CA AIX-EN-PROVENCE (ch. 3-3), 27 mars 2025
- T. com. Marseille, 7 janvier 2021 : RG n° 2019F00687
CERCLAB - DOCUMENT N° 23684
CA AIX-EN-PROVENCE (ch. 3-3), 27 mars 2025 : RG n° 21/01817
Publication : Judilibre
Extrait : « La société Orange fait valoir que l'indemnisation sollicitée se heurte à l'application de la clause limitative de responsabilité prévue dans le contrat BIV (article 14) et opposable à l'agence N. Cette dernière soutient que la société Orange n'a pas interjeté appel de la disposition du jugement ayant jugé que cette clause était réputée non écrite et qu'ainsi elle ne peut être remise en question. La société Orange argue qu'elle est recevable à invoquer celle-ci car il s'agit d'un moyen de défense qu'elle avait soulevée en première instance et qui a été écarté par le tribunal de commerce, alors qu'elle a fait appel sur l'ensemble des chefs de jugement.
En l'espèce, la déclaration d'appel de la société Orange vise notamment comme chefs de jugement critiqués, sa condamnation à payer à la société Agence Perier Giraud la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des graves préjudices professionnels qu'elle a subis. Il apparaît comme le soutient la société Orange qu'elle avait développé en première instance comme moyen de défense, cette clause limitative de responsabilité. En la condamnant au paiement d'une indemnisation, le premier jugement a rejeté implicitement ce moyen, puisqu'elle n'en a pas fait mention dans le dispositif. Dès lors, la société Orange est recevable à soulever de nouveau ce moyen à l'appui de son appel portant sur le montant de son indemnisation.
La société Orange invoque ainsi l'article 14 des conditions générales du contrat Business service qui dispose « Au regard de l'équilibre économique du Contrat, les parties conviennent de ce qui suit. 14.1 La responsabilité de l'une ou l'autre des parties ne pourra être engagée, quels que soient le fondement et la nature de l'action, qu'en cas de faute prouvée de sa part ayant causé un préjudice personnel, direct et certain à l'autre partie. Les parties conviennent expressément que la typologie suivante de dommages et/ou préjudices ne pourra donner lieu à indemnisation, que ces derniers aient été raisonnablement prévisibles ou non : manque à gagner, perte de chiffre d'affaires, perte de clientèle, atteinte à l'image et perte de données. »
« Le montant cumulé des dommages et intérêts susceptibles d'être dus par une partie à l'autre partie dans le cadre du contrat ne pourra pas excéder : - par événement et par Service concerné, le montant facturé pour ce service sur les 6 derniers mois précédant la survenance de l'événement ayant engendré le préjudice - Par année civile, tous événements confondus et par Service concerné : le montant facturé au titre des 12 derniers mois de Service. »
Les développements de l'agence N. selon lesquels la clause du document intitulé « Ann Business internet voix série 2 ‘édition janvier 2017 » ne lui est pas opposable, sont sans objets dès lors qu'ils ne concernent pas la clause invoquée par l'appelant tirée de l'article 14.
Concernant celle-ci, l'agence N. au visa des articles 1170 et 1171 du Code civil, soutient que l'application de la clause limitative d'indemnisation reviendrait à exonérer la société Orange de toute responsabilité et viderait de sa substance des obligations qu'elle a souscrites. Elle doit donc être réputée non écrite car elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Elle argue en outre, de l'article R. 212-1 du code de la consommation relatif aux clauses abusives.
La société Orange soutient que cette clause est licite conformément à l'arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2010, qui admet la licéité de ce type de clause dès lors qu'elle n'a pas pour effet de vider de toute substance l'obligation essentielle incombant au cocontractant. Elle précise que l'agence N. à la qualité de professionnel, et que les dispositions de l'article L. 132-1 du code de la consommation ne s'applique donc pas, puisque le contrat a été formé entre professionnels. La clause limitative d'indemnisation est donc opposable.
Selon l'article 1170 du code civil, toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. L'article 1171 du même code dispose que dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. Il a été jugé qu'est seule réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur (Cass., Com 29 juin 2010, n° 09-11.841). En l'espèce, il est exact que les dispositions du code de la consommation évoquées par l'agence N. ne peuvent s'appliquer en présence de deux professionnels.
Tout d'abord, le fait que la clause litigieuse subordonne la mise en jeu de la responsabilité des cocontractants à une faute prouvée n'apparaît pas créer un déséquilibre significatif dès lors qu'elle n'empêche pas la mise en œuvre de la responsabilité et qu'un manquement à une obligation contractuelle suffit à caractériser une faute.
Par ailleurs, la clause invoquée par la société Orange est une clause limitative de réparation puisqu'elle prévoit l'absence d'indemnisation de la part des cocontractants pour les préjudices indirects et ceux pouvant être qualifiés « d'immatériels », tels que le manque à gagner, la perte de clientèle, l'atteinte à l'image et la perte de données. Cette limitation qui ne concerne que certains préjudices limitativement énumérés, ne suffit pas à elle-seule à vider de toute substance l'obligation essentielle de la société Orange résultant du contrat souscrit, dès lors qu'elle est toujours susceptible d'indemniser les préjudices directs matériels, mais aussi de jouissance résultant de l'inexécution du contrat. Il en est de même du second alinéa de l'article 14.1 qui n'apporte qu'une limitation du quantum de l'indemnisation et ne remet pas en cause l'exécution de l'obligation essentielle de la société Orange.
En conséquence, la clause limitative de réparation apparaît régulière et est donc opposable à l'agence Perier. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 27 MARS 2025
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 21/01817 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BG5DY. ARRÊT AU FOND. Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de Marseille en date du 7 janvier 2021 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 2019F00687.
APPELANTE :
SA ORANGE
prise en la personne de ses représentants légaux, dont le siège social est sis [Adresse 3], représentée et assistée de Maître Vanessa AVERSANO, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMÉE :
SARL AGENCE PERIER GIRAUD
prise en la personne de son représentant légal, dont le siège social est sis [Adresse 1], représentée et assistée de Maître Daniel LAMBERT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Maître Pierre-Jean LAMBERT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 4 février 2025 en audience publique devant la cour composée de : Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président, Mme Claire OUGIER, Présidente de chambre, Mme Magali VINCENT, Conseillère, magistrat rapporteur, qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 mars 2025.
ARRÊT : Contradictoire, Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 mars 2025, Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Laure METGE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
La SARL Agence N. Giraud (ci-après dénommée l'agence N.) dont le siège social est situé [Adresse 2], exerce une activité de « gestion immobilière et administration d'immeubles, gérance syndic de copropriété, location, transaction et courtages. »
En 2012, elle a conclu un contrat d'abonnement professionnel internet, téléphonie et prestations informatiques diverses (hotline) avec la SA Orange pour un montant mensuel de 227,24 euros TTC. Le procès-verbal de mise en service et de réception du matériel a été signé le 26 mars 2012 après une première installation infructueuse suite à des problèmes de serveur le 17 janvier 2012.
Le 24 octobre 2016, afin d'améliorer le débit de la connexion internet de la société, l'Agence N. a souscrit avec la société Orange un nouvel abonnement internet et téléphone professionnel et par conséquent, l'installation d'un nouveau matériel.
Le matériel a été installé au cours du mois d'avril 2017 et la mise en connexion de l'équipement intervenait le 2 mai 2017.
Or, l'Agence N. s'est plaint dès le 5 mai 2017 d'avoir perdu tout accès à internet, l'accès à son outil professionnel informatique métier « ICS » ainsi que sa ligne analogique. Elle a alors adressé à la société Orange une lettre recommandée avec accusé de réception afin d'effectuer les réparations nécessaires.
Le 1er juillet 2017, l'agence N. a constaté que lui avait été supprimée son option « Gigamail » et qu'elle n'avait plus accès aux mails adressés par les clients. Le 6 juillet 2017, elle a adressé à la société Orange un nouveau courrier recommandée pour lui signaler cette suppression.
Sur saisine de l'agence N., le président du tribunal de commerce a ordonné en référé le 14 décembre 2017, une expertise judiciaire avec pour mission notamment de relever tous les dysfonctionnements de l'équipement, en déterminer l'origine, prescrire les interventions techniques et des solutions de nature à remédier, fournir tous les éléments d'appréciation quant aux responsabilités encourues et chiffrer l'ensemble des préjudices subis par la société Agence N.
L'expert judiciaire a rendu son rapport le 6 septembre 2018.
Par acte du 9 mai 2019, l'agence N. a assigné la société Orange devant le tribunal de commerce de Marseille aux fins de :
- Constater l'inexécution fautive par la société Orange de ses obligations contractuelles
- Constater l'existence des préjudices subis par la société Agence Perier Giraud
- Condamner la société Orange à payer à la société Agence N. Giraud la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des graves préjudices professionnels qu'elle a subis,
- Condamner la SA Orange à régler la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la SA Orange aux entiers dépens.
Par jugement en date du 7 janvier 2021, le tribunal de commerce de Marseille a, estimant que la société Orange n'avait pas satisfait à son obligation de moyen et d'information et à son obligation contractuelle essentielle de fourniture d'accès à Internet, condamné la société Orange à payer à l'agence N. la somme de 6.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices professionnels, outre 2.000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi que les dépens.
Par déclaration au greffe du 8 février 2021, la société Orange a interjeté appel de ladite décision.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 janvier 2025. L'affaire a été appelée à l'audience du 4 février 2025 et a été mise en délibéré au 27 mars 2025.
L'arrêt rendu sera contradictoire, conformément à l'article 467 du code de procédure civile.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Par conclusions signifiées par RPVA le 9 novembre 2021, la SA Orange demande à la cour de :
Reformer le jugement dont appel en ce que le tribunal de commerce de Marseille a :
Condamné la société Orange SA à payer à la société Agence N. Giraud SARL la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des graves préjudices professionnels qu'elle a subis et celle de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Statuer à nouveau :
A titre principal :
Débouter la société Agence N. Giraud de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, A titre subsidiaire :
Si par extraordinaire la Cour devait retenir une faute imputable à la société Orange :
Dire et juger licite et opposable à la société Agence N. Giraud la clause limitative de responsabilité insérée aux conditions générales des offres Orange,
Faire application desdites clauses,
A titre infiniment subsidiaire :
Si par extraordinaire la Cour devait considérer que l'Agence N. Giraud justifie d'un préjudice indemnisable :
Ramener à de plus justes proportions le montant de l'indemnisation,
En tout état de cause :
Condamner l'Agence N. Giraud au paiement de la somme de 2.000 euros sur fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
[*]
Par conclusions d'intimée n°2 signifiées par RPVA le 9 janvier 2025, la SA Agence N. Giraud demande à la cour de :
Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :
Jugé la clause limitative de responsabilité opposée par la société Orange réputée non écrite ;
Condamné la société Orange à payer à la société Agence N. Giraud la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens
Réformer le jugement dont appel en ce qu'il a limité l'indemnisation de la Société Agence N. Giraud à 6.000 euros,
Et statuant à nouveau
Condamner la société Orange à payer à la société Agence N. Giraud la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des graves préjudices professionnels qu'el1e a subis.
Débouter la Société Orange de toutes ses demandes, fins et conclusions.
Confirmer le jugement dont appel en toutes ses autres dispositions,
Y ajoutant :
Condamner la société Orange à payer a la Société Agence N. Giraud une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
Condamner la société Orange aux dépens.
[*]
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est fait renvoi aux dernières écritures déposées pour l'exposé des moyens des parties.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la responsabilité contractuelle de la société Orange :
L'agence N. Giraud, au visa des articles 1231 ‘1, 1112-1 du Code civil, fait valoir que le vendeur professionnel, comme le prestataire de services, est tenu d'une obligation générale d'information et de conseil à l'égard de son client. Ainsi, la société Orange avait l'obligation de conseiller son client sur l'adéquation des produits et prestations qu'elle vendait aux besoins et contraintes de l'agence. Or, elle soutient que la solution proposée par Orange a été inadaptée à ses besoins et mal exécutée. Elle lui reproche de ne pas l'avoir informée des modifications qui allaient intervenir sur son réseau pour qu'elle puisse le cas échéant prendre ses dispositions et adapter son installation. Elle lui reproche ainsi plusieurs dysfonctionnements.
Tout d'abord, l'installation a entraîné une coupure de service et elle a perdu son accès internet et l'accès à son logiciel métier « ICS ». La société Orange a ainsi manqué à son obligation de maintien de service et n'a pas mis en 'uvre dans un délai raisonnable la solution technique palliative. Elle ne l'a pas non plus informée des modifications qui allaient intervenir sur son réseau pour qu'elle prenne ses dispositions.
Par ailleurs, l'agence N. indique que sa ligne fax a été résiliée pendant 62 jours, ce que la société Orange a reconnu devant l'expert, et qu'elle a perdu ses adresses e-mail historiques du fait de la résiliation de l'option Gigamail et du rétablissement du fax en juillet 2017, la messagerie électronique ayant été écrasée.
En outre, elle relève que la société Orange lui a fait souscrire unilatéralement plusieurs contrats qui ne correspondaient pas à l'abonnement initial, sans recueillir son consentement et sans l'en informer.
Se fondant sur les conclusions expertales, elle soutient que la société Orange a résilié tardivement l'abonnement Optimale Pro par rapport à sa demande, en l'espèce 48 jours au lieu des 7 jours demandés.
Enfin, elle relève que pour récupérer la ligne fax, la société Orange a réduit le débit théorique sur la ligne ADSL.
La société Orange quant à elle, soutient qu'elle n'a commis aucune faute contractuelle.
Elle indique tout d'abord, qu'elle n'a aucunement manqué à son obligation essentielle de téléphonie et accès internet, puisque l'agence Perier Giraud n'a subi aucune coupure d'internet, encore moins de téléphonie et que les prestations ont été fournies conformément aux contrats souscrits. Elle soutient que le dysfonctionnement de l'extranet de l'Agence N. Giraud et l'insuffisance de stockage des courriels via son logiciel professionnel ICS ne lui est pas imputable et relève de la responsabilité exclusive de l'Agence N. Giraud et de son prestataire informatique. A ce titre, elle indique qu'elle n'a pas manqué à son obligation d'information puisqu'elle a fourni les informations et moyens nécessaires au raccordement de l'extranet sur l'accès internet fourni par elle.
Par ailleurs, elle relève que conformément au bon de commande BIV, l'offre optimale pro a été résiliée le 19 juin 2017 et qu'elle a tout mis en 'uvre pour assurer la continuité des services, en maintenant la connexion ADSL et les identifiants et adresses mails. Il appartenait à la société Agence N. de procéder à la migration de sa messagerie.
En outre, elle soutient que l'agence N. était informée que la résiliation du contrat Optimal pro aurait pour conséquence l'arrêt du service Gigamail et qu'elle a rétabli la ligne fax et option Giga mail, sans que l'agence ne subisse de préjudice.
Enfin, elle relève qu'il n'est pas démontré que le débit obtenu lors de la récupération de la ligne fax comme ligne support de la solution internet Pro Solo ne serait pas conforme au contrat ou insuffisant pour permettre l'acheminement des communications téléphoniques, des communications par télécopie et des communications de données à des débits suffisant pour permettre l'accès à internet.
Selon l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
Selon l'article 1112-1 du même code, celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants.
En l'espèce, l'agence N. a souscrit auprès de la société Orange un contrat d'abonnement professionnel multiligne le 9 mars 2012, puis un abonnement Internet et téléphone professionnel le 10 novembre 2016 intitulé « forfait intégration BIV ». L'installation du matériel a été faite courant avril 2017 et la mise en connexion serait intervenue le 2 mai 2017. Aucun procès-verbal d'installation n'est produit aux débats ou même à l'expertise, l'expert relevant que malgré ses demandes à la société Orange, il ne dispose pas de la proposition commerciale et du procès-verbal de réception et de mise en service. Toutefois, ces dates ne sont pas contestées par les parties.
Le jour même de la mise en service, l'agence N. Giraud expliquait avoir perdu son accès à Internet et à son outil professionnel informatique ICS. Elle a alors fait constater ces dysfonctionnements par divers procès-verbaux de constat d'huissier, qui ne sont pas produits aux débats mais qui ont été consultés par l'expert judiciaire. Ce dernier relève ainsi, que le procès-verbal de constat du 26 juin 2017 note que l'agence peut plus recevoir de fax par sa ligne analogique et que la consultation par les clients de l'agence de leur dossier via le logiciel ICS ne fonctionne pas.
Concernant l'origine de ce dysfonctionnement, l'expert relève que la société Orange a admis lors des opérations d'expertise, que suite à une erreur d'exécution de la commande au moment de l'installation de la solution BIV, cette ligne avait été résiliée. Il est dès lors établi que l'interruption de la ligne de fax est imputable à la société Orange qui a d'ailleurs reconnu qu'elle avait duré du 5 mai au 6 juillet 2017, soit 62 jours.
Concernant l'indisponibilité de la consultation des dossiers par les clients, l'expert relève qu'elle résultait de l'impossibilité pour ICS de réaliser en amont les paramétrages nécessaires au bon fonctionnement de l'extranet, du fait de l'absence de communication préalable par la société Orange de la future adresse IP public de la Livebox et de la fourniture en amont de la Livebox pour un paramétrage. Il précise ainsi que s'il appartenait effectivement à l'Agence N. de demander à son installateur informatique de réaliser en amont les éventuelles modifications sur son réseau, il lui était impossible de le faire en l'absence des équipements fournis par la société Orange et par les codes d'accès afférents. Il en conclut ainsi que cette façon de procéder imposée par la société Orange impliquait donc obligatoirement une coupure de service. Il est donc là-aussi établi que cette coupure de service est entièrement imputable à la société Orange qui a manqué à son obligation d'information.
Concernant la résiliation de l'offre Optimale pro incluant l'option Gigamail, l'expert relève qu'aucune pièce ne rapporte la preuve que la société Orange a préalablement informé son client que la résiliation du contrat aurait pour conséquence l'arrêt du service gigamail. À l'inverse, l'expert relève que la mention « maintien des identifiants » laisse sous-entendre que le service mails continuerait à fonctionner. En effet, la société Orange ne peut soutenir que la fiche de résiliation signée par l'agence N. suffisait à l'informer de la suppression de l'option gigamail, dès lors que si elle indiquait « je souhaite qu'Orange business services prenne en charge la résiliation des produits identifiés (paragraphe 4) », force est de constater que dans le paragraphe 4 aucune option n'est mentionnée et qu'à l'inverse il est indiqué de manière manuscrite « optimal à passer en maintien des identifiants ». Or, cette interruption a perduré pendant 39 jours avant que la société Orange n'intervienne.
Pour les mêmes motifs, l'agence Perrier n'était pas informée qu'elle perdrait toutes ses adresses emails historiques, l'expert relevant que les allégations de la société Orange selon lesquelles l'agence N. ne pouvait ignorer que le service BIV entraînait la création de nouveaux comptes de messagerie et qu'il lui appartenait de procéder à la migration de celle-ci, via son prestataire, ne sont pas démontrées.
La société Orange a donc manifestement manqué à son obligation d'information à l'égard de son cocontractant.
Concernant la diminution du débit contestée par la SA Orange, elle est pourtant prouvée par l'expert qui conclut que « la récupération de la ligne fax comme ligne support de la solution pro solo a bien diminué le volume de facturation, mais a réduit du même coup le débit théorique disponible sur la ligne ADSL. En effet, la lignée est passée d'un dégroupage complet à un dégroupage partiel ».
Concernant la souscription unilatérale de contrat d'abonnement, l'expert relève en effet qu'en l'absence d'éléments relatifs aux échanges entre les parties concernant les contrats Pro solo et Pro présence malgré ses diverses relances, il pourrait en être conclu que ces contrats ont été souscrits unilatéralement par la société Orange afin de remédier au cas par cas aux difficultés rencontrées par l'agence N. du fait du déploiement de la solution BIV. Toutefois, outre l'absence d'éléments le corroborant, l'agence N. n'explique pas en quoi cela a pu lui porter préjudice. Il en est de même pour la résiliation tardive de l'abonnement Optimale pro.
Il résulte ainsi, de l'ensemble de ces éléments que la société Orange a effectivement manqué à ses obligations contractuelles d'information à l'égard de l'agence N. Giraud et en n'assurant pas la continuité du service, les dysfonctionnements de l'installation lui étant entièrement imputables, et ce, pendant des durées relativement longues. Elle engage donc sa responsabilité à l'égard de l'intimée et elle est donc tenue de l'indemniser de ses préjudices.
Sur l'indemnisation des préjudices subis :
Sur la clause limitative de responsabilité :
La société Orange fait valoir que l'indemnisation sollicitée se heurte à l'application de la clause limitative de responsabilité prévue dans le contrat BIV (article 14) et opposable à l'agence N..
Cette dernière soutient que la société Orange n'a pas interjeté appel de la disposition du jugement ayant jugé que cette clause était réputée non écrite et qu'ainsi elle ne peut être remise en question.
La société Orange argue qu'elle est recevable à invoquer celle-ci car il s'agit d'un moyen de défense qu'elle avait soulevée en première instance et qui a été écarté par le tribunal de commerce, alors qu'elle a fait appel sur l'ensemble des chefs de jugement.
En l'espèce, la déclaration d'appel de la société Orange vise notamment comme chefs de jugement critiqués, sa condamnation à payer à la société Agence Perier Giraud la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des graves préjudices professionnels qu'elle a subis. Il apparaît comme le soutient la société Orange qu'elle avait développé en première instance comme moyen de défense, cette clause limitative de responsabilité. En la condamnant au paiement d'une indemnisation, le premier jugement a rejeté implicitement ce moyen, puisqu'elle n'en a pas fait mention dans le dispositif. Dès lors, la société Orange est recevable à soulever de nouveau ce moyen à l'appui de son appel portant sur le montant de son indemnisation.
La société Orange invoque ainsi l'article 14 des conditions générales du contrat Business service qui dispose « Au regard de l'équilibre économique du Contrat, les parties conviennent de ce qui suit.
14.1 La responsabilité de l'une ou l'autre des parties ne pourra être engagée, quels que soient le fondement et la nature de l'action, qu'en cas de faute prouvée de sa part ayant causé un préjudice personnel, direct et certain à l'autre partie. Les parties conviennent expressément que la typologie suivante de dommages et/ou préjudices ne pourra donner lieu à indemnisation, que ces derniers aient été raisonnablement prévisibles ou non : manque à gagner, perte de chiffre d'affaires, perte de clientèle, atteinte à l'image et perte de données. »
« Le montant cumulé des dommages et intérêts susceptibles d'être dus par une partie à l'autre partie dans le cadre du contrat ne pourra pas excéder :
- par événement et par Service concerné, le montant facturé pour ce service sur les 6 derniers mois précédant la survenance de l'événement ayant engendré le préjudice
- Par année civile, tous événements confondus et par Service concerné : le montant facturé au titre des 12 derniers mois de Service. »
Les développements de l'agence N. selon lesquels la clause du document intitulé « Ann Business internet voix série 2 ‘édition janvier 2017 » ne lui est pas opposable, sont sans objets dès lors qu'ils ne concernent pas la clause invoquée par l'appelant tirée de l'article 14.
Concernant celle-ci, l'agence N. au visa des articles 1170 et 1171 du Code civil, soutient que l'application de la clause limitative d'indemnisation reviendrait à exonérer la société Orange de toute responsabilité et viderait de sa substance des obligations qu'elle a souscrites. Elle doit donc être réputée non écrite car elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Elle argue en outre, de l'article R212-1 du code de la consommation relatif aux clauses abusives.
La société Orange soutient que cette clause est licite conformément à l'arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2010, qui admet la licéité de ce type de clause dès lors qu'elle n'a pas pour effet de vider de toute substance l'obligation essentielle incombant au cocontractant.
Elle précise que l'agence N. à la qualité de professionnel, et que les dispositions de l'article L 132 ‘1 du code de la consommation ne s'applique donc pas, puisque le contrat a été formé entre professionnels. La clause limitative d'indemnisation est donc opposable.
Selon l'article 1170 du code civil, toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite.
L'article 1171 du même code dispose que dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.
Il a été jugé qu'est seule réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur (Cass., Com 29 juin 2010, n° 09-11.841)
En l'espèce, il est exact que les dispositions du code de la consommation évoquées par l'agence N. ne peuvent s'appliquer en présence de deux professionnels.
Tout d'abord, le fait que la clause litigieuse subordonne la mise en jeu de la responsabilité des cocontractants à une faute prouvée n'apparaît pas créer un déséquilibre significatif dès lors qu'elle n'empêche pas la mise en 'uvre de la responsabilité et qu'un manquement à une obligation contractuelle suffit à caractériser une faute.
Par ailleurs, la clause invoquée par la société Orange est une clause limitative de réparation puisqu'elle prévoit l'absence d'indemnisation de la part des cocontractants pour les préjudices indirects et ceux pouvant être qualifiés « d'immatériels », tels que le manque à gagner, la perte de clientèle, l'atteinte à l'image et la perte de données. Cette limitation qui ne concerne que certains préjudices limitativement énumérés, ne suffit pas à elle-seule à vider de toute substance l'obligation essentielle de la société Orange résultant du contrat souscrit, dès lors qu'elle est toujours susceptible d'indemniser les préjudices directs matériels, mais aussi de jouissance résultant de l'inexécution du contrat. Il en est de même du second alinéa de l'article 14.1 qui n'apporte qu'une limitation du quantum de l'indemnisation et ne remet pas en cause l'exécution de l'obligation essentielle de la société Orange.
En conséquence, la clause limitative de réparation apparaît régulière et est donc opposable à l'agence Perier.
Sur le quantum :
Au soutien de sa demande indemnitaire forfaitaire, l'agence N. fait valoir qu'elle n'a plus eu accès à ces comptes e-mails pendant 39 jours, qu'elle a subi la résiliation de sa ligne téléphonique historique, qu'elle a été privée de sa ligne de télécopie pendant 62 jours et de tout accès à son logiciel métier. Son organisation a donc été paralysée et il en est résulté un préjudice d'image.
La société Orange fait valoir que le demandeur ne peut être indemnisé que du préjudice effectivement subi, et que le lien de causalité avec la faute ne peut être présumé. Or elle soutient que le préjudice subi par l'agence N. n'est pas caractérisé, celle-ci ne produisant aucune pièce justificative à l'appui de sa demande et que la somme réclamée a été fixée de manière arbitraire et forfaitaire.
En l'espèce, eu égard à la clause limitative de responsabilité, le préjudice d'atteinte à l'image et d'éventuelle perte de clientèle ne peut être indemnisé.
A l'inverse, la coupure de service du fax et de l'accès au logiciel métier, la résiliation de la ligne téléphonique historique, et la perte d'accès à ses mails n'a pu que de manière indéniable désorganiser voire paralyser l'activité de l'agence et ce, pendant plusieurs mois. Les attestations des clients de l'agence produites établissent ces difficultés pendant la période d'avril à décembre 2017.
Aucune des parties n'a jugé utile d'indiquer le montant facturé pour les services concernés pendant cette période. Il n'est en effet produit qu'une seule facture du 2 juin 2017 mais qui ne concerne pas l'offre BIV. Néanmoins, le bon de commande de l'offre BIV mentionne une formule avec options d'un montant mensuel de 255,80 euros HT.
Ainsi, au vu des attestations produites, des dysfonctionnements qui ont perduré d'avril à décembre 2017 et de la clause limitative, le préjudice subi par l'agence N. devra être fixé à la somme de 2.300 euros. La société Orange sera donc condamnée au paiement de cette somme et le jugement sera donc infirmé quant au quantum de la condamnation.
Sur les demandes annexes :
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.
Les dépens d'appel seront mis à la charge de la SA Orange.
La SA Orange sera donc condamnée à payer à l'agence N. la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 7 janvier 2021 sauf en ce qu'il a condamné la SA Orange à payer à la SARL Agence N. Giraud la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Statuant à nouveau,
Condamne la SA Orange à payer à la SARL agence N. Giraud la somme de 2.300 euros à titre de dommages-intérêts ;
Y ajoutant,
Condamne la SA Orange à payer à la SARL agence N. Giraud la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la SA Orange aux entiers dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT