CA RENNES (2e ch.), 27 mai 2025
- TJ Saint-Brieuc, 14 mars 2023 : RG n° 20/01153
CERCLAB - DOCUMENT N° 23832
CA RENNES (2e ch.), 27 mai 2025 : RG n° 23/02531 ; arrêt n° 200
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « Il résulte de l'article R. 632-1 du code de la consommation que le juge doit écarter d'office, après avoir recueilli les observations des parties, l'application d'une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat. Or, la question de la validité de la déchéance du terme ressort des éléments du débat comme ayant été expressément invoquée par les emprunteurs.
Selon l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Les clauses abusives sont réputées non écrites. Au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêts des 26 janvier 2017 C-421/14 et 8 décembre 2022 C-600/21) ainsi que de la Cour de cassation (arrêt du 22 mars 2023 n° 21-16.044), il est de principe que, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, la clause d'un contrat de prêt qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d'une durée raisonnable, une telle clause étant abusive au sens de l'article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation.
Il ressort des termes des deux contrats de prêt en cause que le prêteur pourra se prévaloir de l'exigibilité anticipée immédiate du crédit en capital, intérêts et accessoires sans qu'il soit besoin d'aucune formalité judiciaire et après une mise en demeure restée infructueuse pendant 15 jours et ce, notamment en cas de défaillance dans le remboursement des sommes dues en vertu du/des prêts. Une telle clause ne laisse aux emprunteurs qu'un délai particulièrement bref et qui ne saurait être considéré comme raisonnable pour régulariser l'arriéré ou saisir le juge des référés en suspension de l'obligation de remboursement du prêt sur le fondement de l'article L. 314-20 du code de la consommation. Elle permet au prêteur de se prévaloir à sa convenance de la déchéance du terme pour une seule échéance impayée, sans considération de la gravité du manquement au regard de la durée et du montant des prêts consentis en l'espèce pour un montant de 65.000 euros pendant 180 mois et 39 597 euros pendant 240 mois. Au surplus, le caractère abusif ou non de la clause contractuelle s'apprécie à la date de la conclusion du contrat, soit en l'espèce au 2 mai 2014, indépendamment des circonstances postérieures mises en œuvre pour l'application de ladite clause, et notamment de l'envoi de courriers de mise en demeure et du délai supérieur à 15 jours effectivement écoulé entre la mise en demeure préalable à la déchéance du terme, la notification de la déchéance du terme et l'assignation en paiement. Ainsi, elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment des emprunteurs, exposés à rembourser immédiatement la totalité du capital restant dû pour un simple décalage de paiement et donc à une aggravation soudaine des conditions de remboursement. Il convient en conséquence de déclarer cette clause de déchéance du terme abusive. Il en résulte que la clause d'exigibilité anticipée prévue au contrat de prêt est réputée non écrite et privée d'effet, de sorte que le Crédit Agricole n'est pas fondé à se prévaloir de la déchéance du terme du prêt. »
2/ « L'inefficacité de la clause de résiliation de plein droit du contrat n'interdit toutefois nullement au prêteur de solliciter la résiliation judiciaire de celui-ci, en cas de manquement grave des emprunteurs à leurs obligations contractuelles. En effet, cette clause annulée n'est pas l'objet principal de la convention, qui reste de mettre à disposition des emprunteurs une somme d'argent et de déterminer les conditions et termes de son remboursement. En l'espèce, le non-paiement de plusieurs échéances dues au titre des deux prêts constitue en effet un manquement grave et persistant des époux Y. à leur obligation essentielle de remboursement des deux prêts et justifie la résiliation judiciaire des deux contrats. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 27 MAI 2025
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 23/02531. Arrêt n° 200. N° Portalis DBVL-V-B7H-TWX5 (Réf 1ère instance : 20/01153)
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
Assesseur : Madame Valérie PICOT-POSTIC, Conseiller,
GREFFIER : Mme Ludivine BABIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS : A l'audience publique du 11 mars 2025
ARRÊT : Contradictoire, prononcé publiquement le 27 mai 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
APPELANTE :
CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DES COTES D'ARMOR
[Adresse 6], [Localité 5], Représentée par Maître Stéphanie PRENEUX de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉS :
Madame X. épouse Y.
née le [Date naissance 3] à [Localité 7], [Adresse 1], [Localité 4]
Monsieur Y.
né le [Date naissance 2] à [Localité 7], [Adresse 1], [Localité 4]
Tous deux représentés par Maître Katell GOURGAND, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
Suivant offres de prêts acceptées le 29 mai 2014, M. Y. et Mme X., épouse Y. (ci-après les époux), ont souscrit auprès de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Côtes d'Armor (ci-après le Crédit Agricole) deux prêts immobiliers :
- un prêt n°10000050151 d'un montant de 65.000 euros,
- un prêt immobilier n°10000050152 d'un montant de 39 597 euros.
Par courriers recommandés des 23 février et 14 mai 2018, le Crédit Agricole des Côtes d'Armor a mis en demeure M. Y. et Mme Y. de payer des échéances impayées avant de prononcer la déchéance du terme par courrier recommandé du 25 juillet 2018.
Suivant acte extrajudiciaire du 21 juillet 2020, la Caisse régionale de Crédit Agricole mutuel des Côtes d'Armor a assigné les époux Y. devant le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc en paiement des sommes dues au titre des contrats de prêts.
Suivant jugement du 14 mars 2023, le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc a débouté la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel des Côtes d'Armor de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens de l'instance.
Suivant déclaration du 26 avril 2023, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Côtes d'Armor a interjeté appel.
[*]
Selon ses conclusions du 6 février 2025, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Côtes d'Armor demande à la cour au visa des articles 1103, 1104 et 1343-1 du code civil de :
- déclarer recevable et fondé son appel,
- y faisant droit, infirmer en toutes ses dispositions la décision entreprise et,
Statuant à nouveau,
A titre subsidiaire, pour le cas où les clauses de déchéance du terme seraient qualifiées de clauses abusives,
- Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de prêt n°10000050151, conclu le 29 mai 2014 entre M. Y. et Mme Y. avec la Caisse régionale de Crédit mutuel de crédit agricole mutuel des Côtes d'Armor,
- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de prêt n°10000050152, conclu le 29 mai 2014 entre M. Y. et Mme Y. avec la Caisse régionale de Crédit Agricole mutuel des Côtes d'Armor,
En tout état de cause,
- condamner solidairement M. Y. et Mme Y. au titre du prêt n°10000050151, à lui verser la somme de 65 818,02 euros, outre les intérêts au taux conventionnel de 2,8% du 06 février 2025, et jusqu'à parfait paiement ;
- condamner solidairement M. Y. et Mme Y. au titre du prêt n°10000050152, à lui verser la somme de 47 463,17 euros, outre les intérêts au taux conventionnel de 3% du 05 février 2025, et jusqu'à parfait paiement ;
- débouter M. Y. et Mme Y. de toutes leurs demandes, ;
- condamner solidairement M. Y. et Mme Y. à lui payer la somme de 3.000 ‘par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement Mme Y. et M. Y. aux dépens, tant de première instance que d'appel.
[*]
En leurs dernières conclusions du 26 février 2025, les époux Y. demandent à la cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement,
- débouter la Caisse régionale de Crédit Agricole mutuel des Côtes d'Armor de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel des Côtes d'Armor à leur verser la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la Caisse régionale de Crédit Agricole mutuel des Côtes d'Armor aux entiers dépens,
A titre subsidiaire,
- constater le caractère abusif de la clause autorisant la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues au titre du prêt en cas de défaut de paiement d'une échéance à sa date, sans mise en demeure ou sommation préalable ni préavis d'une durée raisonnable,
- débouter la Caisse régionale de Crédit Agricole mutuel des Côtes d'Armor de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la Caisse régionale de Crédit Agricole mutuel des Côtes d'Armor à leur verser la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la Caisse régionale de Crédit Agricole mutuel des Côtes d'Armor aux dépens,
A titre infiniment subsidiaire,
- constater leur engagement de rembourser 70.000 euros par virement CARPA dans le mois du prononcé de l'arrêt,
- leur accorder un délai de vingt-quatre mois en application des dispositions de l'article 1343-5 du code civil, avec intérêts au taux légal,
- prononcer la déchéance totale du droit aux intérêts contractuels pour violation de la banque à son obligation de contrôler la solvabilité des emprunteurs,
- dire que chacune des parties conservera à sa charge ses dépens.
[*]
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision ainsi qu'aux dernières conclusions précitées.
La clôture a été prononcée le 11 mars 2025.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Au soutien de son appel, le Crédit Agricole soutient que les emprunteurs solidaires, M. et Mme Y. ne contestent pas le principe des créances issues de chacun des deux prêts contactés et conteste l'argumentation retenue par le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc qui l'a déboutée de ses demandes en « l'absence de décomptes détaillés qui ne permettaient pas de s'assurer du caractère bien-fondé de ses demandes ».
Il rappelle s'agissant de l'imputation des paiements des obligations de sommes d'argent, en cas de paiement partiel par le débiteur, les dispositions de l'article 1343-1 du code civil, soulignant qu'il a fourni pour les besoins de la cause, des documents supplémentaires de nature à éclairer la cour, sur le montant des sommes sollicitées.
Il fait également observer que si le montant des sommes réclamées est supérieur à celui indiqué dans la dernière mise en demeure du 25 juillet 2018, c'est en raison des intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt qui continuent de courir en cas de défaillance de l'emprunteur.
Il affirme que les décomptes produits pour les deux prêts permettent de vérifier les paiements effectués par M. et Mme Y.
Il prétend également qu'il appartient à ces derniers de justifier qu'ils ont indiqué l'affectation des paiements conformément à l'article 1342-10 du code civil.
Dans l'hypothèse où la cour analyserait la déchéance du terme comme une clause abusive, il entend solliciter la résiliation judiciaire des contrats de prêt n° 151 et 152 sur le fondement de la gravité du manquement des emprunteurs à leurs obligations contractuelles.
M. Y. et Mme Y. concluent au rejet des demandes formées par le Crédit Agricole en invoquant à titre principal le caractère injustifié du quantum des créances de la banque en faisant valoir que la banque continue de faire preuve d'opacité, que celle-ci continue de leur réclamer la somme de 65 818,02 euros pour le premier prêt et celle de 47 463,17 euros pour le second, soit un total de 113 281,1 euros, montant très supérieur à la somme totale due au 17 avril 2024, qu'ils ont effectué selon les décomptes versés par la banque sept versements en remboursement de leurs prêts qui résultent en réalité de prélèvements opérés arbitrairement par la banque en dépit du prononcé de la déchéance du terme le 25 juillet 2018, qu'ils ont eux-mêmes réalisé des virements.
Ils affirment qu'il appartient à l'appelante de s'expliquer sur l'absence de considération de l'ensemble de ces versements dans ses décomptes.
Ils contestent également les conditions dans lesquelles le prêteur a prononcé la déchéance du terme le 25 juillet 2018 en faisant valoir que celui-ci les a mis en difficulté en leur accordant des prêts à la consommation sans vérifier leur solvabilité et en prononçant la déchéance du terme sans leur permettre de trouver une solution.
Ils soutiennent que ce positionnement a entraîné une aggravation soudaine des conditions de remboursement, alors qu'ils se sont efforcés d'épargner pour démontrer leur capacité auprès de la banque et que celle-ci a refusé tout accord amiable.
Ils en concluent qu'il convient de constater l'existence d'une clause abusive qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d'une durée raisonnable et de débouter le Crédit Agricole de ses demandes.
Sur le caractère abusif de la clause de déchéance du terme :
Si la demande de M. Y. et Mme Y. tendant à voir constater le caractère abusif de la clause de déchéance du terme est nouvelle en cause d'appel, elle demeure recevable en ce qu'elle tend, par application de l'article 564 du code de procédure civile, à faire écarter partiellement les prétentions adverses.
Il est constant que le Crédit Agricole a notifié la déchéance du terme des deux prêts suivant lettres recommandées avec accusés de réception du 25 juillet 2018 en suite de mises en demeure préalables des 23 février et 14 mai 2018, et a mis en demeure les emprunteurs de régler pour le 10 août 2018, les sommes de 57 16,24 et 40 223,01 euros au titre des prêts n° 10000050151 et 10000050152.
Il résulte de l'article R. 632-1 du code de la consommation que le juge doit écarter d'office, après avoir recueilli les observations des parties, l'application d'une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat.
Or, la question de la validité de la déchéance du terme ressort des éléments du débat comme ayant été expressément invoquée par les emprunteurs.
Selon l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Les clauses abusives sont réputées non écrites.
Au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêts des 26 janvier 2017 C-421/14 et 8 décembre 2022 C-600/21) ainsi que de la Cour de cassation (arrêt du 22 mars 2023 n° 21-16.044), il est de principe que, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, la clause d'un contrat de prêt qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d'une durée raisonnable, une telle clause étant abusive au sens de l'article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation.
Il ressort des termes des deux contrats de prêt en cause que le prêteur pourra se prévaloir de l'exigibilité anticipée immédiate du crédit en capital, intérêts et accessoires sans qu'il soit besoin d'aucune formalité judiciaire et après une mise en demeure restée infructueuse pendant 15 jours et ce, notamment en cas de défaillance dans le remboursement des sommes dues en vertu du/des prêts.
Une telle clause ne laisse aux emprunteurs qu'un délai particulièrement bref et qui ne saurait être considéré comme raisonnable pour régulariser l'arriéré ou saisir le juge des référés en suspension de l'obligation de remboursement du prêt sur le fondement de l'article L. 314-20 du code de la consommation. Elle permet au prêteur de se prévaloir à sa convenance de la déchéance du terme pour une seule échéance impayée, sans considération de la gravité du manquement au regard de la durée et du montant des prêts consentis en l'espèce pour un montant de 65.000 euros pendant 180 mois et 39 597 euros pendant 240 mois.
Au surplus, le caractère abusif ou non de la clause contractuelle s'apprécie à la date de la conclusion du contrat, soit en l'espèce au 2 mai 2014, indépendamment des circonstances postérieures mises en oeuvre pour l'application de ladite clause, et notamment de l'envoi de courriers de mise en demeure et du délai supérieur à 15 jours effectivement écoulé entre la mise en demeure préalable à la déchéance du terme, la notification de la déchéance du terme et l'assignation en paiement.
Ainsi, elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment des emprunteurs, exposés à rembourser immédiatement la totalité du capital restant dû pour un simple décalage de paiement et donc à une aggravation soudaine des conditions de remboursement.
Il convient en conséquence de déclarer cette clause de déchéance du terme abusive.
Il en résulte que la clause d'exigibilité anticipée prévue au contrat de prêt est réputée non écrite et privée d'effet, de sorte que le Crédit Agricole n'est pas fondé à se prévaloir de la déchéance du terme du prêt.
Sur la résiliation judiciaire :
L'inefficacité de la clause de résiliation de plein droit du contrat n'interdit toutefois nullement au prêteur de solliciter la résiliation judiciaire de celui-ci, en cas de manquement grave des emprunteurs à leurs obligations contractuelles.
En effet, cette clause annulée n'est pas l'objet principal de la convention, qui reste de mettre à disposition des emprunteurs une somme d'argent et de déterminer les conditions et termes de son remboursement.
En l'espèce, le non-paiement de plusieurs échéances dues au titre des deux prêts constitue en effet un manquement grave et persistant des époux Y. à leur obligation essentielle de remboursement des deux prêts et justifie la résiliation judiciaire des deux contrats.
Il ressort en effet, ce qui n'est pas contesté par les emprunteurs, qu'au 14 mai 2018, le retard était de 3 998,62 euros au titre du prêt n° 10000050151 et de 923,04 euros au titre du prêt n° 100000152.
Cependant, cette résiliation prononcée aux torts des emprunteurs n'a d'effet que pour l'avenir, sans anéantir rétroactivement le contrat.
Au regard des circonstances de l'espèce, la résiliation sera prononcée à effet au 25 juillet 2018, date de la mise en demeure de régler la totalité des sommes dues, de sorte que le prêteur est fondé à réclamer les mensualités impayées échues antérieurement ainsi que le capital restant dû à cette date, à conserver les échéances honorées pendant l'exécution de celui-ci, et à se prévaloir des clauses de maintien des intérêts contractuels de retard et d'indemnité de défaillance qui sont distinctes de la clause de déchéance du terme et s'appliquent dans tous les cas de rupture contractuelle pour défaillance des emprunteurs.
Conformément à l'ancien article 1315 devenu l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui produit l'extinction de son obligation.
Selon l'ancien article 1254 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, le débiteur d'une dette qui porte intérêt ou produit des arrérages, ne peut point, sans le consentement du créancier, imputer le payement qu'il fait sur le capital par préférence aux arrérages ou intérêts : le payement fait sur le capital et les intérêts, mais qui n'est point intégral, s'impute d'abord sur les intérêts.
En application de l'ancien article 1253 du code civil, applicable à la cause, le débiteur de plusieurs dettes a le droit de déclarer, lorsqu'il paye, quelle dette il entend acquitter.
En l'espèce, le Crédit Agricole produit le contrat de prêt, les tableaux d'amortissement, les lettres de mise en demeure et les décomptes des deux créances dont ceux actualisés au 6 février 2025.
Au 25 juillet 2018, les époux Y. devaient au Crédit Agricole :
- au titre du prêt habitat n° 10000050151 la somme de 57 916,24 euros
- au titre du prêt habitat n° 10000050152 la somme de 40 223,01 euros
Il est avéré que plusieurs versements ont été effectués entre le 29 août 2018 et le 6 février 2025.
A la date des 5 et 6 février 2025, il reste dû :
- au titre du prêt n° n° 10000050151 la somme de 65 818,02 euros
- au titre du prêt n° 10000050152 la somme de 47 463,17 euros
Si les emprunteurs s'interrogent sur le fait que les sommes sollicitées sont supérieures à celles indiquées dans la dernière mise en demeure du 25 juillet 2018, alors qu'ils ont opéré des versements en règlement partiel de leurs dettes, il convient de rappeler qu'en cas de défaillance de l'emprunteur, et jusqu'à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent des intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt, conformément aux dispositions contractuelles.
La banque justifie qu'en raison de la règle de l'imputation des paiements partiels, la somme de 2 689,09 euros a permis de recouvrir une partie seulement des intérêts, le montant continuant d'augmenter en raison des intérêts qui continuent à courir de sorte que la somme de 65 818,02 euros restait due au titre du prêt n° 10000050151 au 6 février 2025.
Il en va de même pour le prêt n° 10000050152, pour lequel il restait dû au 5 février 2025 la somme de 47 463,17 euros, après versement de la somme totale de 650,49 euros.
Les époux Y. ne justifient pas par ailleurs qu'ils ont indiqué au Crédit Agricole l'affectation des paiements.
Si les époux Y. soulignent qu'ils ont effectué des virements de 2020 à 2023 de leur compte bancaire détenu à la Banque Postale vers leur compte joint détenu au Crédit Agricole, en prévision de nouveaux prélèvements et produisent à cet effet les copies des récépissés de demandes de virements et quelques relevés bancaires, ils ne produisent pas les relevés bancaires du Crédit Agricole permettant de vérifier que leur compte joint a été crédité de la totalité des sommes alléguées et ils ne justifient donc pas que des échéances des prêts immobiliers litigieux ont corrélativement continué à être prélevées à la même époque. Sur les 9 relevés bancaires du Crédit Agricole versés aux débats, apparaissent uniquement le règlement « assu.cnp prêt habitat ».
M. et Mme Y. ne peuvent non plus utilement invoquer trois autres prêts personnels et un jugement du juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Guingamp du 24 janvier 2022 qui ne sont pas l'objet de la présente procédure.
De même, ils ne sauraient reprocher au Crédit Agricole l'absence d'accord entre eux sur l'affectation de leurs versements au recouvrement de leurs dettes dès lors qu'en application de l'ancien article 1256 du code civil (devenu l'article 1342-10) : « lorsque la quittance ne porte aucune imputation, le payement doit être imputé sur la dette que le débiteur avait pour lors le plus d'intérêt d'acquitter entre celles qui sont pareillement échues ; sinon, sur la dette échue, quoique moins onéreuse que celles qui ne le sont point. Si les dettes sont d'égale nature, l'imputation se fait sur la plus ancienne ; toutes choses égales, elle se fait proportionnellement ». Au vu de ces éléments, le Crédit Agricole justifie suffisamment de ses créances. En conséquence, M Y. et Mme Y. seront condamnés solidairement à payer au Crédit Agricole la somme de 65 818,02 euros outre les intérêts au taux conventionnel de 2,8 % du 6 février 2025 jusqu'à parfait paiement au titre du prêt n° 10000050151, et celle de 47 463,17 euros au titre du prêt n° 10000050152, outre les intérêts au taux conventionnel de 3 % à compter du 5 février 2025 jusqu'à parfait paiement.
Sur la demande de délais de paiement :
M. Y. et Mme Y. sollicitent un échelonnement du paiement de leurs dettes sur deux années avec intérêts au taux légal, ce à quoi s'oppose le Crédit Agricole ;
Cependant il n'y a pas matière à accorder à ces derniers un délai de grâce, lesquels ont déjà bénéficié des larges délais de la procédure pour s'acquitter d'une dette à présent ancienne.
Sur les demandes accessoires :
Il n'y a pas matière à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de quiconque, tant en première instance qu'en cause d'appel.
En revanche, le jugement déféré étant infirmé et les époux Y. succombant principalement devant la cour, ils seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Infirme dans toutes ses dispositions le jugement rendu par le 14 mars 2023 par le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc ;
Statuant à nouveau ;
Déclare abusive et écarte la clause des contrats de prêt formés par offres acceptées le 29 mai 2014, stipulant que « le prêteur pour se prévaloir de l'exigibilité immédiate du présent prêt, en capital, intérêts et accessoires, sans qu'il soit besoin d'aucune formalité judiciaire et après mise en demeure restée infructueuse pendant 15 jours en cas de défaillance dans le remboursement des sommes dues en vertu du/des prêts du présent financement » ;
Prononce la résiliation des contrats de prêts immobiliers souscrits les 29 mai 2014 à effet au 25 juillet 2018 ;
Condamne solidairement M. Y. et Mme X. épouse Y. à payer à la Caisse régionale de Crédit Agricole mutuel des Côtes d'Armor :
- la somme de 65 818,02 euros outre les intérêts au taux conventionnel de 2,8 % du 6 février 2025 jusqu'à parfait paiement au titre du prêt n° 10000050151,
- la somme de 47 463,17 euros au titre du prêt n° 10000050152, outre les intérêts au taux conventionnel de 3 % à compter du 5 février 2025 jusqu'à parfait paiement ;
Déboute M. Y. et Mme X. épouse Y. de leur demande de délais de paiement ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. Y. et Mme X. épouse Y. aux dépens de la procédure de première instance et d'appel.
Rejette les autres demandes.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT