CA PARIS (pôle 5 ch. 6), 15 novembre 2023
CERCLAB - DOCUMENT N° 10549
CA PARIS (pôle 5 ch. 6), 15 novembre 2023 : RG n° 21/07523
Publication : Judilibre
Extrait : « Le tribunal doit en conséquence être approuvé lorsqu'il interprète les clauses précitées en ce sens que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France est tenue de faire parvenir à son client les informations reçues de tout organisme notoirement reconnu spécialisé dans la communication de telles informations (tel que FININFO) ou du dépositaire ou sous-dépositaire de la Caisse régionale, sans qu'elle puisse être tenue pour responsable des délais de diffusion et du contenu de l'information diffusée, lesquels dépendent des informations publiées par l'émetteur du titre et des supports de communication choisis par celui-ci.
Il s'ensuit que la seule publication d'une information sur le site de l'émetteur du titre ne crée pas à la charge de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France une obligation de transmettre cette information à ses clients. Elle conditionne seulement le délai dans lequel la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France peut en avoir connaissance par l'intermédiaire des tiers contractuellement désignés, ainsi que la teneur de l'information reçue par ce même canal.
Les premiers juges ont par suite justement considéré que les derniers alinéas précités des articles 2 et 15.5 de la convention de compte de titres ne sont pas des clauses exonératoires de responsabilité, mais expriment la conséquence nécessaire de la définition contractuelle de l'obligation d'information du teneur de compte conservateur, qui dépend de la réception de l'information de la part des tiers désignés. Ces stipulations n'ont donc pas pour objet ou pour effet de supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le non-professionnel ou le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations, de sorte qu'elles ne sont pas de manière irréfragable présumées abusives, au sens des dispositions du premier et du troisième alinéas de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure au 1er juillet 2016.
X. et Y. ne démontrent pas davantage que lesdites stipulations aient pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, puisqu'elles ne font que tirer a contrario la conséquence de l'obligation d'information telle qu'elle est définie par les autres stipulations. Les articles précités ne sont au demeurant, comme l'a jugé le tribunal, entachés d'aucune imprécision puisque :
- le caractère utile ou tardif de la transmission renvoie, aux termes de l'article 15.5 susdit, à la faculté d'exercer le droit dont le client peut disposer pour l'opération sur titres considérée ;
- les tiers visés par l'article 2 susdits sont tout organisme notoirement reconnu spécialisé dans la communication des informations relatives aux opérations sur titres (tel que FININFO) ou le dépositaire ou sous-dépositaire de la Caisse régionale.
Les articles de la convention critiqués par les appelants ne créent ainsi aucun déséquilibre entre les droits et obligations des parties au contrat. Au surplus, ils sont stipulés à l'avantage du consommateur puisqu'ils mettent à la charge du teneur de compte conservateur une obligation d'information, et confèrent au client le droit corrélatif d'être informé, qui vont au-delà de ce qu'impose la loi.
En effet, s'agissant de l'obligation légale d'information à laquelle sont tenus les prestataires de services d'investissement, l'article L. 533-12, paragraphe II, du code monétaire et financier dispose que les prestataires de services d'investissement communiquent en temps utile à leurs clients, notamment leurs clients potentiels, des informations appropriées en ce qui concerne le prestataire de services d'investissement et ses services, les instruments financiers et les stratégies d'investissement proposés, les lieux d'exécution et tous les coûts et frais liés. Un décret précise les informations communiquées au client en application du présent II.
Aux termes de l'article D. 533-15, paragraphe premier, secundo, du même code, pour l'application du II de l'article L. 533-12, les informations communiquées aux clients sur les instruments financiers et les stratégies d'investissement proposées incluent des orientations et des mises en garde appropriées sur les risques inhérents à l'investissement dans ces instruments ou à certaines stratégies d'investissement ainsi qu'une information sur le fait que l'instrument financier est destiné à des clients non professionnels ou à des clients professionnels, compte tenu du marché cible défini conformément à l'article L. 533-24.
Ces dispositions n'imposent pas au prestataire de services d'investissement de communiquer à ses clients les informations relatives aux opérations sur titres dès lors qu'elles sont publiées par l'émetteur des titres.
S'agissant par ailleurs de l'obligation légale d'information à laquelle sont tenus les teneurs de compte conservateurs, l'article 322-12, paragraphe II, du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, relatif aux informations communiquées par les teneurs de compte conservateurs à leurs clients, et invoqué par les appelants, dispose :
« Le teneur de compte conservateur transmet dans les meilleurs délais à chaque titulaire de compte-titres les informations suivantes :
« 1o Les informations relatives aux opérations sur titres financiers nécessitant une réponse du titulaire, qu'il reçoit individuellement des émetteurs de titres financiers ;
« 2o Les informations relatives aux autres opérations sur titres financiers qui entraînent une modification sur les avoirs inscrits sur le compte du client, qu'il reçoit individuellement des émetteurs de titres financiers ».
L'obligation légale d'information ainsi mise à la charge du teneur de compte conservateur en matière d'opérations sur titres financiers se borne à la transmission des informations reçues individuellement de l'émetteur de titres financiers. Or, X. et Y. ne soutiennent pas que la société Commerzbank ait informé individuellement la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France de l'échéance anticipée des certificats « Commerzbank perpétuel CAC 40 ». »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 6
ARRÊT DU 15 NOVEMBRE 2023
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 21/07523 (12 pages). N° Portalis 35L7-V-B7F-CDQRG. Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 mars 2021 - Tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 17/11625.
APPELANTS :
Monsieur X.
[Adresse 1], [Localité 5]
Monsieur Y.
[Adresse 3], [Localité 6]
Représentés par Maître Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, ayant pour avocat plaidant Maître Mikael LE BOT de la SELEURL LE BOT, avocat au barreau de PARIS, toque : E1759
INTIMÉE :
CAISSE RÉGIONALE DU CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DE PARIS ET D'ILE DE FRANCE
[Adresse 2], [Localité 4], Représentée par Maître Jean-Philippe GOSSET de la SELEURL CABINET GOSSET, avocat au barreau de PARIS, toque : B0812
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 septembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Vincent BRAUD, Président, entendu en son rapport et MME Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : M. Vincent BRAUD, Président, chargé du rapport, M. Marc BAILLY, Président, MME Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère.
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Vincent BRAUD, Président et par Mélanie THOMAS, Greffier présent lors de la mise à disposition
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
X. a conclu une convention de compte-titres, sans mandat de gestion mais dotée d'un service « Invest store version initial » contenant les services essentiels de la gestion de portefeuille d'instruments financiers, auprès de la société coopérative Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France (ci-après le Crédit agricole), et a acquis courant 2015 des certificats financiers « leverage & short » émis par la société de droit allemand Commerzbank sur le marché Euronext, désignés sous le nom « Commerzbank perpétuel CAC 40 ». Il en détenait 9 millions le 30 septembre 2015.
Y. a également conclu une convention de compte-titres, sans mandat de gestion, dotée du même service « Invest store version initial », auprès de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France, et a aussi acquis courant 2015 des certificats « Commerzbank perpétuel CAC 40 » sur le marché Euronext. Il en détenait 5,58 millions le 30 septembre 2015.
Ces certificats sont des titres de créances adossés à un sous-jacent : le CAC 40, qui sert au calcul de leur valeur, et sont dotés d'un effet de levier de 15, sans échéance.
La société Commerzbank émettait le 25 août 2015 une notice de rappel anticipé à effet au 30 septembre suivant, et dès le 29 septembre 2015, les titres, échus, n'étaient plus négociables, mais revendus automatiquement au dernier cours connu.
Le 8 octobre 2015, le teneur de compte conservateur informait X. et Y. du remboursement de leurs certificats CMBK PERP CAC 40, à la valeur unitaire de 0,002 euro, suite à quoi le premier recevait 18.000 euros et le second 11 160 euros.
Lui reprochant de ne les avoir pas informés de la désactivation du titre ayant empêché sa revente en temps utile, X. et Y. demandaient à la banque réparation de leurs pertes financières en vain, à la suite de quoi ils l'assignaient devant le tribunal de grande instance de Paris par exploit en date du 23 août 2017.
Par jugement contradictoire en date du 25 mars 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :
- Débouté X. et Y. de l'ensemble de leurs demandes ;
- Les a condamnés à payer à la société coopérative Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Les a condamnés aux dépens ;
- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 16 avril 2021, X. et Y. ont interjeté appel du jugement.
[*]
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 15 juillet 2021, X. et Y. demandent à la cour de :
* infirmer le jugement dont appel rendu le 25 mars 2021 par le Tribunal de grande instance de Paris (RG 17/11625 ) en ce qu'il :
- déboute monsieur X. et monsieur Y. de l'ensemble de leurs demandes ;
- les condamne à payer à la société coopérative Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Ile de France 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Les condamne aux dépens ;
Plus généralement, INFIRMER toutes les toutes dispositions non visées au dispositif du jugement litigieux et faisant grief aux appelants.
Et, statuant à nouveau,
À titre liminaire :
- DIRE ET JUGER que le CRÉDIT AGRICOLE exerce vis-à-vis des demandeurs le rôle de prestataire de service d'investissement tel que défini à l'article L. 531 -1 du Code Monétaire et Financier ;
- DIRE ET JUGER que le CRÉDIT AGRICOLE exerce vis-à-vis des demandeurs en tant que teneur de compte-titre financier tel que défini aux articles L. 211-6 et suivants du Code Monétaire et Financier ;
En tout état de cause
- DÉBOUTER le CRÉDIT AGRICOLE de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- DIRE ET JUGER que le CRÉDIT AGRICOLE était débiteur d'une obligation d'information vis-à-vis de MM. X. et Y. découlant de l'article L. 533 -12 CMF ;
- DIRE ET JUGER que le CRÉDIT AGRICOLE était tenu vis-à-vis des demandeurs à une obligation contractuelle d'information sur l'opération sur titre affectant les certificats COMMERZBANK PERPETUEL CAC40 (ISIN DE000CZ5L7J5) détenus par MM. X. et Y. et initiée par l'émetteur COMMERZBANK ;
- DIRE ET JUGER que l'information relative à la désactivation, le 30 septembre 2015, des certificats COMMERZBANK PERPETUEL CAC40 (ISIN DE000CZ5L7J5) était une information relative à une opération sur titres financiers qui entraînait une modification sur les avoirs inscrits sur le compte des demandeurs ;
- DIRE ET JUGER que le CRÉDIT AGRICOLE était tenu d'adresser aux demandeurs, dès la publication sur le site de l'émetteur, un avis comprenant l'information ;
- DIRE ET JUGER que le CRÉDIT AGRICOLE avait connaissance, dès le 25 août 2015, date de publication sur le site de l'émetteur, de l'information selon laquelle les certificats COMMERZBANK PERPETUEL CAC40 (ISIN DE000CZ5L7J5) allaient être radiés le 30 septembre 2015 ;
- DIRE ET JUGER que le CRÉDIT AGRICOLE était tenu de délivrer cette information aux demandeurs en vertu de son obligation légale et contractuelle d'information ;
- DIRE ET JUGER que le contrat de compte titre doit être interprété dans le sens le plus favorable au consommateur, en ce sens que l'article 15.5 est dérogatoire aux stipulations exonératoires de l'article 2 ;
- DIRE ET JUGER que les stipulations de la convention de compte titre reproduites ci-après sont irréfragablement abusives, sont réputées non écrites et en écarter l'application : « Article 2 (…) La Caisse régionale n'encourt aucune responsabilité si elle n'a pas reçu en temps utile des tiers visés ci-dessus, les informations qu'elle devait transmettre aux Clients ou si ces informations étaient incomplètes, inexactes ou inappropriées.
(...)
Article 15.5 …) En tout état de cause, si la Caisse régionale est informée tardivement de l'OST, elle ne peut être tenue pour responsable de l'impossibilité pour le Client d'exercer son droit à cette OST, dans les délais prévus pour cette opération. De plus, la Caisse régionale ne saurait être tenue pour responsable d'un manquement ou d'une interruption des services postaux dans le cadre des opérations visées au présent article » ;
- DIRE ET JUGER que le CRÉDIT AGRICOLE s'est abstenu de transmettre cette information aux demandeurs et que cette abstention est constitutive d'une faute contractuelle qui cause aux demandeurs de graves préjudices ;
En conséquence,
- DIRE ET JUGER que le CRÉDIT AGRICOLE engage sa responsabilité vis-à-vis de MM. Y. et X. ;
- CONDAMNER le CRÉDIT AGRICOLE à réparer ce préjudice résultant des manquements d'information ;
- CONDAMNER le CRÉDIT AGRICOLE à verser 122.777,56 euros à M. X. ;
- CONDAMNER le CRÉDIT AGRICOLE à verser 63.378 euros à M. Y. à ce titre ;
- DIRE ET JUGER que Monsieur Y. subit un préjudice à la perte de chance de bénéficier de l'avantage fiscal ;
- DIRE ET JUGER que cette perte de chance correspond au montant de l'imposition supplémentaire dont a dû s'acquitter Monsieur Y. pour l'année 2015 ;
- CONDAMNER le CRÉDIT AGRICOLE à réparer ce préjudice ;
- CONDAMNER le CRÉDIT AGRICOLE en conséquence à verser 47.419 euros à M. Y.
à ce titre ;
- DIRE ET JUGER que les appelants subissent un préjudice à la perte de chance de leur base d'imposition pour les exercices fiscaux des dix années à venir ;
- DIRE ET JUGER que cette perte de chance s'analyse en une imposition supplémentaire durant les dix années suivant 2015 et qui peut être estimée à 50.000 euros ;
- CONDAMNER le CRÉDIT AGRICOLE à réparer ce préjudice ;
- LE CONDAMNER en conséquence à verser 50.000 euros à M. X. et 50.000 euros à M. Y. à ce titre ;
- CONDAMNER le CRÉDIT AGRICOLE à payer à chaque appelant la somme de 20.000 euros chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER le CRÉDIT AGRICOLE aux entiers dépens au titre de l'article 696 du Code de procédure civile.
[*]
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 14 octobre 2021, la société coopérative à capital variable Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France demande à la cour de :
- RECEVOIR le CREDIT AGRICOLE IDF en ses conclusions, l'y déclarant bien fondé,
A titre principal :
- JUGER que Messieurs X. et Y. sont des investisseurs avertis ayant investi sur des produits financiers non complexes aux termes des dispositions légales et stipulations contractuelles applicables entre les parties,
- JUGER ainsi que le CREDIT AGRICOLE IDF n'avait aucune obligation d'information voire de mise en garde en cours d'exécution du contrat à l'égard de Messieurs X. et Y. sur la survenance de l'échéance de leurs titres,
- JUGER également qu'en leur qualité d'investisseurs avertis les demandeurs étaient aptes à s'informer eux-mêmes sur la survenance de la date d'échéance de leurs certificats,
- JUGER dès lors que lesdits préjudices, outre leur caractère infondé, ne résultent en tout état de cause exclusivement que de la propre négligence de Messieurs X. et Y.,
- JUGER en outre que le CREDIT AGRICOLE IDF était parfaitement fondé à penser que Messieurs X. et Y. avaient connaissance du risque de la survenance de l'échéance de leurs titres et de la réalisation de ce risque,
- JUGER surtout que Messieurs X. et Y. ne démontrent pas avoir été effectivement dans l'ignorance de la survenance de l'échéance de leurs titres,
- JUGER ainsi que le prétendu manquement à l'obligation d'information qui est reproché au CREDIT AGRICOLE IDF n'est en tout état de cause pas la cause directe des préjudices invoqués par les demandeurs,
- JUGER enfin que le CREDIT AGRICOLE IDF n'a manqué à aucune de ses obligations légales et contractuelles de teneur de compte-titres conservateur et ne saurait en tout état de cause engager sa responsabilité en cas de retard dans la transmission d'une information alors qu'il ne la possédait pas à la date où il lui est reproché de ne pas l'avoir transmise,
- DÉBOUTER en conséquence Messieurs X. et Y. de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions,
- CONFIRMER ainsi en toutes ses dispositions le Jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de PARIS en date du 25 mars 2021.
A titre subsidiaire :
- JUGER que l'éventuelle indemnisation des préjudices invoqués par Messieurs X. et Y. relève de la seule perte de chance d'avoir pu procéder à la vente de leurs certificats « Leverage Certificate X 15 » avant le 30 septembre 2015,
- JUGER en outre que Messieurs X. et Y. ont concouru à la réalisation de leur propre préjudice,
- PRONONCER en conséquence un partage de responsabilité sur la base d'une indemnisation de préjudices relevant de la seule perte de chance,
En tout état de cause
- CQNDAMNER Messieurs X. et Y. à verser au CREDIT AGRICOLE IDF la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'articIe 700 du Code de procedure civile,
- CONDAMNER Messieurs X. et Y. aux entiers dépens de l'appel.
[*]
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 octobre 2022 et l'audience fixée au 3 juillet 2023.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
CELA EXPOSÉ,
Les demandes de « dire et juger » ne sont pas des prétentions appelant en tant que telles une réponse de la cour.
Sur la responsabilité de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France :
Les appelants invoquent les obligations légales d'information mises à la charge des prestataires de services d'investissement par l'article L. 533-12 du code monétaire et financier, et des teneurs de compte conservateurs par l'article 322-12, paragraphe II, du règlement général de l'Autorité des marchés financiers. Ils considèrent en outre que l'obligation d'information de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France est renforcée en l'espèce par l'article 15 de la convention de compte de titres sur lequel ils fondent leurs prétentions.
Selon X. et Y., le manquement de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France réside dans le fait qu'elle n'ait pas délivré l'information selon laquelle les certificats « Commerzbank perpétuel CAC 40 » allaient être désactivés par leur émetteur le 30 septembre 2015, alors qu'elle en avait contractuellement connaissance dès lors que cette information avait été publiée sur le site de l'émetteur le 25 août 2015. Ils font valoir que des établissements concurrents ont régulièrement averti leurs clients, et que moins d'un an plus tard la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France a régulièrement averti ses clients de ce même type d'évènement sur un produit similaire.
Les appelants reprochent par suite au jugement déféré d'avoir violé la règle de la force obligatoire des contrats en refusant d'appliquer les stipulations contractuelles précisant les modalités des obligations d'information de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France.
Celle-ci conteste avoir manqué à son obligation d'information dans la mesure où :
- le teneur de compte conservateur est dispensé de toute obligation d'information et de mise en garde à l'égard d'investisseurs avertis et s'agissant d'instruments financiers non complexes, comme en l'espèce ;
- en tout état de cause, les stipulations du contrat l'exonèrent de toute responsabilité dans le cas présent où elle a eu tardivement connaissance de l'information à transmettre à ses clients ;
- il appartenait à X. et à Y., avertis d'un risque de rappel anticipé des certificats « Commerzbank perpétuel CAC 40 », de s'informer de la survenance de l'échéance de ces titres.
Aux termes de l'article premier Objet de la convention, alinéa premier, des dispositions générales de la convention de compte de titres qui lie les parties, la convention pour objet de définir les conditions dans lesquelles la Caisse régionale fournit au client les services suivants :
- Réception et transmission d'ordres pour compte de tiers
- Souscription, rachat pour compte de tiers des instruments de fonds propres des Caisses régionales ou Caisses locales de crédit agricole (parts sociales et CCA...)
- Exécution d'ordres pour compte de tiers
- Compensation
- Tenue de compte conservation
- Conseil en investissement.
Les premiers juges ont par suite exactement constaté que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France a contracté avec X. et Y. en qualité de prestataire de services d'investissement et de teneur de compte conservateur.
L'article 15.5 Informations relatives aux opérations sur titres des dispositions générales de la convention de compte de titres dispose :
« La Caisse régionale informe le Client des OST (opérations sur titres) initiées par l'émetteur des titres inscrits au compte du Client et pour lesquelles celui-ci est susceptible d'exercer un droit. La connaissance que la Caisse régionale peut avoir de ces opérations est subordonnée aux informations publiées par l'émetteur du titre et aux supports de communication choisis par celui-ci sans que la Caisse régionale puisse être en aucune façon tenue pour responsable des délais de diffusion et du contenu de l'information diffusée.
« Dès qu'elle est elle-même avisée d'une OST, la Caisse régionale adresse au Client un avis comprenant la date d'effet et le délai d'exercice du droit, la description de l'opération, le nombre de titres détenus par le Client, les droits correspondants, le bulletin-réponse à retourner et éventuellement l'indication de la décision qui sera prise par la Caisse régionale en l'absence d'instruction du Client du compte dans les délais requis.
« En tout état de cause, si la Caisse régionale est informée tardivement de l'OST, elle ne peut être tenue pour responsable de l'impossibilité pour le Client d'exercer son droit à cette OST, dans les délais prévus pour cette opération. De plus, la Caisse régionale ne saurait être tenue pour responsable d'un manquement ou d'une interruption des services postaux dans le cadre des opérations visées au présent article. »
L'article 2 Obligations à la charge de la Caisse régionale des dispositions générales de la convention de compte de titres dispose :
« La Caisse régionale s'engage à faire ses meilleurs efforts en vue de faire parvenir au Client, dans les délais requis, les informations dues en application de la présente convention, sous réserve que la Caisse régionale ait elle-même reçu en temps utile lesdites informations de la part de tout organisme notoirement reconnu spécialisé dans la communication de telles informations (tel que FININFO) ou du dépositaire ou sous-dépositaire de la Caisse régionale.
« [...]
« La Caisse régionale n'encourt aucune responsabilité si elle n'a pas reçu en temps utile des tiers visés ci-dessus, les informations qu'elle devait transmettre aux Clients ou si ces informations étaient incomplètes, inexactes ou inappropriées. »
L'obligation d'information relative aux opérations sur titres mise à la charge du Crédit agricole par les clauses précitées ne dépend pas de la qualité d'investisseurs avertis ou non des clients.
La Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France expose qu'elle n'a été destinataire de l'information relative à un retrait anticipé des certificats « Commerzbank perpétuel CAC 40 » que le 5 octobre 2015 par la plateforme Internet spécialisée Eventis, de sorte qu'elle n'encourt aucune responsabilité en ne transmettant pas plus tôt une information qu'elle ne possédait pas.
X. et Y. lui opposent que l'information a été publiée par l'émetteur du titre le 25 août 2015, ce dont ils déduisent que la banque en avait dès lors connaissance en application de l'article 15.5 de sa propre convention de compte-titres. Ils estiment que :
- l'article 15.5 étant plus spécifique et contradictoire avec l'article 2 de la convention, le contrat doit être interprété dans le sens plus favorable au consommateur ;
- les clauses exonératoires de responsabilité stipulées à l'article 2 et à l'article 15.5 de la convention sont abusives de manière irréfragable ;
- les mêmes clauses exonératoires sont abusives en ce qu'elles ne sont ni claires et intelligibles dans la mesure où elles ne mentionnent pas de façon précise « les tiers » dont la faute serait susceptible de l'exonérer de sa responsabilité et elles ne précisent pas les termes « en temps utile » ou encore « délai raisonnable ».
Aux termes de l'article 1156 ancien du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce, on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes.
Aux termes de l'article 1157 ancien du même code, lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l'entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n'en pourrait produire aucun.
Aux termes de l'article 1161 ancien du même code, toutes les clauses des conventions s'interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier.
Le tribunal doit en conséquence être approuvé lorsqu'il interprète les clauses précitées en ce sens que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France est tenue de faire parvenir à son client les informations reçues de tout organisme notoirement reconnu spécialisé dans la communication de telles informations (tel que FININFO) ou du dépositaire ou sous-dépositaire de la Caisse régionale, sans qu'elle puisse être tenue pour responsable des délais de diffusion et du contenu de l'information diffusée, lesquels dépendent des informations publiées par l'émetteur du titre et des supports de communication choisis par celui-ci.
Il s'ensuit que la seule publication d'une information sur le site de l'émetteur du titre ne crée pas à la charge de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France une obligation de transmettre cette information à ses clients. Elle conditionne seulement le délai dans lequel la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France peut en avoir connaissance par l'intermédiaire des tiers contractuellement désignés, ainsi que la teneur de l'information reçue par ce même canal.
Les premiers juges ont par suite justement considéré que les derniers alinéas précités des articles 2 et 15.5 de la convention de compte de titres ne sont pas des clauses exonératoires de responsabilité, mais expriment la conséquence nécessaire de la définition contractuelle de l'obligation d'information du teneur de compte conservateur, qui dépend de la réception de l'information de la part des tiers désignés. Ces stipulations n'ont donc pas pour objet ou pour effet de supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le non-professionnel ou le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations, de sorte qu'elles ne sont pas de manière irréfragable présumées abusives, au sens des dispositions du premier et du troisième alinéas de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure au 1er juillet 2016.
X. et Y. ne démontrent pas davantage que lesdites stipulations aient pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, puisqu'elles ne font que tirer a contrario la conséquence de l'obligation d'information telle qu'elle est définie par les autres stipulations. Les articles précités ne sont au demeurant, comme l'a jugé le tribunal, entachés d'aucune imprécision puisque :
- le caractère utile ou tardif de la transmission renvoie, aux termes de l'article 15.5 susdit, à la faculté d'exercer le droit dont le client peut disposer pour l'opération sur titres considérée ;
- les tiers visés par l'article 2 susdits sont tout organisme notoirement reconnu spécialisé dans la communication des informations relatives aux opérations sur titres (tel que FININFO) ou le dépositaire ou sous-dépositaire de la Caisse régionale.
Les articles de la convention critiqués par les appelants ne créent ainsi aucun déséquilibre entre les droits et obligations des parties au contrat. Au surplus, ils sont stipulés à l'avantage du consommateur puisqu'ils mettent à la charge du teneur de compte conservateur une obligation d'information, et confèrent au client le droit corrélatif d'être informé, qui vont au-delà de ce qu'impose la loi.
En effet, s'agissant de l'obligation légale d'information à laquelle sont tenus les prestataires de services d'investissement, l'article L. 533-12, paragraphe II, du code monétaire et financier dispose que les prestataires de services d'investissement communiquent en temps utile à leurs clients, notamment leurs clients potentiels, des informations appropriées en ce qui concerne le prestataire de services d'investissement et ses services, les instruments financiers et les stratégies d'investissement proposés, les lieux d'exécution et tous les coûts et frais liés. Un décret précise les informations communiquées au client en application du présent II.
Aux termes de l'article D. 533-15, paragraphe premier, secundo, du même code, pour l'application du II de l'article L. 533-12, les informations communiquées aux clients sur les instruments financiers et les stratégies d'investissement proposées incluent des orientations et des mises en garde appropriées sur les risques inhérents à l'investissement dans ces instruments ou à certaines stratégies d'investissement ainsi qu'une information sur le fait que l'instrument financier est destiné à des clients non professionnels ou à des clients professionnels, compte tenu du marché cible défini conformément à l'article L. 533-24.
Ces dispositions n'imposent pas au prestataire de services d'investissement de communiquer à ses clients les informations relatives aux opérations sur titres dès lors qu'elles sont publiées par l'émetteur des titres.
S'agissant par ailleurs de l'obligation légale d'information à laquelle sont tenus les teneurs de compte conservateurs, l'article 322-12, paragraphe II, du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, relatif aux informations communiquées par les teneurs de compte conservateurs à leurs clients, et invoqué par les appelants, dispose :
« Le teneur de compte conservateur transmet dans les meilleurs délais à chaque titulaire de compte-titres les informations suivantes :
« 1o Les informations relatives aux opérations sur titres financiers nécessitant une réponse du titulaire, qu'il reçoit individuellement des émetteurs de titres financiers ;
« 2o Les informations relatives aux autres opérations sur titres financiers qui entraînent une modification sur les avoirs inscrits sur le compte du client, qu'il reçoit individuellement des émetteurs de titres financiers ».
L'obligation légale d'information ainsi mise à la charge du teneur de compte conservateur en matière d'opérations sur titres financiers se borne à la transmission des informations reçues individuellement de l'émetteur de titres financiers. Or, X. et Y. ne soutiennent pas que la société Commerzbank ait informé individuellement la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France de l'échéance anticipée des certificats « Commerzbank perpétuel CAC 40 ».
Les appelants considèrent néanmoins que la désactivation était une information que le Crédit agricole détenait nécessairement.
Il est d'abord constant que la société Commerzbank a publié l'information en cause sur son site Internet le 25 août 2015.
Le Crédit agricole produit l'information par lui reçue le 5 octobre 2015 du dépositaire central, la société BNP Paribas, par l'intermédiaire de la plateforme en ligne Eventis. Contrairement à la présentation qu'en fait l'intimé, il ne s'agit pas de l'information relative au retrait anticipé des certificats CMBK PERP CAC 40, mais d'une information sur le remboursement de ces titres, consécutif à leur retrait.
Or, comme l'a relevé le tribunal, le dépositaire central, chargé de centraliser les informations relatives aux opérations sur titres, doit prendre toutes dispositions nécessaires pour permettre l'exercice des droits attachés aux instruments financiers enregistrés en comptes courants. La société BNP Paribas était donc tenue de transmettre par le même canal l'information initiale relative au retrait anticipé des certificats financiers Commerzbank perpétuel CAC 40.
Les appelants démontrent d'ailleurs qu'un autre établissement bancaire, la société Boursorama, a pu informer ses clients de la désactivation du certificat en cause dès le 31 août 2015, leur transmettant l'avis publié le 25 août 2015 par la société Commerzbank.
Ils font valoir en outre que le Crédit agricole fut en mesure, le 9 août 2016, d'informer en temps utile ses clients, parmi lesquels Y., du rappel anticipé de certificats pareillement émis par la société Commerzbank et d'un type similaire, en leur transmettant l'avis publié par leur émetteur.
Il résulte de ces indices graves, précis et concordants que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France est présumée avoir reçu du dépositaire central, au plus tard le 31 août 2015, l'information relative à la désactivation des certificats financiers Commerzbank perpétuel CAC 40.
En s'abstenant de transmettre cette information à X. et à Y., le Crédit agricole a, au regard des circonstances de l'espèce et des dispositions contractuelles telles qu'interprétées précédemment, manqué à son obligation à leur égard. Il doit donc répondre de l'impossibilité pour ses clients d'exercer leur droit de revendre les titres dans le délai prévu pour cette opération.
La Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France conteste le lien de causalité entre sa faute et le dommage allégué, au motif que X. et Y. avaient été informés en temps utile du rappel anticipé des certificats financiers en cause. Elle fait valoir en ce sens que :
- ils étaient avisés du risque de retrait anticipé, souligné dans le prospectus de base édité par la société Commerzbank, notamment en cas de baisse du sous-jacent ;
- l'indice CAC 40 a chuté de 8,45 % au mois d'août 2015 et de 4,25 % au mois de septembre suivant, de sorte qu'ils auraient dû s'interroger sur l'imminence d'un retrait du marché des certificats ;
- ils se sont procurés la lettre d'information envoyée le 31 août 2015 par la société Boursorama à l'un de ses clients, si bien qu'ils auraient pu en avoir connaissance en même temps que son destinataire ;
- les informations relatives aux valeurs mobilières émises par la société Commerzbank sont disponibles en ligne sur le site de celle-ci, dont les appelants avaient connaissance puisqu'ils ont fait établir le 30 octobre 2018 un constat de l'information ainsi publiée ;
- X. et Y. ont cessé d'acheter les certificats litigieux à partir du 1er septembre 2015.
L'ensemble de ces faits ne démontre cependant pas que X. et Y., qui n'étaient pas tenus de se renseigner par eux-mêmes sur l'éventualité d'une échéance anticipée de leurs titres, aient été informés au plus tard le 31 août 2015 de la décision de rappel anticipé prise par la société Commerzbank. Leur comportement, en particulier, n'est pas probant à cet égard puisque leurs derniers achats datent du 1er septembre 2015, et qu'ils ne se sont ensuite pas défaits de la totalité de leurs titres avant l'échéance du 30 septembre 2015.
Conformément à l'article 1231-1 du code civil, ils apparaissent fondés à demander réparation du dommage causé par l'inexécution de l'obligation contractuelle de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France.
Considérant qu'ils auraient assurément vendu leurs titres sans en acheter d'autres s'ils avaient disposé de l'information relative à leur rappel anticipé, puisqu'il était certain que les certificats financiers en cause vaudraient moins lors de leur désactivation que leur valeur d'achat, X. et Y. demandent l'indemnisation de la totalité de leurs pertes, ou, si la perte de chance était retenue, d'un préjudice quasi égal au montant des sommes dues compte tenu du degré de certitude de la perte de chance. Ils font état d'un préjudice financier, consistant d'une part dans les pertes liées à l'absence de revente des certificats au jour de l'annonce de la désactivation, soit le 31 août 2015, d'autre part dans les pertes liées à l'achat de certificats entre l'annonce et la désactivation ; et d'un préjudice fiscal, consistant, pour Y. dans l'imposition supplémentaire subie pour l'année 2015, et pour les deux appelants dans la perte de chance de réduire la base d'imposition fiscale pour les dix années à venir.
Le préjudice financier résultant du manquement par la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France à son obligation d'information est constitué pour X. et Y. par une perte de chance de vendre les titres qu'ils détenaient le 31 août 2015, et de ne pas en acheter le 1er septembre suivant.
La réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
Au regard du chiffrage de leur préjudice détaillé par les appelants, la perte de chance de ne pas subir de préjudice financier sera réparée par l'octroi d'une somme de 51.000 euros de dommages et intérêts à Y. et d'une somme de 98.000 euros de dommages et intérêts à X..
Le préjudice fiscal invoqué par Y. consiste dans l'imposition à hauteur de 47 419 euros du solde positif en plus-value de 109 601,24 euros réalisé sur l'exercice 2015, alors que la désactivation inopinée des certificats lui cause une perte de 324 589 euros, perte supérieure au montant des plus-values réalisées au titre de l'exercice de 2015, qu'il aurait pu imputer sur ces dernières de façon que la base d'imposition fût nulle.
Considérant en outre la possibilité de reporter l'imputation des moins-values liées aux opérations mobilières de l'année 2015 sur les plus-values futures des dix années suivantes, X. et Y. invoquent une perte de chance de bénéficier de cette possibilité qu'ils évaluent, compte tenu du montant moyen économisé fiscalement par eux sur les exercices précédents, de leur niveau d'imposition et de la moins-value réalisée par la faute du Crédit agricole, à 50.000 euros chacun.
Outre que Y. ne justifie pas du montant de 324 589 euros, les appelants ne peuvent prétendre imputer sur la plus-value de l'année 2015 et des années suivantes la perte causée par la désactivation des certificats financiers, alors ce chef de préjudice a été précédemment indemnisé. Au surplus, seule constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable. Or, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France observe à raison qu'il n'est pas possible de déterminer quelles seront les éventuelles plus-values réalisées à l'issue des achats et des ventes de valeurs mobilières qu'ils réaliseront pendant les dix prochaines années. Leur demande sera rejetée en conséquence.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'intimée en supportera donc la charge.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1o À l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2o Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.
Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent.
La somme allouée au titre du secundo ne peut être inférieure à la part contributive de l'État majorée de 50 %.
Sur ce fondement, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France sera condamnée à payer à X. et à Y. la somme de 4.000 euros chacun au titre des frais irrépétibles.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LA COUR,
PAR CES MOTIFS,
INFIRME le jugement ;
Statuant à nouveau,
CONDAMNE la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France à payer à Y. la somme de 51.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
CONDAMNE la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France à payer à X. la somme de 98.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
CONDAMNE la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France à payer à X. et à Y. la somme de 4.000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Île-de-France aux entiers dépens ;
REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT