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CA DOUAI (ch. 2 sect. 2), 17 octobre 2024

Nature : Décision
Titre : CA DOUAI (ch. 2 sect. 2), 17 octobre 2024
Pays : France
Juridiction : Douai (CA), 2e ch. sect. 2
Demande : 21/00790
Date : 17/10/2024
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 3/02/2021
Décision antérieure : T. com. Lille Métropole, 14 janvier 2021 RG n° 2020010302
Décision antérieure :
  • T. com. Lille Métropole, 14 janvier 2021 RG n° 2020010302
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CERCLAB - DOCUMENT N° 23338

CA DOUAI (ch. 2 sect. 2), 17 octobre 2024 : RG n° 21/00790

Publication : Judilibre

 

Extrait (arguments de l’appelant) : « Ce manquement a causé un préjudice (pertes de référencement constatées et signalées) qui doit être réparé, en application de l'article 1231-1 du code civil ; pour une société telle que la société Blooming, l'absence d'adresses officielles aboutit à un handicap considérable et le chiffre d'affaires est impacté ; la société a dû redoubler d'activité, d'inventivité pour retrouver et renouer avec ses contacts ; Ce préjudice est évalué à 90.000 euros au jour de l'assignation et s'est aggravé depuis ; ce préjudice est expliqué par M.X. et corroborées par une attestation du cabinet Keobiz, comptable de la société Blooming ; En application de l'article 1171 du code civil, dans sa nouvelle rédaction, « la clause d'exonération de responsabilité figurant aux conditions générales de la société OVH, en ce qu'elle n'a pas été négociée et qu'elle présente un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, sera, le cas échéant, réputée non écrite ». »

Extrait (motifs) : « La société Blooming estime que la privation de ses boîtes de messagerie et de son historique de courriels lui ont occasionné un préjudice de 90.000 euros.

En application de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. Et tel qu'indiqué précédemment, en matière de responsabilité civile, c'est à la victime d'une inexécution contractuelle qu'il appartient de rapporter cumulativement la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice allégués.

La société Blooming verse, à l'appui de sa demande indemnitaire, les attestations de M. M., directeur général de l'OPAC de l'Oise, du 4 février 2020 et de Mme J. pour la Société Générale du 26 février 2020 (pièce 14 et 15 de la société Blooming) qui se plaignent des difficultés voire de l'impossibilité qu'ils rencontrent à échanger par voie de messagerie professionnelle avec la société Blooming. Ces messages interviennent plus d'un an après la suppression déplorée des boîtes de courriel. Par ailleurs, ils ne permettent aucunement d'établir la nature de la relation d'affaire existant entre ces témoins et la société Blooming (client, prestataire ') ainsi que le préjudice concret (perte du client, baisse du chiffre d'affaires par exemple) et chiffré qui aurait résulté des difficultés d'échanges par courriel professionnel dénoncées.

La société Blooming verse par ailleurs une attestation de M. L., employé au sein du cabinet comptable Keobiz, en date du 22 mars 2024, présentant l'évolution du chiffre d'affaires de la société Blooming Partners entre les années 2016 et 2019 et une attestation de M. X. en date du 18 mars 2024, en qualité de président de la société Blooming, selon laquelle, après consultation de l'expert-comptable Keobiz et « compte tenu : - du nombre de missions générées auprès de nouveaux clients au dernier quadrimestre 2018 par comparaison au premier quadrimestre 2019 ; - du volume moyen de chiffre d'affaires correspondant à chaque telle nouvelle mission sur ces deux périodes ; - du nombre de telles premières missions ayant donné lieu à des suites dans les 6 mois qui suivent ; - des standards de la profession en la matière pour un cabinet de notre taille et de notre positionnement ; - notre préjudice pouvait effectivement être estimé à 50.000 €HT en mai 2019 et à 90.000€HT en octobre 2019. Ces effets n'ont pu que se composer depuis ».

Cette pièce, émanant du représentant légal de la société Blooming elle-même, ne revêt aucun caractère probant. En outre, les chiffres que M. X. avance ne sont corroborés ni par l'attestation de M. L. ni par la société Kéobiz.

La société Blooming ne produit par ailleurs aucune autre pièce pour démontrer qu'elle aurait subi un préjudice de 90.000 euros en lien avec la perte de ses boîtes de messagerie et de l'historique afférant. Elle sera en conséquence déboutée de cette demande et le jugement sera confirmé de ce chef. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 17 OCTOBRE 2024

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 21/00790. N° Portalis DBVT-V-B7F-TN2I. Jugement (RG n° 2020010302) rendu le 14 janvier 2021 par le tribunal de commerce de Lille Métropole.

 

APPELANTE :

SAS Blooming Partners

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège. Ayant son siège [Adresse 2], représentée par Maître Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Maître Pascale Lascoux Lefort, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

 

INTIMÉE :

SAS OVH

prise en la personne de son président M. [C] [U], domicilié en cette qualité audit siège. Ayant son siège [Adresse 1], représentée par Maître Viviane Gelles, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

 

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Stéphanie Barbot, présidente de chambre, Nadia Cordier, conseiller, Anne Soreau, conseiller

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Ismérie Capiez

DÉBATS à l'audience publique du 18 avril 2024 après rapport oral de l'affaire par Anne Soreau. Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024 après prorogation du délibéré initialement prévu le 5 septembre 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Stéphanie Barbot, présidente, et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 28 mars 2024

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

La société Blooming Partners (la société Blooming), présidée par M. X., est une société de conseil spécialisée dans l'innovation managériale. M. Y. y a été associé jusqu'au 31 mars 2018.

La société OVH est une société informatique qui offre notamment des services d'hébergement de sites internet et d'enregistrement de noms de domaines.

La société Cometik est une agence de communication lilloise spécialisée dans la création et la gestion de sites internet.

Le 1er novembre 2014, M. Y. a souscrit au nom de la société Blooming en formation, une offre « perso 2014 » auprès de la société OVH, lui permettant de déposer le nom de domaine « blooming-partners.com », de réserver un espace d'hébergement mutualisé et d'utiliser dix boîtes de courriels.

M. X. a été désigné propriétaire du nom de domaine et M. Y. inscrit comme contact de facturation.

Les boîtes de courriels ont été utilisées dès la conclusion du contrat.

L'espace d'hébergement mutualisé, réservé auprès de la société OVH, a été utilisé à partir du 5 juillet 2017, date à laquelle la société Blooming a signé le procès-verbal de réception de son nouveau site conçu par la société Cometik.

Le 1er novembre 2018, le site blooming-partners.com n'est plus apparu en ligne et les adresses de courriels associées n'ont plus été accessibles.

Ce premier incident, dû au fait que la facture annuelle n'était pas parvenue à la société Blooming car le contact de facturation, M. Y., venait de quitter la société, a été réparé, et le fonctionnement des boîtes de courriel a repris.

A compter du 28 janvier 2019, les boîtes courriels ont été à nouveau inaccessibles et le sont demeurées.

Le 24 mai 2019, la société Blooming a assigné la société OVH en référé afin de se voir restituer, vu l'urgence, l'accès aux comptes courriels associés au domaine et aux fichiers clients.

Le 4 juillet 2019, le juge des référés du tribunal de commerce de Lille Métropole a renvoyé les parties à se pourvoir au fond, en l'état d'une contestation sérieuse.

Par acte du 29 octobre 2019, la société Blooming a assigné au fond la société OVH devant ce même tribunal, aux fins de voir juger que cette dernière a commis une faute en faisant disparaître ses boîtes de messagerie et de la condamner à lui verser la somme de 90.000 euros en réparation de son préjudice. Subsidiairement, elle a sollicité une expertise.

Par jugement du 14 janvier 2021, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :

- rejeté le demande de jonction de cette instance avec une autre affaire 2020000930 OVH contre Cometik ;

- débouté la société Blooming de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la société Blooming à payer à la société OVH la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à assumer les entiers dépens.

Par déclaration du 3 février 2021, la société Blooming a relevé appel des chefs de ce jugement ayant débouté la société Blooming de l'ensemble de ses demandes et l'ayant condamnée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par arrêt avant dire droit du 12 mai 2022, la cour d'appel a sursis à statuer et ordonné une mesure d'expertise confiée à M. Z., remplacé le 18 juillet 2022 par M. W.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 29 novembre 2022.

Par conclusions d'incident signifiées le 15 mars 2023, la société Blooming a demandé au conseiller de la mise en état de prononcer la nullité de l'expertise et du rapport d'expertise.

Par ordonnance du 12 octobre 2023, le conseiller de la mise en état a constaté que la demande de nullité de l'expertise, si elle est soumise au régime des nullités de procédure selon l'article 175 du code de procédure civile, ne constitue pas une exception de procédure au sens de l'article 73 du même code, et en a déduit que la demande de nullité d'une expertise judiciaire ne relève pas des attributions dévolues exclusivement au conseiller de la mise en état, mais doit être examinée par le juge du fond auquel l'expertise est soumise.

Il a donc déclaré irrecevable la demande d'annulation de l'expertise judiciaire formée par la société Blooming devant lui.

Le 16 janvier 2024, la société Blooming a sollicité la fixation de l'affaire en formation collégiale.

 

PRÉTENTION des PARTIES

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 22 mars 2024, la société Blooming demande à la cour de :

Vu la CEDH,

Vu le règlement européen n°733/2002 repris dans l'article L. 45-5 du code des postes ;

Vu les articles 73 et suivants, 175 et suivants, 145 et suivants, 232, 265, 368, 755, 768, 954, et 958 du code de procédure civile ;

Vu les articles 1101 et suivants, 1171, 1217 et 1231-1 du code civil ;

Vu le jugement du tribunal de commerce de Lille,

- INFIRMER la décision entreprise en l'ensemble de ses dispositions

ET statuant à nouveau,

- AVANT DIRE DROIT :

- CONSTATER et PRONONCER la nullité du rapport d'expertise, et par conséquent :

- DESIGNER un autre expert avec mission :

* D'analyser les rapports contractuels entre OVH et Bloomingdans le respect du contradictoire et des principes du droit de la défense en entendant la société Cometik ;

* Prendre connaissance de tous documents contractuels et techniques nécessaires à ces opérations ;

* Décrire le dysfonctionnement dont se plaint la Société Blooming ;

* Dire si le fonctionnement est irréversible ;

* De rechercher les causes et l'origine et les décrire précisément ;

* Dire si la prestation fournie par la société OVH était conforme aux attentes de la société Blooming ;

* Donner son avis sur une éventuelle erreur, négligence ou faute commise par la société OVH dans le déploiement et le suivi de la prestation fournie à la société Blooming ;

* Donner son avis sur le respect ou non par la société OVH, en sa qualité de professionnelle, de son devoir de conseil et/ou de mise en garde, avant la fourniture de la prestation au regard des attentes de la société Blooming, et au cours de l'exécution ;

* Faire toute observation qui lui apparaîtrait utile à la solution du litige ;

* S'adjoindre tout sapiteur en tant que besoin.

- Si la cour ne fait pas droit à sa demande, ET EN TOUT ETAT DE CAUSE :

- CONSTATER l'existence d'un contrat pour l'enregistrement du nom de domaine entre la société OVH et la société Bloomers ;

- JUGER que la société OVH a manqué à ses obligations contractuelles en sa qualité de prestataire de service internet dans le cadre des migrations du site internet de la société Blooming en faisant disparaître la boite mail et les adresses mails de la société Blooming ;

- JUGER que cette faute ouvre droit à la réparation pour la société Blooming ;

- JUGER que la société OVH n'est pas fondée à opposer la clause exonératoire de responsabilité ;

- CONDAMNER la société OVH à lui verser la somme de 90.000 euros au titre de dommages et intérêts au titre du préjudice subi ;

- CONDAMNER la société OVH à verser à la société Blooming la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société OVH au remboursement des frais d'expertise ;

- CONDAMNER la société OVH aux entiers dépens de l'appel.

[*]

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 20 mars 2024, la société OVH demande à la cour de :

Débouter la société Blooming de sa demande avant dire droit

Confirmer le jugement entrepris

En conséquence,

Débouter la société Blooming de ses demandes ;

A titre subsidiaire,

faire application de la clause limitative de responsabilité de la société OVH acceptée par la société Blooming ;

En tout état de cause,

condamner la société Blooming à lui verser la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à assumer les entiers dépens ;

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIVATION :

Au préalable, il convient de souligner qu'il n'y a pas lieu de reprendre ni d'écarter dans le dispositif du présent arrêt les demandes tendant à « constater que » ou « juger que », telles que figurant dans le dispositif des conclusions des parties, lorsqu'elles portent sur des moyens ou éléments de fait relevant des motifs et non des chefs de décision devant figurer dans la partie exécutoire de l'arrêt.

 

I - Sur la nullité de l'expertise judiciaire :

La société Blooming estime que :

L'expert judiciaire a déposé son pré-rapport sans tenir compte de ses dires n°1 et n°2 ; l'argumentaire qui y est développé n'a pas été pris en compte par l'expert qui a fondé son avis sans même annexer les dires au pré-rapport ; c'est une atteinte manifeste au principe de la contradiction ;

La société OVH n'a pas répondu à ses dires et aux questions posées ; l'on doit constater une absence de discussion contradictoire entre les parties, ce qui constitue une atteinte au principe de la contradiction ;

La deuxième réunion d'expertise, organisée après le dépôt du pré-rapport de l'expert et le dépôt des deux dires de la société Blooming, s'est tenue en l'absence des parties, le représentant de la société OVH étant entendu au commissariat, et le représentant de la société Blooming ayant été hospitalisé en urgence ; seuls leurs conseils étant présents, et la réunion aurait dû être reportée ; la troisième réunion organisée l'a été après le dépôt du rapport d'expertise ;

L'expert a manqué à ses obligations d'objectivité et d'impartialité, en indiquant que les questions de la société Blooming étaient d'emblée sans incidence sur sa position et en s'abstenant de joindre ces éléments à son pré-rapport, puis à son rapport définitif, et à les commenter ;

Ce défaut de respect du principe de la contradiction constitue une irrégularité qui doit être sanctionnée selon les dispositions de l'article 175 du code de procédure civile, qui renvoient aux règles régissant les nullités des actes de procédure ; il s'agit d'une inobservation d'une formalité sanctionnée par une nullité pour vice de forme ; elle lui a causé un grief : il n'est pas sûr que l'expert ait examiné les deux dires, puisque ni le pré-rapport ni le rapport définitif n'en font état et qu'ils ne sont pas joints au rapport ; en n'entendant pas la société Cometik, alors qu'elle donne des explications sur le litige, l'expert a par ailleurs fait preuve de partialité ; la société OVH, qui a eu connaissance de ces dires, aurait pu en discuter, et elle, société Blooming, aurait pu faire valoir les arguments devant l'expert ;

Sur le fond, il y a des manquements dans l'expertise : l'expert n'a pas produit les pratiques courantes en vigueur dans la profession pour les comparer à celles de la société OVH ; il n'a pas demandé à cette dernière de produire ses procédures internes écrites, se contentant de prendre ses observations orales ; à l'issue d'un seul rendez-vous d'expertise contradictoire, M. X. a mis en exergue des contradictions profondes qui ont fait l'objet d'un dire n°1 que l'expert a considéré comme « faux, inexact et hors de propos » ; l'expert a pris pour argent comptant l'invraisemblable position de la société OVH, selon laquelle « ils ne commettent pas d'erreur ».

La société OVH réplique que :

Une réunion contradictoire avec l'expert a pu se tenir en présence des parties et de leur conseil le 19 septembre 2022 ; l'expert y disposait déjà de divers éléments transmis en amont par les parties et d'une bonne connaissance du dossier ; des précisions ont ensuite été apportées par écrit par les parties sur la demande de l'expert, le 28 septembre 2022 pour elle, société OVH, et sous la forme d'un dire n°1 par la société Blooming le 3 octobre 2022 ; le pré-rapport de l'expert du 8 octobre 2022 faisait d'ailleurs référence aux « observations et apports d'informations issus de la réunion d'expertise » ; à la suite de ce pré-rapport d'expertise, elle, société OVH, a adressé à l'expert un dire n°1 en réponse le 8 novembre 2022, et la société Blooming son dire n°2 le 14 novembre 2022 ;

- les parties ont eu l'occasion d'échanger avec l'expert et de lui remettre leurs pièces et arguments ; l'expert a rendu son rapport sur la base de ces échanges ; il est faux de dire qu'aucun débat contradictoire n'a pu se tenir ;

- l'expertise a pour but d'éclairer le juge, selon la mission qu'il a confiée à l'expert sur le litige opposant les parties, non de répondre à toutes les questions de la société Blooming ni de lui permettre de dialoguer avec un expert en cybercriminalité d'OVH ; l'importance de la protection d'un nom de domaine n'est pas l'objet du débat ;

- elle reproche à l'expert de ne pas lui avoir demandé ses procédures internes écrites, alors que sa documentation technique à elle, société OVH, se trouve sur internet et librement accessible ; il est de plus vraisemblable, en sa qualité d'expert, qu'il connaisse parfaitement les pratiques courantes de la profession.

 

Réponse de la cour :

Selon l'article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.

En application de l'article 232 du code de procédure civile, le juge peut commettre toute personne de son choix pour l'éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d'un technicien.

L'article 237 du même code prévoit que le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité.

S'agissant des opérations d'expertise, l'article 276 du code de procédure civile dispose que l'expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties, et, lorsqu'elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent.

Toutefois, lorsque l'expert a fixé aux parties un délai pour formuler leurs observations ou réclamations, il n'est pas tenu de prendre en compte celles qui auraient été faites après l'expiration de ce délai, à moins qu'il existe une cause grave et dûment justifiée, auquel cas il est fait rapport au juge.

Lorsqu'elles sont écrites, les dernières observations ou réclamations des parties doivent rappeler sommairement le contenu de celles qu'elles ont présentées antérieurement. A défaut, elles sont réputées abandonnées par les parties.

L'expert doit faire mention, dans son avis, de la suite qu'il aura donnée aux observations ou réclamations présentées.

L'article 114 du code de procédure civile précise qu'aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

L'inobservation des formalités prescrites par l'article 276 du code de procédure civile ayant un caractère substantiel, n'entraîne la nullité du rapport d'expertise qu'à charge pour la partie qui l'invoque de prouver le grief que lui cause cette irrégularité (Cass., Com. 18 février 1992, n° 89-19.330 publié ; Civ.3ème, 17 décembre 2020, n°19-12 183).

Le grief a notamment pu être écarté lorsque :

- l'expert a implicitement répondu dans son rapport aux dires qu'il avait omis d'y mentionner (Civ.3ème, 25 mai 1976, n°75-10.259, bull. n°228) ;

- l'expert a implicitement répondu dans son rapport aux dires des parties (Civ. 2ème, 22 mai 2014, n°13-20.612 ; Cass., com. 11 octobre 2011, n°10-20301) ;

- l'expert, qui n'a pas répondu spécifiquement à chacun des dires adressés par les parties, a donné les explications utiles dans le corps de son rapport et a tenu compte des explications fournies (civ. 3ème, 14 décembre 2017, n°15-26.043).

En l'espèce, il apparaît que les dires transmis, tant par la société Blooming les 3 octobre et 14 novembre 2022, que par la société OVH le 8 novembre 2022 n'ont pas été annexés au rapport d'expertise déposé par M.W. le 29 novembre 2022.

Dans son dire n°1 du 29 septembre 2022 (transmis le 3 octobre), la société Blooming demandait quant à elle à l'expert bien vouloir annexer son dire à son rapport et « d'y répondre éventuellement ». Par courrier du 12 octobre 2022 (pièce 26), elle constatait que le pré-rapport ne prenait pas en compte ses observations écrites (article 276), et demandait de les prendre en considération et de les joindre à son avis.

Dans son dire n°2, elle indiquait apporter un complément à son dire n°1, en reprenant sommairement certains points de ce précédent dire, répondre également au dire n°1 de la société OVH, et demandait que ses deux dires soient annexés au rapport définitif.

Or, il ressort du rapport d'expertise qu’aucun de ces dires n'y a été annexé contrairement à ce que prévoient les dispositions de l'article 276 précité.

Par courriel en date du 14 octobre 2022, adressé au conseil de la société Blooming, l'expert indiquait « je suis au regret de vous annoncer que j'ai bien intégré vos dires dans la création de mon pré-rapport mais que malheureusement beaucoup d'entre eux sont soit faux, soit inexacts, ou alors hors de propos sur l'objet même du litige. »

Or, il ressort du rapport transmis que :

L'expert n'a pas fait, comme il se devait en application de ce même article 276, mention, dans son avis, de la suite qu'il aurait donnée aux observations ou réclamations présentées. Si certaines étaient, comme il le dit, fausses, inexactes, ou hors propos, il aurait été nécessaire d'expliquer précisément en quoi la société Blooming se méprenait, et pour quelles raisons techniques ;

Si la société Blooming y a évoqué des arguments juridiques (notamment sur l'obligation de conseil), auquel l'expert n'a pas à répondre, elle a également mis en avant des interrogations d'ordre technique auxquelles il n'est pas répondu, même implicitement, dans le rapport d'expertise. Ainsi, des interrogations ont notamment été émises sur la procédure de changement des contacts, sur l'identification des contacts par la société OVH, les libellés en contradiction des factures, la nécessité pour la société OVH d'anéantir les courriels’Huit points obscurs ont été relevés par la société Blooming. L'expert n'a pas répondu à ces interrogations.

Cette absence totale de prise en considération, par l'expert, des dires de la société Blooming, qui n'ont pas même été annexés au rapport d'expertise, cause nécessairement à cette dernière un grief, en ne respectant pas le principe du contradictoire et en excluant des débats les interrogations techniques que cette partie avait formulées.

Il convient en conséquence de prononcer la nullité du rapport d'expertise déposé par M. W. le 29 novembre 2022.

 

II - Sur la responsabilité de la société OVH, la demande de dommages et intérêts de 90.000 euros et la demande de contre-expertise présentée par la société Blooming :

Dans ses conclusions auxquelles il convient de se rapporter pour un plus ample exposé, la société Blooming expose notamment que :

- à compter du 1er novembre 2018, le site de la société n'était plus en ligne et les adresses courriels associées inaccessibles ; la société OVH a identifié le dysfonctionnement, dû au fait que la facture annuelle relative à la réservation de domaine n'avait pas été honorée, ayant été adressée à un mauvais contact, en l'occurrence l'un des associés, qui venait de quitter la société ;

- sur sa demande, M.X. s'est fait directement adresser la facture et l'a réglée, ce qui a rétabli le service normal ; soucieux que la même situation ne se reproduise pas chaque année, M.X. a alors entamé la procédure proposée par la société OVH, qui reconnaît bien en lui le propriétaire du nom de domaine, pour se faire établir en contact de facturation pour ledit domaine ; après de multiples courriers, cette procédure a fini par aboutir le 28 janvier 2019, soit trois mois après le fait générateur, mais ce même jour, M. X. a constaté que les boîtes de courriels associées à son nom de domaine n'ont plus été accessibles, les courriels ont été perdus et elle s'est trouvée dans l'impossibilité de communiquer normalement avec ses clients, qui n'ont pu la joindre sur sa boîte de courriels ;

- alors que sa demande ne portait que sur le simple changement d'un contact, la fausse man'uvre technique, volontaire ou involontaire, de la société OVH a entraîné une rupture totale et irréversible du service ;

- la société OVH s'en est expliquée en rappelant avoir alerté sur le fait qu'une « modification de l'hébergement pouvait entraîner la perte des adresses mail » malgré les réponses de la société Blooming qui réitérait que sa demande portait uniquement sur le nom de domaine et non sur l'hébergement, lequel était confié à la société Cometik, ce qui lui convenait ;

- la société OVH n'a fait aucun effort ni n'a cherché à identifier les causes du dysfonctionnement pour éviter qu'elles ne se reproduisent et y apporter un prompt retour à la normale ;

- ses préjudices sont multiples : elle souffre d'un handicap d'image, les collaborateurs étant contraints d'utiliser leurs boîtes de messagerie personnelles ; elle ne reçoit plus les appels d'offres publiques auxquelles elle est abonnée et perd des opportunités commerciales, les correspondances relatives aux appels d'offres publics, les courriers des administrations (URSSAF, TVA'), les courriels de ses prestataires (assurances, banques, téléphonie'), les correspondances de son cabinet comptable ; les clients de sa société, ou les sociétés qui souhaitaient recourir à ses services, ne peuvent plus la joindre ; elle n'a plus accès à ses archives de courriels qui remontent à la fin de l'année 2014 ; les procédures de contournement mises en place induisent des tâches supplémentaires pour ses équipes, qu'elle ne peut facturer à ses clients ;

- par lettre du 28 février 2019, elle a tenté de résoudre le litige à l'amiable en vain ;

- la société OVH était informée de la situation dès le 31 mars 2018 et n'y a apporté aucune solution ; elle a tenté de se défausser de ses obligations sur la société Cometik qui n'a jamais été en charge du nom de domaine ;

- le 28 janvier 2019, la société OVH a annoncé par courriel la migration de l'hébergement du site internet vers un domaine fictif sans plus de précision ; il n'a jamais été question selon la société Cometik ou la société Blooming de pertes de données définitives et de la possibilité de les récupérer dans un délai de 15 jours après suppression ;

- l'on peut s'interroger sur la raison pour laquelle la société OVH a jugé bon de faire migrer le domaine vers un domaine fictif, quand il lui était demandé de substituer un destinataire à un autre dans leur base de contact ; cette opération a causé la perte des données de ses courriels à elle, appelante, de manière irréversible ; il semble évident que la société OVH s'est lancée dans des manipulations hasardeuses et disproportionnées au regard de la demande faite par elle, société Blooming ;

- le litige trouve son origine dans l'interruption d'accès aux boîtes de courriels rattachées au nom de domaine réservé « bloomingpartners.com » ;

- contrairement à ce que prétend la société OVH, sa demande à elle, société Blooming, porte sur le nom de domaine, dans lequel n'intervient pas son prestataire Cometik, et non sur l'hébergement, contrat beaucoup plus récent, déconnecté des adresses mails et sur lequel il n'y a pas de litige ;

- c'est bien parce qu'elle s'est méprise sur sa demande à elle, société Blooming, malgré ses efforts pour éviter une telle confusion, que la société OVH a effectué une manipulation complexe et hors de propos qui la prive de ses boîtes de courriel ;

- « le fait dommageable est constitué par le fait qu'OVH a accepté d'assurer des prestations d'enregistrement de nom de domaine, et ce sans que Blooming lui demande un changement de contact d'hébergement et a fortiori un hébergement puisqu'OVH n'est pas son hébergeur, ce qui ne nécessite pas une technicité particulière » (conclusions page 22) ;

- prétendre que les deux prestations, à savoir le nom de domaine et l'hébergement, sont interdépendantes, et écrire dans un mail du 22 novembre 2018, que « la dissociation du service de l'hébergement et du nom de domaine entrainerait la suppression complète de l'hébergement à savoir la perte de la visibilité du site potentiellement mis en place dessus des comptes mails actuels et donc des e-mails présents sur les serveurs » est sans fondement, puisqu'elle a toujours eu son service hébergement dissocié du service hébergement de nom de domaine et que cela a toujours bien fonctionné, sauf après la manipulation de la société OVH pour modifier le contact de facturation de son nom de domaine ;

- la prestation d'OVH était cantonnée à l'hébergement de nom de domaine, sans qu'elle ait à intervenir sur l'hébergement des boîtes mails ; par cette manipulation, elle a commis un manquement et failli à son obligation contractuelle, outrepassant ses droits dans l'exécution du contrat et provoquant de ce fait l'anéantissement de ses boîtes mail ;

- la société OVH ne peut s'en exonérer en prétendant qu'elle, société Blooming, serait à l'origine de son préjudice, en ayant accepté de « valider malgré les avertissements réitérés d'OVH du 22 novembre et du 16 janvier le changement de contact facturation « nom de domaine » sans se soucier du sort du contrat d'hébergement associé », alors que ces deux contrats n'ont pas été conclus en même temps et ne sont en rien associés ;

Il y a bien inexécution du contrat par la société OVH, soit un non-accomplissement de l'obligation résultant d'une omission et/ou d'une initiative due à sa faute, et elle peut donc demander réparation de cette inexécution en application de l'article 1217 du code civil ;

Ce manquement a causé un préjudice (pertes de référencement constatées et signalées) qui doit être réparé, en application de l'article 1231-1 du code civil ; pour une société telle que la société Blooming, l'absence d'adresses officielles aboutit à un handicap considérable et le chiffre d'affaires est impacté ; la société a dû redoubler d'activité, d'inventivité pour retrouver et renouer avec ses contacts ;

Ce préjudice est évalué à 90.000 euros au jour de l'assignation et s'est aggravé depuis ; ce préjudice est expliqué par M.X. et corroborées par une attestation du cabinet Keobiz, comptable de la société Blooming ;

En application de l'article 1171 du code civil, dans sa nouvelle rédaction, « la clause d'exonération de responsabilité figurant aux conditions générales de la société OVH, en ce qu'elle n'a pas été négociée et qu'elle présente un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, sera, le cas échéant, réputée non écrite ».

La société OVH réplique que :

- le contrat d'enregistrement du nom de domaine « blooming-partners.com », souscrit par M. Y. (identifiant [Numéro identifiant 3]) en son nom propre (le nom de la société n'apparaît pas dans les factures) ; si M.X. y apparaissait comme « propriétaire du nom de domaine », c'est M. Y. qui y était référencé en tant que contact administrateur, technique et facturation ; le contrat expirait le 31 octobre 2018 et, après plusieurs relances adressées au contact de facturation de la société Blooming (M. Y., qui avait quitté l'entreprise), le site internet n'a plus été accessible à compter du 1er novembre 2018 ; le nom de domaine a pu être rétabli dès que la société Blooming a acquitté le paiement du renouvellement du nom de domaine ;

- le 14 novembre 2018, la société Blooming interrogeait la société OVH sur la manière de modifier les différents contacts d'administration et de facturation dudit nom de domaine, afin d'éviter la réitération du problème chaque année ; elle y procédait le 16 novembre suivant ;

- la société Blooming associait néanmoins à cette demande, une autre demande portant sur un changement des contacts d'administration et de facturation du service d'hébergement ;

- le service d'hébergement, auquel sont associés les comptes de messageries de la société Blooming, était au nom d'un tiers et également conclu par M. Y. ; elle a, par courrier du 22 novembre 2018, expliqué à la société Blooming que la modification du contact d'administration et de facturation de ce service ne pourrait se faire qu'en se rapprochant du souscripteur du service hébergement pour qu'il modifie le contact, ou en justifiant qu'elle avait la qualité de souscripteur, ou en renonçant à obtenir la modification des contacts « hébergement » conjointement à la demande de modification des contacts « nom de domaine » ; elle a averti à deux reprises, le 22 novembre 2018 puis le 16 janvier 2019, que le choix de la troisième option entraînerait la suppression complète de l'hébergement ;

- elle, société OVH est en effet contrainte de procéder de la sorte afin d'éviter qu'un client ayant souscrit un service de nom de domaine ne puisse récupérer la gestion du serveur d'hébergement lié au nom de domaine, sans être lui-même le client ayant souscrit le service d'hébergement ;

- les adresses courriels de la société Blooming étaient liées, non pas au nom de domaine, mais à l'hébergement, comme cela lui avait été expliqué dès février 2019 ;

- malgré des avertissements, la société Blooming a confirmé la procédure de changement de contact facturation du nom de domaine, et donc accepté ses conséquences en termes de dissociation d'avec le service hébergement ; en optant pour cette troisième voie, malgré les avertissements, elle a perdu, comme cela lui avait été annoncé, l'hébergement de son site et les comptes de messagerie qui y étaient associés ; elle a ainsi perdu le 28 janvier 2019, date de l'opération, l'ensemble de son historique de courriels ;

- elle pouvait cependant demander à la société Cometik la copie des courriels, puisque cette dernière avait accès aux données supprimées pendant 15 jours après la perte des boîtes mails et se trouvait en copie de tous les échanges entre les sociétés Blooming et OVH ;

- la société Blooming a préféré souscrire le 31 janvier 2019 un nouveau service de messagerie auprès de la société OVH, qui lui permet de bénéficier d'adresses mails rattachées cette fois au nom de domaine blooming-partners ; elle n'a toutefois pas configuré ce nouveau service, malgré un courriel officiel de sa part du 25 juin 2019 lui rappelant d'activer ses comptes par le biais de son interface de gestion OVH ;

- en conséquence, la société Blooming est elle-même à l'origine de la perte de ses comptes mails et des messages associés, et elle est seule à blâmer du fait de l'absence de configuration, par ses soins, du service devant lui permettre de disposer d'adresses de messagerie associées à son nom de domaine ;

- l'expert judiciaire écarte la responsabilité de la société OVH ;

- dans l'hypothèse où sa responsabilité serait retenue, il conviendra d'appliquer la clause limitative de responsabilité et de réparation prévue à l'article 5.2 des conditions générales de services, dès lors qu'elle a été conclue entre deux professionnels, et que le montant de l'indemnité prévue n'est pas dérisoire ;

- à titre infiniment subsidiaire, la société Blooming ne démontre pas le préjudice allégué ; les conditions générales de services excluent à l'article 5.3 les préjudices indirects (perte de bénéfices ou de clients, trouble commercial, pertes d'exploitation'), et la jurisprudence a, à plusieurs reprises, validé ce type de clause ; elle ne justifie par ailleurs pas de ses préjudices ;

Réponse de la cour :

Il résulte des articles 1103 et 1104 du code civil que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public.

En l'espèce, le contrat dont l'exécution est discutée a été conclu en 2014.

S'il n'est pas produit aux débats, un échange de courriels entre M. Y. et la société OVH et une facture du 1er novembre 2014 (pièce 11 de la société Blooming) adressée à M. Y. en qualité de « contact facturation » fait apparaître, et cela n'a pas été contesté, qu'une offre dénommée « perso 2014 » a été conclue chez la société OVH.

Il n'a pas été contesté non plus, que M. Y. a été associé de la société Blooming et que ce contrat a été passé pour le compte de la société alors en formation.

Selon cette facture, l'offre portait sur :

- la création et l'hébergement d'un nom de domaine blooming-partners.com ;

- un hébergement selon « offre mutualisée »

- dix « mailing lists ».

La société Blooming indique que ce contrat du 1er novembre 2014 portait sur l'acquisition d'un nom de domaine et des boîtes de courriel afférentes, la réservation de l'hébergement ayant été faite à l'occasion d'un autre contrat, postérieur.

La première facture afférente à cette offre mentionnait cependant l'existence d'un hébergement, de même que le premier courriel envoyé par la société OVH (« vous venez de souscrire à l'offre perso 2024 chez OVH et nous vous en remercions. Votre espace d'hébergement sera actif dans 24 heures ») et la société Blooming ne produit pas le contrat qui aurait été conclu postérieurement pour le seul hébergement, ni aucun justificatif qui pourrait en démontrer l'existence et la date.

Ce contrat du 1er novembre 2024 a été renouvelé par tacite reconduction chaque année, et c'est son inexécution qui est reprochée par la société Blooming, avec la perte des boîtes de messagerie.

En vertu de l'article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :

- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;

- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;

- obtenir une réduction de prix ;

- provoquer la résolution du contrat ;

- demander réparation des conséquences de l'inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.

L'article 1231-1 du même code précise que le débiteur est condamné, s'il y lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

Il appartient en l'espèce à la société Blooming de démontrer une inexécution de l'obligation de la part de la société OVH, le préjudice qu'elle évoque de 90.000 euros et le lien de causalité existant entre cette inexécution contractuelle et ce préjudice.

 

1) Sur l'inexécution de l'obligation :

Il est établi, et non contesté par les parties, que les boîtes de messagerie mises à disposition par le contrat du 1er novembre 2014 pour un an renouvelable, ont cessé de fonctionner de manière durable à compter du 28 janvier 2019, puis ont été définitivement perdues ainsi que l'historique des courriels.

Ceci constitue bien, de la part de la société OVH, une inexécution du contrat conclu.

La société OVH prétend cependant que cet incident serait dû au comportement fautif de la société Blooming, qui aurait demandé un changement des contacts d'administration et de facturation du service d'hébergement, puis accepté de dissocier l'offre « mail et hébergement », du nom de domaine, ce qui aurait entraîné la suppression des comptes mails et de l'historique des courriels. Elle estime avoir alerté la société Blooming à deux reprises sur ces conséquences, par courriels du 22 novembre 2018 et 16 janvier 2019.

Les parties conviennent que le premier incident de paiement, intervenu fin octobre 2018 et qui a occasionné une interruption dans la mise à disposition des boîtes de courriels, était dû au fait que le contact de facturation était M. Y. et que, ce dernier ayant quitté la société, les relances pour le paiement de la facture annuelle de la société OVH ne sont plus parvenues à la société Blooming.

Une fois la facture acquittée, le service a été rétabli.

Il ressort des pièces du dossier, et notamment des échanges de courriels entre M.X. et la société OVH, que la volonté de la société Blooming, après ce premier incident de paiement, était d'actualiser les contacts facturation, tant pour le nom de domaine que pour le service d'hébergement, afin d'éviter tout impayé.

Ainsi, par message du 9 novembre 2018, M. X. indiquait à la société OVH : « Nous n'avons jamais reçu votre dernière demande de règlement du nom de domaine, donc n'avons pas payé à temps. Cela nous a coûté du business. Ça ne peut pas se reproduire » (pièce n°3 de la société Blooming).

La société OVH répondait, le 14 novembre 2018, par un message explicatif adressé à M. X. : « je vous confirme que vous êtes le contact de facturation de l'hébergement blooming-partners.com ; toutefois, vous n'êtes pas le contact facturation sur le domaine. De ce fait, vous ne pouvez pas être destinataire des e-mails de relance pour ce service. » (pièce 4 de la société Blooming)

M. X. ajoutait alors, par un message du même jour : « Il importe évidemment que nous récupérions le rôle de contact factu sur le domaine comme sur l'hébergement » (pièce 4 de la société Blooming).

En revanche, rien dans les courriels produits, ne permet de dire que la société Blooming aurait recherché un changement des contacts d'administration du service d'hébergement, contacts « administrateur et technique » dont elle savait qu'ils avaient été confiés à la société Cometik pour la refonte du site internet (courriel du 25 novembre 2018, pièce 4 de la société Blooming)

Par un message du 22 novembre 2018, réitéré le 16 janvier 2019, la société OVH indiquait à la société Blooming, en réponse à sa demande, mise en attente :

« votre procédure de changement de contact ne peut être validée que pour le nom de domaine, car l'offre mail et l'hébergement actuellement associés à ce domaine sont enregistrés sous des coordonnées différentes de votre nom de domaine ;

Pour que nous puissions valider votre procédure et modifier la gestion de l'intégralité des services, vous devez :

soit vous rapprocher de l'actuel administrateur des services afin que celui-ci modifie la gestion de l'hébergement et de l'offre mail via son espace client ;

soit nous faire parvenir les documents justificatifs du titulaire de l'hébergement et de l'offre mail ;

soit nous confirmer par mail depuis l'espace client dans le menu « Assistance » (en rappelant dans le sujet votre numéro de procédure) que vous ne souhaitez pas récupérer la gestion de l'hébergement et de l'offre mail.

Dans ce cas de figure, nous ferons le nécessaire pour dissocier l'offre mail et l'hébergement de votre nom de domaine. Cela va impliquer la suppression complète de votre hébergement (vous perdrez donc la visibilité du site potentiellement mis en place dessus), des comptes mails actuels et donc des e-mails présents sur vos serveurs ».

En réponse, M. X., pour la société Blooming, a adressé le message

suivant le 16 janvier 2019 à 17 :44 :

« Ce qui tombe plutôt bien puisque nous avons pris la peine de le mentionner dans notre courrier, notre demande ne porte en effet que sur le nom de domaine ‘ce qui devrait aller de soi puisque c'est ce dont nous sommes propriétaires. Nous ne demandons pas la modification de la gestion de l'intégralité des services.

Puisque vous nous confirmez que la procédure de contact peut être validée pour le nom de domaine, merci de bien vouloir procéder, qu'on puisse enfin clore ce dossier ».

C'est en réponse à ce message que la société OVH a indiqué à M. X., par message du 28 janvier 2019, « votre procédure a été validée ».

A compter de cette date, les boîtes messagerie et l'historique de messages ont été inaccessibles.

La société OVH indique dans ses conclusions (page 9) que malgré l'avertissement qui lui a été adressé, « la société Blooming Partners a confirmé la procédure de changement de contact facturation du nom de domaine, et donc accepté ses conséquences en terme de dissociation d'avec le service d'hébergement. En optant pour cette troisième voie, malgré les avertissements de la société OVH, la société Blooming est elle-même à l'origine du dommage qu'elle prétend reprocher à OVH. En effet, l'opération a été réalisée par la société OVH le 28 janvier 2019. A la suite de celle-ci, la société Blooming Partners a, comme cela lui avait été annoncé, perdu l'hébergement de son site et les comptes mails qui y étaient associés. »

Or, il ressort de la lecture du courriel de M.X. du 16 janvier 2019 que ce dernier :

demandait le changement de contact uniquement pour le nom de domaine : en effet, la société OVH ayant précisé en tout début de courrier « votre procédure de changement de contact ne peut être validée que pour le nom de domaine’», il répondait : « Ce qui tombe plutôt bien puisque nous avons pris la peine de le mentionner dans notre courrier, notre demande ne porte en effet que sur le nom de domaine’» et « Puisque vous nous confirmez que la procédure de contact peut être validée pour le nom de domaine, merci de bien vouloir procéder, qu'on puisse enfin clore ce dossier » ;

ne souhaitait pas la modification de l'intégralité des services (« Nous ne demandons pas la modification de la gestion de l'intégralité des services »), pour lequel trois options lui étaient proposées, dont la troisième entraînant la dissociation du nom de domaine et de l'hébergement.

La société OVH, dont le message était ambigu, ne pouvait en tout cas pas, au vu du courriel en réponse de M. X., mettre en 'uvre la troisième option sans solliciter une confirmation de la part de ce dernier, compte tenu des conséquences attachées à ce choix.

Par ailleurs, il apparaît que, dès la validation de la procédure le 28 janvier 2019 et la mise en œuvre de la dissociation, M. X. a adressé un message au service client d'OVH pour signaler la perte des mails à la suite de la demande de changement de contact, et pour demander le rétablissement des boîtes de messagerie, en ces termes : « si l'opération, à nos yeux purement administrative, de changer les contacts a pu casser ce lien, il fallait nous alerter. S'il y a une opération à faire pour le rétablir sans perdre des années de mails échangés, merci de nous indiquer très rapidement laquelle, car notre préjudice s'aggrave d'heure en heure. »

Aucune réponse ou démarche n'a été faite par la société OVH.

Or, l'article 3.12 des conditions générales de services (pièce 1 de la société Blooming) mentionne que l'arrêt des services, quelle qu'en soit la cause, de même que certaines opérations de mise à jour et de réinstallation des services, entraînent la suppression automatique et irréversible de l'intégralité des contenus reproduits, stockés, hébergés, (…) utilisés et/ou exploités par le client dans le cadre des services (…)

L'article ajoute qu'il appartient au client de procéder aux opérations de sauvegarde nécessaire à la sauvegarde des contenus.

L'article indique ensuite : « A la demande du client, et sous réserve des stipulations de l'article « confidentialité » ci-dessous, OVH lui communique toute information technique relative aux services de nature à faciliter les opérations de réversibilité et de récupération des contenus ».

En l'espèce, malgré demande de M. X., la société OVH n'a communiqué aucune information à son client pour lui permettre de récupérer ses données, alors même qu'elle indique dans ses conclusions qu'il pouvait le faire facilement auprès de la société Cometik : « elle avait néanmoins la possibilité de demander à son prestataire, la société Cometik, la copie desdits mails. Mais il est étonnant qu'elle n'ait pas jugé utile de le faire » ; « la société Cometik avait pourtant accès, jusqu'à 15 jours après la perte des boîtes mails, aux donnés supprimées » (conclusions de la société OVH pages 9 et 10).

La faute de la société OVH est donc établie, tant dans la mise en œuvre de l'option ayant entraîné le dysfonctionnement des boîtes de messagerie, que dans la prise en charge de l'incident.

Dans ces conditions, la demande de désignation d'un nouvel expert judiciaire formée par la société Blooming, avec la mission de donner son avis technique sur la conformité aux règles de l'art de la prestation fournie par la société OVH, non sur l'éventuel préjudice en résultant pour la société Blooming, est inutile et sera donc rejetée. En tout état de cause, cette demande est d'autant plus vaine que, pour les motifs ci-après exposés, la société Blooming ne rapporte pas la preuve du préjudice qu'elle invoque.

 

2) Sur le préjudice de la société Blooming :

La société Blooming estime que la privation de ses boîtes de messagerie et de son historique de courriels lui ont occasionné un préjudice de 90.000 euros.

En application de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Et tel qu'indiqué précédemment, en matière de responsabilité civile, c'est à la victime d'une inexécution contractuelle qu'il appartient de rapporter cumulativement la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice allégués.

La société Blooming verse, à l'appui de sa demande indemnitaire, les attestations de M. M., directeur général de l'OPAC de l'Oise, du 4 février 2020 et de Mme J. pour la Société Générale du 26 février 2020 (pièce 14 et 15 de la société Blooming) qui se plaignent des difficultés voire de l'impossibilité qu'ils rencontrent à échanger par voie de messagerie professionnelle avec la société Blooming.

Ces messages interviennent plus d'un an après la suppression déplorée des boîtes de courriel.

Par ailleurs, ils ne permettent aucunement d'établir la nature de la relation d'affaire existant entre ces témoins et la société Blooming (client, prestataire ') ainsi que le préjudice concret (perte du client, baisse du chiffre d'affaires par exemple) et chiffré qui aurait résulté des difficultés d'échanges par courriel professionnel dénoncées.

La société Blooming verse par ailleurs une attestation de M. L., employé au sein du cabinet comptable Keobiz, en date du 22 mars 2024, présentant l'évolution du chiffre d'affaires de la société Blooming Partners entre les années 2016 et 2019 et une attestation de M. X. en date du 18 mars 2024, en qualité de président de la société Blooming, selon laquelle, après consultation de l'expert-comptable Keobiz et « compte tenu :

- du nombre de missions générées auprès de nouveaux clients au dernier quadrimestre 2018 par comparaison au premier quadrimestre 2019 ;

- du volume moyen de chiffre d'affaires correspondant à chaque telle nouvelle mission sur ces deux périodes ;

- du nombre de telles premières missions ayant donné lieu à des suites dans les 6 mois qui suivent ;

- des standards de la profession en la matière pour un cabinet de notre taille et de notre positionnement ;

- notre préjudice pouvait effectivement être estimé à 50.000 €HT en mai 2019 et à 90.000€HT en octobre 2019. Ces effets n'ont pu que se composer depuis ».

Cette pièce, émanant du représentant légal de la société Blooming elle-même, ne revêt aucun caractère probant.

En outre, les chiffres que M. X. avance ne sont corroborés ni par l'attestation de M. L. ni par la société Kéobiz.

La société Blooming ne produit par ailleurs aucune autre pièce pour démontrer qu'elle aurait subi un préjudice de 90.000 euros en lien avec la perte de ses boîtes de messagerie et de l'historique afférant.

Elle sera en conséquence déboutée de cette demande et le jugement sera confirmé de ce chef.

 

III - Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

Le présent litige ayant pour origine une faute imputable à la société OVH, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens de première instance et d'appel, qui incluent les frais de l'expertise judiciaire.

Sa demande d'indemnité procédurale sera rejetée et elle sera condamnée à verser à la société Blooming une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la première instance et de la procédure d'appel.

La décision entreprise sera donc infirmée des chefs relatifs aux dépens et à l'article précité.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Ajoutant au jugement entrepris :

PRONONCE la nullité du rapport d'expertise judiciaire déposé par M. W. le 29 novembre 2022 ;

REJETTE la demande de désignation d'un nouvel expert formée par la société Blooming Partners ;

CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ses chefs relatifs aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant de nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant :

CONDAMNE la société OVH aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, REJETTE la demande de la société OVH et la condamne à verser à la société Blooming Partners la somme de 4.000 euros au titre de la première instance et de la procédure d'appel.

Le greffier                             La présidente

Marlène Tocco                      Stéphanie Barbot