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CA PARIS (pôle 5 ch. 16), 11 mars 2025

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 5 ch. 16), 11 mars 2025
Juridiction : Paris (CA), Pôle 5 ch. 16
Demande : 24/10791
Décision : 25/12
Date : 11/03/2025
Nature de la décision : Confirmation
Date de la demande : 19/06/2024
Décision antérieure : T. com. Paris (1ère ch.) ; 4 juin 2024 : RG 2022061501
Numéro de la décision : 12
Décision antérieure :
  • T. com. Paris (1ère ch.) ; 4 juin 2024 : RG 2022061501
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CERCLAB - DOCUMENT N° 23714

CA PARIS (pôle 5 ch. 16), 11 mars 2025 : RG n° 24/10791 ; arrêt n° 12 

Publication : Judilibre

 

Extrait : « 14. L'action ayant été engagée après le 31 décembre 2020, terme de la période transitoire prévue à l'article 67 de l'Accord du 24 janvier 2020 sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne, le litige relève de la Convention de la Haye du 30 juin 2005 sur les accords d'élection de for.

15. Selon l'article 5 de cette Convention : 1. Le tribunal ou les tribunaux d'un État contractant désignés dans un accord exclusif d'élection de for sont compétents pour connaître d'un litige auquel l'accord s'applique, sauf si celui-ci est nul selon le droit de cet État. 2. Le tribunal ayant compétence en vertu du paragraphe premier ne peut refuser d'exercer sa compétence au motif qu'un tribunal d'un autre État devrait connaître du litige. 3. Les paragraphes précédents n'affectent pas les règles relatives : a) à la compétence d'attribution ou à la compétence fondée sur le montant de la demande ; b) à la répartition interne de compétence parmi les tribunaux d'un État contractant. Toutefois, lorsque le tribunal élu dispose d'un pouvoir discrétionnaire de renvoyer l'affaire, le choix des parties est dûment pris en considération.

16. Son article 6 énonce : Tout tribunal d'un État contractant autre que celui du tribunal élu sursoit à statuer ou se dessaisit lorsqu'il est saisi d'un litige auquel un accord exclusif d'élection de for s'applique, sauf si : a) l'accord est nul en vertu du droit de l'État du tribunal élu ; b) l'une des parties n'avait pas la capacité de conclure l'accord en vertu du droit de l'État du tribunal saisi ; c) donner effet à l'accord aboutirait à une injustice manifeste ou serait manifestement contraire à l'ordre public de l'État du tribunal saisi ; d) pour des motifs exceptionnels hors du contrôle des parties, l'accord ne peut raisonnablement être mis en œuvre ; ou e) le tribunal élu a décidé de ne pas connaître du litige.

17. Dans le cadre ainsi défini, Mot Dièse conclut à l'inapplicabilité de la clause qui lui est opposée en invoquant le déséquilibre significatif de sa relation contractuelle avec Microsoft, l'existence d'une injustice manifeste et d'une atteinte à l'ordre public du fait de son application, ainsi que l'imprécision de la désignation du juge compétent.

18. Elle dénonce, sur le premier point, une violation des dispositions de l'article 1171 du code civil français aux termes duquel, dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. 19. Ce texte, qui ne constitue pas une loi de police, n'a toutefois pas vocation à régir la validité de la clause litigieuse, qui doit être appréciée au regard des exigences de l'article 6 de la Convention précitée. Le moyen tiré de sa violation est dès lors inopérant.

20. Il en va de même de l'invocation d'une prétendue violation des dispositions de l'article L. 446-1, 2°, du code de commerce. Les clauses attributives de juridiction s'appliquent en effet dans l'ordre international quand bien même des dispositions impératives constitutives de loi de police seraient applicables au fond du litige (en ce sens : Cass., 1re civ., 22 octobre 2008, pourvoi n° 07-15.823, Bull. 2008, I, n° 233 - Cass., Com., 24 novembre 2015, pourvoi n° 14-14.924, Bull. 2015, IV, n° 161 - Cass., 1re Civ., 18 janvier 2017, pourvoi n° 15-26.105, Bull. 2017, I, n° 16). L'allégation tirée du déséquilibre significatif de la relation commerciale entre Mot Dièse et Microsoft, qui relève du fond de l'affaire, est donc sans emport sur la détermination du juge compétent pour en connaître.

21. Si Mot Dièse soutient par ailleurs que la clause litigieuse aboutirait à une injustice manifeste et serait contraire à l'ordre public, au sens du c) de l'article 6 de la Convention, elle ne démontre pas en quoi la désignation des juridictions d'Angleterre et du pays de Galles conduirait à un tel résultat.

22. Aucun élément ne permet, de fait, de conclure que Mot Dièse ne pourrait bénéficier d'un procès équitable devant les juridictions du for choisi ou qu'une fraude aurait été commise lors de la conclusion de la clause. Il n'est pas davantage établi qu'elle serait dans l'impossibilité d'engager une procédure et de faire valoir ses droits en Angleterre ou au pays de Galles, la simple invocation de la distance géographique, du coût local des procédures ou du déséquilibre des moyens financiers des parties étant à cet égard insuffisante.

23. Pour les raisons mentionnées au paragraphe 20 de la présente décision, la contrariété manifeste à l'ordre public ne peut davantage être retenue s'agissant du prétendu contournement des règles sanctionnant le déséquilibre significatif et la rupture brutale des relations commerciales.

24. Enfin, l'appelante ne peut valablement invoquer une violation des dispositions de l'article 48 du code de procédure civile à raison de l'imprécision de la clause litigieuse quant à la désignation de la juridiction compétente sur le territoire britannique. En vertu du a) de l'article 6 de la Convention, la validité de la clause doit en effet être appréciée au regard du droit de l'État élu, soit en l'espèce le droit anglais. Les dispositions du code de procédure civile français n'ont donc pas vocation à s'appliquer, Mot Dièse ne démontrant sur ce point aucune violation du droit de l'État du for choisi. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 5 CHAMBRE 16

ARRÊT DU 11 MARS 2025

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 24/10791. Arrêt n°12/2025 (9 pages). N° Portalis 35L7-V-B7I-CJS2O. Décision déférée à la Cour : Jugement du tribunal de commerce de Paris (1ère ch.) rendu le 4 juin 2024 sous le numéro de RG 2022061501.

 

APPELANTE :

Société MOT DIESE

société par actions simplifiée, immatriculée au RCS de PARIS sous le n° XXX, ayant son siège social : [Adresse 2], prise en la personne de ses représentants légaux, Ayant pour avocat postulant : par Maître Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065, Ayant pour avocat plaidant : Maître Olivier ITEANU, de la SELAS ITEANU, avocat au barreau de PARIS, toque : D1380

 

INTIMÉES :

Société MICROSOFT FRANCE

société par actions simplifiée, immatriculée au RCS de NANTERRE sous le n° XXX, ayant son siège social : [Adresse 3], prise en la personne de ses représentants légaux,

Société MICROSOFT IRELAND OPERATIONS LIMITED

société de droit irlandais, ayant son siège social : [Adresse 1] (IRLANDE), prise en la personne de ses représentants légaux, Ayant pour avocat postulant : Maître Francine HAVET, avocat au barreau de PARIS, toque : D1250, Ayant pour avocat plaidant : Maître Renaud CHRISTOL, de la SCP AUGUST DEBOUZY, avocat au barreau de PARIS, toque : P438

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 14 janvier 2025, en audience publique, devant la Cour composée de : M. Daniel BARLOW, Président de chambre, M. Jacques LE VAILLANT, Conseiller, Mme Joanna GHORAYEB, Conseillère, qui en ont délibéré. Un rapport a été présenté à l'audience par M. Daniel BARLOW dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI

ARRÊT : - contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

I/ FAITS ET PROCÉDURE :

1. La cour est saisie de l'appel d'un jugement rendu le 4 juin 2024 par le tribunal de commerce de Paris (1ère chambre) dans un litige opposant Mot Dièse, société de droit français spécialisée dans la fourniture de renseignements téléphoniques et d'annuaires téléphoniques, à Microsoft Ireland Operations Limited (ci-après, « Microsoft Ireland »), société de droit irlandais spécialisée dans la gestion de services internet, et Microsoft France, société de droit français spécialisée dans la vente de produits et de services informatiques, toutes deux appartenant au groupe américain Microsoft (désignées ensemble, « les sociétés Microsoft »).

2. Le différend à l'origine de cette décision porte sur l'exécution d'un contrat souscrit par Mot Dièse en mai 2018 pour la fourniture du service Microsoft Advertising édité par Microsoft, afin d'assurer le référencement et la promotion de son service de renseignements téléphoniques et de son numéro « 118018 » via Microsoft Bing.

3. Se plaignant d'une suspension arbitraire puis de l'arrêt total de la fourniture du service par Microsoft, Mot Dièse a assigné Microsoft Ireland et Microsoft France devant le tribunal de commerce de Paris, par acte introductif d'instance du 13 décembre 2022, pour rupture brutale de la relation commerciale et usage déloyal d'une clause de résiliation unilatérale.

4. Les sociétés Microsoft ont soulevé l'incompétence du juge français en invoquant la clause attributive de juridiction insérée dans le contrat au profit des juridictions d'Angleterre et du pays de Galles.

5. Par le jugement querellé du 4 juin 2024, le tribunal de commerce de Paris a statué en ces termes :

« Dit recevable et bien fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société MICROSOFT IRELAND OPERATIONS LIMITED et la SAS MICROSOFT France,

Déboute la société MOT DIESE de sa demande de rejeter l'exception d'incompétence au profit des juridictions d'Angleterre et du Pays de Galles spécialement désignées selon les lois de ces pays,

Se déclare incompétent,

Renvoie la société MOT DIESE à mieux se pourvoir devant les juridictions d'Angleterre et du Pays de Galles spécialement désignées selon les lois de ces pays,

Dit que le greffe procèdera à la notification de la présente décision par lettre recommandée avec accusé de réception adressée exclusivement aux parties,

Dit qu'en application de l'article 84 du code de procédure civile, la voie d'appel est ouverte contre la présente décision dans le délai de quinze jours à compter de ladite notification,

Condamne la société MOT DIESE à payer à la société MICROSOFT IRELAND OPERATIONS LIMITED et la SAS MICROSOFT France, la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

Condamne la société MOT DIESE aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 127,01€ dont 20,96€ de TVA. »

6. Mot Dièse a interjeté appel de cette décision par déclaration du 19 juin 2024.

7. Elle a été autorisée à assigner les sociétés Microsoft à jour fixe devant la chambre commerciale internationale de la cour d'appel de Paris, à l'audience 14 janvier 2025 au cours de laquelle les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries.

 

II/ CONCLUSIONS ET DEMANDES DES PARTIES

8. Dans ses conclusions du 9 juillet 2024 annexées à déclaration d'appel et signifiées aux sociétés intimées à la suite de sa requête aux fins d'autorisation à assigner à jour fixe, la société Mot Dièse demande à la cour, au visa de l'article 6, c), de la convention de la Haye sur les accords d'élection de for du 30 juin 2005, l'article 46 du code de procédure civile, des dispositions d'ordre public de l'article L. 442-1, I, 2° et suivants du code de commerce, les articles 1171 et 1110 du code civil et de la jurisprudence versée aux débats, de bien vouloir :

- INFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu le 4 juin 2024 par le Tribunal de Commerce de Paris et plus précisément en ce qu'il :

* a dit recevable et bien fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Microsoft Ireland Operations Limited et la SAS Microsoft France,

* a débouté la société Mot Dièse de sa demande de rejeter l'exception d'incompétence au profit des juridictions d'Angleterre et du pays de Galles spécialement désignées selon les lois de ces pays,

* s'est déclaré incompétent,

*  a renvoyé la société Mot Dièse à mieux se pourvoir devant les juridictions d'Angleterre et du pays de Galles spécialement désignées selon les lois de ces pays,

* a dit que le greffe procèdera à la notification de la décision par lettre recommandée avec accusé de réception adressée exclusivement aux parties,

* a dit qu'en application de l'article 84 du code de procédure civile, la voie de l'appel est ouverte contre la décision dans le délai de quinze jours à compter de ladite notification,

* a condamné la société Mot Dièse à payer à la société Microsoft Ireland Operations Limited et la SAS Microsoft France, la somme de 3.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* a débouté la société Mot Dièse de ses demandes autres, plus amples ou contraires,

* a condamné la société Mot Dièse aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 127,01 euros dont 20,96 euros de tva.

Statuant à nouveau :

À titre principal :

- CONSTATER, DECLARER, JUGER ET RETENIR que le Contrat Microsoft Advertising, dont les termes prérédigés ont été imposés à Mot Dièse sans aucune possibilité de négociation, est un contrat d'adhésion,

- CONSTATER, DECLARER, JUGER ET RETENIR que la clause insérée à la section 13 du Contrat de Microsoft Advertising attribuant une compétence « tribunaux (a) d'Angleterre et du Pays de Galles », cause un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties,

- CONSTATER, DECLARER, JUGER ET RETENIR que donner effet à la section 13 du Contrat de Microsoft Advertising attribuant une compétence « tribunaux (a) d'Angleterre et du Pays de Galles », aboutirait à une injustice manifeste au détriment de la société Mot Dièse dont la capacité à agir en justice serait largement entravée voire anéantie,

- CONSTATER, DECLARER, JUGER ET RETENIR que donner effet à la clause attributive de compétence invoquée par les Sociétés Microsoft serait manifestement contraire à l'ordre public de l'état français, en ce que la clause elle-même crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties en violation des dispositions de l'article L. 442-1, I, 2° du code de commerce,

- CONSTATER, DECLARER, JUGER ET RETENIR que la demande de Microsoft de renvoyer la société Mot Dièse à mieux se pourvoir devant les « juridictions d'Angleterre et du Pays de Galles spécialement désignées selon les lois de ces pays » est équivoque et qu'en outre la clause ne permet pas de déterminer clairement la juridiction spécialement compétente,

En conséquence,

- REJETER l'exception d'incompétence invoquée par les sociétés Microsoft Ireland Operations Limited et Microsoft France au profit des « juridictions d'Angleterre et du Pays de Galles spécialement désignées selon les lois de ces pays »,

- DECLARER, le tribunal de commerce de Paris compétent pour connaître et juger du présent litige entre les parties,

- RENVOYER l'affaire devant le tribunal de commerce de Paris,

En tout état de cause :

- DÉBOUTER les Sociétés Microsoft Ireland Operations Limited et Microsoft France de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- CONDAMNER les Sociétés Microsoft Ireland Operations Limited et Microsoft France à payer chacune à la Société Mot Dièse la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

 

9. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 octobre 2024, les sociétés Microsoft Ireland et Microsoft France demandent à la cour, au visa de la convention de la Haye du 30 juin 2005 sur les clauses d'élection de for, du règlement n°593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, de l'article L. 442-1, I, 2° du code de commerce, des articles 1110 et 1171 du code civil, des articles 31, 32, 78, 122 et 700 du code de procédure civile, de bien vouloir :

In limine litis,

- CONFIRMER le jugement rendu le 4 juin 2024 par le tribunal de commerce de Paris

- SE DECLARER incompétente pour connaître du présent litige ;

- RENVOYER la société Mot Dièse à mieux se pourvoir devant les juridictions d'Angleterre et du pays de Galles spécialement désignées selon les lois de ces pays ;

- DÉBOUTER la société Mot Dièse de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes.

En toute hypothèse,

- CONDAMNER la société Mot Dièse à verser aux sociétés Microsoft Ireland Operations Limited et Microsoft France solidairement la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens.

10. En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé à ces conclusions pour le complet exposé des moyens des parties.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

III/ MOTIFS DE LA DECISION

i. Positions des parties :

11. Mot Dièse fait grief au jugement attaqué d'avoir fait application de la clause attributive de juridiction invoquée par Microsoft et écarté la compétence du juge français alors que :

- conformément aux dispositions de l'article 6, c) de la Convention de La Haye, le tribunal saisi peut écarter une clause attributive de compétence si son application aboutit à une injustice manifeste ou si elle est manifestement contraire à l'ordre public de son État, notamment en considération du rapport de force déséquilibré entre les parties ;

- en l'espèce, le contrat souscrit par Mot Dièse constitue un contrat d'adhésion au sens du code civil français, la clause attributive de juridiction litigieuse ayant été imposée à Mot Dièse par Microsoft sans possibilité de négociation ;

- cette clause crée un déséquilibre significatif entre les parties ;

- son application aboutirait à une injustice manifeste compte tenu des rapports de force déséquilibrés entre les parties ;

- la clause est manifestement contraire à l'ordre public français au regard des dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce, qui constituent des lois de police sanctionnant le déséquilibre significatif et la rupture brutale, sanction que la clause vise à mettre en échec ;

- elle ne permet pas de déterminer clairement le tribunal compétent et contrevient ainsi aux exigences de l'article 48 du code de procédure civile.

12. Les sociétés Microsoft répliquent que :

- le litige correspondant à une situation internationale, la clause attributive de juridiction est régie uniquement par la convention de la Haye du 30 juin 2005, sur le fondement de laquelle sont considérées valables les clauses attributives de juridiction identiques à celle du cas d'espèce ;

- conformément à l'article 6 a) de cette convention, la clause s'applique sauf si elle est nulle selon le droit du tribunal qu'elle désigne, ce que la société Mot Dièse n'a pas démontré ;

- les dispositions de droit français invoquées par l'appelante ne peuvent pas faire échec à l'application de la clause ;

- ces dispositions ne constituent pas des lois de police, l'article 1171 du code civil ne s'appliquant pas dans les relations entre commerçants ;

- l'application de la clause ne relève pas des exceptions prévues à l'article 6 c) de la convention, car elle n'est ni dissuasive ni déséquilibrée, ne conduit à aucune injustice manifeste, et la contrariété avec l'ordre public français n'a pas été valablement établie.

ii. Analyse de la cour

13. Les sociétés Microsoft revendiquent le bénéfice de la clause attributive de juridiction insérée dans les conditions générales du contrat passé avec Mot Dièse, qui stipule :

« ['] Si votre siège social est situé en Europe, au Moyen-Orient ou en Afrique (« EMOA ») les lois de l'Angleterre et du pays de Galle régissent le présent contrat. […] Si un différend en lien avec le présent contrat ou son application (y compris des différends ou des réclamations non contractuels) ou votre utilisation de Microsoft Advertising venait à être entendue par un tribunal, le forum exclusif sera les tribunaux (a) d'Angleterre et du pays de Galle si votre siège social est dans l'EMOA […] ».

 

14. L'action ayant été engagée après le 31 décembre 2020, terme de la période transitoire prévue à l'article 67 de l'Accord du 24 janvier 2020 sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne, le litige relève de la Convention de la Haye du 30 juin 2005 sur les accords d'élection de for.

15. Selon l'article 5 de cette Convention :

1. Le tribunal ou les tribunaux d'un État contractant désignés dans un accord exclusif d'élection de for sont compétents pour connaître d'un litige auquel l'accord s'applique, sauf si celui-ci est nul selon le droit de cet État.

2. Le tribunal ayant compétence en vertu du paragraphe premier ne peut refuser d'exercer sa compétence au motif qu'un tribunal d'un autre État devrait connaître du litige.

3. Les paragraphes précédents n'affectent pas les règles relatives :

a) à la compétence d'attribution ou à la compétence fondée sur le montant de la demande ;

b) à la répartition interne de compétence parmi les tribunaux d'un État contractant. Toutefois, lorsque le tribunal élu dispose d'un pouvoir discrétionnaire de renvoyer l'affaire, le choix des parties est dûment pris en considération.

16. Son article 6 énonce :

Tout tribunal d'un État contractant autre que celui du tribunal élu sursoit à statuer ou se dessaisit lorsqu'il est saisi d'un litige auquel un accord exclusif d'élection de for s'applique, sauf si :

a) l'accord est nul en vertu du droit de l'État du tribunal élu ;

b) l'une des parties n'avait pas la capacité de conclure l'accord en vertu du droit de l'État du tribunal saisi ;

c) donner effet à l'accord aboutirait à une injustice manifeste ou serait manifestement contraire à l'ordre public de l'État du tribunal saisi ;

d) pour des motifs exceptionnels hors du contrôle des parties, l'accord ne peut raisonnablement être mis en 'uvre ; ou

e) le tribunal élu a décidé de ne pas connaître du litige.

17. Dans le cadre ainsi défini, Mot Dièse conclut à l'inapplicabilité de la clause qui lui est opposée en invoquant le déséquilibre significatif de sa relation contractuelle avec Microsoft, l'existence d'une injustice manifeste et d'une atteinte à l'ordre public du fait de son application, ainsi que l'imprécision de la désignation du juge compétent.

18. Elle dénonce, sur le premier point, une violation des dispositions de l'article 1171 du code civil français aux termes duquel, dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.

19. Ce texte, qui ne constitue pas une loi de police, n'a toutefois pas vocation à régir la validité de la clause litigieuse, qui doit être appréciée au regard des exigences de l'article 6 de la Convention précitée. Le moyen tiré de sa violation est dès lors inopérant.

20. Il en va de même de l'invocation d'une prétendue violation des dispositions de l'article L. 446-1, 2°, du code de commerce. Les clauses attributives de juridiction s'appliquent en effet dans l'ordre international quand bien même des dispositions impératives constitutives de loi de police seraient applicables au fond du litige (en ce sens : Cass., 1re Civ., 22 octobre 2008, pourvoi n° 07-15.823, Bull. 2008, I, n° 233 - Cass., Com., 24 novembre 2015, pourvoi n° 14-14.924, Bull. 2015, IV, n° 161 - Cass., 1re Civ., 18 janvier 2017, pourvoi n° 15-26.105, Bull. 2017, I, n° 16). L'allégation tirée du déséquilibre significatif de la relation commerciale entre Mot Dièse et Microsoft, qui relève du fond de l'affaire, est donc sans emport sur la détermination du juge compétent pour en connaître.

21. Si Mot Dièse soutient par ailleurs que la clause litigieuse aboutirait à une injustice manifeste et serait contraire à l'ordre public, au sens du c) de l'article 6 de la Convention, elle ne démontre pas en quoi la désignation des juridictions d'Angleterre et du pays de Galles conduirait à un tel résultat.

22. Aucun élément ne permet, de fait, de conclure que Mot Dièse ne pourrait bénéficier d'un procès équitable devant les juridictions du for choisi ou qu'une fraude aurait été commise lors de la conclusion de la clause. Il n'est pas davantage établi qu'elle serait dans l'impossibilité d'engager une procédure et de faire valoir ses droits en Angleterre ou au pays de Galles, la simple invocation de la distance géographique, du coût local des procédures ou du déséquilibre des moyens financiers des parties étant à cet égard insuffisante.

23. Pour les raisons mentionnées au paragraphe 20 de la présente décision, la contrariété manifeste à l'ordre public ne peut davantage être retenue s'agissant du prétendu contournement des règles sanctionnant le déséquilibre significatif et la rupture brutale des relations commerciales.

24. Enfin, l'appelante ne peut valablement invoquer une violation des dispositions de l'article 48 du code de procédure civile à raison de l'imprécision de la clause litigieuse quant à la désignation de la juridiction compétente sur le territoire britannique. En vertu du a) de l'article 6 de la Convention, la validité de la clause doit en effet être appréciée au regard du droit de l'État élu, soit en l'espèce le droit anglais. Les dispositions du code de procédure civile français n'ont donc pas vocation à s'appliquer, Mot Dièse ne démontrant sur ce point aucune violation du droit de l'État du for choisi.

25. Il y a lieu, dans ces conditions, de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions soumises à la cour.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

IV/ DISPOSITIF :

Par ces motifs, la cour :

1) Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

En conséquence,

2) Déclare le juge français incompétent pour connaître du présent litige ;

3) Renvoie la société Mot Dièse à mieux se pourvoir devant les juridictions d'Angleterre et du pays de Galles ;

4) Condamne la société Mot Dièse aux dépens ;

5) En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Mot Dièse et la condamne à payer aux sociétés Microsoft Ireland Operations Limited et Microsoft France la somme totale de cinq mille euros (5.000,00 €).

LA GREFFIERE,                                        LE PRÉSIDENT,