TJ BÉTHUNE (1re ch. civ.), 25 février 2025
CERCLAB - DOCUMENT N° 23758
TJ BÉTHUNE (1re ch. civ.), 25 février 2025 : RG n° 22/02288 ; arrêt n° 60/2025
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « Le seul événement évoqué par la lettre du maître d'œuvre permettant de faire application de la suspension du délai de livraison en application des stipulations contractuelles est donc le dernier qu'il cite, à savoir les sept mois de retard liés à la procédure collective affectant la société NCN en 2020.
Le maître d'œuvre évoque ensuite 103 jours d'intempéries, entre le 20 novembre 2017 et le 15 mars 2019. Le relevé d'intempéries annexé à sa lettre permet d'extraire 7 jours d'intempéries antérieurs à la conclusion du contrat, soit un total de 95 jours.
S'agissant des travaux modificatifs demandés par les acquéreurs, le contrat prévoit la possibilité d'échanges ultérieurs entre l'acquéreur et le vendeur, et l'information à donner par ce dernier quant à l'incidence des modifications convenues sur le prix et sur les délais de livraison. La SCCV Béthune Kitchener produit au débat un courriel envoyé à ces derniers le 13 décembre 2018, proposant un chiffrage de travaux modificatifs, et annonçant un allongement du délai de livraison à hauteur d'une semaine par modification. Les modifications proposées, au nombre de 5, sont les suivantes : - remplacement de portes en chambre 2 et salle de bains, - remplacement de la baignoire par une douche, - ajout d'une arrivée d'eau et évacuation lave-linge, - déplacement d'un radiateur en chambre 1, - fourniture et pose d'un lave-main en WC.
La réponse apportée par M. X. à ce courriel fait état d'un échange téléphonique et confirme certaines modifications, dans des termes néanmoins différents. S'il évoque la suppression de portes et de la baignoire, il affirme qu'il fera procéder à certains travaux par ses soins, et demande le calcul de la moins-value en résultant. Le déplacement du radiateur en chambre 1 n'est pas repris. Seuls l'ajout de l'arrivée d'eau et d'évacuation du lave-linge et la fourniture et la pose d'un lave-mains sont confirmés dans les mêmes termes que la proposition du vendeur. Dès lors, il y a lieu de retenir un report du délai de livraison de deux semaines, à ce titre. D'autres échanges sont intervenus au mois de mars 2019, concernant de nouvelles modifications à apporter à la salle de bains. Néanmoins, le vendeur ne justifie pas de la validation de ces accords, et partant de leurs conséquences quant au délai de livraison. Seule la durée de deux semaines sera retenue, au titre de la prorogation du délai de livraison pour les modifications de travaux demandées par les acquéreurs.
En application des dispositions contractuelles, les circonstances ayant eu pour effet de retarder la livraison du bien d'un temps égal au double de celui effectivement enregistré sont les suivantes : - défaillance de la société NCN et recherche de nouvelles entreprises : 7 mois X 2 = 14 mois - intempéries : 95 jours X 2 = 190 jours, soit 6,33 mois, Soit un total de 20,33 mois (soit 20 mois et 10 jours), auxquels s'ajoutent les quinze jours au titre des travaux modificatifs demandés par les acquéreurs. Le report total du délai de livraison peut ainsi être estimé à 21 mois et 5 jours, et s'est donc achevé le 5 octobre 2020. La livraison étant intervenue le 21 juillet 2021, le retard de livraison est donc de 290 jours, soit 9 mois et 16 jours. »
2/ « L'article 1171 du Code civil dispose que dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation. L'article 1110 dudit Code dispose que le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont négociables entre les parties. Le contrat d'adhésion est celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l'avance par l'une des parties. La conclusion d'un acte authentique n'est pas exclusive de la qualification de contrat d'adhésion, dès lors que le contrat comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l'avance par l'une des parties. En matière de ventes en l'état futur d'achèvement, s'agissant contrats rédigés sur les instructions du promoteur de l'opération, l'intervention protectrice du notaire, et la possibilité offerte à l'acquéreur de négocier certaines clauses ne font pas obstacle à la qualification de contrat d'adhésion, dès lors qu'il existe un ensemble de clauses non librement négociables.
En l'espèce est constant qu'il s'agit d'un contrat de vente en l'état futur d'achèvement portant sur un appartement dépendant d'un ensemble immobilier en construction. Le procès-verbal d'assemblée générale produit au débat permet de constater la présence d'au moins 23 copropriétaires. La SCCV Béthune Kitchener verse au débat la partie normalisée du contrat conclu avec d'autres acquéreurs, comportant des mentions différentes, quant à l'échelonnement du prix de vente. Elle ne justifie en revanche pas de la partie développée qui s'ensuit, s'apparentant à dans sa forme à des conditions générales, au sein de laquelle se trouve la clause pénale litigieuse. Ainsi, si le prix différait naturellement selon le lot vendu, et que l'état d'avancement des travaux au jour de la signature du contrat pouvait également amener à des modalités d'échelonnement différentes entre les acquéreurs, la partie développée du contrat, comportant les conditions contractuelles constituent manifestement un bloc de stipulations non négociables. Compte-tenu de l'ampleur du projet, les parties relatives aux délais de livraison, leur suspension et le plafonnement des indemnités ont manifestement été proposées par le promoteur, et ne pouvaient différer en entre les acquéreurs. La SCCV Béthune Kitchener précise d'ailleurs dans ses écritures que les époux X. avaient la possibilité de refuser de signer l'acte en cas de désaccord, ce qui caractérise l'existence d'un contrat d'adhésion.
La clause pénale litigieuse prévoit une indemnisation du retard de livraison à compter du 30 juin 2019, à hauteur de 20 euros par jour, mais limitée à 1% du prix de vente. Cette clause pénale ne s'applique pas lorsque le retard est justifié par l'une des nombreuses clauses légitimes qu'elle énumère ensuite, et reprises ci-dessus. L'analyse de ces causes légitimes permet de considérer que la quasi-totalité des circonstances extérieures à la faute du promoteur sont couvertes, par la possibilité de suspendre le délai de livraison. Dès lors, l'indemnité forfaitaire visée par la clause pénale n'a vocation à s'appliquer qu'aux causes illégitimes de retards de livraison. Sa limitation à hauteur de 1% du prix de vente rend dérisoire toute sanction du vendeur, en cas de retard important et non justifié par une cause légitime. Compte-tenu de ce plafonnement, le vendeur n'a en effet, en application de cette clause, pas particulièrement intérêt à limiter la durée du retard lui incombant.
Ainsi, cette clause crée un déséquilibre significatif entre l'acquéreur et le vendeur, dont les obligations en termes de délai de livraison ne sont que symboliquement sanctionnées.
En conséquence, il y a lieu de considérer réputer non écrite la clause pénale, en sa partie limitant à 1% du prix de vente les indemnités dues à l'acquéreur en cas de retard de livraison non justifié par l'une des causes légitimes contractuellement prévues. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BÉTHUNE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT DU 25 FÉVRIER 2025
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 22/02288. Jugement n° 60/2025. N° Portalis DBZ2-W-B7G-HOYW.
DEMANDEURS :
Monsieur X.
demeurant [adresse], représenté par Maître Gautier LACHERIE, avocat au barreau de BETHUNE
Madame Y.
demeurant [adresse], représentée par Maître Gautier LACHERIE, avocat au barreau de BETHUNE
DÉFENDERESSE :
Société BETHUNE KITCHENER
dont le siège social est sis [adresse], représentée par Maître Claire JOUFFREY, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : LEJEUNE Blandine, Juge, siégeant en Juge Unique, Assisté lors des débats de SOUPART Luc, greffier principal.
DÉBATS : Vu l’ordonnance de clôture en date du 13 novembre 2024 fixant l’affaire à plaider au 17 décembre 2024 à l’audience de juge unique. A la clôture des débats en audience publique, l’affaire a été mise en délibéré et les parties ont été avisées que le jugement serait mis à la disposition au Greffe au 25 février 2025. Le tribunal après avoir délibéré, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
Par acte de vente notarié du 23 décembre 2017, M. X. et Mme Y. épouse X. ont acquis en l'état futur d'achèvement auprès de la SCCV Béthune Kitchener un appartement, un cellier et un box au sein de la résidence en construction Narratio, sise à Béthune, au prix de 240.000 euros.
La date de livraison du bien était contractuellement fixée au 31 décembre 2018.
La maîtrise d'œuvre était confiée à la SARL Stragimmo, représentée par M. Z.
La livraison de l'immeuble est intervenue le 20 juillet 2021.
Par acte de commissaire de justice en date du 11 juillet 2022, M. X. et Mme Y. épouse X. ont assigné la société Béthune Kitchener devant le tribunal aux fins de la voir condamnée à payer la somme principale de 26 660,48 euros, évoquant un retard de livraison du bien.
La société Béthune Kitchener a comparu à l'instance.
L'instruction de la procédure a été confiée au juge de la mise en état qui a ordonné sa clôture le 13 novembre 2024 et qui a fixé l'affaire pour plaidoiries à l'audience des débats du 17 décembre 2024 devant le juge unique. A l'issue des débats, le prononcé de la décision a été reporté pour plus ample délibéré au 25 février 2025.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties à leurs dernières conclusions visées ci-après.
[*]
Aux termes de leurs conclusions signifiées le 11 juin 2024, Mme Y. et M. X. formulent les demandes suivantes :
- condamner la SCCV Béthune Kitchener à leur payer la somme de 27 675,48 euros ;
- rappeler que la décision à intervenir est exécutoire de plein droit en application de l’article 514 du code de procédure civile ;
- condamner la SCCV Béthune Kitchener à leur payer la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SCCV Béthune Kitchener aux dépens.
Au soutien de leurs prétentions, les époux X. évoquent le manquement de la SCCV Béthune Kitchener à leurs obligations contractuelles, en ce que la livraison a eu lieu le 20 juillet 2021 alors que le contrat prévoyait une livraison au plus tard le 31 décembre 2018.
En réponse à l'argumentation développée par le vendeur, les époux X. considèrent que ce dernier ne peut se prévaloir de la prorogation du délai de livraison, faute de démontrer la réalisation des formalités prévues à ce titre par le contrat. Ils précisent que le vendeur ne justifie pas de la lettre émanant du maître d'œuvre exigée par le contrat. Ils estiment que cette information doit, selon la clause contractuelle, être transmise par le vendeur, de sorte qu'un procès-verbal d'assemblée générale ne saurait remplir cette condition. Ils ajoutent que le vendeur ne justifie pas des causes légitimes de prorogation du délai de livraison, et considèrent à ce titre que les seules énonciations de l'attestation du maître d'œuvre sont insuffisantes pour ce faire.
Les époux X. évoquent plus généralement l'incertitude dans laquelle ils se seront trouvés, quant à la date de livraison du bien. Ils affirment à ce titre que les dernières informations qui leur avaient été transmises en 2019 évoquaient une livraison en fin de cette même année, de sorte qu'ils se sont organisés pour vendre leur bien immobilier à cette période.
Ils évaluent en conséquence leur préjudice à la somme totale de 27 675,48 euros, composé des éléments suivants :
-intérêt du prêt et coût de l'assurance emprunteur
-coût de relogement du 1er décembre 2019 au 20 juillet 2021
-coût de restockage des affaires du 1er décembre 2019 au 20 juillet 2021
-coût de déménagement et de changement d'adresse
-coût de stockage d'une nouvelle cuisine
-troubles dans les conditions d'existence
En réponse à l'argumentation adverse, les époux X. affirment que les quelques modifications qu'ils ont sollicitées n'ont eu aucune incidence sur le retard de livraison, déjà acquis à cette époque.
Les époux X. invoquent le caractère abusif de la clause pénale contenue dans le contrat de vente en l'état futur d'achèvement, qu'ils qualifient de contrat d'adhésion, en application des dispositions de l'article 1171 du Code civil. Ils estiment que l'application de la clause revient à ne pas indemniser le retard excédant les 120 jours, et crée en conséquence un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
Subsidiairement, les époux X. invoquent les dispositions de l'article 1231-5 du Code civil, et soulignent le caractère manifestement dérisoire la clause pénale litigieuse.
[*]
Aux termes de ses conclusions signifiées le 14 octobre 2024, la SCCV Béthune Kitchener formule les demandes suivantes :
A titre principal :
-dire et juger les époux X. mal fondés en leurs demandes ;
-débouter les époux X. de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions, en ce compris au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire :
-dire et juger que l’article 1171 du code civil n’est pas applicable au présent litige, et/ou que ses conditions ne sont pas réunies ;
-dire et juger que les conditions posées par l’article 1231-5 aliéna 2 du code civil ne sont pas réunies, et qu’il n’y a donc pas lieu à réviser la pénalité prévue dans la clause pénale insérée dans l’acte de vente, en l’absence de preuve de son caractère manifestement dérisoire.
A titre infiniment subsidiaire :
-la condamner à payer aux époux X. une somme de 5276,34 euros.
En toute hypothèse :
-condamner les époux X. à lui payer une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
-condamner les époux X. aux entiers dépens.
S'opposant aux demandes des époux X., la SCCV Béthune Kitchener se prévaut de causes légitimes de prorogation du délai de livraison, et fait par ailleurs état du retard pris pour répondre aux modifications de plans émanant des acquéreurs. Elle argue du respect du formalisme contractuel, par l'établissement d'une attestation par le maître d'œuvre, et sa transmission au cours de l'assemblée générale des copropriétaires à laquelle les acquéreurs étaient présents. Elle ajoute que les époux X. avaient parfaitement connaissance des retards de livraison, et ont, en connaissance de cause, vendu prématurément leur bien immobilier.
Par ailleurs, la SCCV Béthune Kitchener conteste la qualification de contrat d'adhésion formulée par les acquéreurs. Elle se prévaut à ce titre des dispositions de l'article 1110 du Code civil, et précise que les contrats de vente en l'état futur d'achèvement sont des contrats de gré à gré négociables, signés par-devant notaire.
S'opposant à l'argumentation tirée du caractère manifestement dérisoire de la clause pénale, la SCCV Béthune Kitchener estime que le préjudice des époux X. ne peut être composé des frais liés à leur déménagement prématuré, ajoutant que ces derniers ne démontrent pas que la livraison leur aurait été annoncée en fin d'année 2019.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DU JUGEMENT :
Sur la demande en paiement :
Sur le retard de livraison :
L'article 1601-1 du Code civil dispose que la vente d'immeuble à construire est celle par laquelle le vendeur s'oblige à édifier un immeuble dans un délai déterminé par le contrat. Elle peut être conclue à terme ou en l'état futur d'achèvement.
Le contrat peut prévoir la prorogation du délai de livraison, en cas de force majeure ou pour une cause légitime. Lorsque le vendeur invoque une telle clause, il doit établir, en cas de contestation, que ses conditions d'application étaient bien réunies. Le délai peut notamment être prorogé en raison de l'importance des travaux modificatifs que l'acquéreur a pu commander en cours d'exécution du contrat, à condition que ces travaux aient eu un impact réel sur le délai d'exécution, voire que le vendeur ait informé l'acquéreur, avant la réalisation de ces travaux modificatifs, des conséquences en matière de délai.
En l'espèce, le contrat de vente en l'état futur d'achèvement contient une clause intitulée délai-livraison, stipulant notamment que le vendeur s'oblige à mener les travaux de telle manière que les ouvrages et les éléments d'équipement nécessaires à l'utilisation des biens vendus soient achevés et livrés au plus tard le 31 décembre 2018 sauf survenance d'un cas de force majeure ou de suspension du délai de livraison.
Le contrat ajoute, s'agissant des causes légitimes de suspension du délai de livraison :
Pour l'application de cette disposition, sont notamment considérés comme causes légitimes de report de délai de livraison, les évènements suivants :
- intempéries au sens de la réglementation des travaux sur les chantiers de bâtiment
- grève générale ou partielle affectant le chantier ou les fournisseurs
- retard résultant de la liquidation des biens, l'admission au régime du règlement judiciaire, du redressement judiciaire, de la liquidation judiciaire des ou de l'une des entreprises (si la faillite ou l'admission au régime du règlement judiciaire survient dans le délai de réalisation du chantier et postérieurement à la constatation du retard, la présente clause produira quand même tous ses effets
- retard provenant de la défaillance d'une entreprise (la justification de la défaillance pouvant être fournie par le vendeur à l'acquéreur, au moyen de la production du double de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée par le maîre d'œuvre du chantier à l'entrepreneur défaillant
- retards entraînés par la recherche et la désignation d'une nouvelle entreprise se substituant à une entreprise défaillante et à l'approvisionnement du chantier par celle-ci
- retards provenant d'anomalies du sous-sol (telle que présence de source ou résurgence d'eau, nature du terrain hétérogène aboutissant à des remblais spéciaux ou des fondations particulières, découverte de site archéologique, de poche d'eau ou de tassement différentiel, tous éléments de nature à nécessiter des fondations spéciales ou des reprises ou sous-œuvre d'immeubles avoisinants) et, plus généralement, tous éléments dans le sous-sol susceptibles de nécessiter des - travaux non programmés complémentaires ou nécessitant un délai complémentaire pour leur réalisation
- injonctions administratives ou judiciaires de suspendre ou d'arrêter les travaux, à moins que lesdites injonctions ne soient fondées sur des fautes ou des négligences imputables au vendeur
- troubles résultant d'hostilités, cataclysmes, accidents de chantier
- retards imputables aux compagnies cessionnaires de fournitures d'énergie et de ressources
- retards de paiement de l'acquéreur tant en ce qui concerne la partie principale, que les intérêts de retard et les éventuels travaux supplémentaires ou modificatifs que le vendeur aurait accepté de réaliser
Ces différentes circonstances auraient pour effet de retarder la livraison du bien d'un temps égal au double de celui effectivement enregistré, en raison de leur répercussion sur l'organisation générale du chantier.
Dans un tel cas, la justification de la survenance de l'une de ces circonstances sera apportée par le vendeur à l'acquéreur par une lettre du maître d'œuvre.
Il est constant que la livraison du bien a eu lieu le 20 juillet 2021, ce qui est établi par le procès-verbal de livraison produit au débat par les demandeurs, alors que la livraison était initialement prévue le 31 décembre 2018.
La société Béthune Kitchener produit au débat une lettre du maître d'œuvre, en date du 13 juillet 2021, établissant la liste des évènements ayant participé au retard de livraison, accompagné d'un relevé des intempéries.
Aux termes de la clause relative aux conditions de suspension du délai de livraison, la remise par le vendeur à l'acquéreur de la lettre du maître d'œuvre, exposant les circonstances ayant causé le retard, est suffisante pour justifier de leur survenance, sans condition de forme particulière.
A ce titre, la société Béthune Kitchener produit au débat la copie du procès-verbal de l'assemblée générale de la résidence le Narratio du 28 juillet 2021, au cours de laquelle son représentant légal a transmis aux copropriétaires présents ou représentés la copie de la lettre du maître d'œuvre. Il ressort de ce procès-verbal que 20 des 23 copropriétaires étaient présents ou représentés, les époux X. ne figurant pas parmi la liste des absents. Il y a donc lieu de considérer qu'ils étaient présents ou représentés à cette assemblée générale et ont à ce titre obtenu du vendeur la lettre du maître d'œuvre, justifiant des causes de suspension du délai de livraison.
Cette lettre relate l'ensemble des circonstances ayant retardé le chantier, depuis son ouverture, dont la date n'est pas établie, même s'il est constant qu'elle est antérieure à la conclusion du contrat de vente dont s'agit. Le contrat ayant été conclu le 23 décembre 2017, il y a lieu de n'en retenir que les circonstances postérieures à cette date.
Cette lettre évoque tout d'abord les circonstances suivantes :
Lors des démolitions du bâtiment sur rue, il a été découvert que l'emprise des fondations du mur du garage du voisin empiétait sur la zone où était envisagée la construction de l'immeuble. Il en est résulté un recalage des plans, consultation de l'entreprise pour obtention de devis de travaux complémentaires : 7 mois.
Lors de la visite GRDF, et à la lecture des plans par cet organisme, il a été demandé un alignement des gaines techniques des étages sur celles du rez-de-chaussée ; réalisation de nouveaux plans : 3 mois.
Un litige est survenu avec le voisin A. à propos de l'emprise d'un mur de soutènement. Ceci a entraîné un retard de démarrage de 14 mois des travaux de la maison.
Ces évènements ne sont pas datés, aux termes de la lettre du maître d'œuvre. La SCCV Béthune Kitchener ne produit aucun élément au débat permettant de considérer qu'ils sont survenus après la conclusion du contrat litigieux, et partant qu'ils ont eu un effet suspensif sur le délai de livraison convenu.
La lettre du maître d'œuvre fait par ailleurs état des circonstances suivantes, datées postérieurement à la conclusion du contrat :
- défaillance du plâtrier qui au lieu de commencer le 1/09/18 a commencé le 5/01/19 soit 3 mois de retard
- défaillance du menuisier intérieur qui a commencé avec un mois de retard
- nouvel arrêt du plâtrier en 07,08 et 09 soit trois mois
- nouvel arrêt du plâtrier le 21/11 et retour sur le chantier le 20/01 soit 3 mois
- arrêt covid en mars 2020 avec ensuite dépôt de bilan et liquidation de la NCN, recherche de nouvelles entreprises, pour une reprise du chantier en octobre 2020, soit 7 mois d'arrêt
Il résulte des pièces produites au débat que le plâtrier est la société NCN, laquelle a fait l'objet d'une liquidation judiciaire en 2020.
Les stipulations contractuelles distinguent les défaillances des intervenants du chantier de leur placement en procédure collective. S'agissant de la simple défaillance d'un entrepreneur, la clause contractuelle précise, outre l'attestation du maître d'œuvre nécessaire pour toutes les autres circonstances justifiant de la suspension du délai, que cette circonstance peut être justifiée par la production de la copie de la lettre recommandée avec accusé de réception envoyée par le maître d'œuvre au constructeur défaillant. Les termes de cette clause et notamment l'emploi du verbe « pouvoir » permettent de considérer que la production de la copie de ladite lettre recommandée ne constitue pas le seul moyen permettant de justifier de la défaillance de l'entreprise, hors procédure collective. L'ajout d'une mention spéciale quant à la justification de cette circonstance impose néanmoins qu'un élément complémentaire à la seule attestation du maître d'œuvre soit produit, pour justifier d'une défaillance des constructeurs hors procédure collective.
La SCCV Béthune Kithener produit au débat des courriers envoyés à la société NCN, les 16 décembre 2019 et 11 juin 2020, ainsi que des comptes-rendus de réunions de chantier qui se sont tenues les 2 mai et 25 juillet 2019.
Même s'il ne s'agit pas de lettres recommandées, telles que prévues par les stipulations contractuelles, ces documents pourraient être de nature à justifier de la défaillance du plâtrier, s'ils n'étaient postérieurs aux évènements relatés par l'attestation du maître d'œuvre, datées de septembre 2018 à janvier 2019.
Le seul événement évoqué par la lettre du maître d'œuvre permettant de faire application de la suspension du délai de livraison en application des stipulations contractuelles est donc le dernier qu'il cite, à savoir les sept mois de retard liés à la procédure collective affectant la société NCN en 2020.
Le maître d'œuvre évoque ensuite 103 jours d'intempéries, entre le 20 novembre 2017 et le 15 mars 2019. Le relevé d'intempéries annexé à sa lettre permet d'extraire 7 jours d'intempéries antérieurs à la conclusion du contrat, soit un total de 95 jours.
S'agissant des travaux modificatifs demandés par les acquéreurs, le contrat prévoit la possibilité d'échanges ultérieurs entre l'acquéreur et le vendeur, et l'information à donner par ce dernier quant à l'incidence des modifications convenues sur le prix et sur les délais de livraison.
La SCCV Béthune Kitchener produit au débat un courriel envoyé à ces derniers le 13 décembre 2018, proposant un chiffrage de travaux modificatifs, et annonçant un allongement du délai de livraison à hauteur d'une semaine par modification. Les modifications proposées, au nombre de 5, sont les suivantes :
- remplacement de portes en chambre 2 et salle de bains
- remplacement de la baignoire par une douche
- ajout d'une arrivée d'eau et évacuation lave-linge
- déplacement d'un radiateur en chambre 1
- fourniture et pose d'un lave-main en WC
La réponse apportée par M. X. à ce courriel fait état d'un échange téléphonique et confirme certaines modifications, dans des termes néanmoins différents. S'il évoque la suppression de portes et de la baignoire, il affirme qu'il fera procéder à certains travaux par ses soins, et demande le calcul de la moins-value en résultant. Le déplacement du radiateur en chambre 1 n'est pas repris. Seuls l'ajout de l'arrivée d'eau et d'évacuation du lave-linge et la fourniture et la pose d'un lave-mains sont confirmés dans les mêmes termes que la proposition du vendeur. Dès lors, il y a lieu de retenir un report du délai de livraison de deux semaines, à ce titre.
D'autres échanges sont intervenus au mois de mars 2019, concernant de nouvelles modifications à apporter à la salle de bains. Néanmoins, le vendeur ne justifie pas de la validation de ces accords, et partant de leurs conséquences quant au délai de livraison.
Seule la durée de deux semaines sera retenue, au titre de la prorogation du délai de livraison pour les modifications de travaux demandées par les acquéreurs.
En application des dispositions contractuelles, les circonstances ayant eu pour effet de retarder la livraison du bien d'un temps égal au double de celui effectivement enregistré sont les suivantes :
- défaillance de la société NCN et recherche de nouvelles entreprises : 7 mois X 2 = 14 mois
- intempéries : 95 jours X 2 = 190 jours, soit 6,33 mois
Soit un total de 20,33 mois (soit 20 mois et 10 jours), auxquels s'ajoutent les quinze jours au titre des travaux modificatifs demandés par les acquéreurs.
Le report total du délai de livraison peut ainsi être estimé à 21 mois et 5 jours, et s'est donc achevé le 5 octobre 2020.
La livraison étant intervenue le 21 juillet 2021, le retard de livraison est donc de 290 jours, soit 9 mois et 16 jours.
Sur l'indemnisation du préjudice des acquéreurs :
Sur le moyen tiré du caractère abusif de la clause pénale :
L'article 1171 du Code civil dispose que dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation.
L'article 1110 dudit Code dispose que le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont négociables entre les parties. Le contrat d'adhésion est celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l'avance par l'une des parties.
La conclusion d'un acte authentique n'est pas exclusive de la qualification de contrat d'adhésion, dès lors que le contrat comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l'avance par l'une des parties. En matière de ventes en l'état futur d'achèvement, s'agissant contrats rédigés sur les instructions du promoteur de l'opération, l'intervention protectrice du notaire, et la possibilité offerte à l'acquéreur de négocier certaines clauses ne font pas obstacle à la qualification de contrat d'adhésion, dès lors qu'il existe un ensemble de clauses non librement négociables.
En l'espèce est constant qu'il s'agit d'un contrat de vente en l'état futur d'achèvement portant sur un appartement dépendant d'un ensemble immobilier en construction. Le procès-verbal d'assemblée générale produit au débat permet de constater la présence d'au moins 23 copropriétaires.
La SCCV Béthune Kitchener verse au débat la partie normalisée du contrat conclu avec d'autres acquéreurs, comportant des mentions différentes, quant à l'échelonnement du prix de vente. Elle ne justifie en revanche pas de la partie développée qui s'ensuit, s'apparentant à dans sa forme à des conditions générales, au sein de laquelle se trouve la clause pénale litigieuse.
Ainsi, si le prix différait naturellement selon le lot vendu, et que l'état d'avancement des travaux au jour de la signature du contrat pouvait également amener à des modalités d'échelonnement différentes entre les acquéreurs, la partie développée du contrat, comportant les conditions contractuelles constituent manifestement un bloc de stipulations non négociables. Compte-tenu de l'ampleur du projet, les parties relatives aux délais de livraison, leur suspension et le plafonnement des indemnités ont manifestement été proposées par le promoteur, et ne pouvaient différer en entre les acquéreurs. La SCCV Béthune Kitchener précise d'ailleurs dans ses écritures que les époux X. avaient la possibilité de refuser de signer l'acte en cas de désaccord, ce qui caractérise l'existence d'un contrat d'adhésion.
La clause pénale litigieuse prévoit une indemnisation du retard de livraison à compter du 30 juin 2019, à hauteur de 20 euros par jour, mais limitée à 1% du prix de vente.
Cette clause pénale ne s'applique pas lorsque le retard est justifié par l'une des nombreuses clauses légitimes qu'elle énumère ensuite, et reprises ci-dessus. L'analyse de ces causes légitimes permet de considérer que la quasi-totalité des circonstances extérieures à la faute du promoteur sont couvertes, par la possibilité de suspendre le délai de livraison.
Dès lors, l'indemnité forfaitaire visée par la clause pénale n'a vocation à s'appliquer qu'aux causes illégitimes de retards de livraison. Sa limitation à hauteur de 1% du prix de vente rend dérisoire toute sanction du vendeur, en cas de retard important et non justifié par une cause légitime. Compte-tenu de ce plafonnement, le vendeur n'a en effet, en application de cette clause, pas particulièrement intérêt à limiter la durée du retard lui incombant.
Ainsi, cette clause crée un déséquilibre significatif entre l'acquéreur et le vendeur, dont les obligations en termes de délai de livraison ne sont que symboliquement sanctionnées.
En conséquence, il y a lieu de considérer réputer non écrite la clause pénale, en sa partie limitant à 1% du prix de vente les indemnités dues à l'acquéreur en cas de retard de livraison non justifié par l'une des causes légitimes contractuellement prévues.
Sur le moyen tiré du caractère manifestement dérisoire de la clause pénale :
L'article 1231-5 du Code civil dispose que lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.
En l'espèce, compte-tenu de ce qui précède, le retard de livraison indemnisable concerne la période du 5 octobre 2020 au 21 juillet 2021. Ainsi, le préjudice subi par les époux X. ne peut consister au paiement de l'assurance emprunteur pour le bien dont ils étaient initialement propriétaires, et dont l'emprunt a été remboursé en février 2020. Par ailleurs, ils ne démontrent pas qu'une livraison leur aurait été annoncée à la fin de l'année 2019, et qu'ainsi leur déménagement était indispensable à cette date. Les frais de relogement, de déménagement et de changement d'adresse ne constituent donc pas un préjudice indemnisable, au titre du retard de livraison litigieux.
La clause pénale, après exclusion des dispositions réputées non écrites, indemnisant le préjudice subi par les acquéreurs à hauteur de 20 euros par jour de retard, ne semble ainsi pas manifestement dérisoire, au regard du préjudice matériel (stockage de la nouvelle cuisine) et de jouissance réellement subi par les époux X.
Le retard de livraison ci-dessus établi s'élevant à 290 jours, il sera alloué aux époux X. la somme de 5 800 euros de dommages-intérêts en application des stipulations contractuelles.
Sur les frais du procès et l'exécution provisoire :
En application des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une partie. Elle peut également être condamnée à payer à l'autre une somme que le juge détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. A cet égard, le juge tient compte, dans tous les cas, de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
Partie ayant succombé au sens de ces dispositions, la SCCV Béthune Kitchener sera condamnée aux dépens. Elle sera également condamnée à payer aux époux X. la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il sera rappelé que la présente décision est exécutoire de plein droit par application de l’article 514 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal, statuant publiquement, après débats en audience publique, par jugement contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe et rendu en premier ressort ;
CONDAMNE la SCCV Béthune Kitchner à payer à Mme Y. épouse X. et M. X. la somme de 5 800 euros de dommages-intérêts ;
CONDAMNE la SCCV Béthune Kitchener aux dépens ;
CONDAMNE la SCCV Béthune Kitchner à payer à Mme Y. épouse X. et M. X. la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de plein droit par provision.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE