CA CHAMBÉRY (ch. civ. 1re sect.), 18 mars 2025
- T. com Chambéry, 13 octobre 2021
CERCLAB - DOCUMENT N° 23690
CA CHAMBÉRY (ch. civ. 1re sect.), 18 mars 2025 : RG n° 21/02384
Publication : Judilibre
Extrait : « L'alinéa 2 de l'article 1110 nouveau du code civil définit le contrat d'adhésion comme celui « dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties ». L'article 1171 du même code prévoit « Dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.
L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation. »
En l'espèce, la société Métinox se contente de procéder par voie d'affirmation pour établir que la clause de cession de créance au bénéfice de son propre fournisseur et portant sur les livraisons à son client est abusive. Or, tout intermédiaire se doit de payer son fournisseur, et la cession de créance est un moyen de paiement valide qui ne créée pas un déséquilibre significatif au détriment de l'intermédiaire, pour lequel un paiement était prévu au point 4 (montant égal à 40 eur/t). »
COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE CIVILE PREMIÈRE SECTION
ARRÊT DU 18 MARS 2025
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 21/02384. N° Portalis DBVY-V-B7F-G3XL. Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Commerce de CHAMBÉRY en date du 13 octobre 2021.
Appelante :
Société V. TRADE INTERNATIONAL
dont le siège social est situé [Adresse 5], Représentée par la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBÉRY, avocats postulants au barreau de CHAMBÉRY, Représentée par l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocats plaidants au barreau de PARIS
Intimées :
SAS METINOX HOLDING
dont le siège social est situé [Adresse 2], Représentée par Maître Damien DEGRANGE, avocat postulant au barreau de CHAMBÉRY, Représentée par la SAS OLLYNS, avocats plaidants au barreau de PARIS
SA UGITECH
dont le siège social est situé [Adresse 3], Représentée par Maître Clarisse DORMEVAL, avocat postulant au barreau de CHAMBÉRY, Représentée par Maître Flore FOYATIER, avocat plaidant au barreau de LYON
Date de l'ordonnance de clôture : 1er octobre 2024
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 3 décembre 2024
Date de mise à disposition : 18 mars 2025
Composition de la cour : - Mme Myriam REAIDY, Conseillère, en remplacement de Mme Hélène PIRAT, Présidente régulièrement empêchée, - M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller, - Madame Inès REAL DEL SARTE, Magistrate honoraire,
avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Faits et procédure :
La société Ugitech a pour activité la production et la vente d'une large gamme de produits longs en acier inoxydable.
La société V. Trade International, société de droit tchèque, entretenant des liens avec la société italienne Qmetal, a pour activité la vente de métaux issus du recyclage.
La société Métinox Industrie a été l'un des fournisseurs de chutes de métaux de recyclage de la société Ugitech de 2005 à 2019. Le 29 avril 2019, elle a conclu avec la société V. Trade International un contrat de fourniture exclusive de métaux.
Le contrat prévoyait au profit de la société V. Trade International une cession des créances détenues par la société Métinox Industrie sur la société Ugitech.
Par acte d'huissier du 27 février 2020, la société V. Trade International a assigné la société Ugitech devant le tribunal de commerce de Chambéry, notamment aux fins d'obtenir le paiement à titre de provision de la somme de 3 276 498,12 euros au titre de l'acte de cession de créances entre la société Métinox Industrie et elle.
Suite à un apport partiel d'actif, la société Métinox Holding est venue aux droits de la société Métinox Industrie.
Par ordonnance du 18 septembre 2020, le président du tribunal de commerce de Chambéry s'est déclaré matériellement et territorialement compétent et a :
- Rejeté l'exception de nullité présentée par la société Métinox Holding ;
- Rejeté la demande de sursis à statuer présentée par la société Métinox Holding ;
- Rejeté la demande de versement d'une provision formulée par la société V. Trade International au motif qu'il existait une contestation sérieuse sur l'opposabilité de l'acte de cession de créance envers la société Ugitech ;
- Renvoyé l'affaire au fond devant le tribunal de commerce de Chambéry à l'audience de mise en état du 23 octobre 2020.
Par jugement du 13 octobre 2021, le tribunal de commerce de Chambéry a :
- Rejeté la demande de sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale initiée par la société Métinox Holding le 12 avril 2021 devant le tribunal judiciaire de Saint-Etienne ;
- Rejeté la demande de la société Métinox Holding aux fins que soit prononcée la nullité du contrat de fourniture et son annexe du 29 avril 2019, comprenant la cession de créances conclue entre la société Métinox Holding dont elle vient aux droits et la société V. Trade International ;
- Fait droit à l'exception de connexité soulevée par la société la société V. Trade International à l'encontre de la demande de la société Métinox Holding tendant à obtenir la condamnation de la société V. Trade International à payer la somme de 3 540 050,20 euros en réparation du préjudice résultant prétendument de la rupture de sa relation avec la société Ugitech ;
- En conséquence, ordonnant une disjonction d'instance, se dessaisit de la demande de la société Métinox Holding tendant à obtenir la condamnation de la société V. Trade International à lui payer la somme de 3 540 050,20 euros en réparation du préjudice résultant prétendument de la rupture de sa relation avec la société Ugitech, et renvoie l'examen de cette demande devant le tribunal de commerce de Lyon ;
- Dit qu'à défaut d'appel sur ce dernier point le greffier procédera à la transmission de cette partie de l'instance au greffe du tribunal de commerce de Lyon ;
- Dit qu'il appartiendra à la société V. Trade International et à la société Métinox Holding d'en informer le greffe du tribunal de commerce de Chambéry ;
- Dit et jugé que l'acte de cession de créance est illicite dès lors qu'il a été consenti à titre de garantie ;
- Dit et jugé en conséquence que l'acte de cession de créance doit être requalifié en nantissement de créance ;
- Dit et jugé que ce nantissement de créance n'ayant pas été notifié à la société Ugitech qui n'était pas non plus partie à l'acte, doit être considéré comme inopposable à la société Ugitech en application de l'article 2362 du code civil ;
- Dit et jugé en conséquence que la société Métinox Holding pouvait valablement recevoir les paiements effectués par la société Ugitech en juillet et août 2019 pour un montant de 3 276 498, 12 euros, et que les règlements correspondants doivent être considérés comme libératoires des créances correspondantes ;
- Condamné la société Ugitech à payer, en deniers ou quittances valables à la société Métinox Holding la somme de 304 665,27 euros montant de la cause sus-énoncée ;
- Autorisé la société Ugitech à mettre sous séquestre cette somme dans l'attente d'une décision de justice définitive, non susceptible d'un recours et ayant autorité de la chose jugée ;
- Condamné in solidum la société V. Trade International et la société Métinox Holding à payer à la SA Ugitech, la somme de 20 000 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société V. Trade International aux dépens sous réserve de ceux qui seront engagés pour le recouvrement des sommes visées au présent jugement et qui seront à la charge des sociétés débitrices de ces sommes ;
- Liquidé les frais de greffe à la somme de 94,34 euros TTC avec TVA = 20 comprenant les frais de mise au rôle et de la présente décision ;
- Rejeté toutes autres demandes.
Au visa principalement des motifs suivants :
Les actes de violence invoqués par la société Métinox Holding n'étant nullement démontrés, de même que le déséquilibre invoqué par la société Métinox Holding au niveau des contreparties à son profit dans le contrat de fourniture signé entre elle-même et la société V. Trade International n'étant nullement démontré, il n'y a pas lieu d' ordonner le sursis à statuer, jusqu'au prononcé définitif sur l'action publique ni de prononcer la nullité dudit contrat, ou de juger la clause de cession de créances comme réputée non écrite ;
Au terme de ses prétentions, la société Métinox Holding demande au tribunal de condamner la société V. Trade International à lui payer la somme de 3 540 050,20 euros en réparation des préjudices financiers résultant de la perte de son unique client la société Ugitech, or la société Métinox Holding a préalablement saisi le tribunal de commerce de Lyon d'une action visant à être indemnisée par la société Ugitech des conséquences de la rupture brutale par cette dernière de leur relation commerciale qu'elle évalue à 2 360 033,47 euros, les deux demandes présentent un lien étroit et qu'il est de l'intérêt d'une bonne justice de les juger ensemble ;
La demande d'indemnisation formulée par la société Métinox Holding est indépendante du litige relatif à la cession de créances entre la société Métinox Holding et la société V. Trade International pour lequel la société V. Trade International demande principalement que le tribunal reconnaisse l'opposabilité de cette cession à la société Ugitech ;
Il y a lieu de requalifier l'acte de cession de créances objet du présent litige en nantissement de créances ;
Les mails des 26 et 29 avril 2019 ne peuvent être considérés comme valant notification de l'acte à la société Ugitech ;
Le contrat du 29 avril 2019 ainsi que son annexe démontrent que la société Ugitech n'a pas participé à l'acte ;
La société Métinox Holding pouvait valablement recevoir les paiements effectués par la société Ugitech en juillet et août 2019 en raison de l'inopposabilité de l'acte de cession de créance requalifié en acte de nantissement ;
Seule une décision de justice définitive non susceptible d'un recours et ayant autorité de la chose jugée, permettra de déterminer le véritable créancier de la facture du 30 juillet 2019.
[*]
Par déclaration au greffe du 10 décembre 2021, la société V. Trade International a interjeté appel de la décision en ce qu'elle a :
- Dit et jugé que l'acte de cession de créance est illicite dès lors qu'il a été consenti à titre de garantie ;
- Dit et jugé en conséquence que l'acte de cession de créance doit être requalifié en nantissement de créance ;
- Dit et jugé que ce nantissement de créance n'ayant pas été notifié à la société Ugitech qui n'était pas non plus partie à l'acte, doit être considéré comme inopposable à la société Ugitech en application de l'article 2362 du code civil ;
- Dit et jugé en conséquence que la société Métinox Holding pouvait valablement recevoir les paiements effectués par la société Ugitech en juillet et août 2019 pour un montant de 3 276 498, 12 euros, et que les règlements correspondants doivent être considérés comme libératoires des créances correspondantes ;
- Condamné la société Ugitech à payer, en deniers ou quittances valables à la société Métinox Holding la somme de 304 665,27 euros montant de la cause sus-énoncée ;
- Condamné in solidum la société V. Trade International et la société Métinox Holding à payer à la SA Ugitech, la somme de 20 000 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société V. Trade International aux dépens sous réserve de ceux qui seront engagés pour le recouvrement des sommes visées au présent jugement et qui seront à la charge des sociétés débitrices de ces sommes.
[*]
Par déclaration au greffe du 29 décembre 2021, la société Métinox Holding a interjeté appel de la décision en ce qu'elle a :
- Rejeté la demande de sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale initiée par la société Métinox Holding le 12 avril 2021 devant le tribunal judiciaire de Saint-Etienne ;
- Rejeté la demande de la société Métinox Holding aux fins que soit prononcée la nullité du contrat de fourniture et son annexe du 29 avril 2019, comprenant la cession de créances conclue entre la société Métinox Holding dont elle vient aux droits et la société V. Trade International ;
- Fait droit à l'exception de connexité soulevée par la société la société V. Trade International à l'encontre de la demande de la société Métinox Holding tendant à obtenir la condamnation de la société V. Trade International à payer la somme de 3 540 050,20 euros en réparation du préjudice résultant prétendument de fa rupture de sa relation avec la société Ugitech ;
- En conséquence, ordonnant une disjonction d'instance, se dessaisit de la demande de la société Métinox Holding tendant à obtenir la condamnation de la société V. Trade International à lui payer la somme de 3 540 050,20 euros en réparation du préjudice résultant prétendument de la rupture de sa relation avec la société Ugitech, et renvoie l'examen de cette demande devant le tribunal de commerce de Lyon ;
- Dit qu'à défaut d'appel sur ce dernier point le greffier procédera à la transmission de cette partie de l'instance au greffe du tribunal de commerce de Lyon ;
- Dit qu'il appartiendra à la société V. Trade International et à la société Métinox Holding d'en informer le greffe du tribunal de commerce de Chambéry ;
- Autorisé la société Ugitech à mettre sous séquestre cette somme dans l'attente d'une décision de justice définitive, non susceptible d'un recours et ayant autorité de la chose jugée ;
- Condamné in solidum la société V. Trade International et la société Métinox Holding à payer à la SA Ugitech, la somme de 20 000 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile.
[*]
Par décision du 1er décembre 2022, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Chambéry a prononcé la jonction des instances sous le seul n° RG 21/2384.
Prétentions et moyens des parties :
Par dernières écritures du 30 septembre 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Métinox Holding sollicite l'infirmation des chefs critiqués de la décision et demande à la cour de :
Statuant à nouveau,
Sur le sursis à statuer,
- Juger que la procédure pénale qu'il a introduite par sa plainte avec constitution de partie civile pour extorsion déposée auprès du juge d'instruction du tribunal judiciaire de Saint-Etienne le 12 avril 2021 aura une incidence sur la présente instance ;
- Juger qu'il est d'une bonne administration de la justice de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de ladite procédure pénale ;
En conséquence,
- Ordonner le sursis à statuer de la présente instance dans l'attente de l'issue de la procédure pénale en cours initiée à la suite de la plainte avec constitution de partie civile pour extorsion qu'elle a déposée auprès du juge d'instruction du tribunal judiciaire de Saint-Etienne le 12 avril 2021 et enregistrée le 26 avril 2021 ;
Sur l'exception de connexité soulevée par la société V. Trade International
- Débouter la société V. Trade International de sa demande d'exception de connexité à l'encontre de sa demande de paiement pour un montant de 3 540 050,20 euros ;
Sur la demande de paiement formée par la société V. Trade International à son encontre,
- Juger irrecevable la demande nouvelle formée par la société V. Trade International visant à solliciter sa condamnation « à payer à la société V. Trade International la somme de 3 464 574,78 euros », en application de l'article 564 du code de procédure civile ;
En toute hypothèse,
- Juger que les actes de violence de la société V. Trade International ont vicié le consentement de la société Métinox Holding dans le cadre de la conclusion du « contrat de fourniture » et son annexe du 29 avril 2019 entre la société V. Trade International et elle en application des articles 1140 et 1143 du code civil ;
- Juger que les contreparties à son profit au titre du « contrat de fourniture » et son annexe du 29 avril 2019 entre la société V. Trade International et elle sont dérisoires en application de l'article 1169 du code civil ;
En conséquence,
- Juger que le « contrat de fourniture » et son annexe du 29 avril 2019 conclus avec la société V. Trade International sont nuls ;
- Débouter la société V. Trade International et la société Ugitech de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions à son encontre ;
A titre subsidiaire,
- Juger que la clause de l'annexe du « contrat de fourniture » du 29 avril 2019 stipulant la cession définitive et irrévocable par elle de « toutes les créances envers Ugitech » créée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat en application de l'article 1171 du code civil ;
En conséquence,
- Juger réputée non écrite la clause de l'annexe du « contrat de fourniture » du 29 avril 2019 stipulant la cession définitive et irrévocable par elle de « toutes les créances envers Ugitech »,
- Débouter la société V. Trade International et la société Ugitech de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions à son encontre ;
En toute hypothèse et en conséquence,
- Débouter la société V. Trade International et la société Ugitech de leurs demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires ;
- Condamner la société Ugitech à lui payer la facture n°19/055 d'un montant de 304 665,27 euros ;
- Condamner la société V. Trade International à lui payer la somme de 3 540 050,20 euros en réparation des préjudices financiers résultant de la perte de son unique client la société Ugitech ;
- Condamner la société V. Trade International à lui payer la somme de 300 000 euros en réparation du préjudice moral subi ;
- Condamner respectivement la société V. Trade International et la société Ugitech à lui payer chacune la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société V. Trade International et la société Ugitech aux entiers dépens de l'instance.
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Par dernières écritures du 2 septembre 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société V. Trade International sollicite l'infirmation des chefs critiqués de la décision et demande à la cour de :
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- Dire et juger que la cession de créances est opposable à Ugitech ;
- Dire et juger que les créances sur Ugitech au titre des livraisons de matériaux réalisées entre le 6 mai et le 26 juillet 2019 à destination d'Ugitech sont établies ;
- Condamner la société Ugitech à lui payer la somme de 3 581 163,39 euros ;
- Condamner la société Ugitech à lui payer les intérêts légaux de retard échus depuis la mise en demeure du 20 décembre 2019 ;
- Assortir cette condamnation en paiement d'Ugitech d'une astreinte de 500 euros par jour de retard à de la signification de l'arrêt à intervenir ;
- Se réserver le droit de liquider cette astreinte ;
A titre subsidiaire,
- Juger irrecevable la demande de la société Métinox Holding tendant à ce que soient jugés irrecevables ses prétentions subsidiaires à l'encontre de de la société Métinox Holding;
- Juger recevable ses prétentions subsidiaires formées à l'encontre de la société Métinox Holding ;
- Condamner la société Métinox Holding à lui payer la somme de 3 464 574,78 euros ;
En tout état de cause,
- Rejeter les conclusions récapitulatives n°2 de la société Métinox Holding signifiées le 8 avril 2024 dès lors qu'elles n'ont pas été communiqués en temps utiles ;
- Débouter la société Ugitech de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- Dire et juger que la Cour n'a pas le pouvoir juridictionnel pour statuer sur la demande de sursis à statuer formée par la société Métinox Holding dès lors que cette demande constitue une exception de procédure qui aurait dû être formée avant toute défense au fond par conclusions devant le conseil de la mise en état ;
- Juger irrecevable la demande de sursis à statuer formée par la société Métinox Holding;
- Débouter la société Métinox Holding de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions;
- Condamner solidairement les sociétés Ugitech et Métinox Holding à lui verser la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
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Par dernières écritures du 27 septembre 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Ugitech demande à la cour de :
- Rectifier le jugement du 13 octobre 2021 du tribunal de commerce de Chambéry en ce qu'il a omis de prononcer, dans son dispositif, la nullité de l'acte de nantissement de créance du 29 avril 2019 ;
- Confirmer le jugement rectifié du 13 octobre 2021 du tribunal de commerce de Chambéry en ce qu'il a :
- Rejeté la demande de sursis à statuer formulée par la société Métinox ;
- Requalifié l'acte de cession de créance du 29 avril 2019 en nantissement de créance,
- Déclaré nul l'acte de nantissement de créance du 29 avril 2019,
- Jugé que l'acte de nantissement du 29 avril 2019 n'a pas été notifié à la société Ugitech et lui est inopposable,
- Autorisé la société Ugitech à mettre sous séquestre la somme de 304 665,27 euros au titre de la dernière facture 19/055 émise par la société Métinox Industrie dans l'attente d'une décision de justice définitive, non susceptible d'un recours et ayant autorité de la chose jugée,
- Condamné in solidum la société V. Trade International et la société Métinox Holding à payer à la société Ugitech la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Y ajoutant,
- Prononcer en tant que de besoin la nullité de l'acte de nantissement en date du 29 avril 2019 ;
- Débouter la société V. Trade International et la société Métinox Holding de toutes leurs demandes, plus amples ou contraires ;
- Condamner solidairement la société V. Trade International et la société Métinox Holding à lui payer la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;
A titre subsidiaire, si la cour infirme le jugement dont appel et ne requalifie pas l'acte en nantissement de créance, il lui est demandé de :
- Prononcer l'irrégularité et l'inopposabilité à la société Ugitech à défaut de consentement de cette dernière de l'acte de cession de créance invoqué par la société V. Trade International ;
- Débouter la société V. Trade International de l'ensemble de ses demandes puisque la créance dont il est réclamé le paiement a déjà été payée entre les mains de la société Métinox Industrie à hauteur de 3 276 498,12 euros et qu'elle ne saurait donc lui être à nouveau réclamée ;
A titre très subsidiaire, si la Cour déclare que l'acte de cession de créance lui a été notifié par emails des 26 et 29 avril 2019 de la société Métinox :
- Débouter la société V. Trade International de l'ensemble de ses demandes puisqu'au moment du paiement des créances litigieuses la société Métinox Industrie avait la qualité de créancier apparent ;
A titre infiniment subsidiaire, si la Cour la condamne à payer à la société V. Trade International la somme de 3 581 163,39 euros :
- Condamner la société Métinox Holding à lui payer la somme de 3 276 498,12 euros qu'elle a indument perçue ;
- L'autoriser à mettre sous séquestre toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre, dans l'attente d'une décision définitive, non susceptible de recours, et ayant autorité de la chose jugée ;
- Débouter la société Métinox Holding de sa demande en paiement de la somme de 304 665,27 euros ;
En tout état de cause,
- Débouter la société V. Trade International et la société Métinox Holding de l'ensemble de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- Statuer ce que de droit sur le paiement de la facture 19/055 d'un montant de 304 665,27 euros ;
- L'autoriser à mettre sous séquestre toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre, dans l'attente d'une décision définitive, non susceptible de recours, et ayant autorité de la chose jugée ;
- Condamner solidairement la société V. Trade International et la société Métinox Holding à lui payer la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens avec pour ceux d'appel en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Dormeval, avocat.
[*]
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance du 1er octobre 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. Une ordonnance a révoqué l'ordonnance de clôture et fixé la clôture au 3 décembre 2024. L'affaire a été plaidée à l'audience du 3 décembre 2024.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS ET DÉCISION :
I - Sur le sursis à statuer :
1°) Recevabilité devant la cour :
L'article 907 du code de procédure civile prévoit 'A moins qu'il ne soit fait application de l'article 905, l'affaire est instruite sous le contrôle d'un magistrat de la chambre à laquelle elle est distribuée, dans les conditions prévues par les articles 763 à 787 et sous réserve des dispositions qui suivent.'
L'article 789 du même code prévoit 'Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :
1° Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l'article 47 et les incidents mettant fin à l'instance ;
Les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu'ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge ;
2° Allouer une provision pour le procès ;
3° Accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l'exécution de sa décision à la constitution d'une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5,517 et 518 à 522 ;
4° Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l'exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d'un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ;
5° Ordonner, même d'office, toute mesure d'instruction ;
6° Statuer sur les fins de non-recevoir.
Lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Toutefois, dans les affaires qui ne relèvent pas du juge unique ou qui ne lui sont pas attribuées, une partie peut s'y opposer. Dans ce cas, et par exception aux dispositions du premier alinéa, le juge de la mise en état renvoie l'affaire devant la formation de jugement, le cas échéant sans clore l'instruction, pour qu'elle statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Il peut également ordonner ce renvoi s'il l'estime nécessaire. La décision de renvoi est une mesure d'administration judiciaire.
Le juge de la mise en état ou la formation de jugement statuent sur la question de fond et sur la fin de non-recevoir par des dispositions distinctes dans le dispositif de l'ordonnance ou du jugement. La formation de jugement statue sur la fin de non-recevoir même si elle n'estime pas nécessaire de statuer au préalable sur la question de fond. Le cas échéant, elle renvoie l'affaire devant le juge de la mise en état.
Les parties ne sont plus recevables à soulever ces fins de non-recevoir au cours de la même instance à moins qu'elles ne surviennent ou soient révélées postérieurement au dessaisissement du juge de la mise en état.'
La société V. déduit de la combinaison des deux articles précités que la demande de sursis à statuer de la société Métinox, qui n'a pas été présentée devant le conseiller de la mise en état, lequel disposait d'une compétence exclusive, est irrecevable.
Le jugement entrepris est une décision du tribunal de commerce, devant lequel la procédure est dite orale et ne comporte pas de mise en état devant cette juridiction, de sorte qu'il ne peut être fait application de l'article 789 précité, applicable à la procédure écrite devant le tribunal judiciaire.
Il résulte de l'article 905 du même code que le conseiller de la mise en état dispose d'une compétence exclusive pour '5° statuer sur les exceptions de procédure relatives à la procédure d'appel, les demandes formées en application de l'article 47, la recevabilité des interventions en appel et les incidents mettant fin à l'instance d'appel.'
L'exception de procédure de sursis à statuer, soumise à la juridiction de première instance, est donc recevable devant la cour d'appel.
2°) Appréciation de son opportunité :
L'article 4 du code de procédure pénale dispose ' L'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction prévue par l'article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique.
Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.
La mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil.'
La société Métinox Holding soutient que la signature de l'acte du 29 avril 2019 la liant à la société Métinox pour la fourniture de métaux à la société Ugitech constitue une escroquerie, et que son consentement a été obtenu par violence.
C'est toutefois à l'issue d'une analyse pertinente, exhaustive et exempte d'insuffisance que les premiers juges ont retenu que :
- le prononcé du sursis à statuer n'est qu'une faculté pour le juge et ne s'impose que si celui-ci est estimé opportun ;
- si l'action publique a été mise en mouvement - après une première plainte devant le procureur de la République restée sans réponse rapide, déposée le 9 juin 2020 - par la plainte avec constitution de partie civile contre X déposée devant le doyen des juges d'instruction du tribunal judiciaire de Saint Etienne du 12 avril 2021, la consignation ayant été payée le 1er juin 2021, la victime ne produit aucun élément (copie de la plainte, courrier, mail, sms, témoignages, copie intégrale de l'audition de son dirigeant, justificatifs des voyages effectués en Italie à Milan au cours desquels les actes délictueux auraient été commis, etc) permettant d'étayer un minimum son argumentation au bénéfice de la présente juridiction, qu'il n'est pas possible notamment de déterminer si la plainte concerne les reconnaissances de dettes prétendument extorquées en 2018 et/ou l'acte du 29 avril 2019 ;
- il avait été de surcroît observé par le juge de l'exécution de [Localité 6], dans son jugement du 27 février 2023 que 'il ne pouvait lui (société V.) être reproché de ne pas avoir mentionné l'existence d'une plainte pénale dont les demandeurs (société Métinox et MM. X.) persistent à dissimuler le contenu' ;
- il convient d'ajouter qu'il n'appartient pas à la société V. de démontrer qu'elle n'a commis aucune violence sur la société Métinox, mais à cette dernière de démontrer que son consentement a été obtenu après exercice de violences ou autres, or, le choix de recourir à la procédure pénale démontre à l'évidence sa carence probatoire sur le plan civil ;
- que les quelques articles de presse généraux fournis sur M. [P] [B], qui n'exerce officiellement aucun rôle politique au sein de la société V., ne permettent pas de retenir que des violences ont été commises et qu'un sursis à statuer s'impose.
La décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a rejeté le sursis à statuer dans l'attente d'une décision sur l'action pénale engagée par la société Métinox.
II - Sur l'exception de connexité :
L'article 101 du code de procédure civile dispose « S'il existe entre des affaires portées devant deux juridictions distinctes un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, il peut être demandé à l'une de ces juridictions de se dessaisir et de renvoyer en l'état la connaissance de l'affaire à l'autre juridiction. »
L'article L. 441-1 II du code de commerce dispose « II.-Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties.
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.
Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. »
Les articles L. 441-4 et D. 442-2 du même code instituent en outre une compétence exclusive du tribunal de commerce de Lyon pour juger des conséquences de la rupture des relations contractuelles dénoncées comme étant abusives pour le ressort de la cour d'appel de Chambéry.
C'est par des motifs pertinents que la Cour adopte que le premier juge a considéré que la demande d'indemnisation de la rupture des relations commerciales avec la société Ugitech formulée par la société Métinox, à hauteur de 3 540 050,20 euros, devait être disjointe et renvoyée devant le tribunal de commerce de Lyon, déjà saisi, et bénéficiant de surcroît d'une compétence exclusive pour statuer sur cette question.
III - Sur la recevabilité des demandes nouvelles en appel :
L'article 563 du code précité prévoit 'Pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.'
L'article suivant énonce :'A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer la compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou la révélation d'un fait.'
Pour que la prétention soit nouvelle, et par là irrecevable, il faut qu'elle diffère de celle qui a été soumise aux premiers juges par son objet ou par les parties concernées ou les qualités de ces dernières. En outre, le droit d'intimer en appel tous ceux qui ont été parties en première instance n'emporte pas celui de présenter des prétentions à l'encontre des parties contre lesquelles l'appelant n'a pas conclu en première instance (1ère Civ., 31 mars 2021, n°19-18.951).
Néanmoins, les demandes qui sont la conséquence de la nullité éventuellement prononcée contre un débiteur principal et visant un débiteur secondaire partie à l'instance initiale, qui tendent aux mêmes fins, sont recevables, ainsi la récupération du montant des créances acquises ( CA [Localité 7], 18 juin 2024, RG 21/07631, 1ère Civ. 7 septembre 2022, pourvoi n° 21-16.646)
La société V. formule une demande de condamnation de la société Métinox à payer la somme de 3 276 478,12 euros correspondant aux factures payés par Ugitech à son fournisseur Métinox, alors qu'elles avaient été cédées à la société V., demande qui n'était formulée en première instance qu'à l'encontre de la société Ugitech. Cette demande, qui est la conséquence de l'illicéite du nantissement de créances et de l'inopposabilité de la cession de créances retenue par le premier juge, tend aux mêmes fins que la prétention iniale, puisque la société V. ne fait que poursuivre le paiement des livraisons de métaux qu'elle a effectuées entre mai et août 2019 au bénéfice de la société Ugitech et dont elle n'a pas été payée.
Les demandes présentées à titre subsidiaire par la société V. à l'encontre de la société Métinox seront donc déclarées recevables.
IV - Sur la nullité de l'acte de fourniture périodique pour contrainte économique :
L'article 1128 du code civil corrèle la validité d'un contrat à l'intégrité du consentement des parties, à leur capacité de contracter et à la licité et la certitude de son contenu.
L'article 1140 du code civil dispose 'Il y a violence lorsqu'une partie s'engage sous la pression d'une contrainte qui lui inspire la crainte d'exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable', l'article 1143 précisant 'Il y a également violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif.'
L'article 1130 du même code prévoit que la violence vicie le consentement lorsqu'elle est de telle nature que, sans elle, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Le caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.
Ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, la société Métinox ne fournit aucun élément permettant d'apprécier le contexte de violences, menaces et pressions qu'elle soutient avoir subis de la part de la société V. et de M. [B]. Elle ne verse même pas aux débats la copie de la reconnaissance de dettes de 2018 qu'elle estime avoir signé sous contrainte.
La contrainte se déduirait selon elle, également des éléments intrinsèques du contrat de fourniture période signé le 29 avril 2019.
Or, contrairement à ce qu'affirme la société Métinox, le contrat prévoyait un engagement réciproque '1. Métinox désigne V., qui accepte, comme son fournisseur exclusif pour la fourniture à Ugitech de ferraille, copeaux et briquettes d'acier AISI 304 et AISI 316' et '10. V. s'engage à ne pas proposer son matériel directement à Ugitech tant que Métinox respecte de contrat. Si V. propose à Ugitech son matériel en ne respectant pas ce contrat, la société devra verser à Métinox un montant égal à 300 000 euros (trois cent mille). 11. La violation de l'exclusivité en faveur de V. et visée au paragraphe 1 ci-dessus entraînera l'obligation d'indemniser V. pour les dommages que les parties ont déjà quantifiés à hauteur de 300.000 euros (trois cent mille).'
Il était en outre prévu que '4. V. verse à Métinox un montant égal à 40 eur/t. Les parties conviennent que Métinox fournira à V. toute la documentation originale concernant le prix réel et le montant des marchandises vendues à Ugitech à tout moment à la demande de V.. Les factures envvoyées par e-mail de Métinox à l'aciérie Ugitech devront être envoyées en même temps à V.. V., dans les 5 jours suivant la réception des prix et des quantités finaux d'Ugitech, paiera à Métinox les 40 eur/t convenus.' Il appartient à la société Métinox de démontrer en quoi le paiement de 40 euros par tonne est dérisoire, en fournissant par exemple des comparatifs ou des études économiques.
Il est, en l'espèce, au regard des éléments fournis, impossible d'indiquer si l'activité d'intermédiaire de la société Métinox est rentable ou non, sachant en outre que la garantie de paiement fournie par lettre de crédit de Métinox à hauteur de 3 500 000 euros ne paraît pas excessive compte tenu des volumes de commande d'Ugitech traités. En effet, le litige porte sur des livraisons de métaux réalisés au cours des mois de mai, juin et juillet au bénéfice de la société Ugitech, laquelle a payé une somme globale de 3 276 498,12 euros.
En outre, le fait que la société V. ait ou non eu l'intention de payer la commission de 40 euros/tonne n'est en tout état de cause pas un motif d'annulation du contrat, mais pourrait être un motif de résiliation, à supposer qu'une mise en demeure préalable d'exécuter ait été délivrée au cocontractant défaillant.
V- Sur le caractère non écrit des clauses créant un déséquilibre significatif dans le contrat d'adhésion :
L'alinéa 2 de l'article 1110 nouveau du code civil définit le contrat d'adhésion comme celui « dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties ». L'article 1171 du même code prévoit « Dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.
L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation. »
En l'espèce, la société Métinox se contente de procéder par voie d'affirmation pour établir que la clause de cession de créance au bénéfice de son propre fournisseur et portant sur les livraisons à son client est abusive. Or, tout intermédiaire se doit de payer son fournisseur, et la cession de créance est un moyen de paiement valide qui ne créée pas un déséquilibre significatif au détriment de l'intermédiaire, pour lequel un paiement était prévu au point 4 (montant égal à 40 eur/t).
VI - Sur la qualification du contrat et l'opposabilité de la cession de créances :
L'article 1321 du code civil définit la cession de créances comme 'le contrat par lequel le créancier cédant transmet, à titre onéreux ou gratuit, tout ou partie de sa créance contre le débiteur cédé à un tiers appelé le cessionnaire. Elle peut porter sur une ou plusieurs créances présentes ou futures, déterminées ou déterminables. Elle s'étend aux accessoires de la créance. Le consentement du débiteur n'est pas requis, à moins que la créance n'ait été stipulée incessible.'
L'article 2373 du code civil, issu de l'ordonnance n°2010-1192 du 15 septembre 2021, qui a intégré la jurisprudence antérieure, dispose 'La propriété d'une créance peut être cédée à titre de garantie d'une obligation par l'effet d'un contrat conclu en application des articles 1321 à 1326.' L'article suivant, 2373-1 du même code précise 'Les créances garanties et les créances cédées sont désignées dans l'acte.
Si elles sont futures, l'acte doit permettre leur individualisation ou contenir des éléments permettant celle-ci tels que l'indication du débiteur, le lieu de paiement, le montant des créances ou leur évaluation et, s'il y a lieu, leur échéance.'
Le contrat de fourniture périodique stipule '7. Comme alternative au paragraphe précédent (paragraphe 6) et comme garantie des engagements stipulés au présent contrat, Métinox cède définitivement et irrévocablement à V. toutes les créances envers Ugitech qui se formeront sous l'effet du présent accord (Annexe 1)'. L'annexe 1 prévoit entre V. et Métinox 'existe un contrat de fourniture périodique pour l'achat et la vente de ferraille, copeaux et briquettes d'acier sur commande mensuelle de l'acierie Ugitech(...) Qui indiquera le type de matériel, la quantité et les prix mensuels.
1. A compter de la date de conclusion du présent accord, Métinox cède définitivement et irrévocablement à V. toutes les créances envers Ugitech qui se formeront sous l'effet du présent accord.
2. Les cessions ci-dessus découlent du contrat principal dont le présent accord représente une annexe.'
Le contrat de fourniture périodique contient donc une cession de créances futures consentie à titre de garantie, laquelle n'est valide que si l'individualisation suffisante des créances est possible. Ainsi, l'acte par lequel un débiteur cède et transporte à son créancier, à titre de garantie, tous ses droits sur des créances, constitue un nantissement de créance (Cass., Com., 19 décembre 2006, pourvoi n°05-16.395, Cass., Com., 26 mai 2010, pourvoi n°09-13.388).
Or, le nantissement de créance obéit aux principes de spécialité des créances nanties, qui doivent être désignées et déterminables (CA [Localité 4], RG n°11/02000). En l'espèce, il ressort des éléments du contrat de fourniture que seul le débiteur cédé est clairement identifié, la société Ugitech, le reste des créances étant indéterminables au regard du peu de précisions fournies.
Le jugement de première instance sera infirmé, dans la mesure où il a omis de statuer sur la demande de nullité de l'acte de nantissement de créances faute de détermination suffisante des créances concernées.
En outre, de façon superfétatoire, il convient de rappeler que tant l'article 2362 du code civil applicable au nantissement de créance que la cession de créance imposent que ' Pour être opposable au débiteur de la créance nantie, le nantissement de créance doit lui être notifié ou ce dernier doit intervenir à l'acte.
A défaut, seul le constituant reçoit valablement paiement de la créance.'
Il appartient en conséquence, à la société V., qui réclame paiement des créances nanties cédées sur la société Ugitech, de démontrer que cette dernière a reçu notification du nantissement de créances consenti par la société Métinox.
En l'espèce, il est versé aux débats un e-mail du 26 avril 2019 de M. X. adressé à M. Y. (acheteur chez Ugitech) 'suite à notre conversation tél de ce jour, je t'informe que dorénavant nous allons céder toutes nos factures à notre fournisseur V. Trade International basé en République Tchèque. J'ai besoin stp de ta part que tu me donnes ton accord officiel afin de les rassurer et lundi je t'enverrai une lettre officielle de Métinox pour t'en informer toi et ta direction financière et j'aurai un retour officiel de votre part.'
Il doit être observé qu'aucun document n'était joint à ce courriel, et qu'en outre, l'acte de cession de créances n'avait pas été conclu, puisqu'il n'a été signé que le 29 avril 2019, de sorte que M. [X. ne pouvait notifier une cession de créance qui n'existait pas, et qu'en outre, le contenu du courriel annonce une 'lettre officielle', de sorte que le rédacteur du courriel lui-même ne considérait pas son email comme une notification.
La réponse de M. Y. du même jour reste très prudente : 'Nous prenons acte de votre volonté de céder vos factures à votre fournisseur V. Trade International basé en République Tchèque, au même titre que vous les cédiez jusqu'à présent à votre factor. Nous vous le confirmerons au moment où vous nous ferez part de votre accord visé conjointement, précisant l'ensemble des modalités et des références bancaires.'
Il peut en être déduit que la société Ugitech :
- bien qu'ayant prévu que ses créances étaient incessibles, n'émettait pas d'opposition de principe à la mise en place d'une cession de créances ;
- attendait la notification officielle et la communication de l'écrit prévoyant la cession de créances.
Le jugement de première instance sera confirmé en ce qu'il a considéré que les paiements effectués par la société Ugitech à la société Métinox étaient bien libératoires pour la première.
VII- Sur les demandes en paiement :
L'article 1302 du code civil dispose 'Tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution.
La restitution n'est pas admise à l'égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées.', l'article suivant, 1302-1 prévoit 'Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu.'
De la société Métinox
Au regard de la nullité du nantissement de créances, la société Ugitech doit être condamnée à payer la somme de 304 665,27 euros à la société Métinox, au titre de la facture n°19/055.
De la société V.
Il a été relevé ci-dessus que la demande en paiement de la société V. à l'encontre de la société Métinox est recevable, étant la conséquence de l'annulation de l'acte de nantissement de créances conclu entre les deux sociétés.
La société V. produit plusieurs factures de livraison de métaux à la société Métinox, dont il n'est pas contesté que la première n'a pas obtenu paiement. Il s'agit des factures :
- CZ 21/2019 de 78 892,97 euros,
- CZ 22/2019 de 207 980,59 euros,
- CZ 23/2019 de 206 713,07 euros,
- CZ 24/2019 de 203 971,71 euros,
- CZ 25/2019 de 201 102,59 euros,
- CZ 26/2019 de 26 431,14 euros,
- CZ 27/2019 de 207 689,78 euros,
- CZ 28/2019 de 207 670,07 euros,
- CZ 29/2019 de 156 795,00 euros,
- CZ 30/2019 de 155 160,91 euros,
- CZ 31/2019 de 195 508 euros,
- CZ 32/2019 de 210 866,90 euros,
- CZ 33/2019 de 77 530,52 euros,
- CZ 34/2019 de 88 061,20 euros,
- CZ 35/2019 de 185 784,06 euros,
- CZ 36/2019 de 186 821,01 euros,
- CZ 37/2019 de 231 715,12 euros,
- CZ 38/2019 de 193 903,62 euros,
- CZ 39/2019 de 130 835,52 euros,
- CZ 40/2019 de 311 141,00 euros.
A l'appui de sa contestation, la société Métinox soutient que les métaux concernés ont été livrés par la société Q-Métal, mais n'en produit aucun justificatif. En outre, il n'est fourni aucun élément permettant de déterminer que Métinox a déjà réglé les métaux livrés à la société Ugitech à une autre société que la société V. qui en réclame paiement.
Il convient en conséquence de faire droit à la demande de la société V. de condamnation de la société Métinox à lui payer la somme de 3 464 574,78 euros au titre des factures de livraison de métaux non payées.
VIII - Sur les demandes indemnitaires et accessoires :
Préjudice moral de 300 000 euros
La société Métinox sollicite indemnisation de son préjudice moral lié aux actes de violence qu'elle aurait subi. Il a été observé, lors de l'examen de sa demande de sursis à statuer, qu'elle ne produisait aucun élément permettant d'étayer un tant soit peu sa demande, se contentant du strict minimum, c'est à dire démontrant qu'une instruction est en cours devant le juge d'instruction de [Localité 6], sans que l'on puisse même déterminer si la société V. est concernée ou non dans cette procédure.
En l'absence de preuve, il y a lieu de rejeter la demande d'indemnisation de la société Métinox d'un préjudice moral qui n'est pas plus justifié que la faute du responsable.
Le jugement de première instance sera confirmé sur ce point.
Dépens et article 700 du code de procédure civile
La société Métinox succombant au fond supportera les dépens de l'instance, ainsi que les dépens de première instance. Il ne paraît enfin pas inéquitable de condamner celle-ci à payer aux société V. et Ugitech les sommes de 5000 en application de l'article 700 du code de procédure civile, en première instance et cause d'appel, le jugement étant réformé sur ce point.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a condamné in solidum la société V. Trade International et la société Métinox Holding à une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'elle a condamné la société V. Trade International aux dépens,
Y ajoutant,
Annule l'acte de nantissement de créances du 29 avril 2019,
Condamne la société Métinox Holding à payer à la société V. Trade International la somme de 3 464 574,78 euros,
Condamne la société Métinox Holding aux dépens de l'instance,
Condamne la société Métinox Holding à payer la somme de 5 000 euros à la société V. Trade International et 5 000 euros à la société Ugitech,
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Myriam REAIDY, Conseillère, en remplacement de Mme Hélène PIRAT, Présidente régulièrement empêchée, et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,