CA RENNES (4e ch.), 9 janvier 2025
- TJ Lorient (Jme), 15 mars 2024 : RG n° 21/00196
CERCLAB - DOCUMENT N° 23724
CA RENNES (4e ch.), 9 janvier 2025 : RG n° 24/02411 ; arrêt n° 7
Publication : Judilibre
Extrait : « Le contrat du 6 septembre 2023 stipule qu'« en cas de litige portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes dont relève l'architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire. »
Il résulte de l'article 1134, alinéa 1er, devenu 1103 du code civil, et de l'article 122 du code de procédure civile que la clause d'un contrat instituant un recours préalable à l'avis du conseil régional de l'ordre des architectes et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui s'impose au juge si les parties l'invoquent. Cette clause n'est pas donc pas applicable à l'action exercée sur le fondement de l'article 145 du nouveau code de procédure civile dans le but de réunir des preuves et d'interrompre un délai (Cass. 3e civ., 28 mars 2007, n° 06-13.209). Dès lors, c'est uniquement par rapport à l'assignation au fond de la société Villa Kernével en date du 22 janvier 2021 que la cour peut se prononcer sur l'absence de saisine du CROA dont l'appelante se prévaut pour soutenir que l'action de l'intimé à son égard est irrecevable.
La société Villa Kernevel pour s'y opposer invoque plusieurs moyens qui ne peuvent prospérer.
En premier lieu, la clause instaure une saisine avant tout procès qui a force contractuelle obligatoire contrairement à ce que soutient l'intimée, laquelle ne peut davantage prétendre qu'il incombait à la société Sadou de saisir l'ordre des architectes alors qu'elle n'est pas à l'initiative de la saisine de la juridiction et que le défaut de saisine ne peut être régularisé en cours d'instance.
En deuxième lieu, la société Kernével est encore mal fondée à invoquer l'application du droit de la consommation pour soutenir que la clause est présumée abusive alors que la société Kernével, société en nom collectif, n'a pas qualité de consommateur.
En troisième lieu, selon l'article 1171 du code civil « dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation ».
De manière générale, une telle ingérence dans le droit d'accès au juge est justifiée, ne portant pas une atteinte disproportionnée à ce droit d'accès au juge ni ne méconnait les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et 1er du Protocole additionnel n°1 à la Convention (Cass. 3e civ., 7 mars 2024, n° 21-22.372).
En l'espèce, la société Villa Kernével, spécialiste de l'immobilier qui travaille usuellement avec la maîtrise d'œuvre ne pouvait méconnaitre la clause litigieuse. S'il s'agit d'une clause type, elle ne démontre pas qu'elle lui a été imposée alors qu'en qualité de promoteur elle avait une puissance financière qui lui permettait de négocier le contrat. En différant provisoirement l'accès au juge, la clause vise un but légitime en ce qu'elle vise à assurer la force obligatoire du contrat en rendant effective la recherche préalable d'une solution amiable que les parties ont entendu s'imposer à elles-mêmes, avant toute action judiciaire. Elle ne prouve pas en conséquence l'existence d'un déséquilibre significatif.
En quatrième lieu, si la clause de conciliation préalable du contrat d'architecte ne peut pas être valablement opposée à l'architecte qui forme une demande reconventionnelle aux fins de paiement de ses honoraires dans le cadre d'un contentieux déjà introduit par le maître d'ouvrage, en l'occurrence la société Villa Kernével a assigné la société Sadou, dans le cadre de la procédure RG 21/00196 distincte de la procédure initiée par le syndicat des copropriétaires RG 21/00220. Elle devait donc saisir le conseil de l'ordre des architectes avant d'assigner le maître d'œuvre.
Enfin, le contrat de maîtrise d'œuvre définit la mission complète de l'architecte. Dès lors, la mise en cause de l'architecte dans l'exécution de ses missions relève de l'objet du contrat et devait être soumis à la saisine préalable du CROA.
En revanche, ainsi que le rappelle l'intimée, la clause suivant laquelle, en cas de litige portant sur l'exécution du contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes dont relève l'architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire, qui institue une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, n'est pas applicable lorsque la demande est fondée, même à titre subsidiaire, sur l'article 1792 du code civil. L'appelante ne le conteste pas puisqu'elle limite sa fin de non-recevoir à l'irrecevabilité des demandes de la société Villa Kernével fondées sur la responsabilité contractuelle, bien que le juge de la mise en état ne l'ait pas précisé dans son ordonnance qui ne peut en conséquence qu'être infirmée.
Dès lors, les demandes de la société Villa Kernével qui recherchent la responsabilité décennale de la société Sadou Architecte sur le fondement de l'article 1792 du code civil pour les désordres 3, 7, 76, 5, 9, 13, 33, 40, 60, 74, 46, 70, 75, 86, 88, 90, 91 et 93 sont recevables.
A contrario les demandes de la société Villa Kernével fondée sur la responsabilité contractuelle sont irrecevables, »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
QUATRIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 9 JANVIER 2025
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
N° RG 24/02411. ARRÊT N° 7. N°Portalis DBVL-V-B7I-UW2Q. (Réf 1ère instance : 21/00196).
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : M. Alain DESALBRES, Président de chambre,
Assesseur : Madame Nathalie MALARDEL, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,
GREFFIER : Madame Françoise BERNARD, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS : A l'audience publique du 5 novembre 2024, devant Madame Nathalie MALARDEL, magistrat rapporteur, tenant seule l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT : Contradictoire, prononcé publiquement le 9 janvier 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
APPELANTE :
SARL SADOU
[Adresse 3], [Localité 5], Représentée par Maître Sophie OUVRANS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de LORIENT
INTIMÉE :
SNC VILLA KERNEVEL
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège [Adresse 1], [Localité 4], Représentée par Maître Aurélie GRENARD de la SELARL ARES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Villa Kernével a fait construire un bâtiment collectif d'habitation située [Adresse 2] à [Localité 6].
Elle a confié, suivant contrat en date du 1er août 2016, à la société Sadou Architecte une mission de maitrise d'œuvre complète.
La réception des travaux a été prononcée le 31 octobre 2018 avec réserves. Les parties communes ont été livrées le 4 décembre 2018.
Par acte en date du 9 octobre 2019, le syndicat des copropriétaires de la Villa Kernével a assigné la société Villa Kernével, son assureur la société Allianz et la BNP Paribas en sa qualité de garant financier d'achèvement aux fins d'expertise.
Par acte du 28 octobre 2019, la société Villa Kernével a attrait à l'instance de référé la société Allianz, la société Sadou Architecte ainsi que des locateurs d'ouvrage et contrôleurs techniques concernés par l'expertise judiciaire. Par actes des 12 et 13 novembre 2019, la société Allianz a également appelé à la cause différents assureurs des locateurs d'ouvrage.
Par ordonnance de référé en date du 28 janvier 2020, M. [P] a été désigné en tant qu'expert.
Le tribunal judiciaire de Lorient a été saisi suivant quatre assignations à l'initiative du syndicat des copropriétaires de la Villa Kernevel, de la société Villa Kernével (22 janvier 2021) et de la société Allianz. Les procédures ont été jointes par ordonnance du 5 novembre 2021.
L'expert a déposé son rapport le 4 mai 2022.
Par conclusions d'incident, la société Sadou Architecte a saisi le juge de la mise en état de l'irrecevabilité des conclusions de la société Villa Kernével en raison du non-respect de la clause « litiges » du contrat d'architecte relative à la saisine préalable à toute procédure judiciaire du conseil régional de l'ordre des architectes.
Par ordonnance en date du 15 mars 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Lorient a :
- rejeté la fin de non-recevoir,
- condamné la société Sadou à verser à la société Villa Kernével la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Sadou aux dépens.
- enjoint à Maîtres [T], [F], [I], [K], [G] et [U] de conclure au fond au plus tard le 7 mai 2024.
La société Sadou a interjeté appel de cette décision le 19 avril 2024.
La clôture a été prononcée le 5 novembre 2024.
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Dans ses dernières conclusions du 19 juillet 2024, la société Sadou demande à la cour de :
- réformer totalement l'ordonnance,
- déclarer irrecevables les demandes de la société Villa Kernével à son égard fondées sur la responsabilité contractuelle de droit commun,
- débouter la société Villa Kernével de l'ensemble de ses autres demandes
- condamner la société Villa Kernével à lui la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code d procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
[*]
Suivant ses dernières écritures du 30 juillet 2024, la société Villa Kernével demande à la cour de :
- à titre principal
- confirmer l'ordonnance
- rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la société Sadou tirée de la clause de consultation intégrée dans le contrat d'architecte,
- condamner la société Sadou à lui payer une indemnité de 1 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance et aux dépens de l'incident de première instance.
- à titre subsidiaire, si l'ordonnance est infirmée,
- rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la société Sadou tirée de la clause de consultation intégrée dans le contrat d'architecte, concernant les désordres susceptibles d'être qualifiés de décennaux (désordres 3, 7 et 76, puis 5 et 9, 13, 33, 40, 60, 74, 46, 70, 75, 86, 88, 90 et 91 et 93) pour lesquels le syndicat de copropriété de la Villa Kernével fonde notamment ses demandes sur l'article 1792 du code civil,
- en tout état de cause,
- condamner la société Sadou à lui payer une indemnité de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel, outre aux entiers dépens d'appel.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Le contrat du 6 septembre 2023 stipule qu'« en cas de litige portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes dont relève l'architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire. »
Il résulte de l'article 1134, alinéa 1er, devenu 1103 du code civil, et de l'article 122 du code de procédure civile que la clause d'un contrat instituant un recours préalable à l'avis du conseil régional de l'ordre des architectes et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui s'impose au juge si les parties l'invoquent.
Cette clause n'est pas donc pas applicable à l'action exercée sur le fondement de l'article 145 du nouveau code de procédure civile dans le but de réunir des preuves et d'interrompre un délai (Cass. 3e civ., 28 mars 2007, n° 06-13.209).
Dès lors, c'est uniquement par rapport à l'assignation au fond de la société Villa Kernével en date du 22 janvier 2021 que la cour peut se prononcer sur l'absence de saisine du CROA dont l'appelante se prévaut pour soutenir que l'action de l'intimé à son égard est irrecevable.
La société Villa Kernevel pour s'y opposer invoque plusieurs moyens qui ne peuvent prospérer.
En premier lieu, la clause instaure une saisine avant tout procès qui a force contractuelle obligatoire contrairement à ce que soutient l'intimée, laquelle ne peut davantage prétendre qu'il incombait à la société Sadou de saisir l'ordre des architectes alors qu'elle n'est pas à l'initiative de la saisine de la juridiction et que le défaut de saisine ne peut être régularisé en cours d'instance.
En deuxième lieu, la société Kernével est encore mal fondée à invoquer l'application du droit de la consommation pour soutenir que la clause est présumée abusive alors que la société Kernével, société en nom collectif, n'a pas qualité de consommateur.
En troisième lieu, selon l'article 1171 du code civil « dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation ».
De manière générale, une telle ingérence dans le droit d'accès au juge est justifiée, ne portant pas une atteinte disproportionnée à ce droit d'accès au juge ni ne méconnait les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et 1er du Protocole additionnel n°1 à la Convention (Cass. 3e civ., 7 mars 2024, n° 21-22.372).
En l'espèce, la société Villa Kernével, spécialiste de l'immobilier qui travaille usuellement avec la maîtrise d'œuvre ne pouvait méconnaitre la clause litigieuse. S'il s'agit d'une clause type, elle ne démontre pas qu'elle lui a été imposée alors qu'en qualité de promoteur elle avait une puissance financière qui lui permettait de négocier le contrat. En différant provisoirement l'accès au juge, la clause vise un but légitime en ce qu'elle vise à assurer la force obligatoire du contrat en rendant effective la recherche préalable d'une solution amiable que les parties ont entendu s'imposer à elles-mêmes, avant toute action judiciaire. Elle ne prouve pas en conséquence l'existence d'un déséquilibre significatif.
En quatrième lieu, si la clause de conciliation préalable du contrat d'architecte ne peut pas être valablement opposée à l'architecte qui forme une demande reconventionnelle aux fins de paiement de ses honoraires dans le cadre d'un contentieux déjà introduit par le maître d'ouvrage, en l'occurrence la société Villa Kernével a assigné la société Sadou, dans le cadre de la procédure RG 21/00196 distincte de la procédure initiée par le syndicat des copropriétaires RG 21/00220. Elle devait donc saisir le conseil de l'ordre des architectes avant d'assigner le maître d'œuvre.
Enfin, le contrat de maîtrise d'œuvre définit la mission complète de l'architecte. Dès lors, la mise en cause de l'architecte dans l'exécution de ses missions relève de l'objet du contrat et devait être soumis à la saisine préalable du CROA.
En revanche, ainsi que le rappelle l'intimée, la clause suivant laquelle, en cas de litige portant sur l'exécution du contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes dont relève l'architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire, qui institue une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, n'est pas applicable lorsque la demande est fondée, même à titre subsidiaire, sur l'article 1792 du code civil. L'appelante ne le conteste pas puisqu'elle limite sa fin de non-recevoir à l'irrecevabilité des demandes de la société Villa Kernével fondées sur la responsabilité contractuelle, bien que le juge de la mise en état ne l'ait pas précisé dans son ordonnance qui ne peut en conséquence qu'être infirmée.
Dès lors, les demandes de la société Villa Kernével qui recherchent la responsabilité décennale de la société Sadou Architecte sur le fondement de l'article 1792 du code civil pour les désordres 3, 7, 76, 5, 9, 13, 33, 40, 60, 74, 46, 70, 75, 86, 88, 90, 91 et 93 sont recevables.
A contrario les demandes de la société Villa Kernével fondée sur la responsabilité contractuelle sont irrecevables,
Il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Villa Kernével qui succombe pour l'essentiel sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Infirme l'ordonnance entreprise
Statuant à nouveau et y ajoutant
Déclare recevables les demandes de la société Villa Kernével fondées sur la responsabilité décennale à l'égard de la société Sadou au titre des désordres 3, 7, 76, 5, 9, 13, 33, 40, 60, 74, 46, 70, 75, 86, 88, 90, 91 et 93,
Déclare irrecevables les demandes de la société Villa Kernével fondées sur la responsabilité contractuelle,
Dit n'y avoir à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Villa Kernével aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier, Le Président,