cette appréciation.

- DÉBOUTER la SCI GB CREATIONS, M. X. et M. Y. de l'intégralité de leurs fins et conclusions.

- A TITRE SUBSIDIAIRE, DEBOUTER la SCI GB CREATIONS, M. X. et M. Y. de leur demande tendant à voir déclarer nulles les clauses du prêt portant paiement en devises suisses.

- A TITRE TOUT À FAIT SUBSIDIAIRE,

- ORDONNER la compensation des créances réciproques.

- CONDAMNER la SCI GB CREATIONS à restituer au CRÉDIT AGRICOLE un montant de 1.323.110,21 francs suisses, respectivement sa contre-valeur en euros au jour du remboursement correspondant à ce qui a été débloqué au profit de la SCI GB CREATIONS par le CRÉDIT AGRICOLE.

- DIRE ET JUGER que le CRÉDIT AGRICOLE devra restituer à la SCI GB CREATIONS les montants perçus de la SCI GB CREATIONS.

Sur appel incident

- DÉCLARER irrecevables les demandes de la SCI GB CREATIONS et MM. X. et Y. tendant à voir juger abusives et de ce fait non écrites un certain nombre de clauses du contrat.

- DÉCLARER irrecevables les demandes de la SCI GB CREATIONS et MM. X. et Y. tendant à faire valoir les effets restitutifs de la constatation du caractère abusif un certain nombre de clauses du contrat pour cause de prescription.

- DÉCLARER irrecevable la demande en dommages et intérêts formulée par la SCI GB CREATIONS et MM. X. et Y.

- DÉCLARER irrecevable la demande de nullité de la clause de stipulation d'intérêts.

- DÉCLARER irrecevable la demande de déchéance du droit à intérêts conventionnels.

- DÉCLARER irrecevable la demande de restitution des intérêts payés.

- DÉCLARER irrecevable la demande tendant à voir mettre en cause la responsabilité contractuelle du CRÉDIT AGRICOLE et ce quel que soit le fondement juridique visé par la SCI GB CREATIONS et MM. X. et Y.

- DÉBOUTER la SCI GB CREATIONS, M. X. et M. Y. de l'intégralité de leurs fins et conclusions.

A titre subsidiaire, en cas de déchéance des intérêts,

- ORDONNER que le taux légal s'appliquera.

En tout état de cause,

- CONDAMNER solidairement la SCI GB CREATIONS, M. Y. et M. X. aux entiers frais et dépens de la procédure de première instance et d'appel.

- CONDAMNER solidairement la SCI GB CREATIONS, M. Y. et M. X. à payer à la CAISSE REGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

[*]

Par leurs dernières conclusions en date du 19 janvier 2024, transmises par voie électronique le 20 janvier 2024, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, MM. X. et Y. et la SCI GB CREATIONS demandent à la Cour de :

« SUR L'APPEL PRINCIPAL :

- DÉCLARER l'appel principal recevable mais mal fondé.

Le REJETER.

- DÉBOUTER l'appelante de l'ensemble de ses moyens, fins et prétentions.

- CONFIRMER le jugement entrepris en tous points à l'exception des demandes relevant de l'appel incident formées par les intimés,

Corrélativement :

A) CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il :

- DÉCLARE l'action recevable.

- DIT que les clauses du contrat de prêt souscrit par la SCI GB CREATIONS, suivant offre de prêt acceptée le 24 mai 2006, réitérée par acte authentique du 3 novembre 2006, et portant paiement en devises suisses, sont nulles.

- DIT que, s'agissant de clauses déterminantes, leur nullité entraîne la nullité de la totalité du contrat de prêt.

- DIT que les parties doivent être replacées dans la situation où elles se trouvaient avant le contrat de prêt.

- CONDAMNE le Crédit Agricole Alsace Vosges à restituer à la SCI GB CREATIONS les montants versés au titre du contrat de prêt.

- REJETTE la demande de dommages et intérêts formée par le Crédit Agricole Alsace Vosges.

- DÉBOUTE le Crédit Agricole Alsace Vosges de l'intégralité de ses demandes.

- CONDAMNE le Crédit Agricole Alsace Vosges à payer 1.000,00 euros (MILLE EUROS) respectivement à la SCI GB CREATIONS, à M. X. et à M. Y., au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR L'APPEL INCIDENT :

- DÉCLARER l'appel incident recevable et bien fondé.

- Le RECEVOIR.

- FAIRE DROIT aux demandes, moyens, fins et prétentions des intimés,

Corrélativement :

B) INFIRMER le jugement entrepris pour le surplus, et statuant à nouveau :

1) Sur la demande principale en annulation du prêt

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les intimés de leur demande de compensation et statuant à nouveau Dire et juger que viendront en compensation du montant de 850.000,00 euros les montants versés par la SCI GB CREATIONS au jour de l'arrêt à intervenir, ou à tout le moins à hauteur de la somme de 210.805,58 euros.

2) Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral :

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les intimés de leurs demandes de dommages et intérêts.

Et statuant à nouveau Condamner le Crédit Agricole Alsace Vosges à verser à la SCI GB CREATIONS, Monsieur X. et Monsieur Y. la somme de 10.000 euros à titre de dommage intérêts complémentaires.

3) Sur les demandes à titre subsidiaire :

- A titre subsidiaire, dans l'hypothèse d'une infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a annulé le contrat de prêt, il conviendra d'infirmer le jugement entrepris et déclarer les demandes suivantes recevables.

- Juger que la clause d'indexation est entachée d'une nullité absolue

- Juger que la clause d'intérêt conventionnel est entachée d'une nullité absolue pour erreur du taux effectif global

- Déchoir le Crédit Agricole Alsace Vosges de son droit à intérêts conventionnels

- En tout état de cause il conviendra de juger que la SCI GB CREATIONS n'est redevable vis-à-vis du Crédit Agricole Alsace Vosges que d'un montant de 850.000,00 euros.

A titre encore plus subsidiaire :

- Déchoir partiellement le Crédit Agricole Alsace Vosges de son droit à intérêts conventionnels.

- Déclarer l'action recevable.

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les intimés de leur demande au titre de la mise en cause de la responsabilité du crédit Agricole Alsace Vosges. Déclarer l'action recevable.

- Et statuant à nouveau juger que le Crédit Agricole Alsace Vosges a engagé sa responsabilité vis-à-vis de la SCI GB CREATIONS, M. X. et M. Y.

A titre plus subsidiaire encore :

- Condamner le Crédit Agricole Alsace Vosges à verser à la SCI GB CREATIONS la somme en principal de 277.105,58 euros.

- Déclarer l'action recevable.

- Ordonner la compensation avec les montants dus par la SCI GB CREATIONS au Crédit Agricole Alsace Vosges.

- Condamner le Crédit Agricole Alsace Vosges à verser à la SCI GB CREATIONS l'intégralité des frais de change initiaux lors de la souscription de l'emprunt de 850.000 euros convertis en CHF, ainsi que ceux appliqués lors de la conversion en euros lors de chaque échéance remboursée en CHF après conversion des euros en CHF.

- Déclarer l'action recevable.

- Ordonner au Crédit Agricole Alsace Vosges d'établir un nouveau tableau d'amortissement des intérêts pour la période du 1.02.2016 jusqu'à la dernière échéance d'intérêt du prêt, sur la base d'un capital de 850.000 euros et du taux d'intérêt légal de 2, 11% sur toute la durée du prêt restant à courir.

- Déclarer l'action recevable.

- Ordonner la réouverture des débats avec injonction au préteur de deniers de produire un tableau d'amortissement du crédit accordé rémunéré au taux de l'intérêt de 2,11 % à la date de la décision à intervenir, dire que les paiements effectués s'imputeront sur le capital emprunté selon ledit tableau.

A titre infiniment subsidiaire :

- Juger que les clauses suivantes sont abusives : (voir les conclusions pour le contenu desdites clauses.)

- Juger, en conséquence, que ces clauses sont réputées non-écrites.

- Juger que l'action de la SCI GB CREATIONS en répétition de l'indu est régulière et recevable.

- Condamner le Crédit Agricole Alsace Vosges à verser à la SCI GB CREATIONS la somme en principal de 277.105,58 euros qu'elle a indûment perçu.

- Ordonner la compensation avec les montants dus par la SCI GB CREATIONS au Crédit Agricole Alsace Vosges.

- A défaut, Juger que le Crédit Agricole Alsace Vosges doit restituer la somme en principal de 210.805,58 euros qu'elle a indûment perçu au titre des intérêts, frais et assurances trop versés depuis la signature du prêt jusqu'au 30.04.2022.

A titre infiniment plus subsidiaire :

- Juger la clause d'indexation abusive et en conséquence :

- Juger que la clause d'indexation est réputée non-écrite.

- Ordonner la substitution du taux de l'intérêt légal au taux contractuel à compter de la souscription de l'offre de crédit :

- Ordonner la réouverture des débats avec injonction au préteur de deniers de produire un tableau d'amortissement du crédit accordé rémunéré au taux de l'intérêt légal en vigueur à la date de la décision à intervenir, dire que les paiements effectués s'imputeront sur le capital emprunté selon ledit tableau.

- Juger que la SCI GB CREATIONS ne sera redevable que d'un montant de 850.000 euros assorti du taux d'intérêt légal de 2,11% sur toute la durée du prêt restant à courir.

- Juger que le Crédit Agricole Alsace Vosges a engagé sa responsabilité vis-à-vis de la SCI GB CREATIONS, Monsieur X. et Monsieur Y. du fait de l'insertion d'une clause abusive.

- Juger que l'action de la SCI GB CREATIONS en répétition de l'indu est régulière et recevable.

- En conséquence, Condamner le Crédit Agricole Alsace Vosges à verser à la SCI GB CREATIONS la somme en principal de 277.105,58 euros.

- Ordonner la compensation avec les montants dus par la SCI GB CREATIONS au Crédit Agricole Alsace Vosges.

- A défaut Juger que le Crédit Agricole Alsace Vosges doit restituer la somme de la somme en principal de 210.805,58 euros au titre des intérêts, frais et assurances trop versés depuis la signature du prêt jusqu'au 30.04.2022.

- Déchoir le Crédit Agricole Alsace Vosges de ses droits à intérêts/frais/assurances à compter du 1 mai 2022, à minima à hauteur de 66.300 euros.

- A titre infiniment subsidiaire condamner le Crédit Agricole Alsace Vosges à verser la somme de 66.300 euros.

4) Sur les frais et article 700 du Code de Procédure Civile :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la banque aux entiers frais et dépens de la première instance et à la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

- A hauteur d'appel Condamner le Crédit Agricole Alsace Vosges à verser à la SCI GB CREATIONS, Monsieur X. et Monsieur Y. la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

- Condamner le Crédit Agricole Alsace Vosges en tous les dépens de l'instance.'

[*]

La procédure a été clôturée par une ordonnance du 17 avril 2024.

L'affaire a été retenue à l'audience du 13 mai 2024.

Il sera fait renvoi aux conclusions respectives des parties pour un plus ample exposé des faits et des prétentions de la présente espèce.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

1) Sur un rappel du contexte et sur le périmètre de l'appel :

La cour rappelle, tout d'abord, que la SCI GB CREATIONS - ayant pour associé gérant Monsieur X. et associé Monsieur Y. - s'est adressée à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges, pour obtenir le financement de la construction d'un ensemble immobilier situé [Adresse 3] à [Localité 6], comportant plusieurs logements destinés à la location.

Elle a souscrit, suivant offre acceptée le 24 mai 2006 auprès du Crédit Agricole Alsace Vosges, un prêt immobilier d'une durée de 240 mois, d'un montant égal à la contre-valeur en francs suisses de la somme de 850.000 euros, payable en une échéance unique de capital fixé au terme du contrat, soit en 2026, les cotisations d'assurance et les intérêts étant payables en 79 échéances trimestrielles.

Le remboursement de ce prêt était garanti par le cautionnement solidaire de Messieurs Y. et X., le nantissement par les deux associés de différents contrats d'assurance et par une hypothèque conventionnelle de premier rang sur le bien financé.

Il n'est pas démontré que la SCI ait disposé de ressources en francs suisses, ni au jour de la signature du prêt, ni tout au long de la vie passée du prêt.

Dans sa deuxième décision du 10 mai 2023, la cour, après avoir rappelé les règles applicables en matière de prescription, a considéré que devaient être déclarées irrecevables comme étant prescrites, les demandes en nullité portant sur le prêt, et sur toutes les clauses du contrat critiquées individuellement par les emprunteurs (notamment celle concernant le TEG).

Le dispositif de cet arrêt est dorénavant définitif, de sorte qu'il y a lieu - sur son fondement - d'infirmer la décision du 5 février 2019, en ce qu'elle a annulé en particulier les clauses du contrat de prêt portant paiement en devises suisses, et en général la totalité du contrat de prêt, et ordonné de replacer les parties dans la situation dans laquelle elles se trouvaient avant le contrat de prêt, condamnant corrélativement la SCI à restituer au Crédit Agricole Alsace Vosges la somme de 850.000 euros, la banque à restituer à la SCI les montants versés au titre du contrat de prêt.

Les longs développements présents dans les conclusions définitives des parties portant sur la nullité du contrat et de ses clauses, sont par conséquent sans objet, la cour étant saisie que de la question du caractère abusif des clauses concernant les modalités de règlement du prêt en devises et du risque de change d'une part, et de l'action en responsabilité dirigée contre la banque d'autre part.

 

2) Sur les demandes portant sur le caractère abusif de certaines clauses :

La SCI GB Créations, ainsi que ses associés, soutiennent que les clauses contractuelles prévoyant la mise en place du prêt en devises étrangères devaient être qualifiées d'abusives.

L'article L.132 -1 du code de la consommation, dans sa version applicable au litige, prévoit que dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, doivent être déclarées abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Le bénéfice de ses dispositions ne peut être invoqué que par un non professionnel ou un consommateur.

Or, une société civile immobilière agit en qualité de professionnel - et ne peut donc invoquer à son bénéfice la réglementation des clauses abusives - lorsqu'elle souscrit des prêts immobiliers pour financer l'acquisition d'immeubles conformément à son objet (Cass. 1ère civ., 28 juin 2023, n° 22-13.969) et développe une activité principale habituelle de vente de mise en location.

L'extrait Kbis de la SCI GB Créations précise que son activité est « la propriété, l'administration et l'exploitation de tous immeubles » (son annexe 1). L'extrait du site « dirigeant.com », produit par la banque en son annexe 23, présente la SCI comme étant une société « spécialisée dans le secteur d'activité de la location de terrains et d'autres biens immobiliers ».

Le prêt litigieux de 850.000 euros a permis à la SCI GB Créations de financer un programme immobilier d'édification d'un immeuble, comprenant des logements destinés à la location. Elle se comporte dès lors comme un professionnel et n'a apporté aucun élément de langage ou de preuve de nature à infirmer ce constat.

L'analyse des annexes 9 à 22 produites par la banque confirme le caractère professionnel de l'activité de la SCI appelante, qui a permis à ses deux associés de lancer une activité de mise en location d'immeubles ou de logements, qu'ils ont développée par la suite par le biais d'autres SCI.

Aussi, ils ne sauraient prétendre qu'eux-mêmes ou la SCI dont ils sont gérants et associés - qui n'est en fait qu'un vecteur juridique leur permettant de développer leur activité - devraient être considérés comme de simples consommateurs, voire même comme des emprunteurs 'non avertis'.

Sans être exhaustif, il sera rappelé que :

- Monsieur Y. a développé de 2005 au 27 novembre 2013 (date de radiation) une activité personnelle spécialisée dans le secteur d'activité de la location de logements (annexe 13 de la banque), était président de la SAS JMB et gérant de 3 SCI dénommées JMC, JMB S., JMB H., dont les objets sociaux étaient la location de terrains et d'immeubles,

- Monsieur X. est gérant depuis le 6 décembre 2005 de la société LG PROMOTION, spécialisée dans le secteur d'activité des travaux de maçonnerie générale et de gros œuvres, employant un effectif entre 10 et 19 salariés ayant réalisé en 2014 un chiffre d'affaires de plus 1,8 millions d'euros, dirige la société IMMO 2 G, marchand de biens, ainsi que 4 SCI dénommées 5G, 3 G, G, DE LA PAIX.

Dans ces conditions, outre le fait qu'il convient de considérer les deux associés de la SCI comme étant des « emprunteurs avertis », pour avoir eu recours à de nombreux prêts, la SCI qu'ils animent ne peut être considérée comme un non-professionnel, au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001. La SCI et ses associés ne sont dès lors pas autorisés à invoquer à leur bénéfice le caractère abusif des clauses du contrat de prêt dès lors que la contraction de ce prêt avait un rapport direct avec une activité de nature commerciale.

Les demandes formulées à ce titre seront dès lors rejetées.

 

3) Sur l'action en responsabilité menée par les intimés à titre incident à l'encontre du CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES :

La SCI GB Créations, M. X. et M. Y. estiment que la banque aurait manqué à ses obligations d'information, de conseil et de mise en garde, de sorte que la SCI GB Créations et chacun des associés réclame l'allocation de dommages et intérêts.

L'article 1147 du code civil, applicable au moment des faits, prévoyait que le débiteur d'une obligation contractuelle (ici la banque) peut être condamné au paiement de dommages et intérêts, en raison de l'inexécution de l'obligation ou du retard pris dans cette exécution. Il est nécessaire de démontrer une faute à la charge du banquier et un préjudice.

Selon l'article 2224 du code civil, une action en responsabilité doit être engagée dans un délai de cinq ans à compter du jour où la personne à l'origine de l'action a eu, ou aurait dû, avoir connaissance des faits lui permettant de l'exercer.

En matière de prêt in fine, ce n'est qu'au moment du règlement de la dernière échéance du prêt, soit en l'espèce en 2026, que l'emprunteur sera en capacité de prendre connaissance de l'existence de son éventuel préjudice, qui ne pouvait se révéler précédemment.

Dans ces conditions, d'une part il y a lieu de constater que le délai de prescription de l'action en responsabilité de la SCI et de ses associés contre la banque ne pouvait commencer à courir avant cette date, de sorte que celle-ci est recevable.

D'autre part, au fond, avant la date de règlement du capital en 2026, il ne peut y avoir de préjudice avéré, dont l'existence ne peut être établie et démontrée qu'à l'issue de la vie du contrat.

Dans ces conditions, la cour ne peut que rejeter la demande en dommages et intérêts et confirmer la décision de première instance.

 

4) Sur les demandes annexes :

Le jugement déféré étant infirmé en ses dispositions principales, il le sera également en celles relatives aux dépens et aux frais exclus des dépens engagés par les parties à l'occasion de la première instance.

Les demandes de la SCI GB Créations, de M. X. et de M. Y. étant rejetées en totalité, ils assumeront, in solidum, la totalité des dépens de première instance et d'appel, ainsi que les frais exclus des dépens qu'ils ont engagés en appel.

Leur demande présentée à ce titre sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sera rejetée.

En revanche, ils devront verser, in solidum, à la CAISSE REGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES la somme de 5.000 euros au même titre et sur le même fondement.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Déclare recevable la demande tendant à voir mise en cause la responsabilité contractuelle de la CAISSE REGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES,

Infirme le jugement 5 février 2019 rendu par le tribunal judiciaire de Mulhouse en toutes ses dispositions déférées à la cour, sauf en ce qu'elle a rejeté les demandes de dommages-intérêts formulées par la SCI GB Créations, M. X. et M. Y.,

Confirme le jugement uniquement sur cette question,

Statuant à nouveau des chefs de demande infirmés et y ajoutant,

Rejette l'ensemble des demandes formées par la SCI GB Créations, M. X. et M. Y. au titre des clauses abusives,

Condamne la SCI GB Créations, M. X. et M. Y., in solidum, aux dépens de la procédure de première instance et d'appel,

Condamne la SCI GB Créations, M. X. et M. Y., in solidum, à payer à la CAISSE REGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES une somme de 5.000 euros (cinq mille euros) au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande de la SCI GB Créations, M. X. et M. Y. sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La Greffière :                                                                       le Président :