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TJ NICE (4e ch. civ.), 28 avril 2025

Nature : Décision
Titre : TJ NICE (4e ch. civ.), 28 avril 2025
Pays : France
Juridiction : T. jud. Nice
Demande : 21/00502
Date : 28/04/2025
Nature de la décision : Irrecevabilité
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 21/12/2023
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CERCLAB - DOCUMENT N° 23918

TJ NICE (4e ch. civ.), 28 avril 2025 : RG n° 21/00502 

Publication : Judilibre

 

Extrait : « L’article 1192 du code civil énonce qu’on ne peut interpréter les clauses claires et précises d’un contrat à peine de dénaturation, principe découlant de l’article 1134 du code civil avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016. Le délai préfix ou de forclusion se définit comme la perte du droit d'agir ou la perte du bénéfice d'un acte sanctionnant celui qui n'a pas accompli les diligences nécessaires dans le délai requis dont le régime se distingue de celui de la prescription en ce qu’aucune cause de suspension ne vient peut en modifier le cours.

En l’espèce, les deux lettres de mission, conclues par le cabinet H. U. et Associés avec la SCI L’Hirondelle le 2 juillet 2015 et avec la société Groupe Z. Investissement (GFI) le 6 septembre 2016, contiennent une clause rédigée en des termes identiques selon laquelle : « Toute demande de dommages-intérêts ne pourra être produite que pendant une période de cinq ans commençant à courir le premier jour de l’exercice suivant celui au cours duquel est né le sinistre correspondant à la demande. Celle-ci devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre. »

La société Allianz Iard et la société Soele Invest, anciennement dénommée Cabinet H. U. et associés, soutiennent que cette clause institue un délai de forclusion ou délai préfix imposant au client, à peine de déchéance de son droit d’agir, d’introduire une action en justice dans les trois mois suivant la date à laquelle il a eu connaissance du sinistre, en se fondant sur des décisions ayant consacré la validité de cette clause dont la qualification n’était pas discutée par les parties qui soulevaient exclusivement son caractère abusif.

Or, les termes clairs de cette clause, selon laquelle toute demande de dommages-intérêts devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre, ne prévoient ni que cette demande devra prendre la forme d’une assignation en justice ni qu’elle sera sanctionnée par la déchéance du client de son droit d’agir en responsabilité. Sauf à être dénaturée, elle ne saurait donc être interprétée, dans le silence du contrat, comme étant une clause instituant un délai de forclusion de trois mois ne pouvant être interrompue que par la délivrance d’une assignation en justice à l’expert-comptable. Elle doit être en effet comprise selon le sens que toute personne raisonnable donnerait aux stipulations claires qu’elle contient, le seul emploi du verbe « introduire » ne pouvant être interprété par des clients non professionnels du droit comme l’introduction d’une demande en justice dans les trois mois de la connaissance du sinistre sous peine d’être déchu de leur droit d’agir en responsabilité. La lecture intégrale de cette clause de responsabilité, mais également de la clause suivante sur le règlement des différends prévoyant que les litiges pourraient être portés, avant toute action judiciaire, devant le président du conseil Régional compétent aux fins de conciliation, permet au contraire de conclure que le délai de trois mois est le délai dans lequel le client devait adresser à l’expert-comptable sa demande d’indemnisation, éventuellement pour permettre à ce dernier de le déclarer à son assureur aux fins de prise en charge.

Or, le cabinet H. U. et Associés a informé la SCI l’Hirondelle que les placements réalisés par l’entremise d’un dénommé « J. M. » procédaient d’une escroquerie le 7 mai 2020.

La SCI l’Hirondelle, M. X. et Mme Y. lui ont adressé une lettre recommandée le 19 mai 2020, dont l’accusé de réception a été signé le 20 mai 2020, pour lui indiquer que sa responsabilité était engagée pour le montant de leurs investissements en lui demandant de déclarer le sinistre à son assureur.

Il ne peut qu’être constaté que cette mise en demeure, qui constitue en une demande de dommages-intérêts, a été adressée au cabinet H. U. et Associés avant le délai de trois mois suivant la date de connaissance du sinistre conformément à la clause figurant à l’article 5 des conditions générales annexées à la lettre de mission. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NICE

QUATRIÈME CHAMBRE

ORDONNANCE DE MISE EN ÉTAT DU 28 AVRIL 2025

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 21/00502 - N° Portalis DBWR-W-B7F-NI2O.

Nous, Madame Cécile SANJUAN PUCHOL, Juge de la Mise en Etat, assistée de Madame Eliancia KALO, Greffière,

 

DEMANDEURS AU PRINCIPAL ET DÉFENDEURS À L’INCIDENT :

SCI L’HIRONDELLE

représentée par son gérant, [Adresse 9], [Localité 4], représentée par Maître Benoît BROGINI de la SELARL BROGINI & GRECH AVOCATS, avocats au barreau de NICE, Me Thierry D’ORNANO, avocat au barreau de MARSEILLE

M. X.

[Adresse 10], [Localité 4], représenté par Maître Benoît BROGINI de la SELARL BROGINI & GRECH AVOCATS, avocats au barreau de NICE, Me Thierry D’ORNANO, avocat au barreau de MARSEILLE

Mme Y.

[Adresse 7], [Localité 3], représentée par Maître Benoît BROGINI de la SELARL BROGINI & GRECH AVOCATS, avocats au barreau de NICE, Maître Thierry D’ORNANO, avocat au barreau de MARSEILLE

 

DÉFENDEUR AU PRINCIPAL ET DÉFENDEUR À L’INCIDENT :

La société SOELE INVEST anciennement dénommée SARL CABINET H. U. & ASSOCIES

représentée par son gérant, [Adresse 8], [Localité 1], représentée par Maître Laurence BOURDIER, avocat au barreau de NICE

 

DÉFENDERESSE AU PRINCIPAL ET DEMANDERESSE À L’INCIDENT :

SA ALLIANZ IARD

représentée par son représentant légal en exercice, [Adresse 5], [Localité 11], représentée par Maître Ghislaine JOB-RICOUART de la SELARL JOB-RICOUART & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

 

INTERVENANTS VOLONTAIRES ET DÉFENDEURS À L’INCIDENT :

Société GFI, GROUPE Z. INVESTISSEMENT

prise en la personne de son Président en exercice, [Adresse 13], représentée par Maître Estelle CIUSSI de la SCP KLEIN, avocats au barreau de NICE, avocat plaidant

M. Z.

[Adresse 12], [Localité 2], représenté par Maître Estelle CIUSSI de la SCP KLEIN, avocats au barreau de NICE, avocat plaidant

Mme Z. née W.

[Adresse 12], [Localité 2], représentée par Maître Estelle CIUSSI de la SCP KLEIN, avocats au barreau de NICE, avocat plaidant

Société AVOLA

prise en la personne de sa gérante en exercice, [Adresse 6], représentée par Maître Estelle CIUSSI de la SCP KLEIN, avocats au barreau de NICE, avocat plaidant

 

Vu les articles 780 et suivants du Code de Procédure Civile,

Ouï les parties à notre audience du 24 janvier 2025,

La décision ayant fait l’objet d’un délibéré au 27 mars 2025, après prorogation du délibéré a été rendue le 28 Avril 2025 par Madame Cécile SANJUAN PUCHOL, Juge de la Mise en état, assistée de Madame Estelle AYADI, Greffier,

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

La société Cabinet H. U. & Associés, expert-comptable, avait pour client la SCI L’Hirondelle, dont M. X. était le gérant, avec laquelle elle avait conclu une lettre de mission le 2 juillet 2015 prévoyant notamment un conseil en matière financière et patrimoniale.

Dans ce cadre, Mme H. U. aurait conseillé à la SCI L’Hirondelle d’investir le solde du prix de cession de ses actifs immobiliers en parts de SCPI en l’orientant des produits commercialisés par la société Corum l’Epargne par l’intermédiaire d’un certain J. M. présenté comme le gestionnaire de la société Eurocap Invest.

La SCI L’Hirondelle a ainsi investi la somme totale de 665.680 euros sur les produits proposés par M. J. M. en procédant à divers virements sur des banques situés à Lisbonne, à Faro, à Madrid et à Prague au mois d’avril 2020.

Mme Y., compagne de M. X., a également investi la somme de 120.000 euros dans des produits proposés par M. J. M..

La société Cabinet H. U. & Associés avait également pour clients la société Groupe Z. Investissement (GFI), dont M. Z. et Mme Z. sont associés, et la SCI Avola dont la gérante est Mme [Z] Z., selon une lettre de mission du 6 septembre 2016.

Dans le cadre de sa mission, Mme H. U. aurait conseillé aux consorts Z. de réaliser des investissements patrimoniaux proposés par le dénommé J. M. et donné son aval aux virements effectués vers l’étranger par la société GFI, M. Z. et Mme Z. et la SCI Avola.

Mme H. U., qui avait elle-même placé la somme de 250.000 euros dans un contrat de financement participatif conclu une société «Vinci Park – Indigo Group [Localité 15] Portugal» proposé par M. J. M., a découvert le 6 mai 2020 que les fonds avaient disparu et que le dénommé J. M. était inconnu de la société Corum.

Elle a alors alerté ses clients sur le fait qu’ils avaient été victimes d’une escroquerie.

La société Cabinet H. U. & Associés est assurée auprès de la société Allianz Iard suivant une police contenant une garantie responsabilité civile avec un plafond de 1.000.000 euros par an et un plafond de 500.000 euros par sinistre.

* * * * *

Par actes d’huissier du 27 janvier 2021, la SCI L’Hirondelle, M. X. et Mme Y. ont fait assigner la société Cabinet H. U. & Associés ainsi que la société Allianz Iard devant le tribunal judiciaire de Nice aux fins d’obtenir principalement l’indemnisation de leurs préjudices financiers et moraux

Par acte d’huissier du 19 février 2021, la société Cabinet H. U. & Associés a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Nanterre la société Allianz Iard, en présence de la SCI L’Hirondelle, M. X., Mme Y., la société Groupe Z. Investissement (GFI), M. Z. et Mme Z. pour qu’il soit principalement jugé que les préjudices subis seront garantis à hauteur de 1.000.000 d’euros pour chacun de ses clients en exécution de la police d’assurance.

La société Allianz Iard puis la société Cabinet H. U. & Associés ont saisi le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nice d’une exception de connexité afin que le litige soit renvoyé au tribunal judicaire de Nanterre. Ils ont été déboutés de leur demande par ordonnance rendue le 29 novembre 2021.

* * * * *

La société Allianz Iard a également, dans la procédure initiée par la société Cabinet U. devant le tribunal judiciaire de Nanterre, saisi le juge de la mise en état pour qu’il soit sursis à statuer sur le litige initié par la société Cabinet H. U. & Associés dans l’attente de la décision du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nice et de l’issue des plaintes pénales déposées par M. X., Mme Y., la SCI L’Hirondelle, la société GFI, M. Z. et Mme Z. pour escroquerie.

Par ordonnance du 1er juillet 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre a déclaré sans objet la demande de sursis à statuer dans l’attente de la décision du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nice et a rejeté la demande de sursis à statuer jusqu’à l’issue des plaintes pénales.

* * * * *

Informés, dans le cadre de la procédure initiée par la société Cabinet U. devant le tribunal judiciaire de Nanterre, de l’action en responsabilité de ce cabinet d’expertise-comptable entreprise par la SCI L’Hirondelle, M. X. et Mme Y., la société Groupe Z. Investissement (GFI), M. Z. et Mme Z. sont volontairement intervenus dans cette instance par conclusions du 4 août 2022.

Le 26 mai 2022, la société Allianz Iard a saisi le juge de la mise en état de conclusions d’incident aux fins de sursis à statuer sur le litige dans l’attente de l’issue de la procédure pénale relative aux plaintes déposées par M. X., Mme Y., la SCI L’Hirondelle, la société GFI, M. Z. et Mme Z. pour escroquerie.

Par ordonnance du 25 septembre 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nice a débouté la société Allianz Iard de sa demande de sursis à statuer jusqu’à l’issue des plaintes pénales déposées contre X par M. X., Mme Y., la SCI L’Hirondelle, la société GFI, M. Z. et Mme Z. pour des faits d’escroquerie en bande organisée.

Le 23 décembre 2023, la société Allianz Iard a saisi le juge de la mise en état de conclusions d’incident afin que les actions introduites par la SCI L’Hirondelle, M. X., Mme Y., la société Avola, la société Groupe Z. Investissement (GFI), M. Z. et Mme Z. soient déclarées irrecevables car forcloses.

[*]

Dans ses conclusions récapitulatives d’incident n° 2 aux fins de forclusion notifiées le 23 janvier 2025, la société Allianz Iard sollicite :

- que soit déclarée irrecevable comme forclose l’action introduite par la SCI l’Hirondelle, M. X. et Mme Y., - que soit déclarée irrecevable comme forclose l’action introduite par la société Groupe Z., M. Z., Mme Z. et la société Avola, - le rejet de toutes demandes formées à son encontre, - la condamnation de tout succombant à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle expose que les demandeurs versent aux débats, à l’appui de leurs actions, deux lettres de mission qui contiennent, dans l’article responsabilité, une clause en vertu de laquelle « Toute demande de dommages-intérêts ne pourra être produite que pendant une période de cinq ans commençant à courir le premier jour de l’exercice suivant au cours duquel est né le sinistre correspondant à la demande. Celle-ci devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre. » Elle fait valoir que cette clause instaure un double délai, un délai de prescription de cinq ans et un délai de forclusion de trois mois à compter de la date de connaissance du sinistre. Elle soutient que conformément à l’article 1134 du code civil selon lequel les contrats légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits, ce délai de forclusion a été accepté par les demandeurs lors de la signature de la lettre de mission et doit être appliqué. Elle considère que cette clause de forclusion est parfaitement licite, ayant été validée par la jurisprudence tant de la cour de cassation que des cours d’appel pour des clauses rédigées dans des termes strictement identiques à celles figurant dans les lettres de mission du cabinet H. U.

En réplique à l’argumentation de la SCI L’Hirondelle, de M. X. et de Mme Y., elle indique que l’article 1171 du code civil qu’ils invoquent, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016, n’est applicable qu’aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016, ce qui n’est pas le cas des lettres de missions datées des 2 juillet 2015 et 6 septembre 2016. Elle précise qu’à supposer que ce texte leur soit applicable, la clause aménageant le délai de forclusion ne créé pas de déséquilibre significatif dans la mesure où elle a été librement négociée, ne remet pas en cause la possibilité du client d’introduire une action contre son expert-comptable dans un délai raisonnable permettant un accès réel au juge. Elle estime que l’arrêt d’espèce produit par la SCI et ses associés n’est pas transposable au litige car la faute de l’expert-comptable n’avait pu être découverte qu’à l’issue d’investigations techniques complexes ayant nécessité 940 heures de travail, le délai de trois mois ayant été jugé insuffisant pour avoir créé un déséquilibre entre les droits et obligations des parties, apprécié in concreto. Or, elle relève que les demandeurs à l’instance ont été informés de l’escroquerie dont ils ont été victimes dès le mois de mai 2020, faits pour lesquels ils ont déposé une plainte et pour lesquels ils ont adressé une mise en demeure à leur expert-comptable pour mettre en jeu sa responsabilité, si bien que le délai de trois mois à compter de la découverte du sinistre est suffisant pour leur permettre d’agir en justice. Elle ajoute que l’envoi d’une lettre recommandée ne permet pas d’interrompre le délai de forclusion conformément à l’article 2241 du code civil qui ne confère d’effet interruptif qu’à une demande en justice.

En réponse aux moyens des consorts Z., elle dément toute reconnaissance de responsabilité par le Cabinet U. et fait valoir qu’ayant adressé à cette dernière une lettre de mise en demeure aux fins d’indemnisation en mai 2020, ils ne peuvent soutenir que le délai de forclusion aurait commencé à courir le 21 septembre 2020 pour agir en responsabilité en raison d’une escroquerie découverte au plus tard le 19 juin 2020. Elle rappelle qu’une lettre recommandée n’interrompt pas le délai de forclusion et que les consorts Z. avaient connaissance du sinistre dès qu’ils ont su qu’ils avaient été victime d’une escroquerie si bien qu’ils ne peuvent soutenir que le délai n’a toujours pas commencé à courir. Elle soutient que les consorts Z. ne sont pas des consommateurs puisque la lettre de mission a été signée pour la tenue de leur comptabilité professionnelle, ce qui exclut l’application de l’article L. 212-1 du code de la consommation. Elle ajoute que les consorts Z. n’étaient pas davantage des partenaires commerciaux du cabinet U. au sens de l’article L. 442-6 du code de commerce. Elle en conclut que, quel que soit le fondement invoqué, leur argumentation devra être rejetée dans la mesure où la clause qui leur est opposée ne crée aucun déséquilibre significatif d’autant qu’il est établi qu’ils auraient pu agir dans le délai contractuel, ce qu’ils n’ont pas fait alors que, reprochant au cabinet U. de les avoir orientés vers un escroc, ils étaient en mesure d’introduire une action en justice dès qu’ils ont eu connaissance de l’escroquerie. Elle conteste également toute erreur provoquée par cette clause emportant sa nullité. Elle fait valoir enfin que les consorts Z. opèrent une confusion entre le délai de prescription dont l’expiration emporte la disparition d’un droit et le délai de forclusion qui encadre le délai dans lequel l’action doit être intentée et rappelle que les actions sur les fondements contractuel et délictuel ne peuvent se cumuler, de surcroît pour éluder la forclusion.

Elle indique que la SCI L’Hirondelle, M. X. et Mme Y. ont été informés par Mme H. U. de l’escroquerie le 7 mai 2020, laquelle a été confirmée par les représentants officiels de Corum d’Epargne le 12 mai 2020, faits pour lesquels ils ont déposé plainte les 13 et 16 mai 2020, et se sont prévalus de la responsabilité de leur expert-comptable par lettre du 19 mai 2020 sollicitant une indemnisation. Elle en déduit que le délai de forclusion expirait le 7 août 2020 si bien que l’action en justice, introduite par assignation du 28 janvier 2021, est irrecevable car forclose. Elle ajoute que si Mme Y. indique ne pas être cliente du cabinet U., elle invoque son manquement contractuel à l’appui de sa demande indemnitaire si bien que la clause instituant un délai de forclusion lui est opposable.

Elle précise que les consorts Z. et leurs sociétés ont reçu un courrier de la société Indigo leur révélant l’existence de l’escroquerie le 19 juin 2020 de sorte que leur délai pour agir expirait le 19 septembre 2020 et qu’ils n’ont agi que par la communication de conclusions d’intervention volontaire devant le tribunal judiciaire de Nanterre que le 25 avril 2021 si bien qu’ils sont également forclos.

Sur les demandes reconventionnelles de provision de la SCI L’Hirondelle, de M. X. et de Mme Y., elle indique que la demande subsidiaire de la société Cabinet H. U. et associés tendant à la limitation de sa condamnation ne vaut pas aveu judiciaire alors que son assurée conclut principalement au débouté en contestant tout manquement engageant sa responsabilité. Elle fait valoir en toutes hypothèses que la reconnaissance de responsabilité d’un assuré ne lie pas son assureur, qui conteste la mobilisation de la garantie, de sorte que la demande de provision dirigée à son encontre devra être rejetée. Elle ajoute que l’action par laquelle elle a été assignée par le cabinet U. devant le tribunal judiciaire de Nanterre ne vaut pas davantage reconnaissance de responsabilité, sauf à priver l’assuré du bénéfice d’une action conservatoire. Elle conclut que les demandes de provision se heurtent à son encontre à une contestation sérieuse notamment au regard de ses moyens développés au fond.

[*]

Dans ses conclusions d’incident en réponse n°4 notifiées le 23 janvier 2025, la société Soele Invest, anciennement dénommé Cabinet H. U. et Associés, sollicite également :

- que soit déclarée irrecevable comme forclose l’action introduite par la SCI l’Hirondelle, M. X. et Mme Y., - que soit déclarée irrecevable comme forclose l’action introduite par la société Groupe Z., M. Z., Mme Z. et la société Avola, - le rejet de toutes demandes de provisions, - la condamnation de tout succombant à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle rappelle que la clause, ayant pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, est abusive au sens de l’article L. 212-1 du code de la consommation qui ne protège que les personnes physiques conformément à l’article liminaire du même code. Elle ajoute que la notion de déséquilibre significatif a ensuite été insérée à l’article L. 442-6, I, 2° devenu L. 442-1, I, 2° du code de commerce pour étendre la notion de clause abusive entre partenaires commerciaux, notamment pour protéger contre l’hégémonie des grandes sociétés les « petits commerçants » qui sont des professionnels, puis a été introduite à l’article 1171 du code civil par l’ordonnance du 10 février 2016.

Elle rappelle que les lettres de mission contenaient une clause en vertu de laquelle la demande devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre, si bien qu’elle s’associe à la fin de non-recevoir tirée de la forclusion soulevée par la société Allianz Iard.

Elle fait valoir que l’article 1171 du code civil est inapplicable aux lettres de mission contenant cette clause conclues avant le 1er octobre 2016 et qu’elle ne créée pas, en tout état de cause, de déséquilibre significatif car la SCI L’Hirondelle est une professionnelle de l’immobilier dont le représentant a pu négocier le contrat et que la découverte du sinistre qu’elle invoque, point de départ du délai, ne nécessitait pas de procéder à des vérifications complexes de nature à la priver de son droit d’accès à un juge.

Elle ajoute que Mme Y. qui s’est jointe à son action n’a pas eu de contact, ni même par mail, avec elle pour recevoir un conseil en investissement si bien que son action est mal fondée car il n’existe aucun lien de causalité entre la faute invoquée et le préjudice allégué.

Elle dément avoir reconnu sa responsabilité sous quelques formes que ce soit, y compris devant l’instance pendante devant le tribunal judiciaire de Nanterre qui a pour objet de faire préciser la notion de sinistre sériel et de relever le plafond d’indemnisation proposé par la société Allianz Iard. Elle précise qu’elle conclut au fond au rejet de la demande et souligne que la société GFI ne l’a jamais fait assigner ni son assureur mais est volontairement intervenue à l’instance. Elle ajoute que la société GFI est une société par actions simplifiées si bien qu’elle n’est pas une non-professionnelle pouvant revendiquer la protection instituée au bénéfice des consommateurs contre les clauses abusives d’autant qu’elle a conclu la lettre de mission pour les besoins de son activité professionnelle. Elle soutient également que la société GFI n’est pas un de ses partenaires commerciaux, qu’elle n’a pas été victime d’une erreur provoquée, que le délai de forclusion pouvait être inférieur au délai minimum d’un an prévu pour la seule prescription et que cette clause ne porte pas atteinte au droit d’accès au juge.

Elle rappelle qu’une provision ne peut être allouée qu’autant que l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Or, elle fait valoir qu’elle a validé un placement fait pas la SCI L’Hirondelle et non par M. X. en son nom personnel et qu’elle conteste sa responsabilité, ce qui constitue une contestation sérieuse. Elle considère également que la demande de provision de la société Avola et des époux Z. se heurte à une contestation sérieuse en raison des moyens qu’elle développe au fond.

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Dans leurs conclusions n°3 communiquées le 16 janvier 2025, la SCI L’Hirondelle, M. X. et Mme Y. concluent au rejet de la fin de non-recevoir tirée de la forclusion et sollicitent, à titre reconventionnel, la condamnation in solidum de la société Soele Invest, anciennement dénommée Cabinet H. U. et Associés, à payer les sommes suivantes :

- une provision de 250.000 euros à la SCI L’Hirondelle, - 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Ils exposent que, sur le fondement de la clause figurant à l’article 5 de la lettre de mission, la société Allianz Iard et le Cabinet H. U. soutiennent que, ayant eu connaissance du sinistre le 7 mai 2020, ils avaient jusqu’au 7 août 2020 pour introduite une action en justice de sorte que, n’ayant assigné que le 27 janvier 2021, leur action serait irrecevable car forclose.

Ils soutiennent que la clause qui impose seulement au client d’introduire sa demande de dommages-intérêts auprès du cabinet comptable dans le délai de trois mois suivant la connaissance du sinistre ne peut pas, dans le silence du contrat, s’interpréter comme exigeant de sa part qu’il introduise une action en justice dans le même délai. Ils ajoutent qu’ayant mis en cause le cabinet H. U. pour solliciter la prise en charge du sinistre par lettre recommandé avec accusé de réception du 19 mai 2020, ils sont recevables à réitérer leurs demandes devant le tribunal judiciaire.

Ils rappellent qu’en vertu de l’article 1192 du code civil, des clauses claires et précises ne peuvent être interprétées sous peine de dénaturation et que la clause litigieuse prévoit que toute demande de dommages-intérêts devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre. Ils font observer qu’à défaut de précision supplémentaire, cette clause signifie que le client doit porter une réclamation dans ce délai, l’exigence d’une action en justice revenant à ajouter une condition non prévue par le contrat dont les termes, clairs et précis, ne peuvent être dénaturés. Ils relèvent que c’est qu’a jugé la cour d’appel de [Localité 17] dans un arrêt du 4 avril 2024, qui indique que le délai de trois mois ne devait pas s’interpréter, dans le silence du contrat, comme étant la saisine d’une juridiction. Ils soulignent que la clause ne fait aucune référence à un délai de forclusion ou à l’obligation d’introduire une demande en justice. Ils indiquent qu’ayant adressé une lettre recommandée au cabinet H. U. le 19 mai 2020, soit seulement 13 jours après qu’il les ait informés de l’escroquerie, pour solliciter leur indemnisation, leur action n’est pas forclose et devra être déclarée recevable.

Ils font valoir subsidiairement, s’il était jugé que la clause instituait un délai de forclusion de trois mois, que celle-ci est abusive si bien qu’elle devra être réputée non écrite.

Ils soutiennent que les articles 1110 et 1171 du code civil, dans leur rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016, sont applicable à la lettre de mission conclue le 2 juillet 2015 pour une durée d’un an tacitement reconductible en expliquant que chaque renouvellement fait naître un nouveau contrat entre les parties conformément à l’article 1214 du même code. Ils précisent que le dernier renouvellement avant sinistre est intervenu le 2 juillet 2019, date à laquelle les textes dont ils revendiquent l’application étaient entrés en vigueur.

Ils expliquent que l’ensemble contractuel liant la SCI L’Hirondelle au Cabinet H. U. est composé de la lettre de mission valant conditions particulières et des conditions générales d’intervention proposées par l’ordre des Experts-comptables qui n’ont pas été librement discutées et négociées. Ils en déduisent que ces conditions générales sont un contrat d’adhésion pour comporter un ensemble de clauses non négociables déterminées à l’avance par l’une des parties. Ils font valoir qu’imposer à la victime de la faute professionnelle d’un Expert-comptable de l’assigner en justice dans le délai de trois mois suivant la découverte du sinistre par une clause qui ne précise ni qu’il s’agit d’un délai de forclusion ni que la demande doit être introduite par voie d’assignation, créé un déséquilibre évident entre les parties en permettant au professionnel d’échapper aux conséquences de ses fautes en mettant un obstacle injustifié à l’engagement de sa responsabilité.

Ils ajoutent que cette clause est inopposable à Mme Y. qui n’agit pas sur le fondement contractuel mais sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle, en application du principe selon lequel un tiers à un contrat peut invoquer un manquement contractuel dès lors qu’il lui a causé un dommage.

A l’appui de leurs demandes de provision, ils soutiennent avoir investi, sur les conseils du cabinet H. U., dans des produits financiers qui se sont avérés frauduleux et qu’ils l’ont fait assigner en indemnisation de leurs préjudices le 27 janvier 2021. Ils ajoutent que le cabinet H. U. a fait assigner son assureur, la société Allianz Iard le 19 février 2021, pour faire juger que leurs préjudices seraient indemnisés par l’assureur dans la limite de 1.000.000 euros, ce qu’ils assimilent à une reconnaissance par l’Expert-comptable de sa responsabilité. Ils indiquent également que le cabinet H. U. a de nouveau reconnu sa responsabilité devant le juge de la mise en état et en déduisent que la créance de dommages-intérêts revendiquée n’est pas sérieusement contestable ni sur son principe, ni sur son montant compte-tenu de la demande subsidiaire formée au fond. Ils soutiennent que ces déclarations sont constitutives d’un aveu judiciaire au sens de l’article 1383-2 du code civil qui ne peut plus être révoqué.

[*]

Dans leurs écritures sur incident notifiées le 23 janvier 2025, la société Groupe Z. Investissements (GFI), M. Z., Mme Z. et la société Avola concluent au rejet de la fin de non-recevoir tirée de la forclusion ainsi qu’à la condamnation de la société Soele Invest, anciennement dénommé cabinet H. U. et Associés, et la société Allianz Iard à payer les sommes suivantes :

- une provision de 600.000 euros à la société Groupe Z. Investissements à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices, - 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Ils font valoir à titre principal que le cabinet H. U. et Associés a reconnu sa responsabilité dans l’action qu’il a intenté à l’encontre de la société Allianz Iard devant le tribunal judiciaire de Nanterre en demandant à l’assureur de garantir chacun des sinistres dans le plafond de 1.000.000 euros mais également dans le cadre de la présente action en soutenant devant le juge de la mise en état dans le cadre d’un précédent incident que le renvoi de l’affaire devant le tribunal judiciaire de Nanterre permettrait d’indemniser, dans le cadre d’une même instance, convenablement ses clients.

Ils soutiennent subsidiairement que la clause invoquée, qui doit être strictement interprétée, n’impose pas l’introduction d’une instance judiciaire dans le délai de trois mois à compter de la date de connaissance du sinistre. Ils estiment que le terme « introduire une demande » n’a pas le même sens qu’introduire une action en justice qui relève de l’interprétation personnelle de la société Allianz Iard qui dénature cette clause. Ils expliquent que la cour d’appel de [Localité 17] a d’ailleurs retenu que la même clause ne pouvait s’interpréter, dans le silence du contrat, comme étant la saisine de la juridiction mais comme étant le délai dans lequel le client devait adresser sa demande d’indemnisation à l’expert-comptable. Ils relèvent que les jurisprudences invoquées par l’assureur n’ont statué ni sur la qualification de clause de forclusion ni sur le moyen tiré de la dénaturation d’une clause claire et précise. Ils ajoutent que la société Allianz Iard fixe le point de départ du délai à la date de la lettre de la société Indigo leur révélant l’escroquerie le 16 juin 2020, lettre portant non pas sur la faute de l’expert-comptable mais sur l’escroquerie commise par un tiers. Ils estiment que la date à laquelle ils ont eu connaissance du sinistre doit correspondre à celle à laquelle ils ont connu ou auraient dû connaître les faits leur permettant d’agir en responsabilité à l’encontre de l’Expert-comptable pour manquement à son devoir de conseil et de mise en garde. Ils précisent qu’ils ont réceptionné un courrier de la société Corum leur révélant l’intégralité de l’escroquerie dont ils avaient été victimes le 21 septembre 2020 et que leur conseil a adressé une lettre au Cabinet H. U. demandant la prise en charge de leur sinistre le 29 septembre 2020, soit 8 jours après avoir eu connaissance de l’intégralité du sinistre.

Ils font valoir, à titre infiniment subsidiaire, que la clause de forclusion est abusive et doit être réputée non écrite. Ils soutiennent que la date de connaissance du sinistre ne peut être antérieure ni à la découverte de la faute ou du manquement du cabinet U., ni à la connaissance de la nature et de l’ampleur du dommage définitif. Ils considèrent que s’ils étaient tenus d’agir dans les trois mois du sinistre causé par un tiers sans égard pour la connaissance du dommage, la clause devait le préciser en délivrant une information claire.

Ils estiment qu’à tout le moins, la clause est nulle pour être abusive et déloyale car elle prive de toute substance les obligations imposées au professionnel dans la conduite de ses missions. Ils ajoutent qu’elle créé un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties sur le fondement des articles L. 212-1 du code de la consommation, L. 442-6, I, 2° du code de commerce et 1171 du code civil, ce qui doit conduire à ce qu’elle soit réputée non écrite. Ils soutiennent qu’ils doivent être considérés comme des consommateurs pour avoir pris part à une opération juridique étrangère au champ de leur savoir-faire et à leur sphère de compétence. Ils en concluent que la clause permettant à l’Expert-comptable d’échapper à toute responsabilité découlant des obligations résultant de la lettre de mission, par une clause qui, prévoyant un délai extrêmement bref sans préciser l’obligation d’agir en justice avant son expiration, créé un déséquilibre significatif. Ils font valoir également que le cabinet U. est le seul rédacteur des conditions générales contenant la clause litigieuse, ce qui les autorise à se prévaloir des dispositions de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce. Ils soutiennent en tout état de cause que le droit commun de l’article 1171 du code civil est applicable au contrat tacitement renouvelé après le 1er octobre 2016, qui contient un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties. Ils soulignent qu’un arrêt du 16 mai 2023 a déclaré abusive et réputée non écrite une clause rédigée en des termes identiques à celle qui leur est opposée. Ils estiment enfin que cette clause est nulle en ce que sa rédaction ambigüe a provoqué une erreur sur le contenu et la portée des obligations de l’Expert-comptable. Ils ajoutent que cette clause est nulle pour instituer un délai de 3 mois pour agir alors que le délai minimum de prescription est fixé à un an par l’article 2254 du code civil et pour porter atteinte au droit d’accès à un juge protégé par l’article 6 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.

Ils font valoir enfin que la clause litigieuse leur est inopposable car ils agissent également ou exclusivement sur le fondement quasi-délictuel des articles 1240 et suivants du code civil.

A l’appui de leur demande reconventionnelle de provision, ils indiquent que le préjudice, égal au montant des sommes dissipées, n’est pas sérieusement contestable en l’état de l’aveu judiciaire du cabinet H. U. et du droit d’action directe de la victime d’un sinistre à l’encontre de l’assureur du responsable institué par l’article L. 124-3 du code des assurances.

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L’incident a été plaidé à l’audience du 24 janvier 2025. La décision a été mise en délibéré au 27 mars 2025 prorogé au 28 avril 2025.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la fin de non-recevoir tirée de la forclusion.

En vertu de l’article 789-6° du code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les fins de non-recevoir.

Aux termes de l’article 122 du même code, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L’article 1192 du code civil énonce qu’on ne peut interpréter les clauses claires et précises d’un contrat à peine de dénaturation, principe découlant de l’article 1134 du code civil avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016.

Le délai préfix ou de forclusion se définit comme la perte du droit d'agir ou la perte du bénéfice d'un acte sanctionnant celui qui n'a pas accompli les diligences nécessaires dans le délai requis dont le régime se distingue de celui de la prescription en ce qu’aucune cause de suspension ne vient peut en modifier le cours.

En l’espèce, les deux lettres de mission, conclues par le cabinet H. U. et Associés avec la SCI L’Hirondelle le 2 juillet 2015 et avec la société Groupe Z. Investissement (GFI) le 6 septembre 2016, contiennent une clause rédigée en des termes identiques selon laquelle :

« Toute demande de dommages-intérêts ne pourra être produite que pendant une période de cinq ans commençant à courir le premier jour de l’exercice suivant celui au cours duquel est né le sinistre correspondant à la demande. Celle-ci devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre. »

La société Allianz Iard et la société Soele Invest, anciennement dénommée Cabinet H. U. et associés, soutiennent que cette clause institue un délai de forclusion ou délai préfix imposant au client, à peine de déchéance de son droit d’agir, d’introduire une action en justice dans les trois mois suivant la date à laquelle il a eu connaissance du sinistre, en se fondant sur des décisions ayant consacré la validité de cette clause dont la qualification n’était pas discutée par les parties qui soulevaient exclusivement son caractère abusif.

Or, les termes clairs de cette clause, selon laquelle toute demande de dommages-intérêts devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre, ne prévoient ni que cette demande devra prendre la forme d’une assignation en justice ni qu’elle sera sanctionnée par la déchéance du client de son droit d’agir en responsabilité.

Sauf à être dénaturée, elle ne saurait donc être interprétée, dans le silence du contrat, comme étant une clause instituant un délai de forclusion de trois mois ne pouvant être interrompue que par la délivrance d’une assignation en justice à l’expert-comptable.

Elle doit être en effet comprise selon le sens que toute personne raisonnable donnerait aux stipulations claires qu’elle contient, le seul emploi du verbe « introduire » ne pouvant être interprété par des clients non professionnels du droit comme l’introduction d’une demande en justice dans les trois mois de la connaissance du sinistre sous peine d’être déchu de leur droit d’agir en responsabilité.

La lecture intégrale de cette clause de responsabilité, mais également de la clause suivante sur le règlement des différends prévoyant que les litiges pourraient être portés, avant toute action judiciaire, devant le président du conseil Régional compétent aux fins de conciliation, permet au contraire de conclure que le délai de trois mois est le délai dans lequel le client devait adresser à l’expert-comptable sa demande d’indemnisation, éventuellement pour permettre à ce dernier de le déclarer à son assureur aux fins de prise en charge.

Or, le cabinet H. U. et Associés a informé la SCI l’Hirondelle que les placements réalisés par l’entremise d’un dénommé « J. M. » procédaient d’une escroquerie le 7 mai 2020.

La SCI l’Hirondelle, M. X. et Mme Y. lui ont adressé une lettre recommandée le 19 mai 2020, dont l’accusé de réception a été signé le 20 mai 2020, pour lui indiquer que sa responsabilité était engagée pour le montant de leurs investissements en lui demandant de déclarer le sinistre à son assureur.

Il ne peut qu’être constaté que cette mise en demeure, qui constitue en une demande de dommages-intérêts, a été adressée au cabinet H. U. et Associés avant le délai de trois mois suivant la date de connaissance du sinistre conformément à la clause figurant à l’article 5 des conditions générales annexées à la lettre de mission.

La société Groupe Z. Investissement, M. Z. et Mme Z. indique qu’ils ont découverts l’escroquerie d’abord, en recevant une lettre de la société Indigo datée du 19 juin 2020 les informant qu’elle n’avait pas enregistré de contrats à leurs noms et qu’elle avait elle-même déposé une plainte pour faire cesser les agissements frauduleux usurpant sa dénomination et, ensuite, en recevant une lettre de la société Corum le 21 septembre 2020 confirmant qu’ils n’étaient pas propriétaires de parts Corum mais victime d’une escroquerie.

Par lettre datée du 29 septembre 2020, le conseil de la société Groupe Z. Investissement, de M. Z. et de Mme Z. a indiqué au cabinet H. U. et Associés que les démarches entreprises auprès des sociétés Eurocap Invest, Indigo et Corum n’avaient pas permis de confirmer l’existence des contrats et que sa responsabilité était engagée pour la perte des capitaux investis.

Les placements, conseillés par l’intermédiaire du dénommé « J. M. » avec lequel le cabinet H. U. les avaient mis en relation, ont été réalisés sur plusieurs produits financiers de sorte que la date de découverte du sinistre doit être fixée au 21 septembre 2020, date de la lettre informant le conseil des clients de l’expert-comptable que l’ensemble des investissements procédait d’une escroquerie.

La mise en demeure du conseil de la société Groupe Z. Investissement, de M. Z. et de Mme Z. du 29 septembre 2020 a dès lors été adressée au cabinet H. U. dans les trois mois suivant la connaissance du sinistre.

Il sera précisé que l’argumentation du cabinet H. U. selon laquelle l’action de Mme Y. serait infondée à défaut de lien contractuel est un moyen de défense au fond relevant de l’appréciation exclusive du tribunal, la recevabilité d’une action n’était pas subordonnée à la démonstration préalable de son bien-fondé.

Par conséquent, la fin de non-recevoir tirée de la forclusion sera rejetée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens soulevés par les défendeurs à l’incident.

 

Sur les demandes reconventionnelles de paiement d’indemnités provisionnelles.

En vertu de l’article 789 – 3° du code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable.

Par application de ce texte, une provision ne peut dès lors être octroyée qu’à la condition qu’il n’existe aucune contestation sérieuse ni sur le principe de l’obligation qui fonde la demande ni sur le montant de la somme allouée.

Il sera rappelé que l’aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour avéré à son égard, un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques. Il est un acte unilatéral qui doit être univoque, qui ne peut porter que sur un ou des faits antérieurs à l'instance, à l'exclusion de faits postérieurs sur des points de fait et non sur des points de droit.

Par ailleurs, l’aveu judiciaire ne peut résulter que de la reconnaissance d’un fait, par une partie, dans ses conclusions écrites

En l’espèce, la SCI L’Hirondelle et la société Groupe Z. Investissement soutiennent qu’en agissant à l’encontre de la société Allianz Iard pour que sa responsabilité soit garantie à hauteur de 1.000.000 euros devant le tribunal judiciaire de Nanterre, elle a reconnu de manière irrévocable sa responsabilité.

Pour autant, la société Soele Invest, anciennement dénommée Cabinet H. U. et Associés, conclut au fond principalement au débouté en contestant sa responsabilité dans la survenance des dommages et forme une demande subsidiaire de limitation de l’indemnisation de la SCI L’Hirondelle à hauteur de 250.000 euros.

L’action qu’elle a entreprise devant le tribunal judiciaire de Nanterre à l’encontre de son assureur, postérieurement à la mise en cause de sa responsabilité par la SCI L’Hirondelle, ne saurait caractériser un aveu judiciaire dans la mesure où elle s’analyse en une action préventive, ce qui a d’ailleurs conduit le juge de la mise en état à sursoir à statuer sur le contrat d’assurance jusqu’à ce que le litige soit tranché au fond par la présente juridiction.

Par ailleurs, l’aveu ne peut que concerner qu’un point de fait et non un point de droit, telle la réunion des conditions engageant la responsabilité de l’expert-comptable, et doit être antérieur à l’introduction de l’instance si bien qu’aucune reconnaissance de responsabilité, au demeurant équivoque, ne saurait résulter des conclusions du cabinet U. dans le cadre d’un incident sollicitant le renvoi de l’entier litige au tribunal judiciaire de Nanterre.

En définitive, la société Soele Invest conteste sa responsabilité dans la survenance du dommage que la société Allianz Iard conteste devoir garantir, si bien que le principe de l’obligation fondant la demande de paiement d’une indemnité provisionnelle se heurte à des contestations sérieuses, les conditions d’un aveu judiciaire n’étant pas réunies.

Par conséquent, la SCI L’Hirondelle et la société Groupe Z. Investissement seront déboutées de leurs demandes de paiement d’indemnités provisionnelles à valoir sur la réparation de leurs préjudices.

 

Sur les demandes accessoires.

Succombant en son incident, la société Allianz Iard sera condamnée aux dépens ainsi qu’à verser, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, les sommes suivantes :

800 euros à la SCI L’Hirondelle, M. X. et Mme Y.,800 euros à la société GFI, M. Z., Mme Z. et la société Avola.

L’équité ne commande pas de prononcer de condamnation sur ce fondement au bénéfice de la société Soele Invest, anciennement dénomme Cabinet H. U. et Associés, qui sera déboutée de sa demande formée de ce chef.

La cause et les parties seront renvoyées à l’audience de mise en état du mercredi 10 septembre 2025 à 9H00 et les parties seront invitées à communiquer pour cette date leurs observations dans la perspective de l’établissement d’un calendrier de procédure.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Nous, juge de la mise en état, statuant après débats publics, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire susceptible d’appel dans les conditions prévues par l’article 795 du code de procédure civile,

REJETONS la fin de non-recevoir tirée de la forclusion opposée par la société Allianz Iard et la société Soele Invest, anciennement dénomme Cabinet H. U. et Associés, aux demandes de la SCI L’Hirondelle, M. X., Mme Y., la société GFI, M. Z., Mme Z. et la société Avola ;

CONDAMNONS la société Allianz Iard à verser à la SCI L’Hirondelle, M. X. et Mme Y. la somme globale de 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNONS la société Allianz Iard à verser à la société GFI, la société Avola, M. Z. et Mme Z. la somme globale de 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTONS la société Cabinet H. U. & Associés de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNONS la société Allianz Iard aux dépens de l’incident ;

RENVOYONS la cause et les parties à l’audience de mise en état du mercredi 10 septembre 2025 à 9H00 et invitons les parties à communiquer pour cette date leurs observations dans la perspective de l’établissement d’un calendrier de procédure ;

Et la présente ordonnance a été signée par le Juge de la mise en état et le Greffier.

LE GREFFIER                                            LE JUGE DE LA MISE EN ÉTAT