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CA COLMAR (1re ch. civ. A), 4 janvier 2023

Nature : Décision
Titre : CA COLMAR (1re ch. civ. A), 4 janvier 2023
Pays : France
Juridiction : Colmar (CA), 1re ch. civ. sect. A
Demande : 21/00104
Décision : 10/23
Date : 4/01/2023
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 4/12/2020
Numéro de la décision : 10
Référence bibliographique : 9742 (prêt en monnaie étrangère)
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CERCLAB - DOCUMENT N° 10024

CA COLMAR (1re ch. civ. A), 4 janvier 2023 : RG n° 21/00104 ; arrêt n° 10/23 

Publication : Judilibre

 

Extraits : 1/ « Les époux X. entendent mettre en cause la responsabilité du Crédit Mutuel pour manquement à ses obligations d'information et de conseil à l'occasion de l'octroi du prêt litigieux. La circonstance que les emprunteurs aient honoré leur engagement dans son intégralité, le prêt ayant été soldé en août 2019, apparaît sans emport, étant observé que la banque sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir des emprunteurs. »

2/ « Si les époux X. ont conclu le contrat de prêt litigieux par acte notarié en date du 16 juillet 1999, ils n'ont été en mesure d'avoir une connaissance effective des manquements qu'ils imputent à la banque qu'à l'occasion du remboursement de ce prêt, étant précisé qu'il s'agit d'un crédit remboursable en une seule échéance de capital prévue aux termes du tableau d'amortissement en date du 31 mai 2019, et que le prêt a été soldé, ainsi qu'il a été rappelé ci-avant le 27 août 2019. Si des échéances d'intérêts ont pu être mises en compte dès le début de l'exécution du contrat de prêt, et pouvaient donc être affectées par les variations des cours du change intervenues au cours de cette exécution, il doit cependant être relevées qu'elles étaient également soumises à la variation du taux d'intérêt, ce qui ne permettait pas aux emprunteurs d'appréhender l'incidence que pouvait avoir la variation du cours sur l'étendue de leurs obligations, et dont ils n'ont pu prendre la mesure qu'à l'occasion du remboursement du capital au titre duquel seul ils sollicitent une indemnisation en raison de l'évolution du cours du change. Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a déclaré les époux X. prescrits en leur action en responsabilité au titre des obligations d'information et de conseil de la banque, et ils seront déclarés recevables en leur action de ces chefs. »

3/ « S'agissant, en revanche, du manquement invoqué à l'obligation d'information de la banque, il sera rappelé qu'il lui appartenait, à ce titre, de démontrer avoir informé l'emprunteur, indépendamment de sa qualité d'emprunteur averti ou non, sur les caractéristiques du prêt qu'elle lui proposait de souscrire afin de lui permettre de s'engager en toute connaissance de cause, c'est-à-dire, dans les circonstances de l'espèce, s'agissant d'un prêt libellé en devises étrangères, de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État où celui-ci est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger.

Or, en l'espèce, au vu des éléments soumis à l'appréciation de la cour, il apparaît que les emprunteurs n'ont reçu, au-delà de la teneur de l'offre de prêt, quand bien même elle a été réitérée par acte notarié, et de l'attestation par laquelle ils indiquent souscrire un prêt libellé en francs suisses bien que percevant leurs ressources en monnaie française, aucun élément d'information leur permettant d'appréhender de manière suffisante le risque de change non pas seulement dans son existence, mais aussi dans sa teneur et dans ses implications, de sorte que, même en l'état du droit applicable au moment de la souscription du prêt, il y a lieu de retenir que la banque a manqué à son devoir d'information. »

4/ « La banque ayant manqué à son obligation d'information, elle sera tenue de réparer le préjudice ainsi causé, lequel ne peut s'analyser qu'en une perte de chance d'éviter la réalisation du risque de change qu'il convient d'évaluer, en tenant compte, notamment, du contexte de stabilité dans lequel les emprunteurs ont contracté, et de l'avantage qu'ils espéraient pouvoir tirer d'un prêt en devises en termes de niveau du taux d'intérêt, à un taux de 70 %, taux à appliquer à la somme résultant de la différence entre la contre-valeur en euros du capital, correspondant à 275.000 CHF, au moment de la souscription du prêt et au moment de son remboursement, le taux de change appliqué ressortant implicitement des conclusions des appelants, sans être efficacement critiqué par la banque, de sorte que la cour dispose d'éléments suffisants pour déterminer le préjudice sur cette base. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE COLMAR

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE - SECTION A

ARRÊT DU 4 JANVIER 2023

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 1 A 21/00104. Arrêt n° 10/23. N° Portalis DBVW-V-B7F-HOXL. Décision déférée à la Cour : 15 octobre 2020 par le Tribunal judiciaire de MULHOUSE - 1ère chambre civile.

 

APPELANTS :

Monsieur X.

[Adresse 2], [Localité 3]

Madame Y. épouse X.

[Adresse 2], [Localité 3]

Représentés par Maître Céline RICHARD, avocat à la Cour, Avocat plaidant : Maître JORIO, avocat au barreau de PARIS

 

INTIMÉE :

CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL RHIN JURA

prise en la personne de son représentant légal, [Adresse 1], [Localité 4], Représentée par Maître Laurence FRICK, avocat à la Cour, Avocat plaidant : Maître DE RAVEL, avocat au barreau de STRASBOURG

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 mars 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. ROUBLOT, Conseiller, un rapport de l'affaire ayant été présenté à l'audience.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Mme PANETTA, Présidente de chambre, M. ROUBLOT, Conseiller, Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère, qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRÊT : - Contradictoire - rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Vu l'assignation délivrée le 22 mai 2019, par laquelle M. X. et Mme Y., épouse X., ci-après également dénommés « les époux X. », ont fait citer la Caisse de Crédit Mutuel (CCM) Rhin Jura, venant aux droits de la CCM [Localité 4], ci-après également dénommée « le Crédit Mutuel » ou « la banque », devant le tribunal de grande instance, devenu le 1er janvier 2020 le tribunal judiciaire de Mulhouse,

Vu le jugement rendu le 15 octobre 2020, auquel il sera renvoyé pour le surplus de l'exposé des faits, ainsi que des prétentions et moyens des parties en première instance, et par lequel le tribunal judiciaire de Mulhouse a :

- déclaré que les fins de non-recevoir tirées :

* de la prescription de l'action en nullité du contrat de prêt ;

* de la prescription de l'action en inopposabilité de clauses abusives ;

* de l'irrecevabilité de la demande en inopposabilité de clause abusive

soulevées par la CCM Rhin Jura étaient sans objet,

- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la CCM Rhin Jura de défaut d'intérêt à agir,

- déclaré irrecevable pour cause de prescription, l'action en responsabilité pour manquement de la banque à une obligation d'information et/ou de conseil,

- déclaré recevable l'action en responsabilité délictuelle de la banque pour tardiveté dans les démarches utiles à la mainlevée du nantissement du contrat d'assurance,

- rejeté la demande d'indemnisation pour tardiveté dans les démarches utiles à la mainlevée du nantissement du contrat d'assurance,

- condamné les époux X. à verser à la CCM Rhin Jura la somme de 1.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté la demande formée par les époux X. au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné les époux X. aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision, en toutes ses dispositions,

aux motifs, notamment, que :

- les époux X. formant, au dispositif de leurs dernières conclusions, une action en responsabilité pour manquement du Crédit Mutuel à son obligation d'information et de conseil, il y avait lieu de considérer qu'ils abandonnaient leurs prétentions tendant à la nullité du contrat de prêt et au caractère abusif de la « clause relative au risque de change », de sorte que les fins de non-recevoir soulevées par le Crédit Mutuel au titre de la prescription de l'action en nullité du contrat de prêt et de l'action en inopposabilité d'une clause abusive, ainsi que de l'irrecevabilité de cette dernière demande étaient devenues sans objet,

- les époux X. avaient intérêt à agir, nonobstant le remboursement intégral du prêt,

- l'action en responsabilité pour manquement à une obligation d'information et/ou de conseil était irrecevable pour être prescrite,

- sur l'action en responsabilité pour tardiveté dans les démarches utiles à la mainlevée du nantissement du contrat d'assurances, pour lequel aucun moyen au soutien de la fin de non-recevoir de prescription n'était invoqué, l'action était recevable mais mal fondée, comme relevant de l'exécution du contrat de prêt et non de la responsabilité délictuelle de la banque.

Vu la déclaration d'appel formée par M. X. et Mme Y., épouse X. contre ce jugement, et déposée le 4 décembre 2020,

Vu la constitution d'intimée de la CCM Rhin Jura en date du 18 janvier 2021,

[*]

Vu les dernières conclusions en date du 2 mars 2021, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles M. X. et Mme Y., épouse X. demandent à la cour de :

« INFIRMER le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Mulhouse en date du 15 octobre 2020 ;

EN STATUANT A NOUVEAU :

- RECEVOIR Monsieur et Madame X. en leurs demandes et les dire bien fondées ;

- DÉBOUTER la société CCM RHIN JURA de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- DIRE et JUGER que l'action de Monsieur et Madame X. n'est pas prescrite ;

Vu l'article 1382 du Code civil (nouveau 1240)

- DIRE ET JUGER que la société CCM RHIN JURA a manqué à son obligation d'information et de conseil à l'égard de Madame et Monsieur X. ;

- CONDAMNER la société CCM RHIN JURA à payer à Madame et Monsieur X. la somme de 72.171,90 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

- CONDAMNER la société CCM RHIN JURA à payer à Monsieur et Madame X. la somme de 6.000,00 € par application des dispositions de l'article 700 du CPC et aux entiers dépens »

et ce, en invoquant, notamment :

- l'absence de prescription de leur action, dont le point de départ serait glissant et subjectif, se situant, s'agissant d'un prêt in fine, au jour du remboursement du prêt,

- la nullité du contrat de prêt, comme contraire à l'ordre public économique (non développé),

- le caractère abusif, et partant réputé non écrit, de la clause faisant peser le risque de change sur l'emprunteur (non développé),

- un manquement de la banque à ses obligations en s'abstenant de faire souscrire à M. X. une assurance perte d'emploi malgré le risque accru d'un tel emprunt au regard de sa situation (non développé),

- un manquement de la banque à son devoir d'information car elle n'a pas correctement informé les concluants sur les caractéristiques de l'emprunt en francs suisses et notamment sur le risque d'augmentation du capital en cas de conversion en euros du prêt, l'information fournie n'ayant pas été claire et la banque ayant, au contraire, intégré dans l'offre de prêt des éléments de confusion entre les devises, et n'ayant donné aucune information concernant les risques de change, en présence de cocontractants profanes,

- un manquement à son devoir de conseil car elle n'a pas proposé à M. et Mme X. l'emprunt le plus adapté à leur situation, s'agissant d'un emprunt en francs suisses,

- un préjudice causé par ces manquements dont il aurait résulté une augmentation considérable du montant du capital à rembourser ;

[*]

Vu les dernières conclusions en date du 31 mai 2021, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la CCM Rhin Jura demande à la cour de :

« Vu les articles 2222 et 2224 du Code civil,

Vu l'article 122 du Code de procédure civile,

Vu l'ancien article 1134 du Code civil,

Vu l'ancien article 1147 du Code civil,

Vu les articles L. 314-1 et R.314 et suivants du Code de la consommation,

Vu l'article L. 112-2 du Code monétaire et financier,

Vu l'article 700 du Code de procédure civile,

- REJETER l'appel

- DÉBOUTER les époux X. de l'intégralité de leurs fins et conclusions

- CONFIRMER le jugement déféré rendu le 15 octobre 2020 par le Tribunal Judiciaire de MULHOUSE

A titre subsidiaire, si la Cour devait par impossible juger la demande recevable :

- DÉCLARER les époux X. mal fondés en leurs demandes

- DÉBOUTER les époux X. de l'intégralité de leurs fins et conclusions

En tout état de cause :

- CONDAMNER solidairement Monsieur X. et Madame X. née Y. à payer à la CCM RHIN JURA la somme de 5.000 Euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER solidairement Monsieur X. et Madame X. née Y. aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel »

et ce, en invoquant, notamment :

- l'irrecevabilité de l'action adverse en responsabilité, pour prescription, dont le délai courait à compter de la conclusion du prêt, et non, comme en matière d'opérations globales associant à une acquisition immobilière, un prêt immobilier remboursable in fine et un contrat de capitalisation, à compter de la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'est pas en mesure de faire face, et ce sans incidence du caractère in fine du prêt, l'aléa lié au risque de change étant inhérent au contrat de prêt en devise, et le dommage s'étant en tout état de cause réalisé dès 2009 et au plus tard en 2011,

- à titre subsidiaire, sur le fond, l'absence de faute de la concluante, à défaut de risque d'endettement des emprunteurs, alors que la banque avait collecté l'ensemble des informations lui permettant d'apprécier les facultés contributives des investisseurs et les éventuels risques d'endettement qui étaient encourus ; compte tenu, subsidiairement, de leur caractère averti, au regard de leur patrimoine, de leurs capacités intellectuelles et de leur connaissance préalable des caractéristiques du prêt, et à titre plus subsidiaire, l'obligation de mise en garde et d'information ayant été accomplie, les époux X. ayant fait l'objet d'une information précise, complète et adaptée à leur situation, sans démontrer que la CCM, qui ne participait pas au montage de l'investissement et n'avait pas à se prononcer sur son opportunité ou sa qualité, disposait d'informations dont ils ne disposaient pas eux-mêmes,

- en tout état de cause, l'absence de préjudice des époux X., et de lien de causalité, le règlement intégral du prêt par M. X. valant accord avec les montants dus au titre du prêt dont il conteste pourtant la validité, et aucune perte de chance n'étant démontrée.

[*]

Vu l'ordonnance de clôture en date du 2 mars 2022,

Vu les débats à l'audience du 28 mars 2022,

Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

Sur la demande en dommages-intérêts des époux X. à l'encontre de la CCM Rhin Jura :

Les époux X. entendent mettre en cause la responsabilité du Crédit Mutuel pour manquement à ses obligations d'information et de conseil à l'occasion de l'octroi du prêt litigieux.

La circonstance que les emprunteurs aient honoré leur engagement dans son intégralité, le prêt ayant été soldé en août 2019, apparaît sans emport, étant observé que la banque sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir des emprunteurs.

 

Sur la prescription :

Si les époux X. ont conclu le contrat de prêt litigieux par acte notarié en date du 16 juillet 1999, ils n'ont été en mesure d'avoir une connaissance effective des manquements qu'ils imputent à la banque qu'à l'occasion du remboursement de ce prêt, étant précisé qu'il s'agit d'un crédit remboursable en une seule échéance de capital prévue aux termes du tableau d'amortissement en date du 31 mai 2019, et que le prêt a été soldé, ainsi qu'il a été rappelé ci-avant le 27 août 2019. Si des échéances d'intérêts ont pu être mises en compte dès le début de l'exécution du contrat de prêt, et pouvaient donc être affectées par les variations des cours du change intervenues au cours de cette exécution, il doit cependant être relevées qu'elles étaient également soumises à la variation du taux d'intérêt, ce qui ne permettait pas aux emprunteurs d'appréhender l'incidence que pouvait avoir la variation du cours sur l'étendue de leurs obligations, et dont ils n'ont pu prendre la mesure qu'à l'occasion du remboursement du capital au titre duquel seul ils sollicitent une indemnisation en raison de l'évolution du cours du change.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a déclaré les époux X. prescrits en leur action en responsabilité au titre des obligations d'information et de conseil de la banque, et ils seront déclarés recevables en leur action de ces chefs.

 

Sur les fautes reprochées à la banque :

Si les époux X. invoquent un manquement de la banque à son obligation de conseil, il convient de rappeler que la banque n'a pas à s'immiscer dans les affaires de son client pour apprécier l'opportunité des opérations auxquelles il procède, et n'est pas tenue, en cette seule qualité, à une obligation de conseil envers l'emprunteur, sauf si elle en a pris l'engagement.

En l'espèce, la banque n'étant pas tenue à une obligation de conseil et n'ayant délivré aucun conseil, aucune faute ne peut lui être reprochée et la demande de dommages intérêts sera rejetée, y compris en ce qu'elle concerne le retard allégué dans la mainlevée du nantissement du contrat d'assurance, la banque n'ayant aucune obligation de conseiller l'emprunteur sur les démarches à effectuer auprès de l'assurance à cette fin.

Il sera, par ailleurs, observé que n'est pas en cause le devoir de mise en garde de la banque, et ce alors même qu'aucun risque d'endettement n'apparaît caractérisé, ni même invoqué, le prêt ayant, au demeurant, été remboursé dans son intégralité sans démonstration ni même allégation d'une difficulté ou d'un incident de paiement.

S'agissant, en revanche, du manquement invoqué à l'obligation d'information de la banque, il sera rappelé qu'il lui appartenait, à ce titre, de démontrer avoir informé l'emprunteur, indépendamment de sa qualité d'emprunteur averti ou non, sur les caractéristiques du prêt qu'elle lui proposait de souscrire afin de lui permettre de s'engager en toute connaissance de cause, c'est-à-dire, dans les circonstances de l'espèce, s'agissant d'un prêt libellé en devises étrangères, de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État où celui-ci est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger.

Or, en l'espèce, au vu des éléments soumis à l'appréciation de la cour, il apparaît que les emprunteurs n'ont reçu, au-delà de la teneur de l'offre de prêt, quand bien même elle a été réitérée par acte notarié, et de l'attestation par laquelle ils indiquent souscrire un prêt libellé en francs suisses bien que percevant leurs ressources en monnaie française, aucun élément d'information leur permettant d'appréhender de manière suffisante le risque de change non pas seulement dans son existence, mais aussi dans sa teneur et dans ses implications, de sorte que, même en l'état du droit applicable au moment de la souscription du prêt, il y a lieu de retenir que la banque a manqué à son devoir d'information.

 

Sur le préjudice des époux X. :

La banque ayant manqué à son obligation d'information, elle sera tenue de réparer le préjudice ainsi causé, lequel ne peut s'analyser qu'en une perte de chance d'éviter la réalisation du risque de change qu'il convient d'évaluer, en tenant compte, notamment, du contexte de stabilité dans lequel les emprunteurs ont contracté, et de l'avantage qu'ils espéraient pouvoir tirer d'un prêt en devises en termes de niveau du taux d'intérêt, à un taux de 70 %, taux à appliquer à la somme résultant de la différence entre la contre-valeur en euros du capital, correspondant à 275.000 CHF, au moment de la souscription du prêt et au moment de son remboursement, le taux de change appliqué ressortant implicitement des conclusions des appelants, sans être efficacement critiqué par la banque, de sorte que la cour dispose d'éléments suffisants pour déterminer le préjudice sur cette base.

Dès lors, il convient d'évaluer à la somme de 50.534,33 euros, le préjudice de perte de chance subi par les époux X., résultant du manquement de la banque à son obligation d'information et de la condamner à leur payer cette somme à titre de dommages intérêts.

 

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

La CCM Rhin Jura succombant pour l'essentiel sera tenue des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, ainsi que de ceux de la première instance, en infirmation de la décision entreprise.

L'équité commande en outre de mettre à la charge de la CCM Rhin Jura une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 2.000 euros au profit des époux X., tout en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de ces derniers, les dispositions du jugement déféré devant être infirmés de ce chef.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Infirme le jugement rendu le 15 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de Mulhouse en ce qu'il a :

- déclaré irrecevable pour cause de prescription, l'action en responsabilité pour manquement de la banque à une obligation d'information et/ou de conseil,

- condamné les époux X. à verser à la CCM Rhin Jura la somme de 1.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté la demande formée par les époux X. au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné les époux X. aux dépens,

Confirme le jugement entrepris pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs de demande infirmés et y ajoutant,

Déclare recevable l'action en responsabilité de M. X. et Mme Y., épouse X. à l'encontre de la Caisse de Crédit Mutuel Rhin Jura pour manquement de la banque à une obligation d'information et/ou de conseil,

Condamne la Caisse de Crédit Mutuel Rhin Jura à payer à M. X. et Mme Y., épouse X. la somme de 50.534,33 euros à titre de dommages-intérêts,

Condamne la Caisse de Crédit Mutuel Rhin Jura aux dépens de la première instance et de l'appel,

Condamne la Caisse de Crédit Mutuel Rhin Jura à payer à M. X. et Mme Y., épouse X. la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la Caisse de Crédit Mutuel Rhin Jura.

La Greffière :                                   la Présidente :