CA BESANÇON (1re ch. civ. com.), 15 avril 2025
- TJ Montbeliard (Jex), 15 novembre 2024 : RG n°23/00033
CERCLAB - DOCUMENT N° 23798
CA BESANÇON (1re ch. civ. com.), 15 avril 2025 : RG n° 24/01810
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « M. X. et Mme Y. ne justifient pas avoir présenté une telle demande en première instance puisque la question de la clause de déchéance du terme ne figure que dans le corps des conclusions et n'a pas été reprise dans le dispositif de leurs conclusions sous la forme d'une « demande de dire inopposable comme étant abusive ladite clause ».
Néanmoins, cette demande telle que présentée devant la cour vise à faire écarter la prétention de la banque relative à la vente forcée de l'immeuble en exécution de la condamnation de M. X. et Mme Y. à lui payer le solde du crédit immobilier ; il s'agit donc d'une des exceptions prévue par l'article 564 code de procédure civile qui rend cette demande recevable à hauteur de cour. Et surtout, la cour, statuant en qualité de juge de l'exécution d'appel, est tenue, même en présence d'une précédente décision revêtue de l'autorité de la chose jugée sur le montant de la créance, sauf lorsqu'il ressort de cette décision que le juge s'est livré à cet examen, et pour autant qu'elle dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d'examiner d'office si les clauses insérées dans le contrat conclu entre le professionnel et le non-professionnel ou consommateur ne revêtent pas un caractère abusif. La cour rejette donc la fin de non-recevoir présentée par la banque tirée du caractère nouveau de la demande de M. X. et Mme Y. relative à l'existence d'une clause abusive. »
2/ « En l'espèce, le contrat, conclu entre M. X. et Mme Y. et la banque comporte, dans ses conditions générales, un article intitulé « Déchéance du terme » contenant la clause ainsi libellée : « en cas de survenance de l'un quelconque des cas de déchéance du terme visés ci-après, le prêteur pourra se prévaloir de l'exigibilité immédiate du présent prêt sans qu'il soit besoin d'aucune formalité judiciaire et après mise en demeure restée infructueuse pendant 15 jours ».
Un délai de préavis de quinze jours pour prononcer la déchéance du terme d'un crédit immobilier ne peut être considéré comme un délai raisonnable (Cass., 1re civ., 29 mai 2024, n° 23-12.904) ; il crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du débiteur qui a été exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement ; il importe peu que, en pratique, la banque ait laissé un délai de deux mois à M. X. et Mme Y. pour régulariser la créance alléguée puisque le caractère abusif d'une clause s'apprécie in abstracto selon ses termes dans le contrat et non pas en fonction de la mise en oeuvre discrétionnaire par le professionnel (CJUE, 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14, §75). La cour juge donc que la clause de déchéance du terme du contrat est abusive et doit être réputée non écrite. Il en résulte que le titre exécutoire, donc le jugement du tribunal judiciaire de Montbéliard rendu le 24 mai 2023 est privé d'effet en tant qu'il applique la clause abusive réputée non écrite en intégrant des sommes résultant de la déchéance du terme. »
3/ « Il y a ainsi lieu de calculer le montant de la créance hors déchéance du terme, donc en ne conservant que les mensualités impayées et éventuels intérêts et frais y afférents ; selon le décompte de créance figurant en pièce 3 du dossier de la banque, ayant servi au calcul de la créance par le tribunal judiciaire de Montbéliard, les échéances impayées visées par le commandement litigieux s'élevaient à 6 813,33 euros et concernaient les échéances du 10 mars 2022 au 11 juillet 2022. Or, M. X. et Mme Y. ayant continué à régler, entre le 22 juillet 2022 et le 6 septembre 2023, soit avant le commandement de payer délivré le 3 octobre 2023, les échéances du prêt, et ces règlements s'imputant prioritairement sur les échéances les plus anciennes par application des dispositions de l'article 1256 du code civil, toutes les échéances impayées visées par le commandement de payer ont été réglées ; dès lors, ce commandement de payer, qui fonde la mesure de saisie immobilière, n'est pas causé.
En conséquence, la cour, infirmant le jugement, annule le commandement de payer du 3 octobre 2023 et tous les actes d'exécution subséquents, et ordonne mainlevée de la saisie immobilière. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE BESANÇON
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 15 AVRIL 2025
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 24/01810 - N° Portalis DBVG-V-B7I-E26S. Décision déférée à la Cour : jugement du 15 novembre 2024 - RG n°23/00033 - JUGE DE L'EXECUTION DE MONTBELIARD. Code affaire : 78B - Demande tendant à la suspension de la procédure de saisie immobilière, l'annulation ou la péremption du commandement ou tendant à la vente amiable
COMPOSITION DE LA COUR : M. Michel WACHTER, Président de chambre. Mme Anne-Sophie WILLM et Madame Bénédicte MANTEAUX, Conseillers.
Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS : L'affaire a été examinée en audience publique du 18 février 2025 tenue par M. Michel WACHTER, président de chambre, Mme Anne-Sophie WILLM et Madame Bénédicte MANTEAUX, conseillers et assistés de Mme Fabienne ARNOUX, greffier. Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.
L'affaire oppose :
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTS :
Monsieur X.
né le [Date naissance 4] à [Localité 11] [pays], de nationalité Suisse, demeurant [Adresse 5], Représenté par Maître Elodie CHESNEAU, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant, Représenté par Maître Anne-chloé SIMONSEN, avocat au barreau de GRASSE, avocat plaidant
Madame Y.
née le [Date naissance 3] à [Localité 9] [pays], de nationalité Suisse, demeurant [Adresse 5], Représentée par Maître Elodie CHESNEAU, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant, Représentée par Maître Anne-Chloé SIMONSEN, avocat au barreau de GRASSE, avocat plaidant
ET :
INTIMÉS :
CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DE FRANCHE-COMTÉ
Sis [Adresse 2], Immatriculé au RCS de Besançon sous le numéro XXX, Représentée par Maître Julia BOUVERESSE de la SCP BOUVERESSE AVOCATS, avocat au barreau de MONTBELIARD
TRÉSOR PUBLIC
Sis SIP DE [Localité 10], [Adresse 1], Défaillant, à qui l'assignation à jour fixe a été signifiée le 17 janvier 2025.
ARRÊT : - RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE - Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Par jugement définitif rendu par le tribunal judiciaire de Montbéliard le 24 mai 2023, M. X. et Mme Y. ont été solidairement condamnés à régler à la société coopérative La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Franche-Comté (la banque) la somme de 266 904,90 euros avec intérêts au taux conventionnel de 1,050 % à compter du 22 juillet 2022 au titre du prêt immobilier « prêt habitat en devises » n° 0000746647 accepté le 26 janvier 2018, sans capitalisation, outre la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Ce jugement leur a été signifié par acte de commissaire de justice en date du 1er juin 2023. Le 3 octobre 2023, la banque leur a fait signifier un commandement de payer la somme de 254 836,62 euros due à la date du 6 septembre 2023 valant saisie immobilière. Ce commandement de payer a été publié au service de la publicité foncière de [Localité 10] le 20 octobre 2023.
Par assignation délivrée le 6 décembre 2023, la banque a attrait M. X. et Mme Y. à l'audience d'orientation du juge de l'exécution en charge des saisies immobilières du tribunal judiciaire de Montbéliard aux fins de :
- statuer sur les éventuelles contestations et demandes incidentes ;
- déterminer les modalités de poursuites de la procédure ;
- constater que la créance qu'elle a sur M. X. et Mme Y. s'élevait au 23 février 2024 à la somme de 252 511,49 euros (soit 245 608,14 euros déduction faite des acomptes reçus du 22 juillet 2022 au 17 novembre 2023 pour 24 703,12 euros, outre 5 741,07 euros au titre des dépens et 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile) ;
- ordonner la vente forcée de l'immeuble situé [Adresse 5] à [Localité 8] sur la mise à prix de 70 000 euros ;
- fixer la date d'adjudication et la date de visites des biens saisis ;
- condamner M. X. et Mme Y. au règlement à son profit de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dire que les dépens seront pris en frais privilégiés de vente.
Par jugement d'orientation rendu le 15 novembre 2024, le juge de l'exécution chargé des saisies immobilières du tribunal judiciaire de Montbéliard a notamment :
- constaté que les conditions prévues par les articles L. 311-2, L. 311-4 et L. 311-6 du code des procédures civile d'exécution étaient réunies ;
- rejeté les demandes de M. X. et Mme Y. visant :
. à contester le bien-fondé du titre exécutoire ;
. à leur payer la somme de 9 929,70 euros au titre du solde de leur compte courant non restitué ;
. à les indemniser à hauteur de 30 000 euros pour procédure abusive ;
- mentionné la créance de la banque à la somme totale de 252 511,49 euros selon décompte au 23 février 2024, outre intérêts postérieurs ;
- ordonné la vente forcée des biens figurant au commandement de payer valant saisie immobilière ;
- dit que l'adjudication aura lieu, conformément aux modalités prévues par le cahier des conditions de la vente à l'audience d'adjudication du mardi 4 mars 2025 à 10h00 au tribunal judiciaire de Montbéliard ;
- renvoyé l'affaire à cette audience, le présent jugement valant convocation ;
- fixé les modalités de visite des biens mis en vente ;
- dit que les dépens seront compris dans les frais de vente soumis à taxe, et que le créancier poursuivant déposera un état des frais au moins sept jours avant la date prévue pour l'audience de ventes aux enchères.
Pour parvenir à cette décision, le juge de première instance a notamment considéré que :
- la contestation par M. X. et Mme Y. de leur dette fondée sur l'affirmation qu'ils avaient payé les échéances du crédit du 3 avril 2018 au 6 octobre 2023 était inopérante puisqu'elle tendait à remettre en cause le jugement du 24 mai 2023 et se heurtait donc à l'autorité de la chose jugée, ce jugement étant devenu définitif après une déclaration d'appel jugée irrecevable pour avoir été exercée hors délai ;
- la demande reconventionnelle en paiement de la somme de 9 929,70 euros au titre du solde du compte courant non restitué par la banque ne pouvait prospérer devant le juge de l'exécution qui ne pouvait délivrer de titre exécutoire en dehors des exceptions prévues par le code des procédures civiles d'exécution qui ne concernaient pas cette demande.
Par déclaration du 12 décembre 2024, M. X. et Mme Y. ont interjeté appel de ce jugement. Ils ont été autorisés à assigner à jour fixe pour le 18 février 2025 par ordonnance du 6 janvier 2025 du premier président saisi par requête du 20 décembre 2024. L'assignation a été délivrée à la banque le 16 janvier 2025 et au trésor public le 17 janvier 2025.
[*]
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises le 17 février 2025, M. X. et Mme Y. concluent à l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions et demandent à la cour, statuant à nouveau, de :
- « dire et juger » que le juge de l'exécution statue sur les éventuelles contestations et demandes incidentes dans le cadre de l'audience d'orientation en ce compris l'existence ou le montant de la créance même si ladite créance a fait l'objet d'un jugement revêtu de l'autorité de la chose jugée,
- « dire et juger » que, plus particulièrement, le juge de l'exécution statuant en matière de saisie immobilière est tenu de procéder d'office à la vérification de la créance,
- « constater » que M. X. et Mme Y. justifient avoir réglé par prélèvements automatiques les échéances mensuelles de l'emprunt depuis le compte de la Banque Cantonale de [Localité 7] n°[XXXXXXXXXX06] en devises CHF,
- « constater » qu'entre les mois de mars et août 2022, une partie des sommes prélevées n'ont pas été affectées par la banque au remboursement de l'emprunt litigieux,
- « constater » que ce défaut d'affectation sur le compte du prêt 746647 ne relève pas d'une faute des débiteurs mais d'un dysfonctionnement interne à la banque et ses filiales,
- « constater » la continuité des prélèvements opérés par M. X. et Mme Y. sur le compte en devises n° [XXXXXXXXXX06] de la Banque Cantonale de [Localité 7] au nom de M. X.,
- « constater » que M. X. est à jour de ses échéances mensuelles au titre de l'emprunt immobilier, ayant réglé au 3 février 2025 la somme totale de 141 049,00 CHF,
- « constater » que les créances dont se prévalait la banque dans le cadre des mises en demeure des 24 mai et 21 juillet 2022 sont inexistantes, les prélèvements ayant été effectués en continu auprès de la Banque Cantonale de [Localité 7],
- juger nul et de nul effet le commandement de payer valant saisie immobilière signifié le 3 octobre 2023, ainsi que la procédure subséquente,
- en tout état de cause, « constater » l'absence de créance liquide et exigible au bénéfice du la banque,
- « juger » n'y avoir lieu à vente forcée,
- débouter la banque de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- ordonner la mainlevée de la saisie immobilière ;
A titre subsidiaire :
- « juger » que les mises en demeure adressées par la banque sont irrégulières, eu égard au court délai de quinze jours,
- « juger » que la banque a renoncé à la déchéance du terme du contrat de prêt immobilier en prélevant les échéances mensuelles de remboursement du contrat de prêt immobilier jusqu'à ce jour,
- réputer non écrite comme étant abusive la clause contenue dans le contrat de prêt prévoyant la déchéance du terme et l'exigibilité immédiate du prêt en capital, intérêts et accessoires sans qu'il soit besoin d'aucune formalité judiciaire et après mise en demeure restée infructueuse pendant 15 jours en cas de défaillance dans le remboursement des sommes dues ;
- « juger » que la déchéance du terme n'est pas valablement intervenue ;
- « juger » que le titre exécutoire est privé d'effet en ce qu'il applique la clause abusive réputée non écrite,
- « constater » que les débiteurs ne doivent aucune somme, les débiteurs étant à jour de leurs échéances mensuelles au titre de l'emprunt immobilier, ayant réglé au 4 décembre 2024 la somme totale de 137 649 CHF ; en conséquence :
- « juger » que la banque ne détient aucune créance liquide et exigible à leur encontre,
- « juger » n'y avoir lieu à vente forcée,
- débouter la banque de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- ordonner la mainlevée de la saisie immobilière ;
A titre infiniment subsidiaire :
- ordonner à la banque de produire l'ensemble des justificatifs ayant trait au cheminement de ces prélèvements et notamment entre la banque Next Bank Suisse et la banque de Franche-Comté,
- si une créance résiduelle devait alors être révélée, juger que les intérêts au taux légal ne s'y appliqueraient qu'à compter de la date du prononcé de l'arrêt de la cour,
- ordonner un délai de grâce de deux ans à M. X. et Mme Y. afin de régler l'éventuelle créance,
- « juger » n'y avoir lieu à vente forcée,
- débouter la banque de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- ordonner la mainlevée de la saisie immobilière ;
En tout état de cause :
- condamner la banque aux entiers dépens et au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils font valoir que :
- le jugement du 24 mai 2023 a été rendu sans contradictoire, en leur absence, et aucun appel n'a été effectué, faute pour leur ancien conseil d'avoir formé appel en temps utile ;
- le contrôle d'office auquel était tenu le juge de l'exécution statuant en matière de saisie immobilière, n'a pas été effectué, le juge n'ayant vérifié que la conformité du montant de la créance avec le titre exécutoire, sans contrôler les pièces justificatives des paiements des mensualités de l'emprunt par les débiteurs ; la question de l'existence de la créance et, le cas échéant, de son montant, n'a jamais été débattue et n'a ainsi jamais été tranchée par un dispositif ;
- pendant l'année 2022, les sommes issues des prélèvements automatiques mensuels émis à partir du compte Banque Cantonale de [Localité 7] de M. X. qui recouvraient toutes les échéances réclamées à ce jour pour un montant total de 137 649 CHF au mois de décembre 2024, n'ont pas été intégralement reversées sur le compte d'affectation à l'emprunt de la banque ; ces différences de sommes proviennent, selon toutes vraisemblances, de fautes de retranscription commises en interne par la banque ;
- la déchéance du terme de l'emprunt prononcée par la banque de Franche-Comté à l'issue du commandement de payer en date du 3 octobre 2023 n'avait donc aucun fondement et les causes du commandement valant saisie immoblière en date du 3 octobre 2023 étaient inexistantes ;
- la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d'une durée raisonnable, est abusive et le juge de l'exécution est tenu de relever le caractère abusif d'une clause même en présence d'une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée ;
- la banque a adressé une première mise en demeure en date du 24 mai 2022 qui précisait un délai de quinze jours pour régler la somme de 4 540,01 euros ; le délai de 15 jours a été jugé comme étant un délai abusif par la jurisprudence récente de la Cour de Cassation. (Cass. civ. 1, 29 mai 2024, n° 23-12.904, F-B) ; il importe peu que dans les faits la banque ait attendu plus longtemps pour prononcer la déchéance du terme puisque l'examen du caractère abusif d'une clause doit se faire au regard de sa seule rédaction, et non de la manière dont le professionnel l'a mise en œuvre (CA Paris, 1, 10, 12-09-2024, n° 23/13302) ;
- le titre exécutoire étant privé d'effet en tant qu'il applique la clause abusive réputée non écrite, le juge de l'exécution est tenu de calculer à nouveau le montant de la créance selon les dispositions propres aux mesures d'exécution forcée dont il est saisi ; il tire ensuite toutes les conséquences de l'évaluation de cette créance sur les contestations des mesures d'exécution dont il est saisi ; lorsqu'il constate que le débiteur ne doit plus aucune somme, il doit ordonner la mainlevée de la mesure ;
- il ne saurait être opposé à cette demande une fin de non-recevoir tirée de son caractère nouveau alors d'une part que l'absence de mise en demeure régulière du fait du déséquilibre significatif créé par la clause litigieuse avait été soulevée en première instance (page 4 des conclusions de première instance, pièce 23) et d'autre part que le juge de l'exécution aurait dû le relever d'office ;
- il y a lieu de considérer que la banque a de toutes façons renoncé à la déchéance du terme de l'emprunt 746647 puisqu'elle poursuit jusqu'à ce jour le prélèvement des échéances mensuelles de remboursement de cet emprunt de manière continue.
[*]
La banque a répliqué par conclusions transmises le 13 février 2025 pour demander à la cour de :
A titre principal :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
A titre subsidiaire :
- juger irrecevable comme nouvelle la prétention relative au caractère prétendument abusif de la clause relative à la déchéance du terme ;
- débouter M. X. et Mme Y. de l'ensemble de leurs demandes ;
En tout état de cause :
- condamner M. X. et Mme Y. aux entiers dépens et au paiement à son profit de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que :
- le juge de l'exécution ne peut modifier le dispositif du jugement qui sert de fondement aux poursuites (article R. 121-1 du Code des procédures civiles d'exécution), ni a fortiori l'annuler (Civ. 2ème, 25 mars 1998, n°95-16913) » ;
- la demande subsidiaire relative au caractère abusif de la clause de déchéance du terme est irrecevable comme étant nouvelle à hauteur de cour ;
- les dispositions de la clause de déchéance du terme comme son application ne souffrent pas la critique dès lors qu'elle a manifestement respecté un délai raisonnable avant de se résoudre à prononcer la déchéance du terme.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
Le trésor public n'a pas constitué avocat ; la déclaration d'appel lui ayant été remis à personne morale par acte de commissaire de justice du 17 janvier 2025, le présent arrêt est réputé contradictoire en application du second alinéa de l'article 474 alinéa 1 du code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « donner acte », « constatations » ou de « dire et juger » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.
Si M. X. et Mme Y. ont relevé appel du chef de jugement qui a rejeté leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, ils n'ont pas soutenu cet appel dans leurs conclusions ; ce chef de jugement sera donc confirmé.
Sur les demandes principales afférentes à la validité du titre exécutoire :
Le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l'exécution. Le rôle du juge de l'exécution intervenant dans le cadre du jugement d'orientation de saisie immobilière n'est pas différent de celui du juge de l'exécution intervenant dans une autre matière.
C'est donc à bon droit que le juge de l'exécution a refusé de procéder à la vérification de l'état de la créance et de la régularité du commandement de payer et a rejeté leur demande en paiement du solde de leur compte courant, actes visant à contester le titre exécutoire, en application de l'autorité de la chose jugée du jugement du 24 mai 2023. La cour infirmera néanmoins le jugement en ce qu'il a rejeté ces chefs de demande, alors qu'il lui appartenait de les déclarer irrecevables.
Sur les demandes subsidiaires afférentes à l'existence d'une clause abusive :
Il résulte de l'article L. 132-1, alinéa 1 devenu L. 212-1, al 1, du code de la consommation pris en application de l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, que, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives et réputées non écrites les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Sur ce fondement, le juge de l'exécution doit, à la demande des parties ou d'office, examiner si, au regard des critères posés par les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), les clauses insérées dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs ne revêtent pas un caractère abusif.
La banque oppose à cette demande de M. X. et Mme Y. une fin de non-recevoir tirée du caractère nouveau à hauteur de cour.
L'article 564 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
M. X. et Mme Y. ne justifient pas avoir présenté une telle demande en première instance puisque la question de la clause de déchéance du terme ne figure que dans le corps des conclusions et n'a pas été reprise dans le dispositif de leurs conclusions sous la forme d'une « demande de dire inopposable comme étant abusive ladite clause ».
Néanmoins, cette demande telle que présentée devant la cour vise à faire écarter la prétention de la banque relative à la vente forcée de l'immeuble en exécution de la condamnation de M. X. et Mme Y. à lui payer le solde du crédit immobilier ; il s'agit donc d'une des exceptions prévue par l'article 564 code de procédure civile qui rend cette demande recevable à hauteur de cour.
Et surtout, la cour, statuant en qualité de juge de l'exécution d'appel, est tenue, même en présence d'une précédente décision revêtue de l'autorité de la chose jugée sur le montant de la créance, sauf lorsqu'il ressort de cette décision que le juge s'est livré à cet examen, et pour autant qu'elle dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d'examiner d'office si les clauses insérées dans le contrat conclu entre le professionnel et le non-professionnel ou consommateur ne revêtent pas un caractère abusif.
La cour rejette donc la fin de non-recevoir présentée par la banque tirée du caractère nouveau de la demande de M. X. et Mme Y. relative à l'existence d'une clause abusive.
En l'espèce, le contrat, conclu entre M. X. et Mme Y. et la banque comporte, dans ses conditions générales, un article intitulé « Déchéance du terme » contenant la clause ainsi libellée : « en cas de survenance de l'un quelconque des cas de déchéance du terme visés ci-après, le prêteur pourra se prévaloir de l'exigibilité immédiate du présent prêt sans qu'il soit besoin d'aucune formalité judiciaire et après mise en demeure restée infructueuse pendant 15 jours ».
Un délai de préavis de quinze jours pour prononcer la déchéance du terme d'un crédit immobilier ne peut être considéré comme un délai raisonnable (Cass., 1re civ., 29 mai 2024, n° 23-12.904) ; il crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du débiteur qui a été exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement ; il importe peu que, en pratique, la banque ait laissé un délai de deux mois à M. X. et Mme Y. pour régulariser la créance alléguée puisque le caractère abusif d'une clause s'apprécie in abstracto selon ses termes dans le contrat et non pas en fonction de la mise en oeuvre discrétionnaire par le professionnel (CJUE, 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14, §75).
La cour juge donc que la clause de déchéance du terme du contrat est abusive et doit être réputée non écrite.
Il en résulte que le titre exécutoire, donc le jugement du tribunal judiciaire de Montbéliard rendu le 24 mai 2023 est privé d'effet en tant qu'il applique la clause abusive réputée non écrite en intégrant des sommes résultant de la déchéance du terme.
Il y a ainsi lieu de calculer le montant de la créance hors déchéance du terme, donc en ne conservant que les mensualités impayées et éventuels intérêts et frais y afférents ; selon le décompte de créance figurant en pièce 3 du dossier de la banque, ayant servi au calcul de la créance par le tribunal judiciaire de Montbéliard, les échéances impayées visées par le commandement litigieux s'élevaient à 6 813,33 euros et concernaient les échéances du 10 mars 2022 au 11 juillet 2022. Or, M. X. et Mme Y. ayant continué à régler, entre le 22 juillet 2022 et le 6 septembre 2023, soit avant le commandement de payer délivré le 3 octobre 2023, les échéances du prêt, et ces règlements s'imputant prioritairement sur les échéances les plus anciennes par application des dispositions de l'article 1256 du code civil, toutes les échéances impayées visées par le commandement de payer ont été réglées ; dès lors, ce commandement de payer, qui fonde la mesure de saisie immobilière, n'est pas causé.
En conséquence, la cour, infirmant le jugement, annule le commandement de payer du 3 octobre 2023 et tous les actes d'exécution subséquents, et ordonne mainlevée de la saisie immobilière.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire, après débats en audience publique :
Rejette la fin de non recevoir présentée par la société coopérative La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Franche-Comté tirée du caractère nouveau des demandes de M. X. et Mme Y. afférentes à l'existence d'une clause abusive et à ses effets ;
Infirme le jugement d'orientation rendu entre les parties le 15 novembre 2024 par le tribunal judiciaire de Montbéliard sauf en ce qu'il a rejeté la demande de M. X. et Mme Y. en indemnisation de leur préjudice pour procédure abusive ;
Statuant à nouveau sur ces chefs infirmés et y ajoutant :
Déclare M. X. et Mme Y. irrecevables en leurs demandes de contestation du titre exécutoire et de paiement de la somme de 9 929,70 euros au titre du solde du compte courant ;
Déclare abusive la clause de déchéance du terme du contrat du 26 janvier 2018 souscrit entre M. X. et Mme Y. et la société coopérative La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Franche-Comté et la répute non écrite ;
Annule le commandement de payer du 3 octobre 2023 délivré par la société coopérative La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Franche-Comté à M. X. et Mme Y. et de tous les actes d'exécution subséquents ;
Ordonne la main-levée de la procédure de saisie immobilière initiée par la société coopérative La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Franche-Comté selon commandement de payer du 3 octobre 2023 portant sur le bien immobilier de M. X. et Mme Y. situé [Adresse 5] à [Localité 8] ;
Condamne la société coopérative La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Franche-Comté aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
Et, vu l'article 700 du code de procédure civile, déboute la société coopérative La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Franche-Comté de sa demande et la condamne à payer à M. X. et Mme Y. la somme de 4 000 euros.
Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Fabienne Arnoux, greffier.
Le greffier, Le président,