TJ BOBIGNY (ch. 6 sect. 3), 3 mars 2025
CERCLAB - DOCUMENT N° 23760
TJ BOBIGNY (ch. 6 sect. 3), 3 mars 2025 : RG n° 23/01508 ; jugt n° 25/00165
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « Aux termes de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Aux termes de l'article 1171 du code civil, dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation. Cet article est d’application subsidiaire par rapport aux dispositions relatives aux clauses abusives visées à l’article L. 212-1 du code de la consommation et à l’article L. 442-1 du code de commerce (voir en ce sens, Cass., Com, 26 janvier 2022). »
2/ « En l’espèce, il est acquis que la date de livraison contractuellement prévue devait intervenir au plus tard le 29 juin 2020 et que la livraison effective n’est intervenue que le 30 septembre 2022, soit 823 jours plus tard.
La SCCV [Localité 8] se prévaut de causes légitimes de suspension du délai de livraison, en application d’une clause contractuelle aux termes de laquelle « la remise des locaux à construire au profit du vendeur devra intervenir dans les délais et conditions ci-dessus précisés, sauf en cas de force majeure ou de cause légitime de suspension ou de prolongation de ce délai de livraison ».
La clause, qui énumère les différents événements susceptibles de caractériser une cause de suspension (grèves, intempéries, procédures collectives des constructeurs, événements imprévus etc.), stipule également que « pour l’appréciation des événements […], les parties s’en rapporteront dès à présent à un certificat établi par le maître d’œuvre ayant la direction des travaux, sous sa responsabilité, auquel seront joints, le cas échéant, les justificatifs convenus. S'il survenait un cas de force majeure ou une cause légitime de suspension du délai de livraison, l'époque prévue pour l'achèvement des travaux serait différée d'un temps égal à celui pendant lequel l'événement considéré aurait mis obstacle à la poursuite des travaux, augmenté du délai nécessaire à la remise en route du chantier, déterminé comme suit, - Si la suspension est de moins de sept (7) jours calendaires consécutifs, le délai de remise en route du chantier sera de deux (2) jours, en plus de la période d'arrêt. - Si la suspension est de plus de sept (7) jours calendaires consécutifs, mais de moins de trois semaines consécutives, le délai de remise en route du chantier sera d'une semaine, en plus de la période d'arrêt. - Si la suspension est de plus de 3 semaines consécutives, le délai de remise en route du chantier sera de deux (2) semaines. - Si la suspension est due à l'un des évènements évoqués aux points c, d et e ci-dessus, le délai de remise en route du chantier sera de quarante-cinq (45) jours calendaires à compter de l'ordre de service donné à la nouvelle entreprise ».
Mme X. soutient que ladite clause doit être réputée non écrite sur le fondement de l’article 1171 du code civil, à l’exclusion de l’article L.212-1 du code de la consommation.
Cependant, ce fondement est inopérant dès lors que, d’application subsidiaire, il n’a pas vocation à s’appliquer aux contrats conclus entre un professionnel et un consommateur régis par le code de la consommation, étant précisé que, pour être certes une société civile, la SCCV [Localité 8] n’en est pas moins un professionnel de l’immobilier agissant dans le cadre de son activité commerciale, et que Mme X. doit être qualifiée de consommateur pour avoir agi à des fins extérieures à son activité de retraitée. De surcroît, le présent contrat ne s’analyse pas en un contrat d’adhésion, les parties étant convenues d’une dation en paiement, de telle sorte que l’article 1171 ne peut, en tout état de cause, être valablement invoqué.
Au surplus, la clause de prorogation de délai de livraison précitée n'a ni pour objet, ni pour effet de créer, au détriment des acquéreurs non-professionnels, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat dans la mesure où elle permet au vendeur de justifier de retards pris par le chantier en raison d’événements objectifs qui l'interrompent mais qui ne sont pas imputables au vendeur, sans que la responsabilité de ce dernier soit engagée.
Le fait de confier la justification des causes légitimes de retard au maître d'œuvre ne rend pas la clause de prorogation de délai de livraison abusive dans la mesure où le maître d’œuvre constitue un tiers au contrat de vente en l’état futur d’achèvement, quand bien même il travaillerait régulièrement avec le vendeur. Cette clause ne laisse donc pas place à une interprétation discrétionnaire du vendeur en état futur d'achèvement.
Mme X. invoque également la clause est nulle sur le fondement de l’article 1304-2 du code civil pour ne pas définir avec précision le terme « intempéries ». Le tribunal observe à cet égard que la suspension du délai de livraison pour cause légitime d’intempéries est prévue au point b de la page 26 de l’acte de vente, aux termes duquel « les intempéries et phénomènes climatiques retenus par le maître d’œuvre et justifiés par les relevés de la station météorologique la plus proche du chantier » constituent une telle cause. Cette clause n’apparaît pas potestative. Au contraire, il est observé qu’elle nécessite, pour trouver application, d’une part, la survenance d’un épisode de conditions météorologiques défavorables, lesquelles ne dépendent pas de la SCCV, et, d’autre part, l’appréciation du maître d’œuvre.
Il y a donc lieu de débouter Mme X. de sa demande tendant au réputé non écrit et à la nullité de la clause litigieuse. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY
CHAMBRE 6 SECTION 3
JUGEMENT DU
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
RG n° 23/01508. Jugement n° 25/00165. N° Portalis DB3S-W-B7H-XJUY.
DEMANDEUR :
Madame X. veuve Y.
[Adresse 2], [Localité 6], représentée par Maître D., avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0874
C/
DÉFENDEUR :
[Adresse 4], [Localité 5], représentée par Maître Fabrice LEPEU de l’AARPI KLP AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : B0404
COMPOSITION DU TRIBUNAL : Monsieur François DEROUAULT, juge, statuant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du code de procédure civile, assisté aux débats de Madame Maud THOBOR, greffier.
DÉBATS : A l’audience publique du 16 décembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 3 Mars 2025.
JUGEMENT : Rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Monsieur François DEROUAULT, juge, assisté de Madame Maud THOBOR, greffier.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
Suivant acte authentique du 3 juillet 2018, la SCCV [Adresse 7] [Adresse 13] – ci-après désignée la SCCV [Localité 8] – a acquis auprès de Mme X. veuve Y. – ci-après désignée Mme X. – trois lots dont celle-ci était propriétaire au sein d’un ensemble immobilier en copropriété sis [Adresse 1] et [Adresse 3] (Seine-[Localité 14]), moyennant le prix de 277 000 euros, aux fins de procéder à l’édification d’un immeuble à construire.
Aux termes de l’acte de vente, les parties ont procédé à une dation en paiement, par laquelle la SCCV [Localité 8] devait payer sa dette en livrant un appartement de type T3 situé au 2ème étage de l’immeuble à construire et d’un emplacement de stationnement, au plus tard le 29 juin 2020.
La livraison est intervenue le 30 septembre 2022.
Par acte d'huissier en date du 6 décembre 2023, Mme X. a assigné la SCCV [Adresse 7] [Adresse 13] devant le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de réparation de son préjudice.
[*]
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 1er juillet 2024, Mme X. demande au tribunal de :
- réputer non écrite la clause « Remise des locaux - Cas de force majeure » qui stipule que « la remise des locaux à construire au profit du VENDEUR devra intervenir dans les délais et conditions ci-dessus précisés, sauf en cas de force majeure ou de cause légitime de suspension ou de prolongation de ce délai de livraison » figurant dans le contrat de vente reçu par Maître Z., notaire, le 3 juillet 2018 ;
- déclarer nulle la clause « Remise des locaux - Cas de force majeure » qui stipule que « la remise des locaux à construire au profit du VENDEUR devra intervenir dans les délais et conditions ci-dessus précisés, sauf en cas de force majeure ou de cause légitime de suspension ou de prolongation de ce délai de livraison » figurant dans le contrat de vente reçu par Maître Z., notaire, le 3 juillet 2018 ;
- condamner la SCCV [Localité 8] à payer la somme de 27 000 euros au titre du retard de livraison ;
- débouter la SCCV [Localité 8] de ses demandes ;
- condamner la SCCV [Localité 8] à payer la somme de 56 790 euros au titre du préjudice matériel ;
- condamner la SCCV [Localité 8] à payer la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral ;
- condamner la SCCV [Localité 8] à faire établir par son notaire et à ses frais un acte de dation ayant pour objet de constater le transfert, au bénéfice de Mme X., de la propriété des locaux qui lui ont été remis en paiement, et sa publication au fichier immobilier sous astreinte de 500,00 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir ;
- condamner la SCCV [Localité 8] à payer la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SCCV [Localité 8] aux dépens, avec application de l’article 699 du code de procédure civile ;
- rappeler l’exécution provisoire du jugement.
[*]
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 juillet 2024, la SCCV Aubervilliers demande au tribunal de :
- débouter Mme X. de ses demandes ;
- la condamner à payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner aux dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 septembre 2024.
L'affaire a été inscrite au rôle de l'audience du 16 décembre 2024, où elle a été appelée.
Sur quoi elle a été mise en délibéré au 3 mars 2025 afin qu'y soit rendue la présente décision.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur le retard de livraison :
Aux termes de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Aux termes de l'article 1171 du code civil, dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation.
Cet article est d’application subsidiaire par rapport aux dispositions relatives aux clauses abusives visées à l’article L. 212-1 du code de la consommation et à l’article L. 442-1 du code de commerce (voir en ce sens, Cass., Com, 26 janvier 2022).
Aux termes de l'article 1304-2 du code civil, est nulle l'obligation contractée sous une condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur. Cette nullité ne peut être invoquée lorsque l'obligation a été exécutée en connaissance de cause.
Aux termes de l'article 1218 du code civil, il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.
En l’espèce, il est acquis que la date de livraison contractuellement prévue devait intervenir au plus tard le 29 juin 2020 et que la livraison effective n’est intervenue que le 30 septembre 2022, soit 823 jours plus tard.
La SCCV [Localité 8] se prévaut de causes légitimes de suspension du délai de livraison, en application d’une clause contractuelle aux termes de laquelle « la remise des locaux à construire au profit du vendeur devra intervenir dans les délais et conditions ci-dessus précisés, sauf en cas de force majeure ou de cause légitime de suspension ou de prolongation de ce délai de livraison ».
La clause, qui énumère les différents événements susceptibles de caractériser une cause de suspension (grèves, intempéries, procédures collectives des constructeurs, événements imprévus etc.), stipule également que « pour l’appréciation des événements […], les parties s’en rapporteront dès à présent à un certificat établi par le maître d’œuvre ayant la direction des travaux, sous sa responsabilité, auquel seront joints, le cas échéant, les justificatifs convenus. S'il survenait un cas de force majeure ou une cause légitime de suspension du délai de livraison, l'époque prévue pour l'achèvement des travaux serait différée d'un temps égal à celui pendant lequel l'événement considéré aurait mis obstacle à la poursuite des travaux, augmenté du délai nécessaire à la remise en route du chantier, déterminé comme suit,
- Si la suspension est de moins de sept (7) jours calendaires consécutifs, le délai de remise en route du chantier sera de deux (2) jours, en plus de la période d'arrêt.
- Si la suspension est de plus de sept (7) jours calendaires consécutifs, mais de moins de trois semaines consécutives, le délai de remise en route du chantier sera d'une semaine, en plus de la période d'arrêt.
- Si la suspension est de plus de 3 semaines consécutives, le délai de remise en route du chantier sera de deux (2) semaines.
- Si la suspension est due à l'un des évènements évoqués aux points c, d et e ci-dessus, le délai de remise en route du chantier sera de quarante-cinq (45) jours calendaires à compter de l'ordre de service donné à la nouvelle entreprise ».
Mme X. soutient que ladite clause doit être réputée non écrite sur le fondement de l’article 1171 du code civil, à l’exclusion de l’article L.212-1 du code de la consommation.
Cependant, ce fondement est inopérant dès lors que, d’application subsidiaire, il n’a pas vocation à s’appliquer aux contrats conclus entre un professionnel et un consommateur régis par le code de la consommation, étant précisé que, pour être certes une société civile, la SCCV [Localité 8] n’en est pas moins un professionnel de l’immobilier agissant dans le cadre de son activité commerciale, et que Mme X. doit être qualifiée de consommateur pour avoir agi à des fins extérieures à son activité de retraitée. De surcroît, le présent contrat ne s’analyse pas en un contrat d’adhésion, les parties étant convenues d’une dation en paiement, de telle sorte que l’article 1171 ne peut, en tout état de cause, être valablement invoqué.
Au surplus, la clause de prorogation de délai de livraison précitée n'a ni pour objet, ni pour effet de créer, au détriment des acquéreurs non-professionnels, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat dans la mesure où elle permet au vendeur de justifier de retards pris par le chantier en raison d’événements objectifs qui l'interrompent mais qui ne sont pas imputables au vendeur, sans que la responsabilité de ce dernier soit engagée.
Le fait de confier la justification des causes légitimes de retard au maître d'œuvre ne rend pas la clause de prorogation de délai de livraison abusive dans la mesure où le maître d’œuvre constitue un tiers au contrat de vente en l’état futur d’achèvement, quand bien même il travaillerait régulièrement avec le vendeur. Cette clause ne laisse donc pas place à une interprétation discrétionnaire du vendeur en état futur d'achèvement.
Mme X. invoque également la clause est nulle sur le fondement de l’article 1304-2 du code civil pour ne pas définir avec précision le terme « intempéries ». Le tribunal observe à cet égard que la suspension du délai de livraison pour cause légitime d’intempéries est prévue au point b de la page 26 de l’acte de vente, aux termes duquel « les intempéries et phénomènes climatiques retenus par le maître d’œuvre et justifiés par les relevés de la station météorologique la plus proche du chantier » constituent une telle cause. Cette clause n’apparaît pas potestative. Au contraire, il est observé qu’elle nécessite, pour trouver application, d’une part, la survenance d’un épisode de conditions météorologiques défavorables, lesquelles ne dépendent pas de la SCCV, et, d’autre part, l’appréciation du maître d’œuvre.
Il y a donc lieu de débouter Mme X. de sa demande tendant au réputé non écrit et à la nullité de la clause litigieuse.
Le tribunal observe qu’il ressort dudit rapport de l’attestation du maître d’œuvre, auquel les parties ont contractuellement convenu de se rapporter pour établir la survenance des causes légitimes de suspension du délai de livraison, ainsi que des différentes pièces du chantier que :
- les travaux de consolidation du bâtiment voisin, dans le cadre des opérations de démolition, constituent un événement imprévu ayant engendré un retard sur la période allant du 23 janvier 2019 jusqu’au 27 juin 2019, soit 155 jours – étant précisé que la question de leur prévisibilité est indifférente dès lors que le contrat vise tout « événement imprévu » (et non imprévisible) retenu par le maître d’œuvre comme cause de suspension légitime – portés à 169 jours après application de la clause d’augmentation ;
- la découverte du câble HTA constitue également un événement imprévu ayant engendré un retard sur la période du 29 novembre 2019 au 12 novembre 2020, soit 349 jours, portés à 363 jours après application de la clause d’augmentation ;
- les intempéries, justifiées par la production des relevés météorologiques, ont engendré un retard de 118 jours ouvrés, soit 165 jours calendaires, portés à 179 jours après application de la clause d’augmentation ;
- le maître d’œuvre ne distingue pas le retard causé par les mesures administratives prises dans le cadre de l’épidémie de covid-19 et le celui causé par la découverte du câble HTA, de telle sorte qu’il n’y pas lieu de reporter la date de livraison du fait des mesures sanitaires.
Il est précisé que, par application du contrat, ne le tribunal ne raisonne pas sur la base de jours ouvrés mais de jours calendaires.
Il résulte de ce qui précède que la SCCV [Localité 8] ne justifie de son retard qu’à hauteur de 711 jours, soit moins que la totalité de son retard de livraison, de telle sorte que sa responsabilité contractuelle est engagée.
Mme X. indique avoir vécu chez sa fille le temps du délai de livraison ce dont elle justifie par la production de plusieurs attestations. Il est de surcroît établi que la demanderesse a dû partager sa chambre avec son petit-fils âgé de vingt ans, et il est ainsi manifeste que Mme X. a vécu dans un logement présentant des qualités de confort moindres que celles du bien dans lequel elle aurait dû vivre s’il avait été livré à temps. Le tribunal observe que Mme X. ne mentionne pas avoir été hébergée à titre onéreux, de telle sorte que le préjudice dont elle se prévaut doit s’analyser en un préjudice de jouissance, caractérisé en l’espèce, et qu’il convient d’évaluer à hauteur de 5 000 euros, étant observé que cette réparation, qui se rapporte à la période de retard non justifié, ne fait aucunement double emploi avec l’indemnité contractuellement prévue aux fins de prendre en charge les frais de relogement de Mme X. pendant les vingt-quatre mois prévisionnels d’attente de la livraison du bien.
Il est incontestable que Mme X. a également subi un préjudice moral en ce qu’elle a subi tracas et charge mentale indue, qu’il convient d’indemniser à hauteur de 5.000 euros.
Sur la surface de l’appartement :
L'article 1641 du code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
Il résulte de la combinaison des articles 1644 et 1645 du même code que l'acquéreur a la choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix (action rédhibitoire), ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix (action estimatoire) ; que si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur, une telle action indemnitaire pouvant être exercée cumulativement avec l'action rédhibitoire ou estimatoire, ou de manière autonome.
Mais, conformément à l'article 1643 du même code, le vendeur peut stipuler qu'il ne sera obligé à aucune garantie - quelle que soit l'action exercée -, pour les vices cachés dont il n'avait pas connaissance.
En l’espèce, Mme X. se fonde sur ces dispositions pour solliciter une indemnisation fondée sur la réduction manifeste de la surface de l’appartement.
Il sera cependant rappelé qu’en matière d’immeuble à construire, seules les dispositions de l’article 1642-1 du code civil, à l’exclusion des articles invoqués, sont applicables, de telle sorte que le moyen tiré de la garantie des vices cachés doit être rejeté.
* * *
Aux termes de l'article 1642-1 du code civil, le vendeur d'un immeuble à construire ne peut être déchargé, ni avant la réception des travaux, ni avant l'expiration d'un délai d'un mois après la prise de possession par l'acquéreur, des vices de construction ou des défauts de conformité alors apparents. Il n'y aura pas lieu à résolution du contrat ou à diminution du prix si le vendeur s'oblige à réparer.
Il appartient à celui qui se prévaut de désordres survenus à l'occasion de travaux d'en établir la matérialité, conformément à l'article 9 du code de procédure civile. Cette preuve peut néanmoins être rapportée par tous moyens, notamment par expertise. A cet égard, lorsqu’un rapport d’expertise est opposé à une partie qui n'a pas été appelée ou représentée au cours des opérations d'expertise, le juge ne peut refuser d'examiner ce rapport, dès lors que celui-ci a été régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties ; il appartient alors au juge, qui ne peut fonder sa décision sur ce seul rapport, de rechercher s’il est corroboré par d’autres éléments de preuve, parmi lesquels sont admis d’autres rapports d’expertise non contradictoires (voir en ce sens Cass, Civ 1, 9 septembre 2020, 19-13.755).
En vertu de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
En l’espèce, c’est de façon inopérante que la SCI Aubervilliers avance que Mme X. ne lui aurait pas dénoncé cette non-conformité dans le délai d’un mois suivant la livraison dès lors que le texte visé n’impose pas une telle démarche à l’acquéreur.
Il résulte de l’acte de vente que la SCI Aubervilliers s’est engagée à livrer à Mme X. un bien correspondant à « un appartement de type T3 d’une surface habitable d’environ 64,95 mètres carrés, situé au deuxième étage, conformément au plan coté contresigné le 8 décembre 2017 et à la notice descriptive en date du 15 juin 2017, stade [12], indice 1, demeurés ci-annexés (Annexe n°8) (Annexe n°9), le tout ainsi qu’il sera exposé en partie développée de l'acte ».
Le tribunal observe que Mme X. produit le plan coté en date du 8 décembre 2017, dont il n’est pas contesté qu’il constitue l’annexe n°8 de l’acte de vente, et duquel il résulte que la SCI Aubervilliers s’est engagée à ce que l’appartement livré comporte un salon d’une surface habitable de 20,41 mètres carrés. Il est précisé que « les surfaces sont approximatives ».
Pour alléguer l’existence d’une non-conformité, Mme X. produit un rapport d’expertise menée par le cabinet Concept Diagnostics, qui conclut que la surface du salon est de 14,15 mètres carrés seulement.
Cependant, il sera retenu que cette seule pièce, qui n’est corroborée par aucun autre élément, comme par exemple un procès-verbal de constat par huissier de justice, est insuffisante à caractériser une non-conformité.
Le moyen tiré de la non-conformité ne peut donc prospérer.
Pour les mêmes raisons probatoires, la responsabilité contractuelle de la SCI Aubervilliers, que Mme X. entendait mettre en œuvre pour s’être vu livrer un bien différent de celui prévu contractuellement, n’est pas engagée.
En conséquence, Mme X. sera déboutée de sa demande en paiement de 56 790 euros.
Sur l’établissement du titre de propriété de Mme X. :
Aux termes de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Aux termes de l'article L131-1 du code des procédures civiles d’exécution, tout juge peut, même d'office, ordonner une astreinte pour assurer l'exécution de sa décision.
En l’espèce, l’acte de vente des lots dont Mme X. était propriétaire au bénéfice de la SCI Aubervilliers stipule à propos des modalités de paiement du prix que « la remise des locaux fera l’objet d’un acte complémentaire à recevoir par le notaire soussigné, avec la participation de Maitre [K] dans les trois (3) mois de l'achèvement des travaux afin de constater le transfert de propriété des locaux remis en dation ».
Il est constant que l’acte de dation n’a pas été établi, même si la SCI Aubervilliers indique que les démarches sont en cours.
Par conséquent, la SCI Aubervilliers sera condamnée à faire établir par son notaire et à ses frais un acte de dation ayant pour objet de constater le transfert, au bénéfice de Mme X., de la propriété des locaux qui lui ont été remis en paiement, et sa publication au fichier immobilier, sous astreinte de 100 euros par jour de retard pendant trois mois, à l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de la signification du jugement à intervenir.
Sur les dépens :
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à charge de l'autre partie.
L’article 699 du code de procédure civile prévoit que les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.
La SCCV [Localité 8] sera condamnée aux dépens, avec application de l’article 699 du code de procédure civile.
Sur les frais irrépétibles :
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le tribunal condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Par principe, le tribunal alloue à ce titre une somme correspondant aux frais réellement engagés, à partir des justificatifs produits par les parties, ou, en l’absence de justificatif, à partir des données objectives du litige (nombre de parties, durée de la procédure, nombre d’écritures échangées, complexité de l’affaire, incidents de mise en état, mesure d’instruction, etc.). Par exception et de manière discrétionnaire, le tribunal peut, considération prise de l’équité ou de la situation économique des parties, allouer une somme moindre, voire dire qu’il n’y a lieu à condamnation.
La SCCV [Localité 8] sera condamnée à payer à Mme X. la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La SCCV [Localité 8] sera déboutée de sa demande de ce chef.
Sur l’exécution provisoire :
Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
Il sera rappelé l’exécution provisoire du jugement.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
Le tribunal, publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort et mis à disposition au greffe,
Condamne la SCCV [Adresse 7] [Adresse 13] à payer à Mme X. la somme de 5 000 euros au titre du préjudice de jouissance ;
Condamne la SCCV [Adresse 7] [Adresse 13] à payer à Mme X. la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral ;
Condamne la SCCV [Adresse 10] à faire établir par son notaire et à ses frais un acte de dation ayant pour objet de constater le transfert, au bénéfice de Mme X., de la propriété des locaux qui lui ont été remis en paiement, et sa publication au fichier immobilier, sous astreinte de 100 euros par jour de retard pendant trois mois, à l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de la signification du jugement à intervenir ;
Déboute Mme X. du reste de ses demandes ;
Condamne la SCCV [Adresse 7] [Adresse 13] à payer à Mme X. la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SCCV [Adresse 7] [Adresse 13] aux dépens ;
Autorise l’application de l’article 699 du code de procédure civile ;
Rappelle l’exécution provisoire du jugement.
La minute est signée par Monsieur François DEROUAULT, juge, assisté de Madame Maud THOBOR, greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT