TJ STRASBOURG, 5 novembre 2024
CERCLAB - DOCUMENT N° 23331
TJ STRASBOURG, 5 novembre 2024 : RG n° 22/01589
Publication : Judilibre
Extrait : « En l’espèce, et comme il a été précédemment retenu, le contrat pour l’utilisation des services d’eBay.fr a été conclu entre Mme X. et la société Ebay GmbH.
Même si la défenderesse à la fin de non-recevoir affirme que les sociétés Ebay GmbH et Ebay France sont indissociablement liées, elle n’en rapporte pas la preuve lui permettant d’établir un lien entre elle, en sa qualité d’utilisatrice d’eBay.fr et la société Ebay France. Elle se borne à mentionner la participation de la société Ebay France à la promotion de l’activité de la société Ebay GmbH en France.
Au surplus, les pièces versées au dossier montrent que Mme X. a échangé à propos des difficultés de paiement depuis son compte sur eBay.fr avec un préposé de la société Ebay GmbH et qu’elle avait mis en demeure cette dernière par courrier du 16 février 2022.
Ainsi, la circonstance selon laquelle l’activité de la société Ebay GmbH serait liée à celle de la société Ebay France est insuffisante à justifier d’un droit d’agir à l’encontre de cette dernière pour l’inexécution d’obligations contractuelles dont elle n’est manifestement pas tenue, en l’absence de toute démonstration, ou même d’explication, en ce sens.
En conséquence, la société Ebay France qui n’est pas partie au contrat dont l’inexécution est invoquée ne peut pas être poursuivie en responsabilité contractuelle sur ce fondement par la demanderesse au fond. La fin de non-recevoir sera accueillie et l’action de Mme X. déclarée irrecevable. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE STRASBOURG
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN L’ETAT DU 5 NOVEMBRE 2024
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 22/01589. N° Portalis DB2E-W-B7G-LJ22.
DEMANDERESSE :
Mme X.
[Adresse 3], [Localité 4], représentée par Maître Mathieu WEYGAND de la SELARL SCHRECKENBERG - PARNIERE, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant
DÉFENDERESSE :
SAS EBAY FRANCE
[Adresse 2], [Localité 5], représentée par Maître Julie DRECHSLER, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant, NOUS, Delphine MARDON, Juge de la Mise en État, assistée de Isabelle JAECK,
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Madame X. exerce, sous le statut d’entrepreneur individuel, une activité de vente sur internet de jeux, jouets, livres et objets de collection d’occasion. Dans ce cadre, elle a créé en 2001 un compte vendeur sur le site internet https://www.ebay.fr sous le pseudonyme « S. ».
À compter de septembre 2021, elle a fait part, à plusieurs reprises, au service clients de dysfonctionnements affectant son compte et des difficultés rencontrées dans la nécessaire mise à jour de ses coordonnées bancaires.
Estimant avoir subi divers préjudices consécutifs aux désordres ayant atteint son compte vendeur, Mme X. a, par lettre de son conseil du 16 février 2022, mis en demeure les sociétés Ebay GmbH et Ebay France de :
- confirmer la levée de toute restriction sur son compte ;
- lui payer la somme de 18.043,75 euros ;
- procéder à la remise en ligne de toutes les annonces supprimées depuis le 25 octobre 2021 ;
- à défaut de remise en ligne des annonces supprimées, lui payer une somme de 2.000 euros supplémentaire.
N’ayant pas obtenu entière satisfaction, par assignation signifiée le 16 août 2022 par dépôt à l’étude d’huissiers de justice, Mme X. a fait citer la société Ebay France devant la chambre commerciale du Tribunal judiciaire de Strasbourg aux fins d’obtenir la remise en ligne de ses annonces sous astreinte et le paiement de dommages et intérêts.
Par conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 16 janvier 2023, la société Ebay France a adressé au juge de la mise en état des conclusions sur incident.
Aux termes de ses dernières conclusions sur incident et au visa des articles 32, 122 et 125 du Code de procédure civile, transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 26 mars 2024, la SAS Ebay France demande au juge de la mise en état de :
In limine litis,
* déclarer que les conditions d’utilisation de la plateforme eBay.fr et la clause attributive de compétence qui y est stipulée sont opposables à Mme X. ;
En conséquence,
* se déclarer incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris ;
À titre subsidiaire,
* déclarer que l’action engagée par Mme X. à l’encontre de la société Ebay France est mal dirigée ;
En conséquence,
* déclarer irrecevables les demandes de Mme X. formées à l’encontre de la société Ebay France ;
En toute hypothèse,
* condamner Mme X. à payer à la société Ebay France la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Guiberteau sur son affirmation de droit, conformément à l’article 699 du Code de procédure civile.
La société Ebay France fait valoir que le Tribunal judiciaire de Strasbourg n’est pas territorialement compétent en vertu d’une clause contractuelle contenue dans les conditions d’utilisation de la plateforme eBay.fr attribuant compétence aux tribunaux de Paris.
À titre subsidiaire, elle invoque une fin de non-recevoir faisant valoir que Mme X. n’est pas recevable à agir contre elle. En effet, elle retient que le contrat litigieux a été conclu entre Mme X. et la société de droit allemand Ebay GmbH, ainsi qu’il en ressort clairement des conditions d’utilisation de la plateforme eBay.fr, et que dès lors elle ne peut pas avoir la qualité de défenderesse au fond.
Aux termes de ses dernières conclusions sur incident, datées du 6 novembre 2023 et transmises par le réseau privé virtuel des avocats le même jour, Mme X. demande au juge de la mise en état de :
In limine litis,
* déclarer que les conditions d’utilisation de la plateforme eBay.fr et la clause attributive de compétence y stipulée ne sont pas opposables à Mme X. ;
En conséquence,
* se déclarer compétent pour juger le présent litige ;
À titre principal,
* juger les demandes de Mme X. formées à l’encontre de la société Ebay France recevables et les dire bien fondées.
Mme X. soutient, invoquant à cet effet l’article L. 221-3 du Code de la consommation, qu’elle est bien fondée à se prévaloir des dispositions de l’article L. 221-5 du Code de la consommation et que la clause attributive de compétence territoriale litigieuse ne respecte pas les exigences légales de lisibilité et de clarté.
À son sens, ladite clause contractuelle ne peut donc pas lui être opposée. Elle en déduit que la chambre commerciale du Tribunal judiciaire de Strasbourg est compétente.
S’agissant de la fin de non-recevoir, la demanderesse considère que les activités des sociétés Ebay France et Ebay GmbH sont indissociablement liées et que cette dernière a nécessairement eu recours à la défenderesse pour la promotion de son activité en France.
Elle rappelle agir en responsabilité contractuelle et vise notamment les articles 1231-1 et 1231-2 du Code civil, ainsi que l’article 2 des conditions générales du contrat de mise à disposition d’un espace de vente en ligne.
En application des dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile, il sera renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions.
Appelé à l’audience du 3 septembre 2024, l’incident a été mis en délibéré au 5 novembre 2024, date de la présente ordonnance.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS de la DÉCISION :
En application de l’article 789 du Code de procédure civile, le juge de la mise en état est, à compter de sa désignation et, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les exceptions de procédure et les incidents mettant fin à l’instance, ainsi que sur les fins de non-recevoir.
* Sur l’exception d’incompétence :
L’exception d’incompétence constitue une exception de procédure qui, en vertu de l’article 74 du Code de procédure civile, doit être présentée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, à peine d’irrecevabilité.
Aux termes de l’article 75 du même code, la partie qui soulève une exception d’incompétence de la juridiction saisie, doit, à peine d’irrecevabilité, la motiver et indiquer devant quelle juridiction elle demande que l’affaire soit portée.
En l’espèce, la société Ebay France a saisi, in limine litis, le juge de la mise en état d’une exception d’incompétence qu’elle fonde sur une clause attributive de juridiction issue des conditions générales du contrat litigieux et défend la compétence du Tribunal de commerce de Paris.
Il en résulte la recevabilité de cette exception d’incompétence.
En l’espèce, la clause attributive de juridiction qui fonde l’exception d’incompétence est contenue dans les « conditions d’utilisation des services d’eBay.fr », en son paragraphe 17 « Résolution des litiges ».
Toutefois, les parties à la procédure s’opposent quant à l’existence d’un lien contractuel les unissant. Mme X., dans son assignation signifiée le 16 août 2022, demande au tribunal de constater qu’elle a conclu un contrat de mise à disposition d’un espace de vente en ligne avec la société Ebay France ; et, dans ses conclusions adressées au juge de la mise en état, elle sollicite que les conditions d’utilisation de la plateforme eBay.fr ne lui soient pas opposables. La société Ebay France, d’un côté, sollicite, au soutien de l’exception d’incompétence, l’opposabilité à la partie adverse des conditions d’utilisation de la plateforme eBay.fr et de la clause attributive de compétence qui y est stipulée ; mais de l’autre côté, au soutien de la fin de non-recevoir invoquée à titre subsidiaire, elle expose qu’elle n’est pas liée par le contrat auquel se rattachent ces conditions d’utilisation.
Afin de statuer sur les incidents, il apparaît ainsi nécessaire d’établir si le contrat litigieux est effectivement conclu entre Mme X. et la société Ebay France, parties à la présente procédure et, dès lors, si les conditions d’utilisation de la plateforme sont opposables à Mme X.
Pour défendre la compétence du tribunal de céans, Mme X. invoque sa qualité de consommateur, mais elle ne remet jamais en cause l’application des conditions d’utilisation des services d’eBay.fr. Même, elle fonde son action en responsabilité contractuelle contre Ebay France sur la violation de l’article 2 de ces conditions.
Il est d’ailleurs constant que les conditions d’utilisation s’appliquent aux utilisateurs à compter de leur date d’inscription sur eBay.fr et que Mme X. a créé son compte sur cette plateforme dès 2001.
Or, les « conditions d’utilisation des services d’eBay.fr » précisent, dans leur premier paragraphe « Introduction », que s’il réside ou est établi au sein de l’Union européenne, l’utilisateur contracte avec la société de droit allemand Ebay GmbH, immatriculée sous le numéro HRB13754P. Concernant Ebay France, il s’agit d’une société par actions simplifiée de droit français immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 432 778 108.
Il en résulte qu’en utilisant les services d’eBay.fr, Mme X. qui réside en France, a conclu le contrat avec la société Ebay GmbH, qui est une personne morale distincte de la société Ebay France.
Dès lors, la clause attributive de compétence présente dans les conditions d’utilisation des services d’eBay.fr ne peut pas être opposée à Mme X. par la société Ebay France.
En conséquence, l’exception d’incompétence fondée sur cette clause attributive de compétence et soulevée par la société Ebay France sera rejetée.
* Sur la fin de non-recevoir :
Aux termes de l’article 122 du Code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir.
En vertu de l’article 31 du Code de procédure civile, l’exercice de l’action en justice est conditionné par l’existence un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention. L’article 32 du même code dispose qu’est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.
En l’espèce, et comme il a été précédemment retenu, le contrat pour l’utilisation des services d’eBay.fr a été conclu entre Mme X. et la société Ebay GmbH.
Même si la défenderesse à la fin de non-recevoir affirme que les sociétés Ebay GmbH et Ebay France sont indissociablement liées, elle n’en rapporte pas la preuve lui permettant d’établir un lien entre elle, en sa qualité d’utilisatrice d’eBay.fr et la société Ebay France. Elle se borne à mentionner la participation de la société Ebay France à la promotion de l’activité de la société Ebay GmbH en France.
Au surplus, les pièces versées au dossier montrent que Mme X. a échangé à propos des difficultés de paiement depuis son compte sur eBay.fr avec un préposé de la société Ebay GmbH et qu’elle avait mis en demeure cette dernière par courrier du 16 février 2022.
Ainsi, la circonstance selon laquelle l’activité de la société Ebay GmbH serait liée à celle de la société Ebay France est insuffisante à justifier d’un droit d’agir à l’encontre de cette dernière pour l’inexécution d’obligations contractuelles dont elle n’est manifestement pas tenue, en l’absence de toute démonstration, ou même d’explication, en ce sens.
En conséquence, la société Ebay France qui n’est pas partie au contrat dont l’inexécution est invoquée ne peut pas être poursuivie en responsabilité contractuelle sur ce fondement par la demanderesse au fond. La fin de non-recevoir sera accueillie et l’action de Mme X. déclarée irrecevable.
* Sur les frais du procès et l’exécution provisoire :
Aux termes de l’article 790 du Code de procédure civile, le juge de la mise en état peut statuer sur les dépens et les demandes formées en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
Conformément à l’article 696 du Code de procédure civile, les dépens seront supportés par Mme X., partie perdante à l’instance.
Toutefois, la société Ebay France sera déboutée de sa demande de distraction des dépens au profit de Maître Anne-Julie Guiberteau fondée sur l’article 699 du Code de procédure civile, en ce que les articles 103 à 107 du Code local de procédure civile prévoient en Alsace-Moselle une procédure spécifique de taxation des dépens.
Eu égard aux circonstances, il y a lieu de fixer à 1 500 euros la somme due par Mme X. à la société Ebay France au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Enfin, il convient de rappeler que la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le juge de la mise en état, statuant par ordonnance contradictoire rendue en premier ressort, susceptible de recours selon les modalités de l’article 795 du Code de procédure civile, prononcée par mise à disposition au greffe,
- REJETONS l’exception d’incompétence soulevée par la SAS Ebay France ;
- ACCUEILLONS la fin de non-recevoir tirée du défaut de droit d’agir soulevée par la société Ebay France ;
- DÉCLARONS irrecevables les demandes de Madame X. pour défaut de droit d’agir à l’encontre de la SAS Ebay France ;
- CONDAMNONS Madame X. aux dépens ;
- REJETONS la demande de distraction des dépens au profit de Maître Anne-Julie Guiberteau fondée sur l’article 699 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNONS Madame X. à payer à la SAS Ebay France une somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- REJETONS le surplus des demandes ;
- RAPPELONS que la présente ordonnance est de droit exécutoire par provision.
Le Greffier, Le Juge de la Mise en État,
Isabelle JAECK Delphine MARDON