TGI SAINT-BRIEUC, 15 février 2000
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 399
TGI SAINT-BRIEUC, 15 février 2000 : RG n° 98/00528
(sur appel CA Rennes (7e ch.), 2 octobre 2002 : RG n° 00/02616 ; arrêt n° 331 ou 351)
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE SAINT-BRIEUC
JUGEMENT DU 15 FÉVRIER 2000
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 98/00528.
COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Madame MALLET, Vice-Président faisant fonction de Président. Monsieur CHATELAIN, Vice-Président Monsieur ORSINI, Juge.
MINISTÈRE PUBLIC : -
GREFFIER F.F. : Madame MAS.
DÉBATS : à l’audience publique du 07 décembre 1999 devant Madame MALLET, Vice-Président qui en a rendu compte dans son délibéré et qui agissait en qualité de juge rapporteur.
JUGEMENT : Contradictoire prononcé par Madame MALLET, Vice-Président, à l’audience publique du quinze Février deux mil, Date indiquée à l’issue des débats.
ENTRE :
M. X.
demeurant [adresse], Représentant : Maître Hugues TALLENDIER (Avocat au barreau de ST BRIEUC)
[minute page 2]
ET :
CIE D’ASSURANCES AGF Assurances Générales de France,
dont le siège social est sis [adresse] Représentant : la SCP RAOULT GRAIC GUERIN (Avocats au barreau de ST BRIEUC)
Vu l’ordonnance de clôture en date du 02 novembre 1999.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
1. EXPOSÉ DU LITIGE :
A. Faits :
Par contrat de prêt en date du 17 avril 1983, conclu en la forme authentique en l’étude de Maître Y., notaire, M. X. contractait auprès du Crédit Immobilier de Bretagne, un prêt immobilier pour l’achat de sa résidence principale, pour un montant de 270.000 francs, remboursable sur une durée de 15 ans.
Ce prêt était assuré dans le cadre d’une assurance-groupe décès-invalidité souscrite par le Crédit Immobilier auprès de la Compagnie Assurances Générales de France (AGF) à laquelle M. X. avait adhéré le 20 décembre 1992.
Le 4 mars 1994, M. X. était victime d’un accident au poignet et placé en arrêt de travail, à compter de cette date.
Sur fourniture par l’assuré des certificats médicaux et des arrêts de travail correspondants, les AGF prenaient alors en charge jusqu’en avril 1996, les remboursements d’emprunt de M. X.
Par courrier en date du 6 mai 1996, le Crédit Immobilier de Bretagne, à raison d’une lettre des AGF adressée à la banque du 3 mai 1996, notifiait à M. X., le refus de prise en charge par son assureur.
M. X. se trouvant dès lors dans l’impossibilité d’honorer les échéances du crédit immobilier en cours, la maison d’habitation qu’il occupait avec sa famille était l’objet d’une procédure de saisie immobilière dans le courant de l’année 1997 et cette maison était vendue à la barre, lors de l’audience d’adjudication du 14 novembre 1997.
[minute page 3]
B. Procédure :
1. Demandeur :
Par assignation en date du 6 avril 1998 et conclusions en vue des audiences des 30 mars et 5 octobre 1999, M. X. saisissait le Tribunal de Grande Instance de Saint-Brieuc, d’une demande tendant à :
- condamner les AGF à lui payer la somme de 270.000 francs, avec intérêts au taux légal, à compter de l’assignation ;
- prononcer l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;
- condamner les AGF aux entiers dépens, à recouvrer comme en matière d’aide juridictionnelle.
A l’appui de ses demandes, M. X. estimait, en premier lieu, que les AGF n’avaient pas exécuté le contrat d’assurance de bonne foi, au sens de l’article 1134, alinéa 3 du Code civil, attitude constitutive d’une faute engageant la responsabilité contractuelle de l’assureur, en vertu des articles 1137 et 1147 du Code civil.
En effet, M. X., en dépit de ses réclamations auprès de son assureur et du Crédit Immobilier, n’avait jamais été mis en mesure de contester le refus de prise en charge des AGF, puisqu’il n’avait su le motif de ce refus qu’à la suite d’une lettre écrite par son conseil dans le courant de l’année 1997. Il n’avait pas non plus eu connaissance des résultats de l’examen médical auquel il s’était soumis et qui avait été pratiqué par le Docteur Z. - dans des conditions insatisfaisantes, selon M. X. - ni même du taux d’incapacité retenu par ce médecin, bien qu’il s’agisse d’un élément essentiel pour l’interprétation du contrat.
Aux dires de M. X., le refus de prise en charge par les AGF, en mai 1996, ne serait pas justifié, une décision de la COTOREP, sur appel de l’assuré, portant son taux d’incapacité à hauteur de 70 %, avec l’indication « station pénible debout » et la CPAM lui reconnaissant, par lettre du 4 juin 1996, un taux d’invalidité d’au moins 66 %.
D’ailleurs, M. X. n’était pas, selon lui, consolidé à l’époque de la décision de refus et le taux d’incapacité retenu ne pouvait donc être que provisoire.
En second lieu, la clause du contrat du 20 décembre 1992, aux termes de laquelle les AGF se réservaient le droit de cesser le versement des prestations prévues audit contrat, sur la base d’une expertise médicale diligentée et dirigée par eux seuls et sans aucune transparence, devait être [minute page 4] considérée comme abusive et donc non écrite, au sens de l’article L. 132-1 du Code de la Consommation.
M. X. rappelait de surcroît que, s’agissant d’un contrat d’adhésion, les stipulations de ladite convention devaient, par application de l’article 1162 du Code civil, être interprétées contre celui qui l’avait rédigée, les AGF, en l’occurrence.
Pour ces motifs, la Compagnie ne serait pas fondée à invoquer les clauses litigieuses du contrat d’assurance.
2. Défenderesse :
Par conclusions déposées à l’audience du 2 février 1999, la Compagnie AGF demandait au Tribunal de Grande Instance de Saint-Brieuc, de :
- débouter M. X. de toutes ses demandes ;
- le condamner à payer à la défenderesse la somme de 5.000 francs, au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
Au soutien de sa position, la Compagnie AGF faisait valoir que les prestations avaient été versées à M. X. jusqu’au 11 mars 1996 et que leur versement n’avait été suspendu qu’à la suite d’une expertise médicale à laquelle l’assuré s’était soumis et dont il résultait que l’état de santé de M. X. ne correspondait plus aux prévisions contractuelles.
Contrairement aux allégations de ce dernier, les AGF n’auraient commis aucune faute et s’étaient contentées d’appliquer loyalement un contrat clair et valable.
D’une part, les AGF avaient informé, par courrier en date du 25 juin 1996, le conseil de M. X., du motif précis de cessation de la prise en charge des échéances du prêt, fondée sur l’article 1-3 du contrat d’assurances, aux termes duquel la Compagnie pouvait cesser le versement des prestations si, après contrôle médical, le degré « n » d’incapacité était inférieur à 66 % ; degré arrêté par le médecin de l’assureur en référence à un barème contractuel.
D’autre part, cette clause n’était en rien abusive, puisqu’en cas de désaccord entre le médecin de l’assuré et celui des AGF, les deux parties pouvaient, en vertu de l’article 1-8 du contrat d’assurance, choisir un troisième médecin pour les départager.
[minute page 5] Or, M. X. n’avait estimé utile ni de respecter la procédure contractuelle, ni de solliciter un expertise judiciaire, n’usant même pas de cette dernière faculté dans son assignation; alors que s’il avait agi en temps utile, le litige entre lui-même et son assureur aurait certainement été résolu avant la vente de l’immeuble saisi, laquelle n’était elle-même intervenue que 19 mois après la décision de la Compagnie AGF.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
II. DISCUSSION :
A. Sur la responsabilité contractuelle de la Compagnie AGF :
Il résulte des dispositions combinées des articles 1134 et 1315 du Code civil, d’une part, que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et qu’elles doivent être exécutées de bonne foi et, d’autre part, que s’il appartient à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver, réciproquement, c’est à celui qui se prétend libéré de justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.
En l’espèce, il ressort des pièces versées aux débats que le contrat en date du 20 décembre 1992, par lequel M. X. a sollicité son adhésion à l’assurance-groupe souscrite par le Crédit Immobilier de Bretagne, son prêteur, auprès de la Compagnie AGF, comporte une clause VII-3, aux termes de laquelle, d’une part, en cours d’exécution du contrat, l’Assureur se réserve le droit de demander à l’Assuré de se soumettre à un contrôle médical, afin que soit apprécié l’état d’incapacité et, d’autre part, les prestations sont supprimées, si le degré « N » d’incapacité, déterminé selon un barème annexé, en fonction du taux d’incapacité professionnelle et du taux d’incapacité fonctionnelle fixé par le médecin de l’Assureur, vient à être inférieur à 66 %.
Si M. X. justifie l’existence de l’obligation de la Compagnie AGF de continuer à prendre en charge ses échéances de prêt, par la production aux débats dudit contrat d’assurance, ainsi qu’une copie de la décision de la Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales, en date du 30 juin 1997, portant son taux d’incapacité à 70 %, « station pénible debout » et celle de la CPAM des Côtes-d’Armor, lui reconnaissant, à la date du 31 mai 1996, une invalidité réduisant d’au moins deux tiers sa capacité de travail, il n’en est pas de même de la Compagnie AGF qui ne verse au dossier aucune pièce justificative de sa prétendue libération, qu’il s’agisse du compte-rendu de l’examen médical [minute page 6] réalisé par le Docteur Z. sur la personne de M. X., le 12 novembre 1996 ou même de l’indication de son degré d’incapacité, dont il n’est pas contesté que l’assuré n’en a jamais eu connaissance.
Dès lors, il apparaît incontestable qu’en refusant de continuer à assumer les échéances du prêt consenti à M. X. au-delà du mois de mai 1996, refus dont il est résulté pour ce dernier un préjudice notamment lié à la vente par adjudication de sa maison d’habitation objet du prêt litigieux, la Compagnie AGF a commis une faute dans l’exécution de ses obligations, de nature à engager sa responsabilité contractuelle.
B. Sur le montant du préjudice subi par M. X. :
En l’espèce, si les AGF, ayant assuré le remboursement des échéances du prêt du demandeur jusqu’en mars 1996, ne doivent pas être condamnées à lui verser l’intégralité du montant du prêt par lui contracté, soit les 270.000 francs sollicités et, ce, d’autant plus que l’assuré n’indique pas le prix de vente de son bien immobilier saisi, pas plus que les éventuels autres éléments du préjudice par lui subi, il n’en reste pas moins, au vu des conclusions présentées par le Crédit Immobilier de Bretagne, pièce n° 7 du dossier versé aux débats par M. X., qu’en raison de la défaillance de la Compagnie AGF dans l’exécution de ses obligations contractuelles, le capital restant dû, à la date du 31 juin 1996, par le requérant au Crédit Immobilier de Bretagne s’élevait à la somme de 148.033,41 francs.
Or l’impossibilité matérielle manifeste de celui-ci à faire face à de telles échéances de prêt, en raison notamment de son incapacité, reconnue tant par la COTOREP que par la CPAM des Côtes d’Armor, a causé son endettement excessif et entraîné la saisie de sa maison d’habitation, lui occasionnant un préjudice indéniable, qui doit être fixé, au vu de ce qui précède, à la somme de 175.000 francs.
Cette somme portera en outre intérêts au taux légal, à titre de dommages et intérêts complémentaires, à compter de l’assignation délivrée à la requête de M. X., le 6 avril 1998.
C. Sur l’exécution provisoire :
En raison de la relative ancienneté du litige et de l’étendue du préjudice subi par M. X., il y a lieu d’ordonner l’exécution [minute page 7] provisoire qui apparaît nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, au sens de l’article 515 du Nouveau Code de Procédure civile.
D. Sur la demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure civile :
Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la Compagnie AGF, les frais par elle exposés et non compris dans les dépens. La demande présentée par elle de ce chef sera donc rejetée.
La Compagnie AGF supportera la charge des entiers dépens de l’instance, qui seront recouvrés conformément aux dispositions relatives à l’aide juridictionnelle.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
III. DISPOSITIF :
Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,
Condamne la Compagnie ASSURANCES GÉNÉRALES DE FRANCE (AGF) à payer à M. X., la somme de CENT SOIXANTE QUINZE MILLE FRANCS (175.000 Francs) avec intérêts au taux légal à compter du 6 avril 1998.
Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision.
Déboute la Compagnie AGF de sa demande formée au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure civile.
Condamne la Compagnie AGF, aux entiers dépens de l’instance, qui seront recouvrés comme en matière d’aide juridictionnelle.
Le greffier Pour le Président empêché
Jugement rédigé par M. CHATELAIN, Vice-Président.