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CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 5 juillet 2023

Nature : Décision
Titre : CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 5 juillet 2023
Pays : France
Juridiction : Colmar (CA), 1re ch. civ. sect. A
Demande : 21/01140
Décision : 322/23
Date : 5/07/2023
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 28/12/2022
Numéro de la décision : 322
Référence bibliographique : 9742 (prêt immobilier en franc suisse)
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CERCLAB - DOCUMENT N° 10428

CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 5 juillet 2023 : RG n° 21/01140 ; arrêt n° 322/23

Publication : Judilibre

 

Extrait : « Ceci précisé, la cour rappelle encore que le point de départ de l'action en responsabilité tendant à la réparation de la perte de chance de ne pas contracter, née d'un manquement au devoir d'information, de conseil et de mise en garde, doit être fixé au jour de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il a été révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

Or, en l'espèce, quand bien même l'emprunteur eût été informé qu'il avait souscrit un prêt payable en devises et qu'il était soumis à un risque de change, il convient de relever que, s'agissant du premier prêt, souscrit en 2004, prêt à échéance unique en capital, fixée au 5 août 2021 et dont les autres échéances, fussent-elles conséquentes dans leurs montants, n'en étaient pas moins tributaires de la variation, certes du taux de change, mais également du taux d'intérêt, stipulé révisable, ce qui impliquait, en conséquence, une modification du taux fût-elle périodique et fonction d'un indice défini, ce qui ne permettait pas à l'emprunteur d'appréhender l'incidence que pouvait avoir la variation du cours sur l'étendue de ses obligations ce dont il ne pouvait prendre la mesure qu'à l'occasion du remboursement du capital, étant relevé qu'en tout état de cause, les premiers incidents de paiement affectant ce prêt ont fait l'objet d'une mise en demeure du 15 mai 2018.

Quant au prêt conclu en 2007, dont les échéances étaient amortissables, si les premières difficultés de paiement ont été rencontrées, comme pour l'autre prêt, en mai 2018, il n'en demeure pas moins que les conséquences de la dégradation de la parité entre l'euro et le franc suisse sur le remboursement des échéances, comportant une part suffisamment importante en capital pour ne pas être affectée, le cas échéant, par l'incidence du taux d'intérêt variable, se sont nécessairement manifestées dès l'année 2010, la première échéance ayant été honorée, comme cela ressort du tableau d'amortissement, le 17 janvier 2010, et ce alors qu'il apparaît, au vu des éléments du dossier, et en particulier de la courbe de l'évolution du cours de change telle qu'elle est retracée dans les conclusions mêmes de la banque (p. 13), que la devise helvétique a connu d'importantes variations, et même une érosion régulière, pour atteindre un seuil significatif en 2011, ce qui impliquait une incidence suffisante sur les échéances remboursées indépendamment de la qualité d'emprunteur averti ou non de la SCI, et ce en tenant compte des modalités de remboursement, en particulier du capital, telles qu'elles ont été détaillées ci-dessus et qui supposaient un achat de devise préalable au règlement effectif de l'échéance.

S'il est également contesté, par la banque, la recevabilité de l'action en responsabilité intentée contre elle pour pratiques commerciales trompeuses, point sur lequel la SCI et M. X. ne répondent pas spécifiquement, il sera toutefois relevé qu'il ressort des conclusions au fond en date du 19 février 2021 que les intéressés ne forment aucune demande spécifique à ce titre, si ce n'est tendant à voir 'juger' que la banque s'est rendue coupable de pratiques commerciales trompeuses, ce qui relève, en réalité, d'un moyen venant à l'appui de leur demande en dommages-intérêts pour perte de chance, et qu'ils font valoir, à ce titre, que la banque aurait prétendu que les prêts étaient licites et remboursables en euros, et qu'elle n'aurait pas mentionné le risque de perte de change, notamment à l'échéance finale du prêt de 2004, de sorte que cette action relève d'une mise en cause du devoir d'information et de loyauté de la banque. Il n'y a donc pas lieu de s'écarter, concernant cette demande, des conclusions auxquelles est parvenue la cour quant à la recevabilité de l'action en responsabilité dans son ensemble, concernant respectivement chacun des prêts.

Dans ces conditions, il convient de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a écarté les fins de non-recevoir soulevées de ces chefs par la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Alsace Vosges, mais uniquement s'agissant du prêt n° 630XXX29, objet de l'offre du 17 août 2004, l'ordonnance devant être infirmée en ce qui concerne le second prêt n° 63015835715, objet de l'offre du 25 mai 2007, au titre duquel l'action en responsabilité formée par la SCI X. et M. X. sera déclarée irrecevable, l'instance ayant été introduite par la banque le 4 décembre 2018, et la SCI et M. X. ayant conclu pour la première fois dans le cadre de leurs conclusions d'opposition du 19 février 2021, soit au-delà du délai quinquennal de prescription prévu par l'article 2224 du code civil. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE COLMAR

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION A

ARRÊT DU 5 JUILLET 2023

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 1 A 21/01140. Arrêt n° 322/23. N° Portalis DBVW-V-B7F-HQPM. Décision déférée à la Cour : 14 décembre 2022 par le magistrat chargé de la mise en état de la Cour d'appel de COLMAR - 1ère chambre civile.

 

DEMANDERESSE AU DÉFÉRÉ :

CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES

prise en la personne de son représentant légal [Adresse 1], [Localité 3], Représentée par Maître Laurence FRICK, avocat à la Cour

 

DÉFENDEURS AU DÉFÉRÉ :

Monsieur X.

[Adresse 2], [Localité 4]

SCI X.

prise en la personne de son représentant légal [Adresse 2], [Localité 4], Représentés par Maître Thierry CAHN, avocat à la Cour

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 mars 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. ROUBLOT, Conseiller faisant fonction de Président, et Mme DAYRE, Conseillère, un rapport de l'affaire ayant été présenté à l'audience.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : M. ROUBLOT, Conseiller faisant fonction de Président, Monsieur FREY, Conseiller, Madame DAYRE, Conseillère, qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRÊT : - Contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par M. Philippe ROUBLOT, conseiller faisant fonction de président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Vu l'arrêt rendu par défaut le 11 janvier 2021, auquel il sera renvoyé pour le surplus de l'exposé des faits et de la procédure de première instance et d'appel, par lequel la cour de céans a :

- Rejeté la demande d'annulation du jugement du tribunal judiciaire de Mulhouse en date du 28 janvier 2020,

- Infirmé le jugement du tribunal judiciaire de Mulhouse du 28 janvier 2020 sauf en ce qu'il a rejeté la capitalisation des intérêts, en ce qu'il a condamné la Sci X. et Monsieur X. à garantir Madame Y., de toutes sommes que celle-ci serait amenée à verser à la Caisse Régionale de crédit agricole Mutuel Alsace Vosges, au titre des engagements de caution qu'elle a souscrits en garantie des prêts litigieux, en ce qu'il a rejeté les demandes formées par la Caisse Régionale de crédit agricole Mutuel Alsace Vosges sur le fondement de l'article 700 du code procédure civile, en ce qu'il a rejeté la demande formée par Madame Y. à l'encontre de la Sci X. au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en ce qu'il a condamné Monsieur X. à payer à Madame Y. la somme de 1.200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il a condamné la Sci X. aux dépens,

Statuant à nouveau,

- Condamné, au titre de l'acte de prêt n° 630XXX29 du 8 septembre 2004, solidairement la Sci X. et Monsieur X., pour Monsieur X. dans la limite de 455.000 €, à payer à la Caisse Régionale de crédit agricole Mutuel Alsace Vosges la somme de 509.645,06 € outre les intérêts au taux de 0,1576 % l'an sur la somme de 476.232,69 € à compter du 21 novembre 2018 et des intérêts légaux sur la somme de 33.336,29 € à compter du 21 novembre 2018,

- Condamné au titre de l'acte de prêt n° 630XXX29 du 8 septembre 2004 solidairement, la Sci X. et Madame Y., pour Madame Y. dans la limite de 455.000 €, à payer à la Caisse Régionale de crédit agricole Mutuel Alsace Vosges la somme de 509.645,06 € outre les intérêts au taux de 0,1576 % l'an sur la somme de 476.232,69 € à compter du 21 novembre 2018 et des intérêts légaux sur la somme de 33.336,29 € à compter du 21 novembre 2018,

- Condamné au titre de l'acte de prêt n° 630YYY5715 du 21 juin 2007 solidairement, la Sci X. et Monsieur X., pour Monsieur X. dans la limite de 469.300 euros à payer à la Caisse Régionale de crédit agricole Mutuel Alsace Vosges la somme de 330.035,89 € augmentée des intérêts au taux de 3,0076 % l'an sur la somme de 308.444,76 € à compter du 15 octobre 2018 et des intérêts au taux légal sur la somme de 21.591,13 € à compter du 15 octobre 2018,

- Condamné au titre de l'acte de prêt n° 630YYY5715 du 21 juin 2007 solidairement la Sci X. et Madame Y., pour Madame Y. dans la limite de 469.300 euros à payer à la Caisse Régionale de crédit agricole Mutuel Alsace Vosges la somme de 330.035,89 € augmentée des intérêts au taux de 3,0076 % l'an sur la somme de 308.444,76 € à compter du 15 octobre 2018 et des intérêts au taux légal sur la somme de 21.591,13 € à compter du 15 octobre 2018,

- Confirmé le jugement pour le surplus,

Y ajoutant,

- Condamné in solidum la Sci X., Monsieur X. et Madame Y. aux dépens d'appel,

- Condamné in solidum la Sci X., Monsieur X. et Madame Y. à payer à la Caisse Régionale de crédit agricole Mutuel Alsace Vosges la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu l'opposition formée à cette décision par M. X., Mme Y. et la SCI X., par acte déposé le 19 février 2021,

Vu la constitution d'intimé de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alsace Vosges en date du 4 mai 2021,

Vu l'ordonnance rendue le 14 décembre 2022, par laquelle le magistrat chargé de la mise en état a :

- déclaré irrecevable l'opposition formée par Mme Y. à l'arrêt de la cour d'appel rendu le 11 janvier 2021,

- déclaré prescrite l'action en nullité des prêts engagée par la SCI X. et en conséquence, dit n'y avoir lieu à retenir l'estoppel à l'encontre de la Caisse de Crédit Mutuel [sic],

- déclaré prescrite l'action en responsabilité engagée contre la banque en qualité d'intermédiaire d'assurances,

- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 27 janvier 2023 afin que les parties et le ministère public présentent leurs observations sur la saisine de la Cour de cassation pour avis, concernant le point de départ du délai de prescription en matière d'action restitutoire,

- rejeté le surplus des fins de non-recevoir soulevées par la banque,

- réservé le surplus des demandes et les dépens.

Vu la requête en déféré présentée par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges en date du 28 décembre 2022,

[*]

Vu les conclusions en date du 24 mars 2023, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune observation, par laquelle la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges demande à la cour de :

« - DÉCLARER le déféré recevable

- Le DÉCLARER bien fondé

- INFIRMER l'ordonnance du 14 décembre 2022 en ce qu'elle rejette le surplus des fins de non-recevoir soulevées par la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES (faussement indiqué « Caisse de Crédit Mutuel »)

Statuant à nouveau,

- DÉCLARER irrecevable la demande tendant à voir engager la responsabilité de la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES tant en ce qui concerne l'obligation d'information, l'obligation de mise en garde qu'au titre de pratiques commerciales trompeuses

En conséquence DÉCLARER irrecevable la demande de dommages et intérêts formée par la SCI X.

- DEBOUTER la SCI X., Monsieur X. et Madame Y. de l'intégralité de leurs fins et conclusions,

- CONFIRMER l'ordonnance pour le surplus sauf à rectifier l'erreur matérielle

- CONDAMNER la SCI X., Monsieur X. et Madame Y. au [sic] entiers frais et dépens

Sur rectification d'erreur matérielle,

- CONSTATER l'existence d'une erreur matérielle

- ORDONNER sa rectification

En conséquence,

- DÉCLARER prescrite l'action en nullité des prêts engagés par la SCI X. et en conséquence DIT n'y avoir lieu à retenir l'estoppel à l'encontre de la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES

- ORDONNER qu'il sera fait mention de la rectification de l'erreur matérielle sur la minute de la décision et les copies qui pourraient en être délivrées. »

et ce, en invoquant, notamment :

- la prescription de l'action en responsabilité intentée à son encontre, fondée sur le défaut d'information, de mise en garde, au titre de laquelle le préjudice invoqué se serait manifesté dès l'octroi des crédits, et ce alors que la SCI et les cautions, auraient été expressément informées du risque que comprend la souscription d'un prêt en devises, ou à tout le moins lorsque l'évolution du cours du franc suisse aurait eu une incidence sur le montant des échéances, fût-ce en présence d'un prêt in fine, au titre duquel les manquements de la SCI sont apparus antérieurement à l'échéance finale, outre que, s'agissant de l'autre prêt, la SCI indiquerait elle-même avoir compris depuis le début du règlement des échéances que seuls des francs suisses pouvaient permettre le paiement des échéances,

- la prescription, également, de l'action en responsabilité adverse au regard des pratiques commerciales, s'agissant de la mise en cause d'une obligation légale et à ce titre devant être connue de tous, la SCI ayant ainsi nécessairement pu se rendre compte dès la souscription des manquements dont elle se prévaut à présent,

- la rectification de l'erreur matérielle commise par le magistrat chargé de la mise en état dans le dispositif de l'ordonnance entreprise concernant la dénomination de la concluante.

[*]

Vu les dernières conclusions en date du 23 mars 2023, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la SCI X. et M. X. demandent à la cour de :

« A titre principal :

- DÉCLARER parfait le désistement partiel d'instance de la SCI X. relativement à la demande de nullité et l'action en responsabilité engagée contre la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges en qualité d'intermédiaire d'assurances de la SCI X.,

- CONSTATER l'extinction de l'instance relativement à la demande de nullité et l'action en responsabilité engagée contre la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges en qualité d'intermédiaire d'assurances,

- CONFIRMER l'ordonnance en ce qu'elle rejeté le surplus des fins de non-recevoir soulevées par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges.

En tout état de cause :

- DÉBOUTER la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles, fins et prétentions,

- CONDAMNER la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges à payer à la SCI X. la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile »

et ce, en invoquant, notamment :

- le désistement de la SCI de sa demande de nullité, ainsi que de l'action en responsabilité engagée contre la banque en qualité d'intermédiaire d'assurances,

- la confirmation de l'ordonnance entreprise, en ce qu'elle a jugé l'action en constatation du caractère abusif de certaines clauses imprescriptibles,

- sur la recevabilité de la demande en restitution des sommes versées sur le fondement de clauses abusives, le fait qu'elle s'en rapporte à justice quant à la saisine de la Cour de cassation pour avis,

- la recevabilité de l'action en responsabilité pour manquement de la banque à ses obligations

précontractuelles, le point de départ du délai de prescription concernant le prêt in fine devant être placé à la date de l'échéance, soit le 5 août 2021, et pour le prêt à échéances successives, à la date des premières difficultés de remboursement, soit en mai 2018, à défaut d'opération de change lors du paiement des échéances, et de clause d'indexation, et en l'absence d'information opérante, claire et compréhensible dans les clauses de change, notamment s'agissant des possibilités de couverture du risque.

[*]

Vu les débats à l'audience du 27 mars 2023,

Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

La cour observe, à titre préliminaire :

- que l'ordonnance entreprise ne fait l'objet d'aucune contestation en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'opposition formée, à l'arrêt du 11 janvier 2021, par Mme Y., qui n'est pas partie au présent déféré,

- que la SCI X. entend renoncer à la demande de nullité et à l'action en responsabilité engagée contre la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges en qualité d'intermédiaire d'assurances de la SCI X., la cour constatant, en conséquence, conformément aux articles 400 et suivants du code de procédure civile, et 771 et suivants du même code, le désistement de la SCI de ses demandes à ce titre, ainsi que l'extinction de l'instance de ces chefs, sans qu'il ne soit besoin, en vertu des dispositions précitées, de l'acceptation de la partie intimée, qui a eu connaissance des conclusions de désistement et a même conclu ultérieurement ; ce désistement a pour effet de rendre inopérants les moyens d'irrecevabilité invoqués quant à ces demandes par le Crédit Agricole,

- que par l'ordonnance déférée, il a été sollicité les observations des parties concernant la saisine pour avis de la Cour de cassation concernant le point de départ du délai de prescription en matière d'action restitutoire, point qui ne fait pas l'objet du présent déféré.

Ainsi, il est sollicité, par le Crédit Agricole, l'infirmation de la décision déférée en ce qu'elle a rejeté « le surplus des fins de non-recevoir soulevées » par la banque, ce qui implique d'examiner à nouveau la question de la recevabilité de l'action en responsabilité au titre du défaut d'information et de mise en garde, ainsi que de l'action en responsabilité au regard des pratiques commerciales.

À cet égard, il convient de rappeler que le magistrat chargé de la mise en état a retenu :

- que la SCI X. et M. X. avaient soutenu l'existence de clauses abusives et affirmé « à juste titre » que leur action fondée sur ce moyen n'était pas prescrite,

- qu'il résultait de leurs dernières écritures que leurs demandes étaient motivées à titre principal par l'existence de clauses abusives et qu'ils déduisaient de l'existence de ces clauses une violation par la banque de ses obligations de conseil et de mise en garde,

- que, dans ces conditions, l'action fondée sur l'existence de clauses abusives étant imprescriptible, l'action en responsabilité engagée contre la banque en raison d'une violation de ses obligations de conseil et de mise en garde n'était pas prescrite,

- que le point de départ des actions en responsabilité engagées contre le banquier en matière de prêt in fine devait être fixée à la date de remboursement du prêt, soit en 1'espèce au 27 septembre 2022, date à laquelle avait été ordonnée la vente forcée de l'immeuble.

La banque entend objecter que le délai de prescription courrait à compter de la souscription des prêts litigieux, dès laquelle le préjudice invoqué se serait manifesté dès la date d'octroi des crédits, compte tenu des informations expressément reçues par la SCI et les cautions sur les risques que comprend la souscription d'un prêt en devises, compte tenu de la notice d'information reçue, dont elle a détaillé le contenu pour chacun des prêts, et des conditions particulières des prêts stipulant de manière claire et non équivoque que « les échéances d'amortissement et les intérêts devaient être réglés en CHF et non en euros », ou qu'à tout le moins, la SCI X. avait pu se rendre compte du risque de change lorsque l'évolution du cours du franc suisse aurait eu une incidence sur le montant des échéances, fût-ce en présence d'un prêt in fine, au titre duquel les manquements de la SCI seraient apparus antérieurement à l'échéance finale, outre que la SCI reconnaîtrait avoir compris depuis le début du règlement des échéances que seuls des francs suisses pouvaient permettre leur règlement.

Pour leur part, la SCI et M. X. entendent invoquer l'absence d'opération de change à l'occasion du paiement des échéances, les prêts, soumis à une clause « espèce étrangère » et non à une clause d'indexation, étant libellés et remboursables en francs suisses, utilisés comme monnaie de compte et de paiement, avec une conversion en amont des fonds destinés au paiement, rendant les conséquences négatives de cette opération de conversion difficiles à appréhender pour un consommateur moyen, soumis à un risque de change lors de l'acquisition, en euros, d'un bien financé en francs suisses, les clauses des prêts et la notice d'information étant, à cet égard, critiquées en ce qu'il ne serait fait mention que de l'existence d'un seul risque de change qui pouvait, moyennant couverture et donc paiement de frais de couverture, être entièrement supprimé, et ce alors même, selon les concluants, qu'il ne serait pas possible d'acheter la contre-valeur en euros des échéances d'un prêt immobilier conclu pour une durée de 20 à 25 ans, au-delà d'une durée supérieure à 12 mois, car le risque serait illimité et est trop cher à assurer, aucune banque ou prestataire ne le proposant, outre que l'information selon laquelle cette couverture ne pourrait cependant être souscrite « que dans la mesure où la réglementation des changes en vigueur l'autorise » serait inexacte.

Sur ce, la cour rappelle que :

- selon offre en date du 17 août 2004 (n° 630XXX29), et selon acte notarié en date du 8 septembre 2004 avec affectation hypothécaire, le Crédit Agricole a consenti à la SCI X., un prêt à hauteur de la contre-valeur en francs suisses de 350.000 euros, remboursable en une échéance unique en capital, les intérêts étant remboursables trimestriellement moyennant un taux révisable fondé sur le taux du CHF à 3 mois au jour de la mise à disposition des fonds augmenté d'une marge de 0,90 point, la première mise à disposition étant fixée au 15 décembre 2004 au plus tard, et la mise à disposition totale au 7 août 2006, une assurance décès au taux de 0,34800 % étant, en outre souscrite par M. X. et Mme Y., par ailleurs cautions solidaires du prêt,

- selon offre en date du 25 mai 2007 (n° 63015835715), et selon acte notarié en date du 21 juin 2007 avec affectation hypothécaire, le Crédit Agricole a consenti à la SCI X., un prêt à hauteur de la contre-valeur en francs suisses de 361.000 euros, remboursable, à durée ajustable, en 80 échéances trimestrielles, consenti au taux révisable correspondant au taux du CHF à 3 mois en vigueur au jour de la mise à disposition des fonds augmenté de la marge, une assurance décès au taux de 0,34800 % étant, en outre souscrite par M. X. et Mme Y., par ailleurs cautions solidaires du prêt.

Les conditions générales des deux offres ne comportent aucune référence à un prêt en devise.

Au titre des conditions particulières du premier prêt, il est indiqué sous la rubrique « remboursement », « les remboursements s'effectueront dans la devise figurant dans l'offre :

- Par utilisation de devises préalablement disponibles sur le compte en Devises de l'Emprunteur.

L'approvisionnement du compte en Devises devra être effectué au plus tard trois jours ouvrables avant la date d'échéance.

- Ou à défaut, par l'achat de devises au comptant ou à terme par débit du compte courant en Euros de l'Emprunteur.

Il supportera donc intégralement, en cas d'achat de devises au comptant ou à terme, le risque de change.

Si le compte en Euros n'est pas suffisamment provisionné pour permettre l'achat des devises, le Prêteur transformera le montant de l'échéance en Euros au cours du jour de l'échéance.

Cette créance en 3 produira un intérêt de retard au taux contractuel majoré de trois points, jusqu'à complet remboursement. »

S'agissant du second prêt, il est stipulé, s'agissant du remboursement du capital, un remboursement de chaque échéance par l'achat de devises au comptant sur le marché des changes, le prêteur portant alors la contre-valeur au débit du compte de l'emprunteur, la clause précisant que le cours de change est celui de la devise concernée deux jours ouvrés de bourse avant la date de l'échéance (délai de mise à disposition des devises sur le marché des changes).

Concernant les intérêts, s'agissant d'un prêt à durée ajustable, combinant un taux révisable avec des échéances en capital constantes, il est indiqué que « pendant toute la durée du prêt les devises seront empruntées pour les périodes telles qu'elles seront fixées entre les parties. À l'issue de chaque période, un nouvel emprunt est réalisé et un nouveau taux est établi, ceci jusqu'au terme du présent contrat. La première période du contrat est indiquée ci-dessus.

Ledit taux sera indexé sur le taux normal du marché sur des opérations de même nature et de même durée.

À l'une des échéances en capital, le prêteur peut être amené à consentir à l'emprunteur une avance en Euros en vue du remboursement des devises empruntées (...) »

L'emprunteur s'est également vu remettre, en annexe de chaque prêt, une notice d'information « prêts en devise », datée du 17 août 2004 pour le premier prêt, non datée mais signée pour le second prêt, et mentionnant :

« Après discussion avec votre Agence, vous souhaitez bénéficier d'un prêt en devises.

Nous tenons à attirer votre attention sur quelques particularités du prêt en devises.

L'emprunteur de devises bénéficie d'un taux d'intérêts, fixé pour une période définie, qui n'est pas lié au marché financier français. Ce cours peut donc paraître particulièrement favorable selon la devise choisie, par rapport au taux des prêts en Euros.

Mais attention, le taux n'est pas le seul élément qui intervient dans le coût de ce type de prêt. Selon que, au moment des paiements d'intérêts et du remboursement en capital, la devise a monté ou baissé sur le marché des changes par rapport à l'Euro, la perte éventuelle est intégralement à la charge de l'emprunteur, de même que le gain éventuel est intégralement à son profit.

Nous pensons qu'il est important de l'emprunteur de garder ces éléments à l'esprit pendant toute la durée du prêt et l'invitons à contacter son agence habituelle s'il devait estimer qu'une couverture de risque de change (par achat à terme) pourrait être opportune.

La couverture à terme est un moyen d'éliminer totalement ou partiellement le risque de change. Elle n'est toutefois possible que dans la mesure où la réglementation des changes en vigueur l'autorise. Des conditions et des modalités de réalisation de cette opération seront examinées sur demande de l'emprunteur. »

Ceci précisé, la cour rappelle encore que le point de départ de l'action en responsabilité tendant à la réparation de la perte de chance de ne pas contracter, née d'un manquement au devoir d'information, de conseil et de mise en garde, doit être fixé au jour de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il a été révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

Or, en l'espèce, quand bien même l'emprunteur eût été informé qu'il avait souscrit un prêt payable en devises et qu'il était soumis à un risque de change, il convient de relever que, s'agissant du premier prêt, souscrit en 2004, prêt à échéance unique en capital, fixée au 5 août 2021 et dont les autres échéances, fussent-elles conséquentes dans leurs montants, n'en étaient pas moins tributaires de la variation, certes du taux de change, mais également du taux d'intérêt, stipulé révisable, ce qui impliquait, en conséquence, une modification du taux fût-elle périodique et fonction d'un indice défini, ce qui ne permettait pas à l'emprunteur d'appréhender l'incidence que pouvait avoir la variation du cours sur l'étendue de ses obligations ce dont il ne pouvait prendre la mesure qu'à l'occasion du remboursement du capital, étant relevé qu'en tout état de cause, les premiers incidents de paiement affectant ce prêt ont fait l'objet d'une mise en demeure du 15 mai 2018.

Quant au prêt conclu en 2007, dont les échéances étaient amortissables, si les premières difficultés de paiement ont été rencontrées, comme pour l'autre prêt, en mai 2018, il n'en demeure pas moins que les conséquences de la dégradation de la parité entre l'euro et le franc suisse sur le remboursement des échéances, comportant une part suffisamment importante en capital pour ne pas être affectée, le cas échéant, par l'incidence du taux d'intérêt variable, se sont nécessairement manifestées dès l'année 2010, la première échéance ayant été honorée, comme cela ressort du tableau d'amortissement, le 17 janvier 2010, et ce alors qu'il apparaît, au vu des éléments du dossier, et en particulier de la courbe de l'évolution du cours de change telle qu'elle est retracée dans les conclusions mêmes de la banque (p. 13), que la devise helvétique a connu d'importantes variations, et même une érosion régulière, pour atteindre un seuil significatif en 2011, ce qui impliquait une incidence suffisante sur les échéances remboursées indépendamment de la qualité d'emprunteur averti ou non de la SCI, et ce en tenant compte des modalités de remboursement, en particulier du capital, telles qu'elles ont été détaillées ci-dessus et qui supposaient un achat de devise préalable au règlement effectif de l'échéance.

S'il est également contesté, par la banque, la recevabilité de l'action en responsabilité intentée contre elle pour pratiques commerciales trompeuses, point sur lequel la SCI et M. X. ne répondent pas spécifiquement, il sera toutefois relevé qu'il ressort des conclusions au fond en date du 19 février 2021 que les intéressés ne forment aucune demande spécifique à ce titre, si ce n'est tendant à voir 'juger' que la banque s'est rendue coupable de pratiques commerciales trompeuses, ce qui relève, en réalité, d'un moyen venant à l'appui de leur demande en dommages-intérêts pour perte de chance, et qu'ils font valoir, à ce titre, que la banque aurait prétendu que les prêts étaient licites et remboursables en euros, et qu'elle n'aurait pas mentionné le risque de perte de change, notamment à l'échéance finale du prêt de 2004, de sorte que cette action relève d'une mise en cause du devoir d'information et de loyauté de la banque. Il n'y a donc pas lieu de s'écarter, concernant cette demande, des conclusions auxquelles est parvenue la cour quant à la recevabilité de l'action en responsabilité dans son ensemble, concernant respectivement chacun des prêts.

Dans ces conditions, il convient de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a écarté les fins de non-recevoir soulevées de ces chefs par la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Alsace Vosges, mais uniquement s'agissant du prêt n° 630XXX29, objet de l'offre du 17 août 2004, l'ordonnance devant être infirmée en ce qui concerne le second prêt n° 63015835715, objet de l'offre du 25 mai 2007, au titre duquel l'action en responsabilité formée par la SCI X. et M. X. sera déclarée irrecevable, l'instance ayant été introduite par la banque le 4 décembre 2018, et la SCI et M. X. ayant conclu pour la première fois dans le cadre de leurs conclusions d'opposition du 19 février 2021, soit au-delà du délai quinquennal de prescription prévu par l'article 2224 du code civil.

Par ailleurs, il est sollicité, par le Crédit Agricole, la rectification d'une erreur matérielle affectant la décision déférée, en ce qu'elle a été rendue à l'encontre « la Caisse de Crédit Mutuel », demande à laquelle il y a lieu de faire droit, par application de l'article 462 du code de procédure civile, qui dispose, notamment, que les erreurs matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, la mention précitée devant être rectifiée dans le sens indiqué au dispositif du présent arrêt.

Les dépens du déféré suivront ceux de l'instance au principal, sans que l'équité ne justifie de faire droit aux demandes présentées respectivement par les parties et fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Constate le désistement de la SCI X. de sa demande de nullité et de son action en responsabilité engagée contre la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges en qualité d'intermédiaire d'assurances,

Rectifie le dispositif de l'ordonnance entreprise en ce qu'il est fait mention de la Caisse de Crédit Mutuel, mention à laquelle doit être substituée la dénomination 'Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges',

Infirme l'ordonnance rendue le 14 décembre 2022 par le magistrat chargé de la mise en état en ce qu'elle a débouté la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de la SCI X. et de M. X. en responsabilité, au titre du défaut d'information et de mise en garde, ainsi que de l'action en responsabilité au regard des pratiques commerciales s'agissant du prêt n° 63015835715, objet de l'offre du 25 mai 2007,

Confirme pour le surplus des dispositions déférées à la cour, l'ordonnance rendue le 14 décembre 2022 par le magistrat chargé de la mise en état,

Statuant à nouveau du chef de la décision infirmé et y ajoutant,

Déclare irrecevable l'action de la SCI X. et de M. X. en responsabilité au titre du défaut d'information et de mise en garde, ainsi que de l'action en responsabilité au regard des pratiques commerciales s'agissant du prêt n° 63015835715, objet de l'offre du 25 mai 2007,

Dit que les dépens du déféré suivront le sort de ceux de l'instance en principal,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice tant de la Caisse régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges que de la SCI X. et de M. X.,

Renvoie l'affaire à l'audience de mise en état du :

VENDREDI 22 SEPTEMBRE 2023, SALLE 31 à 09 HEURES

La Greffière :                                               Le Conseiller :