CA PARIS (pôle 4 ch. 9-A), 15 avril 2021
CERCLAB - DOCUMENT N° 9064
CA PARIS (pôle 4 ch. 9-A), 15 avril 2021 : RG n° 18/04470 et n° 18/04471
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « En l'espèce, contrairement à ce que soutient l'appelante le fait que M. X. utilise le véhicule prêté pour exercer son activité d'artisan maçon et peintre, ne fait pas de lui un professionnel puisqu'il n'est pas spécialisé dans le domaine de l'automobile ou de l'assurance, Il doit donc être considéré comme un consommateur au sens du code de la consommation. »
2/ « Il convient certes de se référer à l'économie générale du contrat pour apprécier le caractère abusif d'une clause contractuelle. Le fait qu'il s'agisse d'un prêt de véhicule de courtoisie pendant l'immobilisation d'un véhicule en réparation avec pour seule contrepartie la prise en charge par le bénéficiaire des frais de carburant ne suffit pas pour écarter le caractère abusif de la clause. De la même manière, la clause de transfert d'assurance aurait pu être un avantage pour le bénéficiaire du prêt s'il avait été en mesure de comprendre qu'il n'était pas, de facto, assuré contre le vol.
Ainsi, comme l'a très justement relevé le premier juge, cette clause a eu pour effet de priver M. X., dès la conclusion du contrat, de toute garantie en cas de vol du véhicule, alors que le contrat de prêt prévoyait que le véhicule était assuré pour ce risque.
De surcroît, la société Metin Services Automobiles ne peut prétendre sans mauvaise foi, ignorer que sa compagnie d'assurance ne prendrait pas en charge le sinistre en cas de vol, ce qui explique d'ailleurs qu'elle ait cherché à obtenir une reconnaissance de dette avant d'avoir expressément obtenu de son assureur un refus de prise en charge du sinistre. La clause de franchise se trouvait donc ab initio vouée à l'échec.
Il est manifeste qu'en l'absence de la clause de franchise, l'assureur de la société Metin Services Automobiles aurait procédé à l'indemnisation du véhicule.
Cette clause a donc introduit un déséquilibre significatif dans l'équilibre du contrat et doit donc être écartée. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 4 CHAMBRE 9-A
ARRÊT DU 15 AVRIL 2021
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 18/04470 (6 pages). N° Portalis 35L7-V-B7C-B5FGV - Jonction avec le dossier RG N° 18/04471. Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 mars 2017 - Tribunal d'Instance de LAGNY SUR MARNE – R.G. n° 11-16-000617.
APPELANTE :
La société METIN SERVICES AUTOMOBILES, SAS
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège N° SIRET : XXX, [...], [...], représentée par Maître Frédéric L. de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480, ayant pour avocat plaidant Maître Robert A., avocat au barreau du VAL DE MARNE, toque : 198
INTIMÉ :
Monsieur X.
né le [date] à [ville], [...], [...], représenté par Maître Céline N. de l'AARPI RABIER & NETHAVONGS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1075
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 février 2021, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Fabienne TROUILLER, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Mme Patricia GRANDJEAN, Présidente de chambre, Mme Fabienne TROUILLER, Conseillère, Mme Agnès BISCH, Conseillère.
Greffière, lors des débats : Mme Camille LEPAGE
ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Mme Patricia GRANDJEAN, Présidente et par Mme Camille LEPAGE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
En avril 2015, M. X. a confié à la société Metin Services Automobiles sa camionnette en vue d'une réparation, ce véhicule ayant été acquis chez ce concessionnaire et réparateur.
La société Metin Services Automobiles lui a mis à disposition un véhicule utilitaire de remplacement puis, dans un second temps un véhicule particulier de type Peugeot 208.
Le 23 avril 2015, un contrat de prêt avec participation forfaitaire a été signé entre les parties.
Le 14 mai 2015, le véhicule Peugeot 208 a été dérobé.
Pour pouvoir récupérer son véhicule mis en réparation, M. X. a, le 15 mai 2015, signé une reconnaissance de dette portant sur la somme de 9.909 euros.
La société Metin Services Automobiles a déclaré le sinistre auprès de son assurance qui a, le 25 septembre 2015, refusé la prise en charge en application de la clause de franchise contractuelle pour les véhicules dérobés d'une valeur inférieure à 9.909 euros.
En l'absence de règlement du montant de la franchise, la société Metin Services Automobiles a assigné M. X. devant le tribunal d'instance de Lagny-sur-Marne qui a, par jugement mixte contradictoire du 13 mars 2017 auquel il convient de se référer, déclaré nulle la reconnaissance de dette du 15 mai 2015 et ordonné la réouverture des débats au 26 juin 2017.
Le tribunal a retenu que le montant de la franchise n'aurait pas dû excéder la valeur du véhicule acquis, soit 9.688,86 euros et que M. X. n'a pu reconnaître une dette qui n'existe pas, étant dépourvue d'objet.
Il a également soulevé le possible caractère abusif de la clause imposant à l'emprunteur d'assumer la totalité des conséquences du vol en payant le prix d'achat dudit véhicule, sans prévoir de décote liée à son usage, ce qui constituerait un avantage disproportionné à l'égard du professionnel et au détriment du consommateur et a sollicité l'avis des parties sur ce point.
Par la suite, par jugement contradictoire du 17 octobre 2017, ce même tribunal a débouté la société Metin Services Automobiles de toutes ses demandes.
Le tribunal a retenu que le contrat de prêt souscrit comportait une clause qui privait M. X. de toute indemnisation en cas de vol du véhicule qui était néanmoins assuré pour ce risque, que cette clause devait donc être déclarée abusive car créant un déséquilibre significatif dans l'équilibre du contrat au préjudice de M. X. et qu'en l'absence de cette clause, M. X. ne se trouvait débiteur d'aucune somme au profit de la société Metin Services Automobiles.
Par actes du 28 février 2018, la société Metin Services Automobiles a interjeté appel du jugement du 13 mars 2017 et du jugement du 17 octobre 2017.
Les deux dossiers ont été joints par ordonnance du 25 septembre 2018.
[*]
Par conclusions remises le 7 novembre 2018, la société Metin Services Automobiles demande à la cour :
- d'infirmer les deux jugements en toutes leurs dispositions,
- de dire n'y avoir lieu à écarter la reconnaissance de dette
- de condamner l'intimé à lui payer la somme de 9 888,96 euros représentant la valeur du véhicule acquis qui n'a pas été restitué,
- de débouter l'intimé de ses demandes,
- de condamner l'intimé à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens dont distraction au profit de la SCP BDL.
L'appelante fait valoir en substance que la clause de franchise ne présente aucun caractère abusif, qu'il n'existe aucun déséquilibre significatif dans l'équilibre du contrat et qu'il ne peut lui être reproché aucun manquement à son obligation d'information.
[*]
Dans ses dernières conclusions remises le 8 août 2018, M. X. demande à la cour de :
- confirmer les deux jugements entrepris,
- subsidiairement, si la cour entrait en voie de condamnation, condamner l'appelante à lui payer une somme équivalente à titre de dommages intérêts,
- plus subsidiairement, lui octroyer de larges délais de paiement si les dommages intérêts alloués sont inférieurs,
- en tout état de cause, condamner l'appelante à lui payer la somme de 3 000 euros pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel et aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Céline N., avocate, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
L'intimé fait valoir en substance qu'au regard de la loi, il doit être considéré comme un consommateur, que la clause de franchise litigieuse constitue une clause abusive puisqu'elle a créé, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les parties et que l'appelante avait reconnu devant le premier juge que le montant de la franchise n'était plus applicable compte tenu de la valeur de ce dernier.
Il soutient subsidiairement que l'appelante n'est pas de bonne foi, qu'elle a manqué à son devoir d'information, qu'elle aurait dû l'alerter sur le fait que la valeur vénale du véhicule était en deçà du montant de la franchise, qu'elle a obtenu une reconnaissance de dette sous la pression de ne pas lui restituer son véhicule indispensable à l'exercice de son activité et que ce manquement est constitutif d'une faute ayant entraîné un préjudice.
Elle souligne enfin que la valeur vénale du véhicule au moment du vol ne saurait correspondre à sa valeur d'acquisition un an plus tôt avec un kilométrage plus faible, sauf à engendrer un enrichissement sans cause, que l'appelante ne justifie pas de la valeur argus du véhicule et que le prix réclamé en appel est supérieur au prix d'acquisition.
Il relève enfin qu'il ne lui a jamais été demandé de justifier d'une attestation d'assurance et que l'appelante aurait dû l'alerter sur la nécessité de fournir sa propre attestation d'assurance et que l'appelante ne produit ni les conditions générales du contrat de prêt, ni la police d'assurance souscrite auprès du Cabinet B.
[*]
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 novembre 2020.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE,
Il est rappelé que la cour n'est pas tenue de statuer sur des demandes de « dire et juger » qui ne sont pas des prétentions juridiques. Au demeurant l'appelante n'a formulé aucun moyen à l'appui de sa demande tendant à dire n'y avoir lieu à faire écarter la reconnaissance de dette du 15 mai 2015.
Le jugement du 13 mars 2017, non contesté, sera par conséquent confirmé.
Sur le caractère abusif de la clause relative à la franchise en cas de vol :
Pour contester le jugement, l'appelante fait valoir que M. X. a accepté sans restriction tous les termes du contrat signé le 23 avril 2015, que la clause de franchise au titre du vol figure clairement sur le recto du contrat, que la case transfert d'assurance est clairement cochée et que M. X. n'a pas fait transférer son assurance.
Elle souligne que le premier juge a estimé à tort que la police d'assurance d'un véhicule prêté devait garantir le bénéficiaire du risque du vol.
L'intimé a rétorqué que la case « transfert d'assurance » a été cochée par le technicien sans lui en avoir fait part, qu'il ne lui a jamais été demandé de justificatif, qu'il n'a jamais eu la carte grise du véhicule prêté et qu'il ignorait donc qu'il fallait faire un transfert d'assurance.
Il souligne que le véhicule avait été acquis en mars 2014 par l'appelante au prix de 9.688,86, inférieur au montant de la franchise, que la valeur vénale du véhicule était donc forcément moindre un an après avec 4.000 kilomètres de plus.
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Aux termes de l'article 1134 devenu 1103 du code civil, les contrats doivent être exécutés de bonne foi.
En application de l'article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
En l'espèce, contrairement à ce que soutient l'appelante le fait que M. X. utilise le véhicule prêté pour exercer son activité d'artisan maçon et peintre, ne fait pas de lui un professionnel puisqu'il n'est pas spécialisé dans le domaine de l'automobile ou de l'assurance, Il doit donc être considéré comme un consommateur au sens du code de la consommation.
Il ressort des pièces produites et des débats que seul le recto du contrat de prêt litigieux est produit de sorte que la cour ne peut prendre connaissance des conditions générales du contrat que M. X. aurait accepté sans réserve, que le contrat n'a pas prévu de participation forfaitaire malgré son intitulé et que la clause relative à l'assurance prévoit un montant de franchise concernant le vol ou le vandalisme d'un montant de 9.909 euros.
Il n'est pas contesté que ce montant était dès la signature du contrat, supérieur à la valeur vénale du véhicule estimée en mars 2014, ce que ne pouvait ignorer le vendeur professionnel.
S'il est exact qu'aucune disposition légale n'impose une garantie contre le vol du véhicule, il ressort des termes du contrat que M. X. a pu comprendre qu'il était assuré contre le vol au-delà de la franchise mentionnée. Sur ce point, l'insertion d'une clause de franchise en matière de vol ne peut en effet constituer par elle-même une clause abusive.
À cet égard, l'appelante ne saurait se retrancher derrière la mention « transfert d'assurances : OUI* (case cochée). D'abord parce que le OUI renvoie à la mention « Fourniture d'un justificatif d'assurance par le client », que le vendeur ne justifie pas avoir reçu ni réclamé. Le OUI semble pourtant réservé à la fourniture d'un tel justificatif. Ensuite, parce que le caractère sibyllin de cette mention n'en permet pas une compréhension claire et non équivoque, indépendamment du fait de pouvoir établir par qui a été cochée cette case qui est contestée par M. X.
M. X. affirme ne pas avoir compris qu'il devait procéder à un transfert d'assurance, et rien ne permet d'affirmer qu'il ait été alerté sur cette nécessité.
Il est donc excessif d'affirmer que faute d'avoir effectué son transfert, M. X. est devenu son propre assureur, alors que rien ne permet de le comprendre à la lecture du recto du contrat.
Il convient certes de se référer à l'économie générale du contrat pour apprécier le caractère abusif d'une clause contractuelle. Le fait qu'il s'agisse d'un prêt de véhicule de courtoisie pendant l'immobilisation d'un véhicule en réparation avec pour seule contrepartie la prise en charge par le bénéficiaire des frais de carburant ne suffit pas pour écarter le caractère abusif de la clause. De la même manière, la clause de transfert d'assurance aurait pu être un avantage pour le bénéficiaire du prêt s'il avait été en mesure de comprendre qu'il n'était pas, de facto, assuré contre le vol.
Ainsi, comme l'a très justement relevé le premier juge, cette clause a eu pour effet de priver M. X., dès la conclusion du contrat, de toute garantie en cas de vol du véhicule, alors que le contrat de prêt prévoyait que le véhicule était assuré pour ce risque.
De surcroît, la société Metin Services Automobiles ne peut prétendre sans mauvaise foi, ignorer que sa compagnie d'assurance ne prendrait pas en charge le sinistre en cas de vol, ce qui explique d'ailleurs qu'elle ait cherché à obtenir une reconnaissance de dette avant d'avoir expressément obtenu de son assureur un refus de prise en charge du sinistre. La clause de franchise se trouvait donc ab initio vouée à l'échec.
Il est manifeste qu'en l'absence de la clause de franchise, l'assureur de la société Metin Services Automobiles aurait procédé à l'indemnisation du véhicule.
Cette clause a donc introduit un déséquilibre significatif dans l'équilibre du contrat et doit donc être écartée.
Le jugement du 17 octobre 2017 sera par conséquent confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
La société Metin Services Automobiles, partie perdante, devra supporter les entiers dépens.
Il n'apparaît pas inéquitable d'allouer à M. X. une somme de 2.000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Statuant après débats en audience publique, par arrêt rendu contradictoirement en dernier ressort, mis à disposition au greffe,
- Confirme les jugements du 13 mars et du 17 octobre 2017 en toutes leurs dispositions,
Y ajoutant,
- Condamne la société Metin Services Automobiles à payer à M. X. une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne la société Metin Services Automobiles aux entiers dépens d'appel, qui pourront être recouvrés directement par Me Céline N., avocate, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La greffière La présidente