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CAA PARIS, 30 janvier 2023

Nature : Décision
Titre : CAA PARIS, 30 janvier 2023
Pays : France
Juridiction : Paris (CAA)
Demande : 21PA04834
Date : 30/01/2023
Nature de la décision : Rejet
Mode de publication : Legifrance
Date de la demande : 26/08/2021
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CERCLAB - DOCUMENT N° 10040

CAA PARIS, 30 janvier 2023 : req. n° 21PA04834

Publication : Judilibre

 

Extraits : 1/ « Dès lors qu'en application des dispositions de l'article L. 441-3 du code de commerce, il appartient à l'acheteur de réclamer les factures qui doivent être délivrées par le vendeur et la réalisation de la vente de la prestation de services, la société Optical Center ne peut utilement soutenir qu'aucune sanction ne peut lui être infligée puisqu'il n'est pas possible d'établir que les factures émises par les fournisseurs ont été effectivement adressées dans un délai permettant à la société requérante de les honorer dans le délai de quarante-cinq jours fin de mois qui suit la date d'émission de la facture. »

2/ « Les poursuites engagées par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi en vue d'infliger des sanctions financières sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce constituent des « accusations en matière pénale » au sens des stipulations du paragraphe 1 précité. Le principe de personnalité des peines découle du principe de la présomption d'innocence posé par les stipulations du paragraphe 2. »

3/ « La circonstance que le point de départ du délai de paiement soit la date d'émission de la facture par le fournisseur et non la date de réception de la facture n'est pas de nature à entrainer une méconnaissance du principe de personnalité des peines dès lors qu'en application des dispositions de l'article L. 441-3 du code de commerce précitées, il appartient à l'acheteur de réclamer les factures qui doivent être délivrées par le fournisseur, entrainant ainsi une co-responsabilité de l'acheteur et du fournisseur. »

4/ « Dès lors que les dispositions de l'article L. 465-2 du code de commerce ne privent pas l'entreprise de la possibilité d'exercer un recours contre la décision de publication de l'amende qui lui a été infligée devant le juge des référés administratifs qui, statuant en urgence sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, peut suspendre l'exécution de la mesure, ce qu'au demeurant la société Optical Center n'a pas fait alors que la lettre de notification de la décision de sanction précisait que cette publication interviendrait sous un mois, la société Optical Center ne peut utilement soutenir que la publication de la décision de sanction avant tout jugement d'un tribunal est contraire au principe de la présomption d'innocence prévue par l'article 6-2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS

ARRÊT DU 30 JANVIER 2023

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Req. n° 21PA04834.

 

APPELANTE :

Société Optical Center

 

INTIMÉ :

Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

 

M. LE GOFF, Président ; Mme Aude COLLET, Rapporteur. Mme BERNARD, Rapporteur public. CABINET F. NAÏM, Avocat

Vu la procédure suivante :

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Procédure contentieuse antérieure :

La société Optical Center a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 23 avril 2019 par laquelle la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Île-de-France a prononcé à son encontre une amende administrative d'un montant de 160.000 euros pour manquement au 9e alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce, assortie d'une obligation de publication de six mois de la sanction sur le site internet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Par jugement n° 1913849/2-1 du 29 juin 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

 

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 26 août 2021, la société Optical Center, représentée par Maître Naïm, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1913849/2-1 du 29 juin 2021 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 23 avril 2019 par laquelle la DIRECCTE d'Île-de-France a prononcé à son encontre une amende administrative d'un montant de 160.000 euros, assortie d'une obligation de publication de six mois de la sanction sur le site internet de la DGCCRF ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2.000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les garanties des paragraphes 1 et 2 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'appliquent aux sanctions pénales prononcées dans le domaine des sanctions administratives ;

- aucune sanction ne peut lui être infligée dès lors que les articles L. 441-6 et L. 465-2 du code de commerce ne peuvent s'appliquer puisqu'il n'est pas possible d'établir que les factures émises par les fournisseurs ont été effectivement adressées dans un délai lui permettant de les honorer dans le délai de 45 jours fin de mois qui suit la date d'émission de la facture et que, sinon, le principe de personnalité des peines serait méconnu ;

- aucune amende ne peut lui être infligée sur le fondement de l'article L. 441-6 du code de commerce dès lors qu'aucun mécanisme de dérogation à l'obligation de paiement n'est prévu en présence de produits défectueux, non livrés ou de prestations non exécutées ;

- la sanction est disproportionnée ;

- la publication de la décision de sanction avant tout jugement d'un tribunal est contraire au principe de la présomption d'innocence prévue par l'article 6-2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

[*]

Par un mémoire en défense enregistré le 23 juin 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Optical Center ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce,

- le code de justice administrative.

[*]

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A.,

- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Considérant ce qui suit :

1. Suite à un contrôle mené en 2017 par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Île-de-France afin de vérifier le respect des délais de paiement inter-entreprises prévus par les dispositions du 9ème alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce, un procès-verbal de constat de manquements a été dressé le 13 novembre 2018 à l'encontre de la société Optical Center, qui exerce une activité de commerce de détail d'optique. Par courrier du 13 décembre 2018, cette dernière a été informée que la DIRECCTE envisageait de prononcer à son encontre une amende administrative de 160.000 euros et qu'elle disposait d'un délai de 60 jours pour faire valoir ses observations, ce qu'elle a fait par courrier du 12 février 2019 et verbalement le 12 mars 2019. Par décision du 23 avril 2019, notifiée le 25 avril suivant, la DIRECCTE lui a infligé une amende administrative d'un montant de 160.000 euros assortie d'une obligation de publication de six mois de la sanction sur le site internet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Par jugement n° 1913849/2-1 du 29 juin 2021, dont la société Optical Center relève appel, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

 

Sur le bien-fondé de la sanction :

2. D'une part, aux termes du 9ème alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce, dans sa version applicable aux factures émises du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016 analysées par la DIRECCTE lors du contrôle dont a fait l'objet la société Optical Center : « Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier. En cas de facture périodique, au sens du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le délai convenu entre les parties ne peut dépasser quarante-cinq jours à compter de la date d'émission de la facture ». Aux termes du VI du même article L. 441-6 du code de commerce, pour les factures émises du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016 : « Sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75.000 euros pour une personne physique et 375.000 euros pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième, neuvième, onzième et dernier alinéas du I du présent article (...) ». Aux termes du VI du même article L. 441-6 du code de commerce, pour les factures émises du 12 décembre 2016 au 31 décembre 2016 : « VI. - Sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75.000 € pour une personne physique et deux millions d'euros pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième, neuvième, onzième et dernier alinéas du I du présent article (...) ».

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 465-2 du même code, alors applicable au litige : « I. - L'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est l'autorité compétente pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements mentionnés au titre IV du présent livre ainsi que l'inexécution des mesures d'injonction prévues à l'article L. 465-1. (...) III. - Les manquements passibles d'une amende administrative sont constatés par procès-verbal, selon les modalités prévues à l'article L. 450-2. (...) V.- La décision prononcée par l'autorité administrative peut être publiée aux frais de la personne sanctionnée ». Selon les dispositions de l'article L. 441-3 du code de commerce dans sa version applicable aux factures émises du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016 : « Tout achat de produits ou toute prestation de service pour une activité professionnelle doivent faire l'objet d'une facturation. / Sous réserve des deuxième et troisième alinéas du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou la prestation du service. L'acheteur doit la réclamer. (...) ».

4. En premier lieu, dès lors qu'en application des dispositions de l'article L. 441-3 du code de commerce, il appartient à l'acheteur de réclamer les factures qui doivent être délivrées par le vendeur et la réalisation de la vente de la prestation de services, la société Optical Center ne peut utilement soutenir qu'aucune sanction ne peut lui être infligée puisqu'il n'est pas possible d'établir que les factures émises par les fournisseurs ont été effectivement adressées dans un délai permettant à la société requérante de les honorer dans le délai de quarante-cinq jours fin de mois qui suit la date d'émission de la facture. Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) ; / 2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie (...) ». Les poursuites engagées par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi en vue d'infliger des sanctions financières sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce constituent des « accusations en matière pénale » au sens des stipulations du paragraphe 1 précité. Le principe de personnalité des peines découle du principe de la présomption d'innocence posé par les stipulations du paragraphe 2.

6. A supposer qu'en mentionnant que les garanties du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'appliquent aux sanctions pénales prononcées dans le domaine des sanctions administratives, la société requérante ait entendu soulever la méconnaissance de cet article, la circonstance que le point de départ du délai de paiement soit la date d'émission de la facture par le fournisseur et non la date de réception de la facture n'est pas de nature à entrainer une méconnaissance du principe de personnalité des peines dès lors qu'en application des dispositions de l'article L. 441-3 du code de commerce précitées, il appartient à l'acheteur de réclamer les factures qui doivent être délivrées par le fournisseur, entrainant ainsi une co-responsabilité de l'acheteur et du fournisseur. De plus, en tout état de cause, la société Optical Center ne produit aucune pièce de nature à établir que les retards de paiement qui lui sont reprochés seraient dus à un envoi tardif par les fournisseurs de leurs factures. Par suite, le moyen selon lequel le principe de personnalité des peines aurait été méconnu par la décision du 23 avril 2019 attaquée ne peut qu'être écarté.

7. En troisième lieu, dès lors qu'il résulte des termes mêmes des dispositions du 9ème alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce que les délais de paiement ne sont applicables que pour régler des sommes qui sont dues et qu'une dérogation au délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture peut être convenue entre les parties, la société Optical Center ne peut utilement soutenir qu'aucun mécanisme de dérogation à l'obligation de paiement n'est prévu en présence de produits défectueux, non livrés ou de prestations non exécutées, ce qui s'oppose à ce qu'une amende puisse lui être infligée sur le fondement de l'article L. 441-6 du code de commerce.

8. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que les contrôles effectués par la DIRECCTE d'Île-de-France à l'encontre de la société Optical Center ont permis de constater que sur les 65 804 factures examinées, 8,8 % d'entre elles ont été payées au-delà du délai maximal de paiement prévu par l'article L. 441-6 du code de commerce correspondant à un montant de 13.459.578 euros et à un retard moyen pondéré de 22,76 jours, soit un différé de paiement correspondant à la somme de 839.370,06 euros. La circonstance que la société ait communiqué un volume plus important de factures est insusceptible d'avoir eu une influence sur l'appréciation de l'ampleur des retards opposés dès lors qu'il ressort du procès-verbal de constat du 13 novembre 2018 qu'ont, en tout état de cause, été écartées des factures pour lesquelles le régime des délais de paiement précité n'était pas opposable et que la méthode retenue pour le calcul des délais de paiement lui a été la plus favorable. Enfin, si la société se prévaut de ce que lesdits retards de paiement n'ont eu qu'un faible impact économique sur les fournisseurs concernés, cette circonstance est sans incidence sur la réalité des manquements qui lui sont opposés et sur le constat du bien-fondé de la sanction infligée. Par suite, il ne résulte pas de l'instruction que le montant de 160.000 euros d'amende infligé à la société Optical Center soit disproportionné, compte tenu de l'ampleur des manquements constatés, du montant que représentent ces retards de paiement et de l'absence de situation financière difficile alléguée.

9. En dernier lieu, dès lors que les dispositions de l'article L. 465-2 du code de commerce ne privent pas l'entreprise de la possibilité d'exercer un recours contre la décision de publication de l'amende qui lui a été infligée devant le juge des référés administratifs qui, statuant en urgence sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, peut suspendre l'exécution de la mesure, ce qu'au demeurant la société Optical Center n'a pas fait alors que la lettre de notification de la décision de sanction précisait que cette publication interviendrait sous un mois, la société Optical Center ne peut utilement soutenir que la publication de la décision de sanction avant tout jugement d'un tribunal est contraire au principe de la présomption d'innocence prévue par l'article 6-2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Optical Center n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 23 avril 2019 par laquelle la DIRECCTE d'Île-de-France a prononcé à son encontre une amende administrative d'un montant de 160.000 euros, assortie d'une obligation de publication de six mois de la sanction sur le site internet de la DGCCRF.

 

Sur les frais liés à l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société Optical Center au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Optical Center est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Optical Center et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 9 janvier 2023, à laquelle siégeaient : - M. Le Goff, président de chambre, - M. Ho Si Fat, président assesseur, - Mme Collet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2023.

La rapporteure,                                Le président,                         Le greffier,

A. A.                                                  R. LE GOFF                         P. TISSERAND