CA CHAMBÉRY (2e ch.), 6 décembre 2018
CERCLAB - DOCUMENT N° 7891
CA CHAMBÉRY (2e ch.), 6 décembre 2018 : RG n° 17/01697
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Deux moyens sont avancés par les appelants lesquels visent, d'une part, la nullité du contrat de prêt libellé en monnaie étrangère et, d'autre part, la nullité du contrat pour dol.
Il est incontestable que Madame X. et Monsieur Y. avaient connaissance, dès la conclusion du contrat, soit dès le 1er mars 2008, des stipulations contractuelles lesquelles prévoyaient en caractères très apparents et de façon univoque que le montant emprunté était de 427.000 francs suisses (CHF) (pièce n°2 - SCP D. - B. - P. - G./partie 5.1 du contrat repris et mis en exergue sur la première page du contrat). Était également convenu entre les parties que chacune des échéances serait remboursée en devise suisse (pièce n°2 - SCP D. - B. - P. - G./partie 5.4 du contrat). Le coût du crédit est également fixé en devise suisse (pièce n°2 - SCP D. - B. - P. - G./partie 5.3 du contrat). Enfin, le tableau d'amortissement annexé au contrat de prêt mentionne au surplus, en devise suisse, pour chacune des 300 échéances, le capital amorti, la part des intérêts, le coût de l'assurance ainsi que le reliquat de capital restant dû (pièce n°2 - SCP D. - B. - P. - G./tableau d'amortissement annexé au contrat). Dans ces conditions, Madame X. et Monsieur Y. ne pouvaient ignorer, au jour de la conclusion du prêt, que les sommes empruntées l'étaient en CHF et que les remboursements y afférents devraient s'effectuer dans cette même devise. Dès lors, le point de départ de la prescription de l'action en nullité concernant la clause de remboursement en francs suisses doit être fixé au jour de la conclusion du prêt.
En outre, Madame X. et Monsieur Y. prétendent que la banque aurait commis un dol en dissimulant une information décisive, concernant la réévaluation prévisible de la parité franc suisse/euros. Ce moyen, dont la recevabilité est contesté par la banque, vient au soutien de la demande initialement formulée en première instance et tend aux même fins. Elle s'avère dès lors recevable.
Toutefois, à supposer que cette réticence soit établie, le point de départ de la prescription relative à ce moyen de nullité doit être fixé au jour où les emprunteurs ont eu connaissance de ladite réticence, soit au jour où le dommage s'est révélé aux emprunteurs. En l'occurrence, Madame X. et Monsieur Y. sont réputés avoir eu connaissance de l'information que la banque aurait retenue de façon dolosive à compter du jour où le franc CHF s'est apprécié dans une proportion telle que le montant des échéances qu'ils devaient rembourser modifierait l'économie générale du contrat. En l'espèce, l'évolution de la parité entre les deux monnaies, depuis le 1er mars 2008, révèle que le cours du franc suisse s'est nettement apprécié à la hausse dès le dernier trimestre 2008. Postérieurement, son appréciation a été constante au cours du second semestre 2009 avant de connaître une hausse très significative à compter de décembre 2009. Au 1er juillet 2010, la valeur du CHF s'était d'ores et déjà appréciée de 20 % par rapport à la date de conclusion du contrat de prêt.
Aussi, au regard de l'évolution de la parité des monnaies précitées, Madame X. et Monsieur Y. avaient a minima connaissance, dès la fin du premier semestre de l'année 2010, de la forte appréciation du franc suisse laquelle modifiait substantiellement le montant des échéances qu'ils devaient rembourser chaque mois.
Pour autant, l'assignation devant le tribunal de grande instance d'Annecy n'a été délivrée que le 19 novembre 2015.
En conséquence, l'action en nullité ayant été initiée plus de 5 ans après la conclusion du contrat et plus de 5 ans après la découverte du dommage allégué révélant l'existence d'un éventuel dol, il y a lieu de constater que la prescription de l'action en nullité est acquise. Le jugement de première instance sera donc confirmé en ce qu'il a retenu la prescription de cette action. »
2/ « Sur l'application négative du taux Libor 3 mois : Dans un courriel du 2 juin 2015, le directeur de l'agence bancaire de Saint-Genis-Pouilly porte à la connaissance de Madame X. et de Monsieur Y. que la Caisse de Crédit Mutuel n'entend pas appliquer le taux Libor 3 mois négatif s'agissant des prélèvements mensuels effectués en remboursement du prêt du 1er mars 2008 (pièce n°5f - SCP D. - B. - P. - G.). Madame X. et Monsieur Y. sollicitent, en cause d'appel, que la banque soit condamnée à appliquer de façon stricte l'indice Libor 3 mois, en ce compris lorsque le taux s'avère négatif, dans la mesure où aucun plafond ni aucun plancher n'a été prévu.
Sur la recevabilité de la demande : Dans ses écritures, la Caisse de Crédit Mutuel de Saint-Genis-Pouilly soutient que la demande présentée par Madame X. et Monsieur Y. ne saurait prospérer en ce qu'elle s'avère nouvelle en cause d'appel. L'article 564 du code de procédure civile précise que les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. En l'espèce, force est de constater que la demande présentée concerne les modalités d'exécution du prêt et, plus spécifiquement, du remboursement des mensualités convenues entre les parties. Au regard des demandes présentées devant le premier juge, lesquelles visaient à la nullité de la clause de paiement en devise suisse puis à la déchéance du droit aux intérêts, la cour retient qu'il existe une identité de fins entre les demandes présentées. Dès lors, la demande de Madame X. et Monsieur Y. s'avèrent recevables.
Sur le fond : L'article 1103 du code civil prévoit que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Le contrat de prêt signé entre les parties, le 1er mars 2008, stipule en point 5.3 que les intérêts du prêt sont indexés. L'index retenu par les parties est le Libor 3 mois. La définition de ce dernier est précisée au point 6 (pièce n°2 - SCP D. - B. - P. - G.). Pour autant, aucune clause ne prévoit l'hypothèse d'une limitation ou d'une exclusion de l'applicabilité de cet index au motif que sa valeur pourrait s'avérer négative. Dès lors, le contrat se suffisant à lui-même pour ne pas exclure cette hypothèse, et sans qu'il soit besoin de lui faire dire a posteriori ce qu'il ne dit pas, il y a lieu d'enjoindre aux parties de faire une stricte application du contrat et de condamner la banque à rembourser les sommes indûment prélevées en conséquence de la non-application de l'index libor 3 mois lorsqu'il présentait une valeur négative. »
COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 6 DÉCEMBRE 2018