CA AIX-EN-PROVENCE (ch. 3-3), 5 octobre 2023
CERCLAB - DOCUMENT N° 10419
CA AIX-EN-PROVENCE (ch. 3-3), 5 octobre 2023 : RG n° 20/01775 ; arrêt n° 2023/115
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « Sur ce, la cour, à laquelle il appartient d'apprécier le caractère éventuellement abusif de la clause figurant au contrat conclu entre la SA Société Générale et l'intimé, relève qu'en l'espèce, la clause litigieuse limite la faculté de prononcer l'exigibilité anticipée du prêt aux seuls cas de fourniture de renseignements inexacts portant sur des éléments déterminants du consentement du prêteur dans l'octroi du crédit, que, par ailleurs, rien dans sa rédaction ne laissant à penser le contraire, ladite clause ne prive pas l'emprunteur de la possibilité de recourir à un juge pour contester son application à son égard.
Ainsi, cette clause, qui tend à sanctionner la méconnaissance de l'obligation de contracter de bonne foi au moment de la souscription du prêt, n'a pas pour objet ou effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations respectifs des parties au contrat, et n'est donc pas abusive au sens des dispositions de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation. »
2/ « Sur ce, des pièces versées aux débats par la banque, il résulte que : - M. X., qui, dans sa demande de prêt, a indiqué exercer l'activité de conducteur de travaux, titulaire d'un contrat à durée indéterminée auprès de la société EITB, au salaire mensuel net de 3.433 euros, a produit un bulletin de paie de juin 2014 faisant apparaître un net à payer de 3.300 euros ainsi que les relevés d'un compte courant ouvert à son nom dans les livres de la CIC Lyonnaise de Banque établis en juillet, août et septembre 2014, sur chacun desquels figure au crédit la remise d'un chèque de ce montant,
- le 5 juin 2015, à la demande présentée par l'appelante, qui indiquait avoir de sérieux doutes sur les documents qui lui avaient été remis par son client et sollicitait de sa part leur authentification, la CIC Lyonnaise de Banque a répondu, en précisant que l'intimé n'avait jamais déposé ces sommes de 3.300 euros en 2014, qu'il s'agissait bien de faux relevés de compte.
Et, étant surabondamment observé que M. X. n'a, que ce soit à la suite des courriers recommandés faisant état de ces faits que lui a adressés la banque les 5 juin puis 7 juillet 2015 ou même dans le cadre de la procédure opposant les parties, apporté aucun élément de nature à contredire le caractère frauduleux ainsi établi des pièces par lui remises au soutien de sa demande de crédit, il apparaît que, s'agissant des justificatifs des revenus de l'emprunteur sur la base desquels la banque décide de l'octroi, ou non, du prêt sollicité, le caractère substantiel de l'inexactitude est également démontré. »
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
CHAMBRE 3-3
ARRÊT DU 5 OCTOBRE 2023
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 20/01775. Arrêt n° 2023/115. ARRÊT AU FOND. N° Portalis DBVB-V-B7E-BFRYC. Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 19 décembre 2019 enregistrée au répertoire général sous le R.G. n° 15/04331.
APPELANTE :
SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE
prise en la personne de ses représentants légaux, dont le siège social est sis [Adresse 3], représentée et assistée de Maître Julie DE VALKENAERE de la SELARL JDV AVOCATS, avocat au barreau de NICE, plaidant
INTIMÉ :
Monsieur X.
né le [Date naissance 1] à [Localité 5], demeurant [Adresse 2], représenté par Maître Hélène ABOUDARAM-COHEN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Maître Hélène ABOUDARAM-COHEN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant, substituant Me Gérard BAUDOUX, avocat au barreau de NICE
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 6 juin 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Françoise PETEL, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Monsieur Philippe DELMOTTE, Président, Madame Françoise PETEL, Conseillère, Madame Françoise FILLIOUX, Conseillère
Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe, après prorogation, le 5 octobre 2023.
ARRÊT : Contradictoire, Prononcé par mise à disposition au greffe le 5 octobre 2023, Signé par Monsieur Philippe DELMOTTE, Président et Madame Laure METGE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Suivant offre du 21 octobre 2014 acceptée le 2 novembre 2014, la SA Société Générale a consenti à M. X. un prêt, destiné à financer l'acquisition d'un bien immobilier à [Localité 4], d'un montant de 130.000 euros, au taux fixe de 2,90 % l'an, remboursable en 204 mensualités.
Exposant que les documents présentés lors de sa demande de financement ne reflétaient pas la réalité, la banque, par courrier recommandé du 5 juin 2015, a informé M. X. de ce que, sauf pour lui à porter à sa connaissance des faits nouveaux et incontestables susceptibles de modifier son appréciation, elle allait procéder, à l'expiration d'un délai de 48 heures, à la clôture de son compte n° XXX, et l'a mis en demeure d'en payer, dans un délai de huit jours, le solde débiteur d'un montant de 738,73 euros.
Par lettre recommandée du 7 juillet 2015, la SA Société Générale, faisant état de ce que les documents et notamment les relevés de compte remis lors du montage de sa demande avaient été falsifiés, a indiqué à l'emprunteur se prévaloir, en application de l'article 12 du contrat, de l'exigibilité anticipée du prêt du 2 novembre 2014, le montant de la somme dont il était ainsi redevable étant de 136.740,75 euros.
Par exploit du 7 août 2015, la SA Société Générale a fait assigner M. X. en paiement devant le tribunal de grande instance de Nice.
Par jugement du 19 décembre 2019, ce tribunal :
- a débouté la Société Générale de l'ensemble de ses demandes de déchéance du terme et de condamnation à paiement,
- a condamné la Société Générale à payer à M. X. la somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et injustifiée,
- l'a condamnée à lui payer la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- a condamné la Société Générale aux entiers dépens de l'instance.
Suivant déclaration du 5 février 2020, la SA Société Générale a interjeté appel de cette décision.
[*]
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées et déposées le 15 juillet 2022, auxquelles il est expressément référé en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, l'appelante demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu par la 4ème chambre civile du tribunal de grande instance de Nice en date du 19 décembre 2019 en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes de déchéance du terme et de condamnation à paiement, et l'a condamnée en 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée outre 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- confirmer le jugement rendu par la 4ème chambre civile du tribunal de grande instance de Nice en date du 19 décembre 2019 en ce qu'il a retenu qu'il convenait de débouter M. X. de toutes prétentions au titre d'une absence de signature par lui des Conditions Générales du contrat de prêt,
ce faisant,
- la recevoir en son action et l'y déclarant bien fondée,
- condamner M. X. à lui payer la somme de 136.740,75 euros, outre intérêts au taux conventionnel à compter du 7 juillet 2015, date de la mise en demeure, jusqu'au jour du parfait paiement, lesdits intérêts étant capitalisés annuellement,
- condamner M. X. à lui payer la somme de 2.000 euros à titre de légitimes dommages et intérêts en raison de son comportement gravement répréhensible,
- débouter M. X. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner enfin le requis au paiement d'une indemnité de 2.500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux dépens de l'instance.
[*]
Par conclusions notifiées et déposées le 22 juillet 2020, auxquelles il est expressément référé en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. X. demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu le 19 décembre 2019 par la 4ème chambre civile du tribunal judiciaire de Nice en ce qu'il a :
- débouté la SA Société Générale de l'ensemble de ses demandes,
- considéré que l'article 12 du contrat de prêt de la Société Générale est une clause abusive et donc non écrite, et en a écarté toute application,
- condamné la SA Société Générale au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive,
et, sur son appel incident :
- infirmer le jugement rendu le 19 décembre 2019 par la 4ème chambre civile du tribunal judiciaire de Nice mais seulement sur le montant qui lui a été alloué à titre de dommages-intérêts,
- ainsi, condamner la SA Société Générale à lui verser une somme de 5.000 euros, et non 3.000 euros, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
sur l'omission de statuer du premier juge :
- ordonner une vérification d'écriture de l'écrit contesté par lui, à savoir les conditions générales,
enfin,
- condamner la Société Générale au paiement d'une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Hélène Aboudaram.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Sur la vérification d'écriture :
Contrairement à ce que prétend M. X., les premiers juges n'ont aucunement omis de statuer sur sa demande de vérification d'écriture.
En effet, constatant que l'emprunteur déniait la signature figurant sur les conditions générales de l'offre de prêt, le tribunal a procédé, en application des dispositions de l'article 288 du code de procédure civile, à la vérification sollicitée, et, après examen, rejeté toute contestation à ce titre.
Et, au vu des pièces versées aux débats par l'appelante, étant observé que l'intimé ne produit quant à lui aucun élément de comparaison, pas même un quelconque document de son identité, il apparaît que, comme l'ont justement retenu les premiers juges, la signature litigieuse est en tous points conforme à celles, dont M. X. ne conteste pas qu'elles soient de sa main, portées sur la demande de prêt immobilier du 7 octobre 2014, la demande d'adhésion à l'assurance du même jour, le compromis de vente du bien financé du 1er septembre 2014, et l'acceptation de l'offre de prêt du 2 novembre 2014.
Sur le caractère abusif de l'article 12 :
L'appelante fait grief au tribunal d'avoir, au visa de l'article L. 212-1 du code de la consommation et de la recommandation n° 2004-3 de la commission des clauses abusives, considéré que l'article 12 des conditions générales du contrat de prêt, qui prévoit qu'elle pourra prononcer l'exigibilité anticipée de plein droit en cas « d'inexactitude substantielle des renseignements fournis par l'Emprunteur sur sa situation, dès lors que ces renseignements étaient nécessaires à la prise de décision de Société Générale », était de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations respectifs des parties, dans la mesure où elle tend à laisser penser à l'emprunteur que l'établissement de crédit dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier l'existence d'une inobservation commise par l'emprunteur et son caractère substantiel et qu'au surplus, elle laisse croire que le consommateur ne peut recourir au juge pour contester le bien-fondé de la déchéance prononcée, que cette clause présentait un caractère abusif et devait être déclarée non écrite.
Soutenant qu'il apparait clairement que cette clause prévoyant une exigibilité de plein droit crée un déséquilibre entre les parties, qu'en effet, la formulation de l'article 12 du contrat de prêt laisse croire au consommateur qu'il ne peut pas recourir au juge pour contester le bien fondé de la déchéance prononcée de façon unilatérale par l'établissement bancaire, M. X. conclut à la confirmation du jugement entrepris.
Sur ce, la cour, à laquelle il appartient d'apprécier le caractère éventuellement abusif de la clause figurant au contrat conclu entre la SA Société Générale et l'intimé, relève qu'en l'espèce, la clause litigieuse limite la faculté de prononcer l'exigibilité anticipée du prêt aux seuls cas de fourniture de renseignements inexacts portant sur des éléments déterminants du consentement du prêteur dans l'octroi du crédit, que, par ailleurs, rien dans sa rédaction ne laissant à penser le contraire, ladite clause ne prive pas l'emprunteur de la possibilité de recourir à un juge pour contester son application à son égard.
Ainsi, cette clause, qui tend à sanctionner la méconnaissance de l'obligation de contracter de bonne foi au moment de la souscription du prêt, n'a pas pour objet ou effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations respectifs des parties au contrat, et n'est donc pas abusive au sens des dispositions de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation.
Sur le caractère substantiel de l'inexactitude de renseignements :
L'appelante fait valoir que la décision des premiers juges, qui ont considéré qu'elle ne rapportait pas la preuve d'une falsification des documents produits par le futur emprunteur, et n'établissait donc pas le caractère substantiel de l'inexactitude invoquée, relève d'une erreur manifeste d'appréciation des données de la cause.
L'intimé réplique que la preuve de la fausseté des relevés de compte n'est pas rapportée par la SA Société Générale, et que c'est à juste titre qu'il conteste le bien-fondé de la déchéance du terme qu'elle a cru devoir prononcer.
Sur ce, des pièces versées aux débats par la banque, il résulte que :
- M. X., qui, dans sa demande de prêt, a indiqué exercer l'activité de conducteur de travaux, titulaire d'un contrat à durée indéterminée auprès de la société EITB, au salaire mensuel net de 3.433 euros, a produit un bulletin de paie de juin 2014 faisant apparaître un net à payer de 3.300 euros ainsi que les relevés d'un compte courant ouvert à son nom dans les livres de la CIC Lyonnaise de Banque établis en juillet, août et septembre 2014, sur chacun desquels figure au crédit la remise d'un chèque de ce montant,
- le 5 juin 2015, à la demande présentée par l'appelante, qui indiquait avoir de sérieux doutes sur les documents qui lui avaient été remis par son client et sollicitait de sa part leur authentification, la CIC Lyonnaise de Banque a répondu, en précisant que l'intimé n'avait jamais déposé ces sommes de 3.300 euros en 2014, qu'il s'agissait bien de faux relevés de compte.
Et, étant surabondamment observé que M. X. n'a, que ce soit à la suite des courriers recommandés faisant état de ces faits que lui a adressés la banque les 5 juin puis 7 juillet 2015 ou même dans le cadre de la procédure opposant les parties, apporté aucun élément de nature à contredire le caractère frauduleux ainsi établi des pièces par lui remises au soutien de sa demande de crédit, il apparaît que, s'agissant des justificatifs des revenus de l'emprunteur sur la base desquels la banque décide de l'octroi, ou non, du prêt sollicité, le caractère substantiel de l'inexactitude est également démontré.
Dès lors, la SA Société Générale était bien fondée, contrairement à ce que soutient l'intimé, à se prévaloir de la déchéance du terme du prêt, et, étant constaté que sa demande n'est pas autrement contestée, il convient, au vu du contrat, du tableau d'amortissement, des décompte et mise en demeure, de condamner M. X. à lui régler la somme de 136.740,75 euros, avec intérêts au taux conventionnel à compter du 7 juillet 2015, lesdits intérêts étant capitalisés dans les termes de l'article 1343-2 du code civil.
Sur les dommages et intérêts :
La banque, qui ne justifie d'aucun préjudice indépendant du retard dans le paiement des sommes qui lui sont dues, n'établit pas le bien fondé de sa demande en paiement de dommages et intérêts, laquelle est donc rejetée.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
Condamne M. X. à payer à la SA Société Générale la somme de 136.740,75 euros, outre intérêts au taux contractuel à compter du 7 juillet 2015, et capitalisation des dits intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil,
Condamne M. X. à payer à la SA Société Générale la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toutes autres demandes des parties,
Condamne M. X. aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT