CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 6 septembre 2023
CERCLAB - DOCUMENT N° 10475
CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 6 septembre 2023 : RG n° 21/05718 ; arrêt n° 142
Publication : Judilibre
Extrait : « L'article 46 du code de procédure civile dispose que : « (l)e demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur : - en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service ; - en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle du lieu où demeure le défendeur ».
En premier lieu, et à titre liminaire, la Cour observe : - que ces dispositions générales se combinent avec les dispositions spéciales relatives aux juridictions ayant à connaître des procédures relatives à des pratiques restrictives de concurrence, lesquelles se limitent à fixer le ressort de huit tribunaux limitativement désignés (soit en l'espèce Bordeaux et non Angoulême), sans que cette spécialisation qui déroge à la carte judiciaire de droit commun n'ait d'incidence sur les options ouvertes au demandeur en raison de la qualification au fond du rapport de droit litigieux ;
- que seules les règles de conflit de juridictions doivent être mises en œuvre pour déterminer la juridiction compétente, des dispositions impératives constitutives de lois de police seraient-elles applicables au fond du litige (Cass, com., 24 novembre 2015, n°14-14924 ; Cass., 1re Civ., 22 octobre 2008, n° 07-15.823 ; Cass., 1re Civ., 18 janvier 2017, n° 15-26.105).
- que l'exception d'incompétence internationale n'est pas subordonnée à l'indication de la juridiction de l'Etat étranger devant être précisément saisie. Il suffit que la partie fasse connaître que l'affaire doit, conformément aux règles de conflit applicable, être portée devant les juridictions d'un autre Etat (Cass. civ. 1re, 27 janvier 2021, n°19-23.461), les parties étant renvoyées à mieux se pourvoir en application de l'article 81 du code de procédure civile (anciennement codifié à l'article 96).
En second lieu, s'agissant du rapport de droit à prendre en compte au cas présent pour déterminer la ou les juridictions compétentes, la Cour d'appel retient, tout d'abord, que lorsqu'il existe une relation contractuelle tacite entre les parties, une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies ne relève de la matière délictuelle que dans l'ordre juridique interne. Daucourt ne pouvait donc pas, en l'espèce, assigner la société de droit américain Palm Bay International en se fondant sur le critère du lieu - son siège social - où elle dit avoir subi un dommage résultant de la cessation de la relation commerciale sans qu'un préavis de résiliation ait été respecté.
La Cour retient, ensuite, qu'en l'espèce la relation d'affaires ne correspond pas à la vente par la société Daucourt de spiritueux et à la mise à disposition de ces derniers au chai (endroit où les risques sont transférés à l'acquéreur). Daucourt avait en effet consenti à Palm Bay International un mandat exclusif d'importation et de distribution aux Etats-Unis des produits OR-G et Bastille 1789, dans le cadre de la réglementation très spécifique dite " Three-Tier system ". Elle lui fournissait ces spiritueux afin que Palm Bay se charge de leur importation sur le sol américain et en assure la distribution auprès de détaillants situés aux Etats-Unis, les réapprovisionnements étant en lien direct avec le niveau des produits écoulés sur le marché américain.
Il s'en suit qu'au cas présent, le demandeur ne pouvait saisir, outre la juridiction du lieu où la société Palm Bay International est établie (au sens de l'article 43 du code de procédure civile), que la juridiction du lieu d'exécution de l'importation et de la distribution sur le marché américain des spiritueux litigieux.
Aucun critère de compétence territoriale ne permettant au demandeur de saisir une juridiction française et la société Palm Bay désignant le juge américain comme compétent, la Cour accueille l'exception d'incompétence internationale soulevée. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 4
ARRÊT DU 6 SEPTEMBRE 2023
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 21/05718. Arrêt n° 142 (10 pages). N° Portalis 35L7-V-B7F-CDLVU. Décision déférée à la Cour : Jugement du 5 mars 2021 - Tribunal de Commerce de Bordeaux - RG n° 2019F00158.
APPELANTE :
SARL DAUCOURT
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège. [Adresse 1], [Localité 3], immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'Angoulême sous le numéro XXX, Représentée par Maître Guillaume DAUCHEL de la SELARL CABINET SEVELLEC DAUCHEL, avocat au barreau de PARIS, toque : W09, avocat postulant, Assistée de Maître Vincent POLLARD, avocat au barreau de Bordeaux, avocat plaidant
INTIMÉE :
Société PALM BAY INTERNATIONAL
Société de droit américain prise en personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège [Adresse 2], [Localité 4] (USA), Représentée par Maître Jean-Philippe AUTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0053, avocat postulant, Assistée de Maître Éric AGOSTINI, avocat au barreau de Bordeaux, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 9 mai 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Brigitte Brun-Lallemand, 1ère présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Brigitte Brun-Lallemand, 1ère présidente de chambre, Madame Sophie Depelley, conseillère, Monsieur Julien Richaud, conseiller, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Monsieur Damien Govindaretty
ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Brigitte Brun-Lallemand, 1ère présidente de chambre et par Monsieur Maxime Martinez, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Daucourt SARL (ci-après « Daucourt ») crée, fabrique et distribue des spiritueux français.
La société Palm Bay International Inc (ci-après « Palm Bay ») est une société de droit américain spécialisée dans l'importation et la vente en gros aux Etats-Unis de vins et spiritueux.
Le 16 septembre 2011, la société Daucourt a mandaté la société Palm Bay en tant qu'importateur exclusif et brand agent de son brand label Bastille 1789 à compter du 1er janvier 2011. Le 23 décembre 2011, elle a signé un mandat comprenant les mêmes dispositions pour son brand label OR-G.
La liqueur OR-G présente la particularité de posséder un design particulier : la bouteille ne porte aucune étiquette puisqu'elle est entièrement sérigraphiée soit gravée à même le verre. Y figure notamment la mention : « Imported by OR-G Spirits, [Adresse 5] » soit l'adresse de la société Palm Bay International.
Entre mai et aout 2011, Daucourt et Palm Bay ont échangé par mail quant aux quantités de « verres » (bouteilles vides Or-G 750 ml et 1l) à faire produire, Daucourt proposant d'en commander un million à Saverglass.
A la date du 24 aout 2011, 7.854 caisses de 6 bouteilles de liqueur Or-G avaient été commandées ou expédiées par Palm Bay à ses clients américains.
Palm Bay en a acheté un total de 11.211 à Daucourt en 2011, 28.932 en 2012, 2.808 en 2013, 10.338 en 2014 et 2.820 en 2015 (Incoterm : « Ex Cellar [Localité 3] ») aux fins d'importation et de distribution aux Etats-Unis.
Le 18 décembre 2015, la société Palm Bay a informé par mail la société Daucourt qu'elle ne passerait plus de commande additionnelle du produit OR-G, lui recommandant de ne plus produire pour le marché américain car « la production telle qu'elle est aujourd'hui ne marche pas. Ceci n'est une surprise pour aucun de nous » (traduction libre). Elle s'est aussi présentée comme ouverte à des discussions sur de nouvelles solutions (« new lock, branding and position that may make this a viable entry in the US market... need to include a clear understanding of targeted channel, customer and usage of the product in this market »). Elle a enfin évoqué les quantités en stock et dit s'employer à vendre ces produits jusqu'à ce que les stocks disponibles aux États-Unis et en France soient épuisés.
Le 12 juillet 2016, la société Daucourt a mis en demeure la société Palm Bay de rembourser la valeur du stock de « verres » OR-G ou de lui acheter une quantité suffisante de liqueur OR-G pour écouler cet important stock de bouteilles vides, en vain.
Saisi par la société Palm Bay International, le tribunal du comté de Nassau (Etat de New-York) a rendu :
- le 13 mars 2018, une décision préparatoire selon laquelle la loi de New York s'applique parce que New-York constitue la relation la plus significative dans le cadre des rapports entre les parties, « l'essence de l'accord entre les parties (portant) sur la vente de OR-G à New-York et aux Etats-Unis »,
- le 17 octobre 2018, un jugement déclaratoire selon lequel « Palm Bay (1) n'a aucune obligation contractuelle ou quasi-contractuelle envers (la société Daucourt) en lien avec le produit OR-G ; (2) a effectué un paiement complet à Daucourt en lien avec les produits OR-G ; (3) n'a, envers Daucourt, aucune autre obligation ou aucune autre dette, de quelque espèce ou nature que ce soit, et ne doit à Daucourt aucune somme, en lien avec les produits OR-G ».
Palm Bay a, parallèlement, continué de distribuer le stock d'OR-G ainsi que le whisky Bastille 1789, le montant des achats de PBI à Daucourt au titre des années 2015 à 2019 s'élevant à un total de 1.340.321,72 euros.
Les sociétés échangeaient également sur la négociation d'un contrat de distribution exclusive formalisant les droits et obligations respectives des parties.
Le 3 septembre 2019, la société Daucourt a assigné la société Palm Bay devant le tribunal de commerce de Bordeaux sur le fondemement de la rupture brutale des relations commerciales établies relatives au produit OR-G, en application, eu égard à la date des faits, de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.
Le 13 mai 2020, le dirigeant de la société Daucourt a adressé un courrier intitulé « prior notice » évoquant la tentative vaine d'un « accord global » et l'impératif qui est le sien de « sauver les marques Daucourt sur le marché américain ». Il y mentionne notamment :
« Le fait qu'il nous faille autant de temps pour négocier un accord est symptomatique de la distance qui sépare nos attentes respectives et de nos visions très différentes des perspectives d'avenir des marques Daucourt sur le marché américain, dans des conditions qui soient rentables pour nos deux entreprises.
Sachant que nos ventes avec Palm Bay International Inc n'ont cessé de diminuer et ont atteint l'an dernier un niveau historiquement bas (2.200 caisses), il devient urgent pour la société Daucourt de reconsidérer les choses et de tenter un nouveau départ. (…)
Je tenais à vous avertir que, dans les tous prochains jours, la société Daucourt va se mettre en quête -avec bon espoir de succès- d'un autre partenaire commercial qu'elle chargera de distribuer ses produits sur le marché américain.
Compte-tenu de la situation et du présent avis de rupture, je comprendrai que Palm Bay International Inc annule le bon de commande n°215398 déjà émis ».
Après avoir évoqué « une approche et une analyse diamétralement opposée de la rentabilité du portefeuille (de Daucourt) pour nos deux sociétés respectives », le dirigeant de Palm Bay International a, par courrier du 20 mai 2020, pris acte de « la fin de l'accord d'importation et de distribution liant (les deux) sociétés » et du choix à venir d'un « nouvel importateur pour reprendre la distribution de (ce) portefeuille sur le marché américain », l'assurant que son équipe ferait son possible pour assurer la transition.
Par jugement du 5 mars 2021 le tribunal de commerce de Bordeaux s'est déclaré compétent au motif que la loi applicable à la rupture brutale des relations commerciales établies est celle du lieu du dommage, soit la France où la société Daucourt est établie. Puis a :
- Débouté la société Daucourt de l'ensemble de ses demandes,
- Condamné la société Daucourt à payer à la société Palm Bay la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté la société Palm Bay du surplus de ses demandes,
- Condamné la société Daucourt aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 24 mars 2021, la société Daucourt a interjeté appel de ce jugement.
[*]
Aux termes de leurs dernières conclusions (n° 4), signifiées le 17 avril 2023, la société Daucourt demande à la Cour de :
Vu les articles 3, 14 et 15 du code civil et les articles 33, 46 et 75 du code de procédure civile,
Vu les articles anciens L. 442-6, I, 5° et L. 442-6, III du code de commerce,
Vu les dispositions du règlement Rome I et du règlement Rome II,
Vu l'article ancien D. 442-3 et son Annexe 4-2-2 et l'article ancien R. 420-3 du code de commerce,
Vu les dispositions des articles 42 et 46 du code de procédure civile,
- Recevoir la société Daucourt en son appel et la dire bien fondée,
- Confirmer le jugement du 5 mars 2021 du tribunal de commerce de Bordeaux, en ce qu'il a :
Rejeté l'exception d'incompétence soulevé par la société Palm Bay et qu'il s'est déclaré compétent,
Constaté que la procédure américaine engagée par la société Palm Bay n'avait pas pour objet de traiter de l'éventuelle responsabilité de la société Palm Bay découlant des dispositions de l'article L. 442-6-1-5° ancien du code de commerce et rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Palm Bay,
Jugé qu'il existait une relation commerciale établie entre la société Daucourt et la société Palm Bay au sujet des produits OR-G et,
Débouté la société Palm Bay de ses demandes, fins et prétentions,
- Infirmer le jugement du 5 mars 2021 du Tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu'il a :
Jugé que la relation commerciale établie entre la société Daucourt et la société Palm Bay n'avait duré que 3,5 années et que la rupture de cette relation, par la société Palm Bay, n'avait pas été brutale,
Débouté la société Daucourt de l'ensemble de ses demandes,
Condamné la société Daucourt a payé à la société Palm Bay la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
En conséquence, statuant à nouveau,
- Juger qu'il existait, pendant 5 années, une relation commerciale établie entre la société Daucourt et la société Palm Bay relative aux produits OR-G,
- Juger que la société Daucourt était en situation de dépendance économique vis- à-vis de la Palm Bay pour l'importation et la vente des produits OR-G sur le marché américain,
- Juger que la société Palm Bay a rompu brutalement cette relation commerciale établie et qu'elle a engagé, à ce titre, sa responsabilité délictuelle vis-à- vis de la société Daucourt,
- Juger que le préjudice de la société Daucourt a pour cause directe la rupture brutale de ladite relation commerciale par la société Palm Bay, aggravée du fait de la situation de dépendance économique dans laquelle se situait la société Daucourt vis-à-vis de la société Palm Bay,
- Condamner la société Palm Bay à payer à la société Daucourt la somme de 2.635.275,71 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices de tous ordres, subis par la société Daucourt et liés à la rupture brutale de la relation commerciale qui était établie entre elles au sujet des produits OR-G,
- Ordonner la publication de la décision à intervenir au sein de cinq publications, écrites ou sur l'Internet, françaises ou étrangères au choix de la société Daucourt et de condamner, la société Palm Bay, au paiement des frais résultant de ces publications, dans la limite d'un montant de 5.000 euros H.T. par publication,
- Ordonner la publication du dispositif de la décision à intervenir, sur la page d'accueil des sites Internet de la société Palm Bay, notamment celui accessible au l'adresse URL https://www.palmbay.com/ ou toutes autres adresses qui lui seraient substituées, dans une police de taille similaire au reste de ce site pour une durée de trois (3) mois et ce, dans les quinze (15) jours suivants la date de la décision à intervenir, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard,
- Ordonner l'insertion, aux frais de la société Palm Bay, de la décision à intervenir, dans le prochain rapport sur les opérations de l'exercice (ou tout équivalent applicable sur le territoire américain) qui sera établi par le gérant, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard,
Et, en toute hypothèse,
- Juger que la loi française et particulièrement, les dispositions des articles L. 442-6, I, 5° et D. 442-3 du code de commerce sont applicables au présent litige,
- Juger qu'elle est compétente pour juger du présent litige,
- Rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la société Palm Bay,
- Juger que le jugement du Tribunal de l'Etat de New-York, Comté de Nassau, est inapplicable en France, pour défaut de signification et d'exequatur,
- Juger que la procédure américaine engagée par la société Palm Bay n'avait pas pour objet de traiter de l'éventuelle responsabilité de la société Palm Bay découlant des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° ancien du code de commerce ou de la rupture brutale de la relation commerciale qu'elle avait établie avec la société Daucourt,
- Rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la société Palm Bay quant à une prétendue autorité de la chose jugée,
- Débouter la société Palm Bay de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- Condamner la société Palm Bay à payer à la société Daucourt la somme de 70.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société Palm Bay aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.
[*]
Aux termes de leurs dernières conclusions (n°3) signifiées le 3 avril 2023, la société Palm Bay demande à la Cour de :
Vu les articles 12 et 74 du code de procédure civile, ensemble les principes du droit international privé,
Vu l'article 1355 du code civil ensemble l'article 125 du code de procédure civile et les principes du droit international privé,
Vu l'article 46 du code de procédure civile, ensemble les principes du droit international privé,
Vu l'art. L. 442-1 (ancien art. L. 442-6-I-5°) du code de commerce,
Vu la règle de l'estoppel,
Vu l'art. 1240 du code civil, ensemble les art. 32-1 et 700 du code de procédure civile,
- Confirmer le jugement du 5 mars 2021 en ce qu'il a rejeté la demande de la société Daucourt,
Le réformer pour le surplus et statuant à nouveau :
- Accueillir l'exception d'incompétence internationale fondée sur l'art. 46 du code de procédure civile et les principes du DIP,
- Accueillir pareillement la fin de non-recevoir tirée de la chose jugée par le Short Form Order du 13 mars 2018,
- Débouter purement et simplement la société Daucourt de sa demande sur la base du droit américain applicable à la cause,
- Déclarer de ce fait l'art. L. 442-1 du code de commerce (ancien article L. 442-6-I-5°) inapplicable à la présente instance,
- Ordonner la publication dans un périodique à diffusion fédérale et dans un périodique d'ampleur régionale de la presse américaine d'extraits de l'arrêt à intervenir aux frais de la société Daucourt sans que le coût de chacune d'elle dépasse 5.000 €,
- Ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq périodiques à vocation nationale ou régionale de la presse française aux frais de la société Daucourt sans que le coût de chacune d'elle dépasse 5.000 €,
- Ordonner la publication du dispositif de la décision à intervenir sur la page d'accueil des sites internet de la société Daucourt dans une police de taille similaire au reste de ce site pour une durée de trois (3) mois et ce dans les 15 jours suivant la date de la décision à intervenir sous astreinte de 1.000 € par jour de retard,
- Ordonner l'insertion aux frais de la société Daucourt de la décision à intervenir dans le prochain rapport sur les opérations de l'exercice, qui sera établi par le gérant, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard,
- Condamner la société Daucourt à 100.000 € de dommages intérêts pour procédure abusive en application de l'art. 1240 du code civil,
- Condamner encore la société Daucourt au maximum de l'amende civile de l'article 32-1 du code de procédure civile, soit 10.000 €,
- La condamner aussi à 70.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- La condamner en tous dépens.
Dans l'hypothèse où la Cour retiendrait sa compétence, l'intimée soutient que les conditions de la rupture brutale des relations commerciales établies imputables à Palm Bay ne sont pas réunies dès lors, d'une part, que les commandes d'OR-G n'ont plus été renouvelées car il s'agissait d'un produit qui ne correspondait plus au goût du public, et d'autre part, que les relations commerciales établies, qui se sont poursuivies jusqu'en mai 2020, ont cessé à la suite d'une décision de la société Daucourt.
[*]
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 avril 2023
La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIVATION :
Sur l'exception d'incompétence internationale soulevée :
Moyen des parties :
Palm Bay International, rappelant que le point de rattachement des conflits de juridiction dépendent directement de la qualification au fond du rapport litigieux, fait tout d'abord valoir que le tribunal de commerce de Bordeaux aurait dû constater que le défendeur, qui est immatriculé en Floride, est établi dans l'Etat de New York et que tant le lieu de livraison de la chose que celui de l'exécution de la prestation litigieuse indiquent une compétence new-yorkaise. Elle ajoute que non seulement la relation d'affaire est de nature contractuelle, mais que tout, de la langue de l'ensemble des documents aux modalités d'exécution, est américain. Daucourt n'a au demeurant pas soulevé l'incompétence du tribunal de New-York devant lequel elle a été attraite et elle n'a pas contesté la décision du 13 mars 2018 retenant l'application de la loi de New-York au motif que « New York has the most significant relationship to the parties transaction ».
Palm Bay International soutient ensuite que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit le 14 juillet 2016 (C-196/15, Granarlo) qu'une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens de l'article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 (dit Bruxelles I) s'il existait, entre les parties, une relation contractuelle tacite. Cette solution, qui ne concerne certes que les hypothèses contentieuses intra-européennes, lui paraît devoir être généralisée dans un cadre franco-américain.
Palm Bay International considère qu'il ne peut être prétendu, par ailleurs, que qualifier l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce de loi de police entrainerait nécessairement la compétence exclusive des tribunaux français pour connaître des cas de responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales établies. Elle observe à cet égard que l'arrêt Expédia (Cass. com. 8 juillet 2020, n°17-31356) concernait une autre pratique restrictive, le déséquilibre significatif, suite à une action du ministre chargé de l'économie. Elle cite en outre les arrêts Terex et Waters (CA Paris, 3 juin 2020, n°19/3758 et 8 octobre 2020, n°17/19893) aux termes desquels si les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce contribuent à la moralisation de la vie des affaires et sont susceptibles également de contribuer au meilleur fonctionnement de la concurrence, elles visent davantage à la sauvegarde des intérêts privés d'une partie, dès lors qu'elles ne peuvent être regardées comme cruciales pour la sauvegarde de l'organisation économique du pays au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application. L'arrêt IMD Services (CA Paris, 9 janvier 2019, n°18/09522) lui paraît en outre devoir être analysé à la lumière des arrêts Cristal d'Arques (CA Paris 1er décembre 2021, n°20/07092) et Héli Union (CA Paris, 28 septembre 2022, n°22/06441), lesquels ont appliqué respectivement le droit de Dubaï et le droit de Chypre à une rupture brutale. Elle observe par ailleurs que dans l'affaire Clarins (CA Paris, 19 septembre 2018, n°16-05579), le défendeur n'avait aucun lien contractuel direct avec le demandeur. Elle fait valoir qu'en l'espèce, la société Daucourt n'est pas dans une situation de faiblesse, d'une part, et qu'il a été jugé que les relations des parties étaient localisées aux Etats-Unis, d'autre part. Elle soutient, enfin, qu'il ne peut être sérieusement prétendu que la qualification de loi de police entraine nécessairement la compétence exclusive des tribunaux français pour connaître des cas de responsabilité pour rupture brutale dès lors qu'il est admis que l'applicabilité de ce texte ne fait pas échec à l'efficacité d'une clause d'élection de for donnant compétence à un tribunal étranger (Cass. com. 6 février 2007, n° 04-43178, Cass. 1re civ. 22 octobre 2008, n°07-15823). Citant enfin l'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 24 novembre 2015 (n°14-14924), elle considère qu'il est illusoire de justifier la compétence des tribunaux français par la prise en compte de dispositions impératives constitutives de loi de police, ces dernières seraient-elles applicables au fond du litige.
Plaidant la compétence du juge américain, elle précise pour finir ne pas indiquer le juge étranger qui devrait être saisi en application de l'article 75 du code de procédure civile, car ce dernier a déjà tranché dans le cadre de l'instance introduite à New York sur le fondement du contrat tacite ayant existé entre les parties.
Daucourt répond qu'elle ne peut être privée du droit d'ester en justice en France pour revendiquer l'application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dès lors que le fondement du présent contentieux est différent de celui initié à New York et que le principe du non cumul des responsabilités n'interdit pas au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, d'une demande distincte sur le fondement de ce texte qui tend à la réparation d'un préjudice résultant non pas d'un manquement contractuel mais de la rupture brutale d'une relation commerciale établie (Cass. com., 24 octobre 2018, n°17-25672 ; Cass. com., 27 mars 2019, n°16-24630 ; Cass. com. 10 avril 2019, n°18-12882). Elle ajoute qu'il est de jurisprudence constante que le dommage résultant de la cessation de la relation commerciale sans qu'un préavis de résiliation ait été respecté est subi au siège de la société victime de ces agissements.
Elle fait valoir ne pas contester que la société Palm Bay ait été à jour de ses obligations contractuelles, ainsi qu'il a été tranché par le tribunal de New-York, comté de Nassau, mais soutient que ce dernier n'a pas jugé de la responsabilité de la société Palm Bay s'agissant d'une action en rupture brutale des relations commerciales établies dont la société Daucourt a été victime, puisqu'il n'existe pas d'équivalent aux dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans la loi de New-York et que cette action n'était pas l'objet de la procédure initiée aux Etats-Unis par la société Palm Bay.
Elle considère en outre que, dans l'hypothèse où la Cour considèrerait que l'action fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce est de nature contractuelle, les dispositions doivent être qualifiées de loi de police dès lors qu'elles garantissent à toute entreprise établie en France un préavis suffisant lorsque son partenaire, qu'il soit français ou étranger, décide de rompre les relations établies. Elle se prévaut notamment de l'arrêt Expédia précité qui fait référence au « régime spécifique commun aux délits civils prévus à l'article L. 442-6 du code de commerce » (point n°11).
Elle fait enfin observer que le juge français est également compétent sur le fondement de l'article 46 alinéa 1 du code de procédure civile, dès lors que la société Palm Bay n'a facturé aucune prestation de service à la société Daucourt dans le cadre de leur relation commerciale et que le lieu de la livraison effective des produits est le chai de la société Daucourt, situé à [Localité 3], ainsi qu'il doit en déduit de l'Incoterm Ex-Cellar mentionné sur les factures. Elle s'interroge cependant sur l'articulation de ce texte avec les dispositions, contraires selon elle, relatives la compétence des juridictions commerciales spécialisées en matière de pratiques restrictives de concurrence.
Réponse de la Cour :
L'article 46 du code de procédure civile dispose que :
« (l)e demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur :
- en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service ;
- en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle du lieu où demeure le défendeur ».
En premier lieu, et à titre liminaire, la Cour observe :
- que ces dispositions générales se combinent avec les dispositions spéciales relatives aux juridictions ayant à connaître des procédures relatives à des pratiques restrictives de concurrence, lesquelles se limitent à fixer le ressort de huit tribunaux limitativement désignés (soit en l'espèce Bordeaux et non Angoulême), sans que cette spécialisation qui déroge à la carte judiciaire de droit commun n'ait d'incidence sur les options ouvertes au demandeur en raison de la qualification au fond du rapport de droit litigieux ;
- que seules les règles de conflit de juridictions doivent être mises en œuvre pour déterminer la juridiction compétente, des dispositions impératives constitutives de lois de police seraient-elles applicables au fond du litige (Cass, com., 24 novembre 2015, n°14-14924 ; Cass., 1re Civ., 22 octobre 2008, n° 07-15.823 ; Cass., 1re Civ., 18 janvier 2017, n° 15-26.105).
- que l'exception d'incompétence internationale n'est pas subordonnée à l'indication de la juridiction de l'Etat étranger devant être précisément saisie. Il suffit que la partie fasse connaître que l'affaire doit, conformément aux règles de conflit applicable, être portée devant les juridictions d'un autre Etat (Cass. civ. 1re, 27 janvier 2021, n°19-23.461), les parties étant renvoyées à mieux se pourvoir en application de l'article 81 du code de procédure civile (anciennement codifié à l'article 96).
En second lieu, s'agissant du rapport de droit à prendre en compte au cas présent pour déterminer la ou les juridictions compétentes, la Cour d'appel retient, tout d'abord, que lorsqu'il existe une relation contractuelle tacite entre les parties, une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies ne relève de la matière délictuelle que dans l'ordre juridique interne.
Daucourt ne pouvait donc pas, en l'espèce, assigner la société de droit américain Palm Bay International en se fondant sur le critère du lieu - son siège social - où elle dit avoir subi un dommage résultant de la cessation de la relation commerciale sans qu'un préavis de résiliation ait été respecté.
La Cour retient, ensuite, qu'en l'espèce la relation d'affaires ne correspond pas à la vente par la société Daucourt de spiritueux et à la mise à disposition de ces derniers au chai (endroit où les risques sont transférés à l'acquéreur). Daucourt avait en effet consenti à Palm Bay International un mandat exclusif d'importation et de distribution aux Etats-Unis des produits OR-G et Bastille 1789, dans le cadre de la réglementation très spécifique dite " Three-Tier system ". Elle lui fournissait ces spiritueux afin que Palm Bay se charge de leur importation sur le sol américain et en assure la distribution auprès de détaillants situés aux Etats-Unis, les réapprovisionnements étant en lien direct avec le niveau des produits écoulés sur le marché américain.
Il s'en suit qu'au cas présent, le demandeur ne pouvait saisir, outre la juridiction du lieu où la société Palm Bay International est établie (au sens de l'article 43 du code de procédure civile), que la juridiction du lieu d'exécution de l'importation et de la distribution sur le marché américain des spiritueux litigieux.
Aucun critère de compétence territoriale ne permettant au demandeur de saisir une juridiction française et la société Palm Bay désignant le juge américain comme compétent, la Cour accueille l'exception d'incompétence internationale soulevée.
Sur les autres demandes :
Il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes de publication et d'insertion judiciaires qui ne sont pas adaptées aux circonstances de la cause et à l'ancienneté des faits.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais irrépétibles qu'elle a contrainte d'exposer pour faire valoir ses droits en justice. Daucourt sera en conséquence condamnée à verser à Palm Bay la somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Daucourt est déboutée de sa demande formée à ce titre.
L'exercice par l'appelante de son action n'a pas dégénéré en abus. Les conditions d'application de l'article 32-1 du code de procédure civile ne sont donc pas réunies.
Partie perdante, Daucourt sera condamnée aux dépens.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Accueille l'exception d'incompétence internationale soulevée par la société Palm Bay International ;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 5 mars 2021 en ce qu'il a débouté la société Daucourt de l'ensemble de ses demandes ;
Rejette les demandes de publication et d'insertion judiciaires ;
Déboute la société Daucourt de sa demande de dommages intérêts pour procédure abusive ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 32-1 du code de procédure civile ;
Condamne la société Daucourt à verser à la société la société Palm Bay International la somme de 8.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;
Condamne la société Daucourt aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE