CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 23 avril 2025
- TJ Mulhouse (1re ch. civ. - Jme), 22 février 2024
CERCLAB - DOCUMENT N° 24019
CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 23 avril 2025 : RG n° 24/01341 ; arrêt n° 171/25
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « Il est de jurisprudence acquise que l'action qui tend à réputer une clause non-écrite est imprescriptible, tout du moins tant que les clauses en question n'ont pas fait l'objet d'une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée statuant sur leur caractère abusif ou non, la CJUE rappelant régulièrement à ce sujet que le juge ne peut réexaminer le caractère abusif d'une clause, en présence d'une décision rendue définitivement sur ce caractère abusif (voir notamment CJUE'7 novembre 2024, Erb New Europe Founding c-178/23).
S'agissant de l'action restitutoire, la Cour de cassation a jugé, par arrêt rendu le 12 juillet 2023, que le point de départ du délai de prescription de l'action en restitution des sommes versées, sur le fondement de clauses abusives relatives au remboursement d'un prêt en francs suisses et au risque de change supporté par l'emprunteur, doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses. Aussi, contrairement à ce que soutient la banque, force est de constater que l'action restitutoire n'est pas imprescriptible, puisque soumise à un délai de prescription de cinq ans, qui débute au jour où une décision judiciaire a reconnu le caractère abusif des clauses en cause. »
2/ « A titre subsidiaire, la Caisse de Crédit Mutuel entend contester l'application rétroactive de la jurisprudence récente relative aux clauses abusives et notamment au caractère imprescriptible de l'action en déclaration. A ce sujet, l'ordonnance du 22 février 2024 a écarté cet argument, relevant que « Le moyen selon lequel l'application rétroactive de la jurisprudence de la cour de cassation affecterait irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi est inopérant dès lors qu'en assurant l'effectivité de la protection assurée au consommateur par le droit européen de la consommation, effectivité qui participe du recours effectif devant un tribunal, il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au principe de sécurité juridique et de confiance légitime, les parties fussent-elles de bonne foi, étant constaté que l'imprescriptibilité de l'action en constatation des clauses abusives n'a pour effet que de permettre le recours à un tribunal, de sorte qu'il n'en résulte aucune atteinte irrémédiable à la situation des parties ».
La cour ne peut que rejoindre la décision du juge de la mise en état, en ce sens que : - en droit français, la jurisprudence est, en principe, rétroactive ; ainsi une nouvelle jurisprudence doit normalement s'appliquer immédiatement aux situations passées, comme aux situations en cours, - contrairement à ce que soutient la banque, le revirement de jurisprudence induit par l'arrêt de la première chambre civile du 13 mars 2019, dans lequel la Cour de cassation a retenu que la prescription quinquennale n'est pas applicable à l'action tendant à voir réputée non écrite une clause abusive, n'a pas eu pour effet d'affecter irrémédiablement sa situation. Ce revirement ne présente, en effet, pas d'inconvénients manifestement disproportionnés pour la banque, dès lors qu'elle ne la prive pas de son accès au juge et de son droit à un procès équitable et n'affecte en rien son droit de créancier à obtenir le remboursement du capital prêté, voir même à percevoir des intérêts qui seront au minimum fixés au taux légal.
- en tout état de cause, le droit applicable au prêt litigieux est celui fixé par la Directive 93/13CEE du 5 avril 1993, transposée initialement par la loi du 26 juillet 1993, successivement modifiée et codifiée aujourd'hui aux articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation ; dans sa version applicable lors de la souscription du crédit, l'article L. 132-l du Code de la consommation fixait les modalités de détermination du caractère abusif d'une clause, en se référant directement au caractère clair et compréhensible de leur rédaction ; ce droit, antérieur à la conclusion du contrat de prêt, était donc parfaitement connu de la banque. De surcroît, l'interprétation de la CJUE de la portée des droits conférés par cette directive n'a pas fait l'objet de revirement. Bien au contraire, la jurisprudence n'a eu de cesse de préciser la notion de clause claire et compréhensible à travers l'exigence de transparence qui s'impose au professionnel et les derniers arrêts rendus par la CJUE s'inscrivent dans la continuité de cette jurisprudence, dont les débuts remontent à 1993. »
3/ « Le CRÉDIT MUTUEL propose, pour la première fois, dans ses écritures du 5 février 2025, d'adresser à la CJUE trois questions ; plus précisément, la banque demande à la Cour d'interroger la CJUE sur son interprétation de la Directive 93/13 et sur le point de savoir si une juridiction nationale peut constater que le consommateur a eu connaissance du caractère abusif d'une clause contractuelle, à un autre moment qu'au jour où le caractère abusif de cette clause a été relevé par une décision de justice définitive.
Or, la CJUE, dans un arrêt du 25 avril 2024 (C-561/21) a déjà répondu à cette question, en indiquant qu'une juridiction peut juger que le consommateur avait une connaissance du caractère abusif de la clause litigieuse, avant la décision de justice qui le constate, mais à la condition qu'elle se fonde sur des éléments de preuve spécifiques produits par le professionnel et relatifs à ses relations avec ce consommateur. La Cour insiste sur le fait que la charge de la preuve incombe au professionnel qui doit démontrer que le consommateur avait, ou pouvait raisonnablement avoir connaissance de la clause abusive avant la décision judiciaire, l'article 6, paragraphe 1 et l'article 7, paragraphe 1 de la directive ne s'opposant pas à l'application d'un délai de prescription.
La question préjudicielle, dont le Crédit Mutuel demande le renvoi, n'est donc pas nécessaire, puisque la CJUE y a déjà répondu, aucune difficulté d'interprétation n'existant à ce sujet.
En conséquence, c'est à juste titre que le juge de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir soutenue par la banque, tirée de la prescription de la demande en déclaration d'une clause abusive - à défaut par la banque d'établir que les clauses litigieuses auraient déjà fait l'objet d'une décision définitive antérieure de 5 ans à l'assignation - et en restitution de sommes payées au Crédit Mutuel, en exécution des clauses dont les emprunteurs soutiennent qu'elles sont abusives et ce sans qu'il ne soit nécessaire de soumettre de questions préjudicielles à la CJUE, tant sa jurisprudence - telle que rappelée plus haut - est définie, connue et appliquée. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRÊT DU 23 AVRIL 2025
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 1 A 24/01341. Arrêt n° 171/25. N° Portalis DBVW-V-B7I-IIZN. Décision déférée à la Cour : 22 février 2024 par le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de MULHOUSE - 1ère chambre civile.
APPELANTE :
CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE [Localité 8]
[Adresse 12] [Localité 5], prise en la personne de son représentant légal, [Adresse 1], [Localité 3], Représentée par Maître Laurence FRICK, avocat à la Cour
INTIMÉS :
Monsieur X.
[Adresse 2], [Localité 4]
Madame Y. épouse X.
[Adresse 2], [Localité 4]
Représentés par Maître Camille ROUSSEL, avocat à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 24 février 2025, en audience publique, devant la Cour composée de : M. WALGENWITZ, Président de chambre, M. ROUBLOT, Conseiller, Mme RHODE, Conseillère, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
ARRÊT : - Contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par M. Franck WALGENWITZ, président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
En 2006, Monsieur X. et Madame X. née Y. se sont rapprochés de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 9] (CCM) en vue du financement de l'acquisition d'un appartement en VEFA situé au [Adresse 6] [Localité 10].
Le 29 avril 2006, la Caisse de Crédit Mutuel a émis une offre qu'ils ont acceptée, portant sur un prêt « in fine » d'un montant de 310 000 CHF, avec un taux d'intérêt de 2,5 % indexé sur le LIBOR 3 MOIS, qui faisait par la suite l'objet d'un acte notarié établi le 27 juin 2006 par Maître F..
Dans le même temps, les emprunteurs ont nanti une assurance-vie au profit du Crédit Mutuel en vue de permettre l'amortissement du capital au terme du prêt in fine.
Monsieur X. et Madame X. née Y. ont assigné la Caisse de Crédit Mutuel le 10 novembre 2022, devant le tribunal judiciaire de MULHOUSE aux fins de :
- voir déclarer abusives les clauses intitulées 'REMBOURSEMENT DU CREDIT', 'COUT DU CREDIT', 'DEFINITION DE L'INDEX 'LIBOR 3 MOIS' ;
- juger en conséquence que le contrat est nul et ordonner les restitutions réciproques ou, à titre subsidiaire, écarter l'application des clauses litigieuses ;
- à titre subsidiaire, juger que la CCM DE [Localité 9] engage sa responsabilité pour manquement à son obligation d'information sur les risques liés au contrat de prêt en CHF.
Il est à noter que la Caisse de Crédit Mutuel a fait délivrer, dans le cadre d'une procédure distincte, une assignation devant le tribunal judiciaire de Mulhouse, à Maître F. - notaire qui avait reçu l'acte authentique de prêt en litige - le 22 décembre 2023 et à son assureur la société MMA IARD, le 1er décembre 2023, considérant que le notaire aurait été défaillant, en n'attirant pas l'attention de la banque sur le risque du caractère abusif de certaines clauses du contrat de prêt.
Dans le cadre d'un incident, la Caisse de Crédit Mutuel a soulevé, devant le juge de la mise en état, l'irrecevabilité des demandes des époux X. en raison de la prescription.
Par une ordonnance rendue le 22 février 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Mulhouse, tout en réservant les dépens, a rejeté :
- la demande de renvoi devant le tribunal des fins de non-recevoir soulevées par la Caisse de Crédit Mutuel de la Porte d'Alsace formée par M. X. et Mme Y. épouse X.,
- la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en constatation des clauses abusives soulevée par la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 9],
- la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en restitution des sommes versées sur le fondement des clauses abusives soulevée par la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 9],
- la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en responsabilité engagée contre l'établissement bancaire soulevée par la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 9],
- la demande de jonction formée par la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 9],
- les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par acte du 2 avril 2024, la Caisse de Crédit Mutuel de la Porte d'Alsace a interjeté appel de l'ensemble de cette décision, sauf en ce qu'elle a rejeté la demande des époux X. de voir renvoyer les fins de non-recevoir invoquées devant la chambre civile du tribunal.
Par une déclaration faite par voie électronique le 30 avril 2024, Monsieur X. et Madame X. née Y. se sont constitués intimés dans la présente affaire.
[*]
Par ses dernières conclusions en date du 19 février 2025, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 9] demande à la cour de :
- DÉCLARER l'appel de la CCM recevable et bien fondé ;
- INFIRMER l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de MULHOUSE rendue le 22 février 2024 en ce qu'elle a jugé :
REJETONS la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en constatation des clauses abusives soulevée par la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 9],
REJETONS la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en restitution des sommes versées sur le fondement des clauses abusives soulevée par la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 9],
REJETONS la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en responsabilité engagée contre l'établissement bancaire soulevée par la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 9],
REJETONS la demande de jonction formée par la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 9],
REJETONS les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
- DÉCLARER que l'action visant à faire valoir les effets restitutifs de la constatation du caractère abusif des clauses intitulées 'REMBOURSEMENT DU CREDIT’(art. 5.3), 'COUT DU CREDIT’(art. 5.2), 'DEFINITION DE L'INDEX 'LIBOR 3 MOIS'‘(art. 6) est prescrite ;
- DÉCLARER que la jurisprudence nouvelle, notamment issue des arrêts rendus par la Cour de cassation les 30 mars 2022 et 20 avril 2022, ne s'appliquera pas au présent litige ;
- DÉCLARER que l'action tendant à voir déclarer abusives les clauses intitulées 'REMBOURSEMENT DU CREDIT’(art. 5.3), 'COUT DU CREDIT’(art. 5.2), 'DEFINITION DE L'INDEX 'LIBOR 3 MOIS'‘(art. 6) est prescrite ;
- DÉCLARER que les demandes des époux X. relatives à la responsabilité de la CCM sont prescrites ;
A titre subsidiaire,
- DÉCLARER la demande tendant à la transmission d'une question préjudicielle à la Cour de Justice de l'Union Européenne recevable et bien fondée,
- SOUMETTRE à la COUR DE JUSTICE DE [Localité 7] EUROPEENNE en vue de l'interprétation des traités européens la question préjudicielle suivante :
« L'article 23, paragraphe 5, de la directive 2014/17/UE doit-il est interprété en ce sens qu'une juridiction nationale est tenue de rechercher si les textes et la jurisprudence dont elle ferait application, dans le cas d'un contentieux relatif à un prêt en monnaie étrangère, devraient être écartés au regard de la date de conclusion du prêt concerné au motif qu'ils entreraient dans le champ de l'article 23, paragraphe 5, précité »
« L'article 2, sous b), l'article 4, paragraphe 1, l'article 6, paragraphe 1, et l'article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ainsi que les principes d'effectivité et de sécurité juridique doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce qu'une juridiction nationale ne puisse constater que le consommateur n'a eu connaissance du caractère abusif de la clause d'un contrat de prêt en devise étrangère qu'au jour où la décision qui juge abusive la clause a acquis son caractère définitif et non à un autre moment »
- ORDONNER le sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de Justice de l'Union Européenne se soit prononcée sur la question préjudicielle ;
En tout état de cause,
- DÉCLARER que les demandes des époux X. se heurtent à des fins de non-recevoir ;
- DÉCLARER irrecevables les demandes des époux X. en raison de la prescription ;
- DÉBOUTER les époux X. de leur demande tendant à condamner à la CCM à leur verser la somme de 20 000 ‘au motif que l'appel de la CCM serait abusif ;
- DÉBOUTER les époux X. de l'ensemble de leurs demandes ;
- ORDONNER la jonction entre la procédure RG n° 23/00681 et la procédure introduite à l'encontre de la CCM par les époux X. enrôlée sous le RG n° 22/00668, pendantes devant le TJ de [Localité 11] ;
- DÉCLARER que les procédures jointes se poursuivront sous le RG n°22/00668 ;
- CONDAMNER les époux X. à verser à la CCM [Localité 11] EUROPE la somme de 5 000 Euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER les époux X. aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel.
[*]
Par leurs dernières conclusions en date du 10 février 2025, transmises par voie électronique le 11 février 2025, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, Monsieur X. et Madame X. née Y. demandent à la cour de :
- DIRE ET JUGER l'appel formé par la CCM mal fondé, LE REJETER
En conséquence :
- CONFIRMER l'ordonnance du 22 février 2024 (RG n°22/00668) dans l'ensemble de ses dispositions ;
- DÉBOUTER la CCM de ses entiers moyens, fins et conclusions ;
- DÉBOUTER la CCM de ses fins de non-recevoir en ce qu'elles sont mal fondées ;
- DÉBOUTER la CCM de ses demandes de renvoi préjudiciel devant la CJUE ;
- DÉBOUTER la CCM de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER la CCM à verser aux époux X. des dommages-intérêts à hauteur de 20.000 euros pour recours abusif,
- CONDAMNER la CCM à verser aux époux X. la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER la CCM aux entiers dépens de première instance et d'appel.
[*]
Pour l'exposé complet des moyens des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé à leurs écritures.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1) Sur la prescription de l'action fondée sur les clauses abusives :
1-1) Sur le bien-fondé de l'arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2023 cité par le juge de la mise en état :
Il est rappelé que les époux X. demandent au tribunal qu'il déclare abusives les clauses intitulées 'REMBOURSEMENT DU CREDIT’(art. 5.3), 'COUT DU CREDIT’(art. 5.2), 'DEFINITION DE L'INDEX 'LIBOR 3 MOIS'‘(art. 6) du contrat de prêt et, sur ce fondement, sollicitent que le contrat soit déclaré nul et que des restitutions soient ordonnées.
L'ordonnance déférée du 22 février 2024 a retenu que, « S'agissant du point de départ du délai de prescription de l'action en restitution, celui-ci doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses (Cass. 1ère civ., 12 juil. 2023, n°22-17.030). Il en résulte que le délai de prescription de l'action en restitution des sommes versées sur le fondement des clauses considérées comme abusives exercées par les époux X. n'a pas commencé à courir, aucune décision n'ayant encore constaté le caractère abusif des clauses du contrat de prêt litigieux, de sorte que leur action en restitution n'est pas prescrite. »
La banque critique cette décision et considère qu'à partir du moment où la hausse du CHF a été suffisamment importante pour avoir une incidence sur les échéances du prêt, les emprunteurs disposaient des éléments d'information nécessaires pour apprécier les conséquences du prétendu caractère abusif de la clause litigieuse et qu'au cas d'espèce, la hausse du CHF ayant commencé à être significative à compter de l'année 2009, l'action des emprunteurs devait être considérée comme prescrite dès 2014, soit bien avant l'assignation signifiée le 10 novembre 2022.
La banque considère aussi que la décision rendue par la Cour de cassation le 12 juillet 2023 devrait être écartée, en ce qu'elle ignorerait le principe d'équivalence, en rendant imprescriptible l'action qui tend à faire déclarer une clause abusive et corrélativement l'action restitutoire, solution qui serait contraire, d'une part à la solution retenue par la CJUE dans son arrêt du 10 juin 2021, dans laquelle elle a dit pour droit que l'action restitutoire est prescriptible et d'autre part aux principes fondamentaux et généraux du droit français.
Il est de jurisprudence acquise que l'action qui tend à réputer une clause non-écrite est imprescriptible, tout du moins tant que les clauses en question n'ont pas fait l'objet d'une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée statuant sur leur caractère abusif ou non, la CJUE rappelant régulièrement à ce sujet que le juge ne peut réexaminer le caractère abusif d'une clause, en présence d'une décision rendue définitivement sur ce caractère abusif (voir notamment CJUE'7 novembre 2024, Erb New Europe Founding c-178/23).
S'agissant de l'action restitutoire, la Cour de cassation a jugé, par arrêt rendu le 12 juillet 2023, que le point de départ du délai de prescription de l'action en restitution des sommes versées, sur le fondement de clauses abusives relatives au remboursement d'un prêt en francs suisses et au risque de change supporté par l'emprunteur, doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses. Aussi, contrairement à ce que soutient la banque, force est de constater que l'action restitutoire n'est pas imprescriptible, puisque soumise à un délai de prescription de cinq ans, qui débute au jour où une décision judiciaire a reconnu le caractère abusif des clauses en cause.
1-2) Sur le moyen tiré de l'absence de rétroactivité de la jurisprudence nouvelle portant sur la prescriptibilité de l'action en déclaration de clauses abusives :
A titre subsidiaire, la Caisse de Crédit Mutuel entend contester l'application rétroactive de la jurisprudence récente relative aux clauses abusives et notamment au caractère imprescriptible de l'action en déclaration.
A ce sujet, l'ordonnance du 22 février 2024 a écarté cet argument, relevant que « Le moyen selon lequel l'application rétroactive de la jurisprudence de la cour de cassation affecterait irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi est inopérant dès lors qu'en assurant l'effectivité de la protection assurée au consommateur par le droit européen de la consommation, effectivité qui participe du recours effectif devant un tribunal, il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au principe de sécurité juridique et de confiance légitime, les parties fussent-elles de bonne foi, étant constaté que l'imprescriptibilité de l'action en constatation des clauses abusives n'a pour effet que de permettre le recours à un tribunal, de sorte qu'il n'en résulte aucune atteinte irrémédiable à la situation des parties ».
La cour ne peut que rejoindre la décision du juge de la mise en état, en ce sens que :
- en droit français, la jurisprudence est, en principe, rétroactive ; ainsi une nouvelle jurisprudence doit normalement s'appliquer immédiatement aux situations passées, comme aux situations en cours,
- contrairement à ce que soutient la banque, le revirement de jurisprudence induit par l'arrêt de la première chambre civile du 13 mars 2019, dans lequel la Cour de cassation a retenu que la prescription quinquennale n'est pas applicable à l'action tendant à voir réputée non écrite une clause abusive, n'a pas eu pour effet d'affecter irrémédiablement sa situation.
Ce revirement ne présente, en effet, pas d'inconvénients manifestement disproportionnés pour la banque, dès lors qu'elle ne la prive pas de son accès au juge et de son droit à un procès équitable et n'affecte en rien son droit de créancier à obtenir le remboursement du capital prêté, voir même à percevoir des intérêts qui seront au minimum fixés au taux légal.
- en tout état de cause, le droit applicable au prêt litigieux est celui fixé par la Directive 93/13CEE du 5 avril 1993, transposée initialement par la loi du 26 juillet 1993, successivement modifiée et codifiée aujourd'hui aux articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation ; dans sa version applicable lors de la souscription du crédit, l'article L.l32-l du Code de la consommation fixait les modalités de détermination du caractère abusif d'une clause, en se référant directement au caractère clair et compréhensible de leur rédaction ; ce droit, antérieur à la conclusion du contrat de prêt, était donc parfaitement connu de la banque. De surcroît, l'interprétation de la CJUE de la portée des droits conférés par cette directive n'a pas fait l'objet de revirement. Bien au contraire, la jurisprudence n'a eu de cesse de préciser la notion de clause claire et compréhensible à travers l'exigence de transparence qui s'impose au professionnel'et les derniers arrêts rendus par la CJUE s'inscrivent dans la continuité de cette jurisprudence, dont les débuts remontent à 1993.
1-3) Sur la demande de transmission d'une question préjudicielle à la Cour de Justice de l'Union Européenne :
Le CRÉDIT MUTUEL propose, pour la première fois, dans ses écritures du 5 février 2025, d'adresser à la CJUE trois questions ; plus précisément, la banque demande à la Cour d'interroger la CJUE sur son interprétation de la Directive 93/13 et sur le point de savoir si une juridiction nationale peut constater que le consommateur a eu connaissance du caractère abusif d'une clause contractuelle, à un autre moment qu'au jour où le caractère abusif de cette clause a été relevé par une décision de justice définitive.
Or, la CJUE, dans un arrêt du 25 avril 2024 (C-561/21) a déjà répondu à cette question, en indiquant qu'une juridiction peut juger que le consommateur avait une connaissance du caractère abusif de la clause litigieuse, avant la décision de justice qui le constate, mais à la condition qu'elle se fonde sur des éléments de preuve spécifiques produits par le professionnel et relatifs à ses relations avec ce consommateur. La Cour insiste sur le fait que la charge de la preuve incombe au professionnel qui doit démontrer que le consommateur avait, ou pouvait raisonnablement avoir connaissance de la clause abusive avant la décision judiciaire, l'article 6, paragraphe 1 et l'article 7, paragraphe 1 de la directive ne s'opposant pas à l'application d'un délai de prescription.
La question préjudicielle, dont le Crédit Mutuel demande le renvoi, n'est donc pas nécessaire, puisque la CJUE y a déjà répondu, aucune difficulté d'interprétation n'existant à ce sujet.
En conséquence, c'est à juste titre que le juge de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir soutenue par la banque, tirée de la prescription de la demande en déclaration d'une clause abusive - à défaut par la banque d'établir que les clauses litigieuses auraient déjà fait l'objet d'une décision définitive antérieure de 5 ans à l'assignation - et en restitution de sommes payées au Crédit Mutuel, en exécution des clauses dont les emprunteurs soutiennent qu'elles sont abusives et ce sans qu'il ne soit nécessaire de soumettre de questions préjudicielles à la CJUE, tant sa jurisprudence - telle que rappelée plus haut - est définie, connue et appliquée.
L'ordonnance sera dès lors confirmée sur ce point.
2) Sur la prescription de l'action en responsabilité :
Les emprunteurs ont également dénoncé un certain nombre de fautes que la Caisse de Crédit Mutuel aurait commises.
L'ordonnance du 22 février 2024 a considéré que cette action en responsabilité dirigée par les emprunteurs n'était pas prescrite, jugeant que 'Il en résulte que le délai de prescription quinquennal ne court qu'à compter de la date à laquelle les emprunteurs ont eu connaissance effective de l'existence et des conséquences éventuelles du manquement, soit au plus tôt le 4 juillet 2018, date à laquelle ils se sont aperçus qu'ils ne seraient pas en mesure de faire face au remboursement du crédit compte tenu, à la fois de la baisse de valeur du bien immobilier acquis au moyen du prêt litigieux et de la valorisation des deux assurances vie souscrites en vue de participer au remboursement du prêt.
La banque critique le raisonnement du juge de la mise en état, avançant que l'aléa lié au risque de change était inhérent au contrat de prêt en devise, de sorte qu'il serait difficilement concevable qu'un emprunteur réalisant un investissement indexé sur le franc suisse puisse ignorer l'existence d'un risque de change.
La cour ne peut que rejoindre le sens de cette décision, en rappelant dans un premier temps et de manière générale, que s'agissant d'un prêt avec remboursement des 310.000 CHF de capital 'in fine', c'est-à-dire au terme du prêt le 31 mai 2026, le préjudice ne peut se révéler qu'à cette date, solution retenue par la cour de cassation qui précise que les emprunteurs ne sont pas en situation de découvrir leur incapacité à rembourser le capital tant que le terme du prêt n'est pas arrivé à échéance (voir cass ; 5 janvier 2022 n°20-16.031 ; cass 1ère civ ; 28 juin 2023 21-24.720).
Dans un deuxième temps, dans le cas particulier des époux X., comme l'a retenu le premier juge, ces derniers démontrent, en tout état de cause, que ce n'est qu'au mois de juillet 2018 - soit quand ils ont fait évaluer le bien immobilier financé par le prêt, tout en demandant quelle était la valorisation de l'assurance-vie adossée au crédit - qu'ils se sont aperçus que la valeur du bien immobilier et de l'assurance-vie était très loin de couvrir le montant de leur dette en euros, qui est actuellement d'environ 310 000 euros.
Aussi, a minima, le point de départ de la prescription quinquennale ne pouvait être fixé avant le mois de juillet 2018, soit moins de 5 années avant la date de l'assignation du 10 novembre 2022.
Et il est vain pour la banque d'affirmer que les différentes actions en responsabilité de la banque (manquements au devoir de mise en garde, manquements au devoir d'information et de conseil, irrégularités dans la stipulation du TEG') connaîtraient des régimes de prescription propres, alors que les textes applicables en l'espèce, à savoir l'article 2224 du Code civil, est le même et que la notion à prendre en compte pour déterminer le point de départ de la prescription est également identique, à savoir le moment où l'emprunteur découvre l'existence d'un préjudice.
Comme rappelé plus haut, il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, ainsi que le soutient la banque, mais à la date d'exigibilité des sommes, au paiement desquelles l'emprunteur n'a pas été, n'est pas ou ne sera pas en mesure de faire face (Cass, Com 25 janvier 2023 n° 20-12.811).
En conséquence, l'action en responsabilité contractuelle engagée par les emprunteurs n'est manifestement pas prescrite et il conviendra de confirmer la décision du premier juge, qui a décidé en ce sens.
3) Sur la demande de jonction :
La Caisse de Crédit Mutuel a fait délivrer une assignation devant le tribunal judiciaire de Mulhouse à Maître F. - notaire qui avait reçu l'acte authentique de prêt -'le 22 décembre 2023 et à son assureur la société MMA IARD, le 1er décembre 2023, considérant que le notaire, tenu d'un devoir de conseil et d'information, d'assurer la validité des actes qu'il reçoit et de veiller à leur efficacité,'aurait été défaillant, en n'attirant pas l'attention de la banque sur le risque du caractère abusif de certaines clauses du contrat de prêt.
La banque a demandé au juge de la mise en état à ce que le dossier issu de ces assignations soit joint au dossier opposant la banque aux consorts X..
L'ordonnance du 22 février 2024 a rejeté la demande de jonction formée par la Caisse de Crédit Mutuel, au motif que 'le Crédit Mutuel indique, sans en justifier, avoir assigné Me [L] F. et son assureur, la société MMA IARD, en intervention forcée devant le tribunal judiciaire de Mulhouse aux fins de les voir condamner à l'indemniser de toutes les conséquences financières qui pourraient résulter de la décision du tribunal si celui-ci venait à invalider l'acte de prêt ou à réputer non-écrite l'une quelconque de ses clauses, pour avoir manqué à son obligation d'information et de conseil et à son obligation de recevoir des actes valables. Dès lors, dans la mesure où il n'est pas justifié qu'une instance soit actuellement pendante devant le tribunal, il n'y a pas lieu, en l'état, d'ordonner la jonction sollicitée.'
L'article 367 du code de procédure civile prévoit que 'le juge peut, à la demande des parties ou d'office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s'il existe entre les litiges un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble.
Il est de jurisprudence constante que le juge du fond apprécie souverainement l'opportunité de la jonction ou de la disjonction d'instance.
La cour ne voit pas de raison de s'écarter de la décision de première instance, en rappelant qu'une partie à une procédure ne dispose d'aucun droit à obtenir une jonction.
Comme cela sera développé dans les points suivants, il convient de garder à l'esprit que le dossier principal oppose des particuliers à une banque depuis 2021 et que tout appel en garantie de la banque est susceptible de rallonger le procès.
Il était donc particulièrement raisonnable de ne pas ordonner une jonction des dossiers, l'appel en garantie formulé par la banque contre le notaire n'intéressant pas les emprunteurs et ne devant pas être mis en avant par la banque, pour retarder l'issue du procès qui l'oppose aux particuliers.
4) Sur les demandes accessoires :
Les intimés réclament des dommages-intérêts à hauteur de 20.000 €, en application de l'article 559 du code de procédure civile, qui dispose en son premier alinéa 'en cas d'appel principal dilatoire ou abusif, l'appelant peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10.000 ‘sans préjudice des dommages-intérêts qui lui seraient réclamés'.
Cependant, il n'est pas démontré que l'appel de la banque puisse caractériser un abus et participer à une 'stratégie judiciaire visant à dissuader le consommateur dans son action', de sorte que cette demande ne pourrait être accueillie, même si le fait que dans son dernier jeu de conclusions déposé près de 10 mois après son appel, la banque a subitement demandé la transmission d'une question préjudicielle, ce qui pourrait s'apparenter à une mesure dilatoire.
Cependant, la cour tiendra compte du contexte, de 'l'épuisement financier du consommateur qui ne dispose pas des même ressources qu'une banque pour se défendre dans une instance judiciaire évoqué par les intimés, appelés à rembourser le capital du prêt en litige au mois de mai 2026, dans les dispositions de l'arrêt consacrées au sort de la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Les dispositions principales de l'ordonnance étant confirmées intégralement, il conviendra de confirmer les dispositions accessoires de l'ordonnance du juge de la mise en état, portant sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et le sort des dépens.
Partie perdante, la Caisse de Crédit Mutuel sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel, ainsi qu'à payer à Monsieur X. et Madame X. née Y., la somme de 6 000 ‘au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Sa propre demande faite au titre des frais irrépétibles sera corrélativement rejetée.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
REJETTE la demande de transmission d'une question préjudicielle,
REJETTE la demande de sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de Justice de l'Union Européenne se soit prononcée sur la question préjudicielle,
CONFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance du 22 février 2024 rendue par le juge de la mise en état de la première chambre civile du tribunal judiciaire de Mulhouse,
Y ajoutant,
REJETTE la demande de dommages-intérêts formulée par Monsieur X. et Madame X. née Y.,
CONDAMNE la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 9] aux dépens de la procédure d'appel,
CONDAMNE la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 9] à payer à Monsieur X. et Madame X. née Y. la somme de 6 000 ‘(six mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE la demande de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 9] faite au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE : LE PRÉSIDENT :