TGI VERSAILLES (3e ch.), 16 octobre 2001
CERCLAB - DOCUMENT N° 3845
TGI VERSAILLES (3e ch.), 16 octobre 2001 : RG n° 1999/6979 ; jugt n° 452
(sur appel CA Versailles (3e ch. civ.), 30 janvier 2004 : RG n° 02/00415)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE VERSAILLES
TROISIÈME CHAMBRE
JUGEMENT DU 16 OCTOBRE 2001
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 1999/6979. Jugement n° 452.
DEMANDERESSE :
Madame Y. épouse X.,
née le [date] à [ville] de nationalité française, Cadre […], demeurant [adresse], agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualité de représentant légal de ses deux enfants mineurs :
A.,
née le[ date],
B.,
née le [date],
Représentée par Maître LEGRAND Gérard, Avocat postulant et plaidant du Barreau de Versailles ;
[minute page 2]
DÉFENDEURS :
INTERVENANT VOLONTAIRE :
Maître JEANNEROT Philippe, Membre associé de la SCP LAUREAU-JEANNEROT, ès qualité de commissaire à l'exécution du plan du CENTRE DE TRANSFUSION SANGUINE YVELINES NORD (CDTS),
désigné à cette fonction par jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES en date du 24 février 1992, demeurant [adresse], Représenté par la SCP HADENGUE BENITAH MARTIN FREMONT, Avocats postulants et plaidants du Barreau de Versailles ;
La Compagnie UAP, devenue AXA, en sa qualité d'assureur du CENTRE DÉPARTEMENTAL DE TRANSFUSION SANGUINE YVELINES NORD,
dont le siège social est [adresse], prise en la personne de ses dirigeants légaux domiciliés de droit audit siège, Défaillante, faute d'avoir constitué Avocat ;
La CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES YVELINES,
Service Contentieux, [adresse], (n° d'immatriculation de l'assurée XX), prise en la personne de ses dirigeants légaux domiciliés de droit audit siège, Défaillante, faute d'avoir constitué Avocat ;
INTERVENANT VOLONTAIRE :
L'ÉTABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG,
Etablissement Public, représenté par le Professeur A., Directeur de l'EFS-Ile-de-France, dûment habilité à cet effet, [adresse], Représenté par Maître ABIHSSIRA Véra, Avocat postulant du Barreau de Versailles et de Maître HOUDART Laurent, Avocat plaidant du Barreau de Paris ;
ACTE INITIAL : 19 juillet 1999 reçu au Greffe le 4 août 1999
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Magistrats ayant délibéré : Madame MASSUET, Vice-Président, [minute page 3] Madame RAINGEARD, Juge, Monsieur OLLAT, Juge,
Greffier Divisionnaire : GREF Régine
DÉBATS : A l'audience publique tenue le 19 juin 2001 les avocats des parties ont été entendus en leurs plaidoiries devant Madame RAINGEARD, Juge siégeant en qualité de Juge rapporteur en application de l'article 786 du Nouveau Code de Procédure Civile. Puis l'affaire a été mise en délibéré au 16 octobre 2001.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LES FAITS ET LA PROCÉDURE :
Mme X. a été hospitalisée du 18 avril au 2 mai 1985 à l'hôpital P. pour une agranulocytose apparue à la suite d'un traitement anti-dépresseur à l'Anafranil et au Tercian prescrit par le Docteur B.
Le traitement de cette affection a nécessité six transfusions de globules blancs afin de reconstituer son système immunitaire.
Mme X. a repris son travail le 31 mai 1985 sans traitement ni surveillance médicale.
En 1990 et 1991, Mme X. fit plusieurs dons du sang et, le 17 septembre 1992, le CENTRE NATIONAL DE TRANSFUSION SANGUINE des ULIS l'a informé par courrier que lors de son dernier don de sang, il avait été découvert des anticorps anti-HVC dirigés contre le virus de l'hépatite C.
Cet examen fut contrôlé le 1er octobre 1992 et il confirma le premier résultat.
Mme X. fut ensuite régulièrement surveillée du point de vue médical tout en poursuivant son travail mais aucun traitement ne lui fut prescrit.
Lors d'un examen de contrôle du 19 octobre 1994, il fut constaté un taux anormalement élevé de transaminases et on décida de pratiquer une ponction biopsie hépatique pour laquelle Mme X. fut hospitalisée à [hôpital P.] dans la journée du 24 octobre 1994.
Le compte-rendu histologique de cet examen daté du 26 octobre 1994 conclut ainsi : « lésions histologiques d'hépatite chronique sans signe d'activité, sans évolution sclérogène actuelle - Score d'activité histologique Knodell inférieur ou égal à 5 ».
[minute page 4] Un traitement par Interféron lui fut prescrit sous la forme de deux cures, la première de janvier à juin 1995 à raison de 3 injections IM par semaine avec poursuite de l'activité professionnelle et la seconde de janvier à juin 1997 au cours de laquelle Mme X. a subi deux interruptions de travail d'une douzaine de jours chacune, étant précisé qu'au terme de ce dernier traitement les transaminases et gamma G.T. étaient normales.
Un examen biologique de contrôle postérieur en date du 23 février 1998 s'est également avéré normal.
L'hôpital Ambroise Paré qui avait pratiqué les transfusions en avril 1985 a été interrogé, en janvier 1996, sur l'origine des produits sanguins utilisés et il a indiqué qu'ils provenaient du Centre de Transfusion Sanguine des Yvelines Nord (CDTS) qui a cessé ses activités en 1992.
Par lettre du 13 février 1996 à L'Hôpital Ambroise Paré, le Groupement d'Intérêt Public (GIP) « Etablissement de Transfusion Sanguine de l'Ouest Francilien », après enquête, lui précisait que « parmi les fichiers d'unités collectées que le Centre de Transfusion des Yvelines Nord lui avait laissés à sa cessation d'activité, en mars 1992, ne figuraient pas les collectes du 1er semestre 1985 et qu'il lui était donc impossible d'effectuer la moindre recherche » sur une possible contamination transfusionnelle HCV chez une patiente ayant reçu en avril 1985 des concentrés de globules blancs délivrés par le CTS de Poissy.
Par lettre du 26 mars 1996, le GIP « Etablissement de Transfusion Sanguine de l'Ouest Francilien » indiquait à la MAIF, assureur de Mme X., que le Centre de Transfusion sanguine des Yvelines Nord était en redressement judiciaire à la suite d'un jugement du Tribunal de Grande Instance de Versailles du 29 novembre 1991 qui a désigné la SCP LAUREAU-JEANNEROT en qualité d'administrateur et qu'il n'avait pas repris le passif du CDTS des Yvelines Nord avec lequel il n'avait pas de lien juridique, n'assurant que le maintien du service public de la transfusion dans le département des Yvelines après avoir récupéré les archives du CDTS.
Interrogée par la MAIF les 2 avril et 19 novembre 1996 sur la situation juridique du CDTS et le nom de sa compagnie d'assurance, la SCP LAUREAU-JEANNEROT ne répondait pas aux questions qui lui étaient posées, conduisant Mme X. à l'assigner le 12 mai 1997 ès-qualité d'administrateur judiciaire du CDTS des Yvelines Nord ainsi que le GIP, sur le fondement de l'article 145 du Nouveau Code de Procédure Civile, afin d'obtenir les documents nécessaires à l'appréhension du litige.
Après s'être désistée de cette première instance, Mme X. a saisi à nouveau, par assignation en référé en date du 2 février 1998, le Président du Tribunal de grande Instance de Versailles qui, par ordonnance du 5 mars 1998, a désigné le Docteur C. en qualité d'expert avec une mission complète.
[minute page 5] L'expert a déposé le 26 juin 1998 un rapport dont il résulte que « la réalité d'une contamination de Mme X. par le virus de l'hépatite C à la suite des transfusions n'est pas dénuée de fondement mais qu'on ne peut l'affirmer de façon certaine, aucune étude de traçabilité n'étant plus possible car il n'existe ni échantillons du sang transfusé ni traces des donneurs ».
C'est dans ces conditions que, par assignation en dates des 22 et 28 juillet 1999, Mme X., agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualité de représentant légal de ses deux enfants mineurs, a fait assigner le CDTS (Centre Départemental de Transfusion Sanguine Yvelines Nord), la SCP LAUREAU-JEANNEROT, es-qualité d'administrateur judiciaire du CDTS, la Cie AXA en sa qualité d'assureur du C.D.T.S et la CAPM des Yvelines devant ce Tribunal, sur le fondement des articles 1135, 1147 et 1353 du Code Civil, aux fins de voir :
- Dire et juger que la contamination par le virus de l'hépatite C est imputable aux produits sanguins fournis par le CDTS en avril 1985 ;
- Dire et juger le CDTS responsable de la fourniture de produits viciés, sous la garantie de son assureur, la Compagnie d'assurance UAP devenue AXA ;
- Condamner in solidum le CDTS, la SCP LAUREAU-JEANNEROT ès-qualité, et son assureur la Compagnie AXA à payer à Mme X. la somme de 500.000 F. à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;
- Condamner in solidum la SCP LAUREAU-JEANNEROT et son assureur à payer à Mme X. la somme de 65.000 F. au titre du pretium doloris ;
- Condamner in solidum la SCP LAUREAU-JEANNEROT et son assureur à payer à Mme X. la somme de 45.000 F. au titre de son préjudice d'agrément ;
- Condamner in solidum la SCP LAUREAU-JEANNEROT et son assureur à payer aux enfants de Mme X. la somme de 200.000 F. au titre de leur préjudice moral ;
- Condamner in solidum la SCP LAUREAU-JEANNEROT et son assureur à payer à Mme X. la somme de 40.000 F. en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
- Statuer ce que de droit sur la créance de la CPAM des Yvelines ;
- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;
- Condamner in solidum la SCP LAUREAU-JEANNEROT et son assureur aux entiers dépens.
[minute page 6] Mme X. fait valoir que l'expert a confirmé, dans son rapport, qu'elle était atteinte d'une hépatite C dont le diagnostic a été fait en 1992, que les produits sanguins transfusés provenaient bien du CDTS des Yvelines Nord et qu'aucune des autres causes de contamination de l'hépatite C actuellement connues n'ayant été mises en évidence, la possibilité de la contamination par les transfusions faites en avril 1985 n'était pas « dénuée de fondement ».
Elle indique que son état de santé ne semble pas stabilisé puisqu'elle a entrepris une bithérapie pour une durée probable d'un an, qu'elle a été mise à nouveau en arrêt de travail et que les séquelles de cette contamination sont non seulement une fatigabilité persistante mais aussi des nausées, des migraines et, au plan psychique, une irritabilité et une angoisse de l'avenir quant à l'évolution de la maladie dont on ne peut écarter une rechute avec survenue de complications.
Mme X. demande que sa contamination par le virus de l'hépatite C soit reconnue imputable aux transfusions de 1985 avec des produits fournis par le CDTS et que soit retenue la responsabilité du Centre de Transfusion Sanguine qui a gravement manqué à ses obligations contractuelles en ne délivrant pas des produits exempts de vices.
Elle soutient que les transfusions ont eu lieu au cours d'une période à risque et que les conditions dans lesquelles la contamination s'est déroulée constituent des présomptions graves, précises et concordantes permettant de conclure à l'existence d'un lien de causalité entre les transfusions et la contamination dont elle a été victime.
Par conclusions en réponse signifiées le 17 mars 2000, le GIP Etablissement de Transfusion Sanguine de l'Ouest Francilien a demandé sa mise hors de cause en faisant valoir que si le Centre Hospitalier de Versailles, qui est un de ses membres constituants, a repris l'activité transfusionnelle du CDTS des Yvelines Nord à compter du 2 mars 1992, c'est dans le cadre du plan de redressement arrêté par jugement du Tribunal de Grande Instance de Versailles du 24 février 1992 qui a ordonné la cession de cette activité à son profit et qu'il n'y a pas eu de reprise du passif de l'association.
Par conclusions signifiées le 28 décembre 2000, Maître JEANNEROT, ès-qualité de commissaire à l'exécution du plan du CDTS. Yvelines Nord, est intervenu volontairement à la procédure et a sollicité, à titre principal, la mise hors de cause de la SCP LAUREAU-JEANNEROT au motif qu'elle ne peut représenter le CDTS dissous, du fait de la cession totale de ses actifs, ni en qualité de commissaire à l'exécution du plan faute d'avoir été désigné comme mandataire ad hoc à cet effet ni en tant qu' administrateur de l'Association puisque sa mission a pris fin dès la régularisation des actes de cession prévus par le plan qui est intervenue en novembre 1996.
[minute page 7] A titre subsidiaire, Maître JEANNEROT soutient que les créances dont se prévalent Mme X. et ses enfants sont éteintes faute d'avoir fait l'objet d'une déclaration dans les délais, par application de l'article 53 de la loi du 25 janvier 1985, la date de naissance des créances se situant non pas au jour de la connaissance que Mme X. a pu avoir de sa maladie mais à celui de la formation du contrat de fourniture de sang, c'est à dire à la date de la transfusion, en avril 1985.
Par conclusions signifiées le 5 février 2001, l'Etablissement Français du Sang est intervenu volontairement pour indiquer qu'il se trouve substitué dans les droits et obligations du GIP Etablissement de Transfusion Sanguine de l'Ouest Francilien par application de l'article 18 de la loi du l er juillet 1998 qui a réorganisé la transfusion sanguine en France.
Par conclusions récapitulatives signifiées le 29 mars 2001, Mme X. a repris ses demandes initiales en faisant valoir, d'une part, que la SCP LAUREAUJEANNEROT ne justifie pas de l'achèvement de l'ensemble des opérations de cession ordonnées par le jugement du Tribunal de Grande Instance de Versailles du 24 février 1992 et qu'elle est donc toujours administrateur du CDTS Yvelines Nord et, d'autre part, que sa créance n'est « apparue » qu'en septembre 1992 lorsqu'elle a découvert sa contamination par le virus de l'hépatite C, qu'elle ne pouvait donc la déclarer au représentant des créanciers du CDTS et qu'elle n'est pas éteinte, étant ajouté qu'elle se prévaut en l'espèce d'une créance à l'égard de l'assureur de l'auteur responsable du dommage dont elle est la victime, la compagnie AXA.
La compagnie AXA et la CPAM, bien que régulièrement assignées, n'ont pas constitué avocat. Le jugement rendu sera donc réputé contradictoire en vertu de l'article 474 du Nouveau Code de Procédure Civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 avril 2001. A l'audience de plaidoiries du 19 juin 2001, les conseils des parties ont été entendus et avisés de ce que l'affaire était mise en délibéré au 16 octobre 2001.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE, LE TRIBUNAL :
A - SUR LA DEMANDE DE MISE HORS DE CAUSE DE L'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG :
L'Etablissement Français du Sang est un Etablissement Public qui vient aux droits et obligations du Groupement d'Intérêt Public Etablissement de transfusion sanguine de l'Ouest Francilien qui s'était lui-même substitué au Centre Hospitalier de Versailles en 1995 à la suite d'une décision de l'Agence Française du Sang en date du 7 juillet 1995 prise en application de la loi du 4 janvier 1993 qui a réorganisé le service public de la transfusion sanguine en France.
[minute page 8] Par jugement du 24 novembre 1991, le Tribunal de céans a ordonné l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de l'Association Centre Départemental de Transfusion Sanguine (CDTS) Yvelines Nord et désigné la SCP LAUREAU-JEANNEROT en qualité d'administrateur avec mission de représentation.
Par jugement du 24 février 1992, le Tribunal a arrêté le plan de redressement du CTDS et ordonné notamment la cession de son activité transfusion au Centre Hospitalier de Versailles en chargeant Maître JEANNEROT de procéder aux actes de cession prévus par le plan.
L'acte de cession de l'activité transfusionnelle au profit du Centre Hospitalier de Versailles est intervenu les 21 et 26 novembre 1996 et il stipule (p. 7) au § intitulé Dettes antérieures à la date d'effet de la cession :
« Il est notamment rappelé que la présente cession ne peut avoir pour effet de transférer à l'acquéreur des dettes propres au vendeur pour des causes antérieures à la date d'effet de la présente cession, soit le 24 février 1992 ».
La créance dont se prévaut Mme X. à l'encontre du CDTS Yvelines Nord trouve son origine dans la fourniture de produits sanguins qui remonte à avril 1985 et la dette correspondante n'a donc pu être transférée au Centre Hospitalier de Versailles qui n'a pas repris le passif de l'Association conformément à la clause susvisée de l'acte de cession d'activité.
Par ailleurs, il résulte des écritures de Mme X. qu'aucune condamnation n'est demandée à l'encontre de l'Etablissement Français du Sang qui vient aux droits du GIP et du Centre Hospitalier de Versailles.
Par conséquent, il convient de donner acte à l'Etablissement Français du Sang de son intervention volontaire et de l'y déclarer bien fondé en vertu de la convention de transfert de biens, droits et obligations intervenue à son profit le 22 décembre 1999 qui est versée aux débats.
Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de prononcer, en l'espèce, la mise hors de cause de l'Etablissement Français du Sang.
B - SUR LA DEMANDE DE MISE HORS DE CAUSE DE LA SCP LAUREAU-JEANNEROT :
La SCP LAUREAU-JEANNEROT demande sa mise hors de cause au motif qu'elle ne peut représenter le CDTS Yvelines Nord en tant que commissaire à l'exécution du plan faute d'avoir été désigner mandataire ad hoc à cet effet et que sa mission d'administrateur s'est achevée en novembre 1996 avec la régularisation des actes de cession prévus au plan arrêté par jugement du Tribunal de céans du 24 février 1992.
[minute page 9] Il résulte cependant de ce jugement que la SCP LAUREAU-JEANNEROT a été maintenue dans les fonctions d'administrateur de l'Association CTDS Yvelines Nord et que Maître JEANNEROT a été chargé de procéder à la régularisation des actes de cession prévus au plan de redressement.
La durée du plan a été fixée au temps nécessaire à l'achèvement de l'ensemble des opérations de cession.
Si les actes de cession ne sont intervenus qu'en novembre 1996 en ce qui concerne le Centre Hospitalier de VERSAILLES, force est de constater que Mme X. n'a pu avoir connaissance de sa contamination et de l'identité des organismes de transfusion intervenant en 1985 qu'après la lettre à elle adressée le 26 mars 1996 par le GIP ETS et ses investigations effectuées auprès de Maîtres LAUREAU et JEANNEROT soit bien après la cessation de ses fonctions d'administrateur par la SCP En conséquence la SCP LAUREAU et JEANNEROT es-qualités ne pourra qu'être mise hors de cause ainsi qu'elle le demande. Tant en raison de la date de la connaissance du dommage, que de la procédure collective ouverte à l'encontre du CDTS et de l'absence d'obligation au passif du cessionnaire du Plan, Mme X. se trouvait, en 1997 comme en 1999, dans l'impossibilité matérielle et juridique totale d'attraire l'assuré qui avait disparu, à l'instance ayant pour objet son action directe à l'encontre de l'assureur du CDTS.
C - SUR L'EXTINCTION DES CRÉANCES :
A toutes fins, la SCP LAUREAU-JEANNEROT prétend, en se fondant sur les articles 47 et 53 de la loi du 25 janvier 1985, que les créances invoquées par Mme X. et ses enfants sont éteintes à défaut de déclaration et de relevé de forclusion dans les délais requis.
Il est établi que Mme X. n'a découvert sa contamination par le virus de l'hépatite C qu'en septembre 1992 et qu'elle en a eu confirmation le 1er octobre 1992.
Par ailleurs, il est constant que ce n'est qu'en 1995 que l'Hôpital P., qui avait pratiqué les transfusions, a été interrogé sur l'origine de la contamination et qu'il a fait savoir que le sang ne provenait pas de son établissement mais du CDTS Yvelines Nord, lequel avait cessé ses activités en 1992.
Par conséquent, Mme X. n'était pas en mesure de déclarer ses créances dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire du CDTS Yvelines Nord ouverte par jugement du Tribunal de céans du 29 novembre 1991. En toute hypothèse ayant décidé d'exercer l'action directe contre l'assureur du CDTS YVELINES Nord, elle n'était pas tenue de procéder à cette déclaration ni de se soumettre à la procédure de vérification de ses créances.
[minute page 10] Par conséquent, il convient de rejeter la fin de non-recevoir tirée de l'extinction des créances invoquée à tort par la SCP LAUREAU-JEANNEROT.
D - SUR LA RESPONSABILITÉ :
Mme X. a subi entre les 20 avril et 27 avril 1985 six transfusions de globules blancs pour traiter une agranulocytose qui est une affection sanguine définie par une diminution importante du nombre de globules blancs avec pour conséquence majeure la perte des défenses naturelles et un risque accru de survenue de maladies infectieuses.
Le Docteur C., expert, déclare dans son rapport que le traitement de cette affection consiste en l'apport de globules blancs associé à la prise d'antibiotiques et que l'indication des transfusions était donc justifiée en l'espèce.
L'expert rappelle que les produits sanguins transfusés provenaient du CDTS Yvelines Nord et que lors de sa cessation d'activité, il avait transmis une partie des fichiers du sang qu'il avait collecté à l'Etablissement de Transfusion Sanguine de l'Ouest Francilien, lequel lui a confirmé que parmi ces fichiers ne figuraient pas les collectes du 1er semestre 1985, rendant impossible toute enquête visant à tester des flacons témoins ou à rechercher les donneurs.
Par ailleurs, le Docteur C. précise notamment :
« Le mode de contamination par le virus de l'hépatite C le plus fréquent est la voie sanguine (transfusion ou administration d'un dérivé du sang), étant précisé qu'aujourd'hui le risque est moindre après transfusion sanguine en raison des contrôles obligatoires sur les produits sanguins ».
En l'espèce, les transfusions ont eu lieu au cours d'une période à risque, avant 1990, époque à partir de laquelle les produits sanguins ont été systématiquement analysés et traités avant transfusion.
En outre, Mme X. n'exerce pas de profession à risque, elle apparaît avoir un mode de vie régulier et elle ne présentait aucun élément pathologique antérieur susceptible d'expliquer ou d'aggraver la contamination qui n'a été décelée qu'en septembre 1992.
L'expert en tire la conclusion suivante :
« Il ne peut être démontré de façon certaine que des dérivés sanguins contaminés [minute page 11] par le virus de l'hépatite C ont été transfusés à Mme X. en avril 1985 ; toutefois, aucune des autres causes de contamination de l'hépatite C actuellement connues n'ayant été mises en évidence, la possibilité de la contamination par les transfusions faites en avril 1985 n'est pas dénuée de fondement ».
II résulte des éléments d'appréciation dégagés par l'expert, qui ne sont remis en cause par aucune des parties à l'instance, que la cause la plus probable de la contamination, à défaut de toute autre cause déterminable réside bien dans la nature des produits sanguins qui ont été transfusés à Mme X. en avril 1985 pour traiter une agranulocytose.
Les Centres de transfusion sanguine sont tenus de fournir aux receveurs des produits exempts de vices et ils ne peuvent s'exonérer de cette obligation de sécurité que par la preuve d'une cause étrangère.
Force est de constater que l'assureur du CDTS Yvelines Nord, qui a choisi de ne pas constituer avocat, n'offre bien sûr pas de rapporter la preuve que d'autres causes pourraient être à l'origine du dommage.
Par conséquent, le Tribunal dispose d'indices suffisants, au sens de l'article 1353 du Code Civil, pour retenir l'existence du lien de causalité entre les transfusions et la contamination de Mme X. par le virus de l'hépatite C, ainsi que la responsabilité du CDTS Yvelines Nord dans la genèse de la contamination par ledit virus.
L'assureur du CDTS Yvelines Nord, la Compagnie AXA, sera donc condamné à indemniser Mme X. du préjudice que lui cause cette contamination.
E - SUR LE PRÉJUDICE :
Le Docteur C. déclare à cet égard dans son rapport d'expertise du 26 juin 1998 :
« Les conséquences pathologiques actuelles sont l'existence d'une hépatite C sans autre traduction clinique actuelle qu'une fatigabilité persistante ; par ailleurs, au plan biologique, il y a une « stabilisation » puisque les derniers examens faits le 23 février 1998 montrent des transaminases et des gamma GT normales.
« L'évolution de l'hépatite C se fait vers la chronicité dans 40 % des cas, quelle que soit la porte d'entrée qui se définit par « la persistance d'un taux de transaminases supérieur à 2 fois la normale après 6 mois d'évolution ; pour ce qui est des formes passées à la chronicité, l'évolution se fait « vers la cirrhose dans 40 % des cas ; cette cirrhose pouvant se compliquer vers un cancer du foie qui survient en cours 4 ans plus tard. L'ensemble de cette évolution qui peut rester totalement asymptomatique est susceptible de varier de 7 à 30 ans ».
[minute page 12] L'expert indique qu'en ce qui concerne Mme X., « nous ne sommes pas à proprement parler en présence d'une forme chronique » et « qu'actuellement la seule anomalie clinique objectivable est une fatigabilité persistante ».
Mme X. fait valoir que son état de santé n'est toujours pas stabilisé car elle doit se soumettre à une bithérapie entraînant de nouveaux arrêts de travail et invoque des séquelles qui sont « non seulement une fatigabilité permanente avec inappétence mais aussi des migraines fortement désagréables et fréquentes », ce qui l'empêche d'effectuer les travaux ménagers quotidiens et la rend irritable.
Elle déclare être habitée par une « grande angoisse » de l'avenir quant à l'évolution de la maladie et elle s'interroge sur le devenir de sa plus jeune fille, âgée de 6 ans, si son état devait s'aggraver.
Mme X. fait état d'un préjudice moral constitué par l'impossibilité de pouvoir être « totalement disponible » pour sa fille et par l'anxiété qui résulte de la nécessité d'une surveillance constante de la maladie.
Elle invoque, par ailleurs, l'existence d'un pretium doloris car elle a dû et doit toujours subir des traitements à l'Interféron et des biopsies du foie afin de surveiller l'évolution de la maladie.
Mme X. se prévaut enfin d'un préjudice d'agrément en indiquant qu'en raison de son état de fatigabilité, elle a dû renoncer à ses sports favoris, le squash et la « gymtonic ».
Elle demande la liquidation de ses préjudices personnels et sollicite, en outre, ès-qualité de représentant légal de ses deux enfants mineurs, la réparation du préjudice moral par eux subi du fait de la perturbation de la vie de famille entraînée par sa maladie.
Cependant, le rapport d'expertise du Docteur C., qui remonte d'ailleurs à juin 1998, ne permet pas au Tribunal de se prononcer en l'état sur la liquidation des préjudices personnels de Mme X. ni par voie de conséquence sur le principe et le montant du préjudice moral éventuel qui serait propre aux enfants.
Par conséquent, il convient de surseoir à statuer sur ce point et d'ordonner une nouvelle mesure d'expertise complémentaire qui sera à nouveau confiée au Docteur C.
En outre, compte tenu des éléments d'appréciation dont dispose le Tribunal, notamment en ce qui concerne le traitement à l'Interféron et les biopsies du foie subis par Mme X., il lui sera accordé une somme de 50.000 F. à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices personnels.
L'exécution provisoire est de droit en ce qui concerne la mesure d'expertise complémentaire et l'allocation de la provision.
[minute page 13] Il convient de surseoir à statuer sur les dépens et sur les demandes au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LE TRIBUNAL, statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire, en premier ressort ;
Donne acte à L'Etablissement Français du Sang de son intervention volontaire et l'y déclare recevable ;
Le met purement et simplement hors de cause ;
Déclare Maître JEANNEROT irrecevable en son intervention volontaire ;
Constate que la SCP LAUREAU-JEANNEROT n'a plus qualité pour représenter le CDTS Yvelines Nord en tant qu'administrateur judiciaire de l'Association ;
Déclare irrecevable la demande à son encontre ;
Dit que Mme X. n'était pas tenue de déclarer ses créances au redressement judiciaire du CDTS Yvelines Nord ni compte tenu de la disparition juridique de cette personne morale, de l'attraire à l'instance ayant pour objet son action directe à l'encontre de l'assureur ;
Déclare le Centre Départemental de Transfusion Sanguine (CDTS) Yvelines Nord, aujourd'hui disparu, responsable en vertu des dispositions de l'article 1147 du Code Civil, des conséquences dommageables pour Mme X. de sa contamination par le virus de l'hépatite C en raison de la fourniture de produits sanguins qui n'étaient pas exempts de vices en avril 1985 ;
Donne acte à Mme X. de son action directe à l'encontre de la Compagnie AXA, assureur du Centre Départemental de transfusion Sanguine Yvelines Nord ;
Condamne la Compagnie AXA à payer à Mme X. la somme de 50.000 F. (cinquante mille francs) à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice personnel ;
[minute page 14] Avant-dire droit sur l'indemnisation du préjudice personnel de Mme X. et sur le préjudice moral de ses enfants:
Ordonne une mesure d'expertise complémentaire et désigne en qualité d'expert le Docteur C., [adresse], lequel aura pour mission de :
1 °) décrire le traitement prescrit et suivi par Mme X. et les soins qui lui ont été prodigués depuis juin 1998 au titre de l'hépatite C dont elle est atteinte,
2°) dire si cette surveillance médicale est nécessaire à plus long terme et, dans l'affirmative, sous qu'elle forme, en l'état des connaissances scientifiques actuelles sur l'hépatite C,
3°) décrire à partir de l'état de santé actuel de la malade, tant sur les plans physiologique que psychique, les troubles objectifs de toute nature qui résultent de la contamination et qui sont en liaison directe et certaine avec elle,
4°) fournir tous renseignements d'ordre médical sur l'évolution probable de la maladie dans un avenir prévisible compte tenu de son âge et de sa constitution,
5°) dire si son état de santé actuel est compatible avec l'activité professionnelle qu'elle exerce et avec une activité sportive,
6°) fournir les éléments de nature à justifier une indemnisation au titre du pretium doloris en le qualifiant de très léger, léger, modéré, moyen, assez important, important ou très important, et au titre du préjudice d'agrément ;
Dit que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du Nouveau Code de Procédure Civile et qu'il déposera l'original de son rapport au Greffe du Tribunal de Grande Instance de Versailles dans le délai de QUATRE MOIS à compter de sa saisine, sauf prorogation de ce délai, dûment sollicitée en temps utile auprès du Juge du Contrôle ;
Subordonne l'exécution de la présente décision en ce qui concerne l'expertise à la consignation au GREFFE DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE VERSAILLES, Régie d'Avances et de Recettes, par Mme X. d'une avance de 4.500 F. (quatre mille cinq cents francs) dans un délai de deux mois ;
[minute page 15] Constate l'exécution provisoire de la présente décision ;
Sursoit à statuer sur toutes autres demandes ;
Réserve les dépens.
PRONONCÉ à l'audience du SEIZE OCTOBRE DEUX MILLE UN par Monsieur GROSJEAN, Premier Vice-Président, Madame MASSUET, Vice-Président, Madame RAINGEARD, Juge, assistés de Madame KIEFFER Christine, Greffier ;
Madame MASSUET, Vice-Président, et Madame KIEFFER, Greffier, ont signé la minute du présent jugement.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT