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CA AIX-EN-PROVENCE (ch. 1-4), 11 janvier 2024

Nature : Décision
Titre : CA AIX-EN-PROVENCE (ch. 1-4), 11 janvier 2024
Pays : France
Juridiction : Aix-en-Provence (CA), ch. 1 - 4
Demande : 22/16048
Date : 11/01/2024
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 2/12/2022
Référence bibliographique : 6302 (architecte, clause d’avis ordinale)
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CERCLAB - DOCUMENT N°

CA AIX-EN-PROVENCE (ch. 1-4), 11 janvier 2024 : RG n° 22/16048 

Publication : Judilibre

 

Extrait : « L'article 122 du code de procédure civile dispose que « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. Il résulte des articles 122 et 124 du code de procédure civile que les fins de non-recevoir ne sont pas limitativement énumérées.  La jurisprudence considère que la clause de conciliation préalable insérée dans un contrat d'architecte, qui stipule qu'en cas de litige, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes, avant toute procédure judiciaire, institue une procédure de conciliation, obligatoire et préalable à la saisine du juge ; le défaut de mise en œuvre de cette clause constitue une fin de non-recevoir et la situation n'est pas susceptible d'être régularisée par la mise en œuvre de la clause en cours d'instance. (Civ. 3ème, 16 novembre 2017, pourvoi n° 1624.642, B. III, n°123 ; Civ. 3ème, 18 décembre 2013, pourvoi n° 12-18.439, Bull. 2013, III, n° 169).

En l'espèce, le contrat d'architecte du 17 février 2016 prévoit qu’« en cas de différend portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisie le Conseil Régional de l'Ordre des Architectes dont relève l'architecte, avant toute procédure judiciaire ».

Il n'est pas contesté que Monsieur X. n'a pas saisi le conseil régional de l'ordre des architectes préalablement à l'introduction de l'instance devant le juge des référés.

Cependant, la jurisprudence considère que toute personne qui justifie d'un intérêt légitime au succès d'une prétention peut introduire une instance en référé et il appartient au juge des référés de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée d'un prétendu défaut de qualité du demandeur en référé, que la contestation de cette qualité par la partie adverse soit ou non sérieuse ; viole donc les articles 31 et 122 la cour d'appel déclarant la formation de référé incompétente au motif que la qualité du demandeur à agir en justice, contestée par la défense, touche au fond du droit (Cass., soc. 22 juin 1993, n°91-40.736 P).

Il s'évince de cette jurisprudence que le juge des référés devait donc examiner la fin de non-recevoir invoquée par Monsieur M. au titre de la clause de saisine préalable du conseil de l'ordre des architectes sans que puisse lui être reproché d'avoir examiné des contestations sérieuses.

Par ailleurs, cette clause est exclue lorsque la responsabilité du maître d’œuvre est recherchée sur le fondement de l'article 1792 du code civil, ce qui est le cas des demandes provisionnelles des époux X.

En outre, il a été jugé au visa des articles L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation, R. 132-2, 10°, devenu R. 212-2, 10°, et R. 632-1 du même code que la clause, qui contraint le consommateur, en cas de litige avec un professionnel, à recourir obligatoirement à un mode alternatif de règlement des litiges avant la saisine du juge, est présumée abusive, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, de sorte qu'il appartient au juge d'examiner d'office la régularité d'une telle clause (Civ., 1ère,16 mai 2018, pourvoi n° 17-16.197 ; Civ., 3ème, 19 janvier 2022, pourvoi n° 21-11.095 ; Civ., 3ème, 11 mai 2022, pourvoi n°21-15.420).

Or, Monsieur M. ne démontre pas que la clause de saisine préalable de l'ordre des architectes n'a pas un caractère abusif. C'est donc à juste titre que le premier juge a déclaré l'action de Monsieur X. recevable. »

 

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

CHAMBRE 1-4

ARRÊT DU 11 JANVIER 2024

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 22/16048. N° Portalis DBVB-V-B7G-BKNSA. ARRÊT AU FOND. Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Président du TJ de GRASSE en date du 8 novembre 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/00707.

 

APPELANTS :

Monsieur M.

demeurant [Adresse 7], représenté par Maître Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Maître Benjamin DERSY de la SARL CINERSY, avocat au barreau de NICE substituée par Maître Laure SAMMUT, avocat au barreau de NICE

Société MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS - MAF

demeurant [Adresse 5], représenté par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Maître Benjamin DERSY de la SARL CINERSY, avocat au barreau de NICE substituée par Maître Laure SAMMUT, avocat au barreau de NICE

 

INTIMÉS :

Monsieur X.

né le [date] à [Localité 8], demeurant [Adresse 6], représenté par Maître Sébastien BADIE de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Maître Sandra JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Maître Danielle SMOLDERS de la SAS DGFLA2, avocat au barreau de PARIS

Madame Y. épouse X.

née le 17 Janvier 1962 à, demeurant [Adresse 6]

représenté par Maître Sébastien BADIE de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Maître Sandra JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Maître Danielle SMOLDERS de la SAS DGFLA2, avocat au barreau de PARIS

SAS BOUYGUES BATIMENT SUD-EST

demeurant [Adresse 4], représentée par Maître Alain DE ANGELIS de la SCP DE ANGELIS-SEMIDEI-VUILLQUEZ-HABART-MELKI-BARDON, avocat au barreau de MARSEILLE substitué à l'audience par Maître Ellie DELHAYE, avocate au barreau de MARSEILLE

SA ALLIANZ IARD

ès qualités d'assureur décennal de la société BOUYGUES BATIMENT SUD EST, demeurant [Adresse 2], représentée par Maître Alain DE ANGELIS de la SCP DE ANGELIS-SEMIDEI-VUILLQUEZ-HABART-MELKI-BARDON, avocat au barreau de MARSEILLE substitué à l'audience par Me Ellie DELHAYE, avocate au barreau de MARSEILLE

SAS QUALICONSULT

demeurant [Adresse 1], représentée par Maître Pierre-Yves IMPERATORE de la SELARL BOULAN-CHERFILS-IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Maître Françoise BOULAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et ayant pour avocat plaidant Maître Stéphane LAUNEY, avocat au barreau de PARIS

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 8 Novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Véronique MÖLLER, Conseillère, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Inès BONAFOS, Présidente, Mme Véronique MÖLLER, Conseillère, M. Adrian CANDAU, Conseiller.

Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 janvier 2024.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

ARRÊT :

FAITS, PROCÉDURES, PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Monsieur X. a confié la rénovation et l'extension de la villa « [9] » située [Adresse 3] à [Localité 10] à la société Bouygues Bâtiment Sud-Est, assurée auprès de la société Allianz Iard, suivant contrat en date du 1er mars 2016, moyennant un prix forfaitaire de 2.500.000,00 € TTC.

La société Bouygues Bâtiment Sud-Est a sous-traité différents lots à d'autres entreprises.

Monsieur M., assuré auprès de la MAF, est intervenu en qualité de maître d'œuvre avec mission complète selon plusieurs contrats daté du 20 septembre 2013, 12 août 2013, 17 février 2016, 05 septembre 2016 et la société Qualiconsult, assurée par la SMA, s'est vue confier une mission de contrôleur technique.

La réception des travaux est intervenue le 10 août 2017 avec des réserves qui étaient levées le 10 mai 2018.

Cependant, à compter du mois de septembre 2018, Monsieur X. a déploré des désordres d'infiltrations d'eau récurrentes dans les parties inférieures de la villa, d'abord en rez-de-jardin, puis en rez-de-chaussée, qu'il a fait constater par huissier (constats des 21 mai et 5 juin 2019) et qu'il a dénoncé à la société Bouygues Bâtiment Sud-Est.

Une expertise amiable était alors entreprise par Monsieur K., mandaté par Allianz. Reprochant à cet expert de préconiser des travaux de nettoyage et d'embellissement, Monsieur X. faisait également intervenir Monsieur J. qui dénonçait la non-conformité de l'étanchéité.

Se plaignant de l'aggravation de ces désordres, ainsi que d'autres désordres, Monsieur X. a obtenu, par ordonnance de référé en date du 3 mars 2023, la désignation de Monsieur Z. en qualité d'expert judiciaire.

Les opérations d'expertise ont été déclarées communes et opposables à d'autres intervenants et à leurs assureurs par ordonnances du 1er septembre 2020, 23 novembre 2021 et 15 février 2022.

En cours d'expertise, Monsieur X. a sollicité, en référé, la condamnation de la société Bouygues Bâtiment Sud-Est, de Monsieur M. et de leurs assureurs, à lui payer la somme provisionnelle de 500.000euros ainsi que l'extension de la mission de l'expert à l'installation d'eau chaude sanitaire dont les performances seraient insuffisantes (temps de remplissage des baignoires trop long, pression trop élevée).

Par ordonnance en date du 8 novembre 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Grasse a :

- déclaré l'action de Monsieur X. recevable,

 -condamné la société Bouygues Bâtiment Sud-Est, la société Allianz Iard, Monsieur M. et la MAF in solidum à payer à Monsieur X. la somme provisionnelle de 150.000 euros,

- débouté la société Bouygues Bâtiment Sud-Est, la société Allianz Iard, Monsieur M. et la MAF de leurs demandes de garantie,

- étendu la mission précédemment confiée à Monsieur Z. aux désordres et non-conformités concernant l'installation d'eau chaude sanitaire visés dans le rapport établi par Monsieur W. le 19 janvier 2022, soit une insuffisance des performances de l'installation (temps de remplissage des baignoires trop long, pression trop élevée)

- condamné la société Bouygues Bâtiment Sud-Est, la société Allianz Iard, Monsieur M. et la MAF aux dépens,

- débouté chacune des parties de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

[*]

Par déclaration d'appel enregistrée au greffe le 2 décembre 2022, Monsieur M. et la MAF ont interjeté appel de cette ordonnance contre Monsieur X., la société Bouygues Bâtiment Sud-Est, la SA Allianz Iard, et la société Qualiconsult, en ce qu'elle a :

Déclaré l'action de Monsieur X. recevable,

Condamné la société BOUYGUES BATIMENT SUD EST, la société ALLIANZ IARD, Monsieur M. et la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS, in solidum, à payer à Monsieur X. la somme provisionnelle de 150.000,00 euros,

Débouté la société BOUYGUES BATIMENT SUD EST, la société ALLIANZ IARD, Monsieur M. et la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS de leurs demandes de garantie,

Condamné la société BOUYGUES BATIMENT SUD EST, la société ALLIANZ IARD, Monsieur M. et la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS aux dépens, Débouté chacune des parties de sa demande formée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Débouté Monsieur M. et la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS de toutes leurs demandes et notamment celles tendant à :

JUGER que Monsieur X. n'a pas respecté la clause obligatoire de saisine préalable du Conseil Régional de l'Ordre des Architectes prévue à son contrat ;

JUGER l'action de Monsieur X. irrecevable ;

DEBOUTER Monsieur X. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la MAF et de Monsieur M. ;

A titre principal,

JUGER que la responsabilité de Monsieur M. n'est pas établie ;

JUGER qu'il existe une contestation sérieuse quant à l'imputabilité des responsabilités ;

JUGER qu'il existe une contestation sur le quantum sollicité par Monsieur X.

JUGER qu'il existe des contestations sérieuses faisant obstacle à l'octroi d'une provision

En conséquence,

DEBOUTER Monsieur X. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la MAF et de Monsieur M. ;

DEBOUTER la société BOUYGUES BATIMENT SUD-EST et son assureur ALLIANZ de toutes demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la MAF et de Monsieur M. ;

A titre subsidiaire,

JUGER que la responsabilité de BOUYGUES BATIMENT SUD-EST est engagée ; CONDAMNER la société BOUYGUES BA TIMENTSUD-EST et son assureur ALLIANZ à relever et garantir Monsieur M. de toutes condamnations éventuellement prononcées à son encontre ;

A titre infiniment subsidiaire,

REDUIRE à de plus justes proportions les sommes réclamées par Monsieur X. ; En tout état de cause,

CONDAMNER Monsieur X. au paiement de la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance.

L'affaire était enregistrée au répertoire général sous le RG n° 22/16048.

Le président de la chambre 1-4 a, en application de l'article 905 du code de procédure civile, fixé une date d'appel de l'affaire à bref délai à l'audience du 20 septembre 2023, par avis en date du 04 avril 2023.

Un nouvel avis de fixation de l'affaire à bref délai était adressé aux parties le 12 juin 2023, fixant une date d'appel de l'affaire à l'audience du 08 novembre 2023, avec une clôture le même jour.

Cet avis était signifié par l'appelant le 12 juin 2023 aux intimés.

Les parties ont exposé leur demande ainsi qu'il suit, étant rappelé qu'au visa de l'article 455 du code de procédure civile, l'arrêt doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens :

[*]

Monsieur M. et la Mutuelle des Architectes Français (la MAF) (conclusions d'appelants n°3 notifiées par la voie électronique le 30 juin 2023) sollicitent de la cour de :

Vu l'article 835 du code de procédure civile,

Vu l'article 1792 du Code civil,

Vu les articles 1240 et suivants du code de procédure civile,

INFIRMER l'ordonnance de référé du 8 novembre 2022 en ce qu'elle a :

- Déclaré l'action de Monsieur X. recevable ;

- Condamné Monsieur M. et la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS, in solidum, à payer à Monsieur X. la somme provisionnelle de 150.000 € ;

- Débouté Monsieur M. et la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS de leurs demandes en garantie ;

- Condamné Monsieur M. et la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS aux dépens.

Et, statuant nouveau ;

A titre liminaire, sur l'irrecevabilité des demandes de Monsieur X.

JUGER que Monsieur X. n'a pas respecté la clause obligatoire de saisine préalable du Conseil Régional de l'Ordre des Architectes prévue à son contrat.

JUGER l'action de Monsieur X. irrecevable.

A titre principal,

JUGER que la responsabilité de Monsieur M. n'est pas établie.

JUGER qu'il existe une contestation sérieuse quant à l'imputabilité des responsabilités.

JUGER qu'il existe une contestation sur le quantum sollicité par Monsieur X.

JUGER qu'il existe des contestations sérieuses faisant obstacle à l'octroi d'une provision.

DEBOUTER Monsieur X. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la MAF et de Monsieur M.

DEBOUTER la société BOUYGUES BATIMENT SUD-EST et son assureur ALLIANZ de toutes demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la MAF et de Monsieur M.

A titre subsidiaire,

JUGER que la responsabilité de BOUYGUES BATIMENT SUD-EST est engagée.

CONDAMNER la société BOUYGUES BATIMENT SUD-EST et son assureur ALLIANZ à relever et garantir Monsieur M. et la MAF de toutes condamnations éventuellement prononcées à son encontre.

A titre infiniment subsidiaire,

REDUIRE à de plus justes proportions les sommes réclamées par Monsieur X.

En tout état de cause,

REJETER les appels en garantie formulés par la société QUALICONSULT et BOUYGUES BATIMENT SUD-EST à l'encontre de Monsieur M. et de la MAF.

CONDAMNER Monsieur X. à payer aux appelants une somme de 3.000 € chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, distraits au profit de Maître MAGNAN, avocat.

Au soutien de leurs conclusions, Monsieur M. et la MAF reprochent au juge des référés d'avoir écarté la clause de saisine préalable du conseil de l'Ordre des architectes et d'avoir tranché, de ce fait, deux contestations sérieuses : le caractère abusif de la clause et analysé le caractère décennal des désordres, ce qui excède ses compétences.

Ils font le même reproche concernant l'allocation d'une provision alors que la qualification des désordres relève du fond, que la cause n'était pas déterminée et de s'être contredit en considérant que l'expert avait déterminé l'origine des désordres liés à l'étanchéité tout en retenant l'absence de conclusions définitives de l'expert.

Ils ajoutent que la cause des désordres n'a pas encore été déterminée par l'expert, en particulier la nature de l'eau à l'origine des infiltrations (eau potable ou eau de pluie) et qu'il existerait un doute quant à l'existence d'un lien de causalité entre les infiltrations et les travaux de rénovation confiés à Monsieur M. Or, l'étanchéité extérieure n'aurait pas été modifiée.

Ils contestent le montant de la provision allouée alors que la demande n'était justifiée ni dans son principe ni dans son quantum ainsi que la mobilisation de la garantie de la responsabilité décennale qui n'a pas vocation à prendre en charge les préjudices immatériels.

[*]

La société Bouygues Bâtiment Sud-Est et la SA Allianz Iard en sa qualité d'assureur décennal de la société Bouygues Bâtiment Sud-Est (conclusions d'intimés n°2, notifiées par la voie électronique le 03 juillet 2023) sollicitent de :

Vu les articles 245 et 867 du Code de procédure civile,

Vu l'article 835 du Code de procédure civile,

Vu l'article 1240 du Code civil,

Vu l'article 1792 du Code civil,

INFIRMER l'ordonnance de référé du Tribunal judiciaire de GRASSE du 8 novembre 2022 en ce qu'elle a :

- Déclaré l'action de Monsieur X. recevable,

- Condamné in solidum la société BOUYGUES BATIMENT SUD EST et la société ALLIANZ IARD à payer à Monsieur X. la somme de 150.000 euros,

- Débouté la société BOUYGUES BATIMENT SUD EST et la société ALLIANZ IARD de ses appels en garantie,

- Condamné la société BOUYGUES BATIMENT SUD EST et la société ALLIANZ IARD aux dépens.

Et statuant à nouveau :

JUGER que les demandes de condamnation provisionnelle formulées par Monsieur X. s'opposent à des contestations sérieuses formulées par la société BOUYGUES

BATIMENT SUD EST et la société ALLIANZ IARD quant à l'imputabilité des responsabilités, quant au quantum et frais allégués.

DEBOUTER Monsieur X. de sa demande de condamnation provisionnelle à hauteur de 500.000 euros eu égard aux contestations sérieuses.

DEBOUTER Monsieur X. et Madame X. de leurs demandes de condamnation provisionnelle additionnelle de 450.000 euros.

REJETER l'intégralité des demandes formulées par Monsieur X., la société QUALICONSULT, [A] M. et la société MAF et tout autre concluant à l'encontre de la société BOUYGUES BATIMENT SUD EST et de la société ALLIANZ IARD

A titre subsidiaire,

Si par extraordinaire, il était fait droit aux demandes de Monsieur X.,

CONDAMNER Monsieur M., la société MUTUELLE FRANÇAIS DES ARCHITECTES (MAF) et la société QUALICONSULT à relever et garantir la société BOUYGUES BATIMENT SUD EST et de la société ALLIANZ IARD de l'intégralité des éventuelles condamnations prononcées à leur encontre.

En tout état de cause,

ACTER de la demande de Monsieur [D] et Madame [G] X. de confirmation de l'ordonnance du 8 novembre 2022.

REJETER l'intégralité des demandes formulées à l'encontre de la société BOUYGUES BATIMENT SUD EST et de la société ALLIANZ IARD.

REJETER les appels en garantie formulés par la société MAF, Monsieur M. et la société

QUALICONSULT.

CONDAMNER Monsieur X. et tout autre succombant à verser à la société BOUYGUES BATIMENT SUD EST et à la société ALLIANZ IARD, la somme de 3.000 euros

au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

CONDAMNER Monsieur X. et tout autre succombant aux entiers dépens.

Au soutien de leurs conclusions, la société Bouygues Bâtiment Sud-Est et Allianz reprochent au juge des référés d'avoir fait droit à la demande de provision alors que les opérations d'expertise judiciaire sont en en cours, qu'elles ont d'ailleurs été étendues à d'autres désordres et à d'autres intervenants. Selon eux, en l'état de ces opérations, ni le quantum ni les imputabilités ne sont établies et le juge des référés a donc dépassé ses compétences en faisant droit à la demande de provision de manière prématurée. En outre, ils reprochent d'avoir fixé la provision de manière forfaitaire ce qui n'est pas autorisé selon la jurisprudence de la cour de cassation.

La société Bouygues Bâtiment Sud-Est et Allianz reprochent à l'ordonnance entreprise son caractère contradictoire en ce que le premier juge a relevé que la demande de provision était « manifestement prématurée ». L'octroi d'une telle provision ferait perdre de son intérêt à la mesure d'expertise judiciaire en cours.

Ils considèrent également que le juge n'est pas compétent pour statuer sur le caractère décennal des désordres, que l'imputabilité des désordres n'est pas établie à ce stade alors qu'il s'agit d'une condition de mise en 'uvre de la responsabilité décennale. Le juge des référés aurait aussi inversé la charge de la preuve en jugeant que la société Bouygues Bâtiment Sud-Est, Monsieur M. et leurs assureurs ne démontraient pas que les désordres ne leur étaient pas imputables. La société Bouygues Bâtiment Sud-Est et Allianz prétendent, au contraire, que les imputabilités n'ont pas encore été abordées par l'expertise judiciaire et que certains éléments permettraient d'exclure la responsabilité de l'entreprise générale. En particulier, l'absence de préconisation d'un vide sanitaire et de toute barrière étanche pourraient être analysées comme un défaut de conception et des investigations sont en cours pour analyser la provenance de venues d'eau en rez-de-jardin.

La société Bouygues Bâtiment Sud-Est et Allianz font valoir que l'estimation des travaux de reprise est en cours d'expertise et que Monsieur X. ne formulait pas de demande précise. Les frais dont il se prévaut seraient essentiellement fondées sur des préjudices immatériels, sans lien avec les opérations d'expertise ou ne sont pas justifiées.

[*]

Monsieur X. et Madame Y. épouse X. (conclusions d'intimé et d'intervenant volontaire notifiées par la voie électronique le 03 juillet 2023) sollicitent de :

Vu l'article 835 du Code de procédure civile,

Vu les articles 1792 et suivants du Code civil,

Recevoir Madame Y. épouse X. en son intervention volontaire, et la déclarer recevable ;

Confirmer l'ordonnance du 8 novembre 2022 en ce qu'elle a déclaré l'action de Monsieur X. recevable et condamne in solidum la société Bouygues Bâtiment Sud-Est, son assureur Allianz IARD, Monsieur M., son assureur Mutuelle des Architectes Francais, à payer à Mr X. une somme provisionnelle de 150.000 euros ;

Statuant à nouveau,

LA REFORMER :

Condamner in solidum la société Bouygues Bâtiment Sud-Est, son assureur Allianz IARD, Monsieur M., son assureur Mutuelle des Architectes Français, à payer à Mr X. et à Madame Y. épouse X. une somme provisionnelle additionnelle de 450.000 euros ;

En tout état de cause :

Les condamner in solidum à payer à Mr X. et à Madame Y. une somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Les condamner in solidum aux dépens.

Les époux X. concluent d'abord à la recevabilité de leur demande dès lors que la clause de saisine de l'ordre des architectes ne s'applique pas pour les actions fondées sur l'article 1792 du code civil. En outre, Monsieur X. fait valoir qu'il a qualité à agir en ce qu'il est propriétaire indivis avec son épouse, intervenante volontaire, et maître d'ouvrage.

Les époux X. font ensuite valoir que les causes des désordres ont été identifiées ainsi que les travaux de réparation sans que la société Bouygues Bâtiment Sud-Est ne les conteste, pas plus qu'elle n'aurait contesté les causes ou les responsabilités des désordres.

Ils exposent que la consultation des entreprises de leur expert, Monsieur [N], aboutit à un chiffrage des travaux à hauteur de 777.655,86 euros TTC pour les seuls travaux de reprise du rez-de-jardin, sans la reprise du réseau d'eau chaude sanitaire ni la reprise du fonctionnement des volets roulant, ce qui ne suffira pas compte tenu des réparations additionnelles pour d'autres désordres tels que ceux affectant le mur de soutènement. Ils ajoutent que les désordres affectant le réseau d'eau chaude sanitaire ont aussi été constatés par l'expert (débits non-conformes) et que leur réparation doit s'ajouter au coût des travaux de reprise.

Ils exposent que certains travaux conservatoires étaient pourtant compris dans les travaux que la société Bouygues Bâtiment Sud-Est devait réaliser.

Les époux X. font aussi valoir les préjudices importants qu'ils subissent depuis la réception de l'ouvrage, en particulier le préjudice de jouissance, le manque à gagner locatif ainsi que les frais qu'ils ont été contraints d'engager au titre des travaux de reprise et pour faire valoir leurs droits (huissier, experts).

Ils considèrent que la responsabilité de la société Bouygues Bâtiment Sud-Est et de Monsieur M. étant une responsabilité de plein droit, les éléments issus de l'expertise sont suffisants pour statuer en référé et les constructeurs responsables en application de l'article 1792 du code civil ne peuvent opposer le bénéfice de division ou l'absence de partage des responsabilités.

Selon les époux X., ces derniers doivent la réparation de l'intégralité du préjudice sans que la clôture de l'expertise judiciaire constitue un préalable obligatoire à l'allocation d'une indemnité provisionnelle à valoir sur les préjudices.

[*]

La société Qualiconsult (conclusions d'intimée n°2 notifiées par la voie électronique le 5 mai 2023 et le 6 juin 2023 à Madame Y.) sollicite de :

Vu l'article 835 du Code de Procédure Civile,

Vu l'article 1240 du Code Civil,

Vu l'article L 124-3 du Code des Assurances,

CONFIRMER l'ordonnance de référé querellée en ce qu'elle a débouté les sociétés BOUYGUES BATIMENT SUD EST et ALLIANZ IARD de leur demande garantie formulée

à l'encontre de la société QUALICONSULT.

Et statuant à nouveau,

DIRE ET JUGER que la demande de provision de Monsieur X. se heurte à des contestations sérieuses ;

DIRE n'y avoir lieu à statuer sur la demande de provision et inviter Monsieur X.

à mieux se pourvoir ;

En conséquence,

REJETER toute demande pécuniaire et/ou tout appel en garantie dirigé l'encontre de la société

QUALICONSULT.

A TITRE SUBSIDIAIRE, dans l'hypothèse où la Cour réformerait l'ordonnance de référé rendue en première instance,

CONDAMNER in solidum la société BOUYGUES BATIMENT SUD EST, son assureur ALLIANZ, Monsieur M. et la MAF à garantir et relever indemne la société QUALICONSULT de toutes condamnations qui seraient prononcées à leur encontre. En tout état de cause,

CONDAMNER in solidum Monsieur X. et toutes parties succombantes à payer à la société QUALICONSULT la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 et aux entiers dépens de l'instance, ceux d'appel distraits au profit de la SELARL LEXAVOUE AIX EN PROVENCE, Avocats associés, aux offres de droit.

Au soutien de ses prétentions, la société Qualiconsult conclut que c'est à bon droit que le juge des référés a débouté la société Bouygues Bâtiment Sud-Est et son assureur de leurs recours en garantie à son encontre compte tenu de la spécificité de la responsabilité du contrôleur technique dont la faute nécessite une analyse approfondie du contrat (article L. 125-1 du code de la construction et de l'habitation) et dont l'activité serait incompatible avec l'exercice de toute activité de conception, d'exécution ou d'expertise d'un ouvrage (article L. 125-3 du même code ). Cette société rappelle qu'en sa qualité de contrôleur technique, elle ne disposait d'aucun pouvoir coercitif pour contraindre les entreprises à donner la suite qu'il convenait à ses avis, qu'elle ne pouvait se substituer au maître d''uvre, qu'elle n'est pas tenue de participer aux réunions de chantier et n'intervient en phase chantier que par examen visuel à l'occasion de visites ponctuelles.

La société Qualiconsult considère que la question de la répartition des responsabilités entre les constructeurs relève de la compétence du juge du fond et que le premier juge a justement jugé que la société Bouygues Bâtiment Sud-Est et Allianz ne démontraient pas en quoi les désordres étaient en lien avec la mission de contrôle technique. Elle considère que le recours en garantie de la société Bouygues Bâtiment Sud-Est et Allianz n'est pas davantage motivé en cause d'appel.

La société Qualiconsult conclut néanmoins que l'expertise judiciaire étant toujours en cours, la condition de l'évidence requise au stade du référé pour allouer une provision n'est pas constituée. En effet, selon elle, les causes et origines des désordres ne sont pas déterminées, ni par conséquence les imputabilités. Il en va de même en ce qui concerne les travaux réparatoires. En tout état de cause, la société Qualiconsult fait valoir que les désordres allégués n'entreraient pas dans le périmètre de sa mission LP portant sur la solidité de l'ouvrage et les défauts d'étanchéité n'en feraient pas partie. Enfin, elle conclut que l'expertise judiciaire n'a pas permis d'établir que les infiltrations litigieuses avaient pour cause ou conséquence une atteinte à la solidité de l'ouvrage.

L'affaire a été retenue à l'audience du 08 novembre 2023 et mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 11 janvier 2024.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

Sur l'intervention volontaire de Madame Y. épouse X. :

Conformément aux dispositions de l'article 554 du code de procédure civile, il y a lieu de recevoir l'intervention volontaire de Madame Y. épouse X. en sa qualité de propriétaire indivise de l'immeuble litigieux avec Monsieur X. (voir leurs pièces n°72 et 72b).

 

Sur la clause de saisine préalable du conseil régional de l'ordre des architectes :

L'article 122 du code de procédure civile dispose que « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Il résulte des articles 122 et 124 du code de procédure civile que les fins de non-recevoir ne sont pas limitativement énumérées.

La jurisprudence considère que la clause de conciliation préalable insérée dans un contrat d'architecte, qui stipule qu'en cas de litige, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes, avant toute procédure judiciaire, institue une procédure de conciliation, obligatoire et préalable à la saisine du juge ; le défaut de mise en œuvre de cette clause constitue une fin de non-recevoir et la situation n'est pas susceptible d'être régularisée par la mise en œuvre de la clause en cours d'instance. (Civ. 3ème, 16 novembre 2017, pourvoi n° 1624.642, B. III, n°123 ; Civ. 3ème, 18 décembre 2013, pourvoi n° 12-18.439, Bull. 2013, III, n° 169).

En l'espèce, le contrat d'architecte du 17 février 2016 prévoit qu’« en cas de différend portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisie le Conseil Régional de l'Ordre des Architectes dont relève l'architecte, avant toute procédure judiciaire ».

Il n'est pas contesté que Monsieur X. n'a pas saisi le conseil régional de l'ordre des architectes préalablement à l'introduction de l'instance devant le juge des référés.

Cependant, la jurisprudence considère que toute personne qui justifie d'un intérêt légitime au succès d'une prétention peut introduire une instance en référé et il appartient au juge des référés de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée d'un prétendu défaut de qualité du demandeur en référé, que la contestation de cette qualité par la partie adverse soit ou non sérieuse ; viole donc les articles 31 et 122 la cour d'appel déclarant la formation de référé incompétente au motif que la qualité du demandeur à agir en justice, contestée par la défense, touche au fond du droit (Cass., soc. 22 juin 1993, n°91-40.736 P).

Il s'évince de cette jurisprudence que le juge des référés devait donc examiner la fin de non-recevoir invoquée par Monsieur M. au titre de la clause de saisine préalable du conseil de l'ordre des architectes sans que puisse lui être reproché d'avoir examiné des contestations sérieuses.

Par ailleurs, cette clause est exclue lorsque la responsabilité du maître d’œuvre est recherchée sur le fondement de l'article 1792 du code civil, ce qui est le cas des demandes provisionnelles des époux X.

En outre, il a été jugé au visa des articles L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation, R. 132-2, 10°, devenu R. 212-2, 10°, et R. 632-1 du même code que la clause, qui contraint le consommateur, en cas de litige avec un professionnel, à recourir obligatoirement à un mode alternatif de règlement des litiges avant la saisine du juge, est présumée abusive, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, de sorte qu'il appartient au juge d'examiner d'office la régularité d'une telle clause (Civ., 1ère,16 mai 2018, pourvoi n° 17-16.197 ; Civ., 3ème, 19 janvier 2022, pourvoi n° 21-11.095 ; Civ., 3ème, 11 mai 2022, pourvoi n°21-15.420).

Or, Monsieur M. ne démontre pas que la clause de saisine préalable de l'ordre des architectes n'a pas un caractère abusif.

C'est donc à juste titre que le premier juge a déclaré l'action de Monsieur X. recevable.

 

Sur la demande de provision :

L'article 835 du même code dans sa version applicable en l'espèce dispose quant à lui que :

« Le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire ».

Selon l'article 1792 du code civil : « Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère ».

En l'espèce, les époux X. sollicitent la confirmation de l'ordonnance de référé en ce qu'elle a condamné in solidum la société Bouygues Bâtiment Sud-Est, son assureur Allianz, Monsieur M. et son assureur la MAF à payer une somme provisionnelle de 150.000 euros. Ils sollicitent de réformer cette ordonnance et de condamner les mêmes in solidum à leur payer une provision additionnelle de 450.000euros.

Il s'évince des comptes-rendus de l'expertise judiciaire en cours que :

- les désordres d'infiltrations d'humidité en rez-de-jardin dénoncés par les époux X. ont été constatés ; les sondages destructifs ont mis en évidence l'absence de vide sanitaire sous le dallage, l'absence de cuvelage et/ou traitement étanche du dallage, l'absence de système de drainage sous le dallage, l'absence de traitement du mur béton,

- les causes des désordres situés sous la terrasse au-dessus du rez-de-chaussée ont été identifiés à l'aide de sondages destructifs, à savoir une insuffisance des relevés d'étanchéité et l'absence d'engravure, l'évacuation par simple fente d'un tuyau en PVC déformé, un niveau de trop plein de la terrasse mis en place trop haut ; ces désordres ont aussi fait l'objet de constatations de l'expert,

- d'autres désordres ont également été constatés (les poteaux de la pergola, le revêtement des façades, le dysfonctionnement de la baie vitrée du salon, le dysfonctionnement de la cheminée à gaz et de l'ouverture du portail, les difficultés de fermeture de certaines portes fenêtres et la défectuosité du fonctionnement de certains volets roulants, le débit des robinets de remplissage des baignoires insuffisant, des traces d'infiltrations sur l'enduit de soubassement de la piscine).

L'expert judiciaire conclut que les pathologies rencontrées relèvent d'une absence et/ou d'un défaut de drainage et de cuvelage du dallage du garage sur un terre-plein aménagé en pièce habitable, favorisant les remontées d'eau par capillarité (voir le compte-rendu d'accedit technique du 21 janvier 2021).

A l'issue de sondages destructifs, de nombreuses malfaçons et non-conformités ont été mises en évidence (membrane d'étanchéité coupée, isolant extrudé non conforme, présence d'eau sous chape, caniveau en PVC replié et inopérant, relevés d'étanchéité absents ou de faible hauteur). L'expert judiciaire conclut, sur la base des investigations de la société Auditech Consulting intervenue comme sapiteur, à la nécessité d'une reprise en totalité de la terrasse incriminée (constatations du 22 novembre 2021). Des pré-conclusions de l'expert judiciaire du 08 décembre 2021, il résultait que les désordres liés à l'étanchéité (désordre n°2 : terrasse 1er étage, et désordre n°1 : infiltrations d'eau et dommages constatés au niveau rez-de-jardin) étaient confirmés et n'avaient pas fait l'objet de reprise (voir la pièce n°55f des époux X.).

Dans le compte-rendu de l'accedit n°4 du jeudi 07/04/2022, l'expert judiciaire indiquait, sur l'examen des projets de DCE établis par la société LD Ingénierie (pièces des époux X.) que, pour le désordre n°1 :

- la reprise du mur arrière ne se justifie pas,

- il ne savait pas à quoi correspondent les forfaits d'installation et d'études systématiquement appliqués à chaque poste du devis estimatif,

-les estimations de certains lots lui semblaient particulièrement élevées, notamment en raison de doublons de prestations entre fournitures et récupérations de matériaux et du niveau des prestations et des matériaux.

Pour le désordre n° 2, l'expert judiciaire n'avait pas de commentaire sur le niveau des prix unitaires.

Les éléments recueillis à ce stade de l'expertise corroborent, de manière indubitable, le caractère décennal des désordres n°1 : infiltrations d'eau et dommages constatés au niveau rez-de-jardin et n°2 : terrasse 1er étage. Les constatations de l'expert (voir notamment les photographies des infiltrations) démontrent leur gravité en ce que l'habitabilité de certaines parties de l'immeuble (rez-de-jardin et rez-de-chaussée) est compromise par l'importance des remontées d'humidité.

Les causes de ces désordres sont également identifiées, à savoir essentiellement la défaillance de l'étanchéité, l'absence de drainage.

En tout état de cause, la détermination des causes des désordres est sans incidence sur le droit à réparation des victimes invoquant l'article 1792. La question de savoir si les infiltrations proviennent d'eaux de pluie ou d'eau potable ne constitue donc pas une contestation sérieuse à la mise en œuvre de la garantie légale.

Ces désordres sont imputables aux travaux mentionnés dans le marché de travaux confié à la société Bouygues Bâtiment Sud-Est, à savoir notamment :

- lot n°3 « Etanchéité », en particulier terrasse sud rez-de-chaussée, relevé, chéneaux d'évacuation des eaux pluviales,

- lot n°14 « Ravalement de façades », notamment façade sud au droit de la terrasse piscine, murs de soutènement en partie est et ouest, de manière générale tous murs en relation direct avec la villa (toutes les façades),

- lot n°17 « Réseaux et aménagements extérieurs », le marché prévoit notamment le drainage des eaux de surface et précise « réseau existant conservé, état à vérifier conformément au CCTP Art.3.4.1.3 » (la teneur de cet article n'a pas pu être vérifiée car il ne figure pas dans le CCTP du lot n°17 produit aux débats), drainage des eaux de pluie derrière la villa.

Les désordres sont aussi imputables à Monsieur M. compte tenu des missions dont il avait la charge, à savoir, notamment :

- la conception détaillée du projet, dont les plans d'étanchéité,

- le contrôle des travaux : vérification de la qualité des travaux réalisés, de leur conformité avec les plans et le cahier des charges,

- la supervision des travaux.

Or, la garantie décennale crée un régime de responsabilité de plein droit qui profite aux bénéficiaires de la garantie légale et instaure une présomption d'imputabilité aux débiteurs de la garantie légale. Ainsi, dès lors que l'imputabilité est établie à l'encontre de la société Bouygues Bâtiment Sud Est et de Monsieur M. au titre des mêmes désordres, l'existence d'une obligation indemnitaire au bénéfice du maître d'ouvrage ou des propriétaires de l'immeuble n'est pas sérieusement contestable et justifie que leur responsabilité décennale soit retenue in solidum.

L'intervention d'autres entreprises à l'acte de construire, en particulier les sous-traitants de la société Bouygues Bâtiment Sud Est ainsi que les bureaux d'étude, ne remet pas en cause la responsabilité décennale de plein droit de l'entreprise générale et de l'architecte. Il appartiendra à ces derniers d'exercer leurs recours à l'encontre des différents intervenants pour déterminer la répartition finale de la dette en fonction de l'importance de la faute de chacun. De même, il appartiendra à la société Bouygues Bâtiment Sud Est et à Monsieur M. d'exercer leurs recours entre eux selon que les désordres résultent de défauts de conception ou d'exécution.

En outre, la jurisprudence admet qu'une provision peut être allouée même si le montant de l'obligation est encore sujet à controverse, dès lors que le principe même de l'obligation n'est pas sérieusement contestable (Cass. com., 11 mars 2014 n°13-13.304). Il s'en suit que c'est à juste titre que le juge des référés a statué sur la demande provisionnelle de Monsieur X.

Certes, sur le quantum de la provision, il apparaît, en effet, que l'expert judiciaire ne s'est pas encore prononcé, sauf à dire ce qui a été précisé plus haut sur le compte-rendu de l'accedit n°4 du jeudi 07/04/2022. En outre, la profusion des conclusions des époux X. et de leurs pièces permet difficilement d'avoir une vision synthétique du montant des travaux de reprise pour les désordres retenus comme relevant de la responsabilité décennale et l'expert judiciaire en est à ce stade de ses investigations.

Néanmoins, en application de l'article 4 du code civil, le juge ne peut refuser d'évaluer un dommage dont il constate l'existence dans son principe. L'allocation d'une provision par le juge des référés alors que l'expert judiciaire ne s'est pas encore prononcé sur ce point était donc justifiée, y compris sur le montant alloué compte tenu du coût final des travaux supérieur à 2.500.000 euros TTC, auquel s'ajoute le coût de la maîtrise d'œuvre (5 % outre honoraires supplémentaires).

En conséquence, l'ordonnance querellée sera également confirmée en ce qu'a été allouée à Monsieur X. une somme provisionnelle de 150.000 euros à valoir sur l'indemnisation des désordres et en ce que la société Bouygues Bâtiment Sud Est, Monsieur M. et leurs assureurs Allianz et la MAF ont été condamnés in solidum à payer cette somme.

En revanche, les époux X. seront déboutés de leur demande d'indemnisation supplémentaire à hauteur de 450.000euros.

 

Sur les recours en garantie :

Dans leurs relations entre eux, les responsables ne peuvent exercer de recours qu'à proportion de leurs fautes respectives, sur le fondement des dispositions de l'article 1382 ancien et 1240 à 1242 nouveaux du Code civil s'agissant des locateurs d'ouvrage non liés contractuellement entre eux, ou de l'article 1147 ancien et 1231-1 du code civil s'ils sont contractuellement liés.

En l'espèce, la société Bouygues Bâtiment Sud Est et son assureur Allianz sollicitent de condamner Monsieur M., son assureur la MAF, et la société Qualiconsult à les relever et garantir de toutes éventuelles condamnations prononcées à leur encontre.

Monsieur M. et la MAF forment également un appel en garantie à l'encontre de la société Bouygues Bâtiment Sud Est et Allianz.

Ces appels en garantie nécessitent d'analyser et de caractériser les fautes de chaque intervenant dans l'apparition des dommages au regard de leurs obligations contractuelles et de leurs missions. Or, si la présomption d'imputabilité ne souffre pas de contestations sérieuses en ce qui concernent la société Bouygues Bâtiment Sud Est et Monsieur M. qui sont tenus de la garantie décennale à l'égard des époux X., la part de responsabilité entre les co-obligés n'est pas, à ce stade, indubitablement établie et doit faire l'objet d'une analyse de fond. En conséquence, il n'y a pas lieu à référé sur les recours en garantie croisés de la société Bouygues Bâtiment Sud Est, Monsieur M., leurs assureurs, et la société Qualiconsult.

L'ordonnance de référé querellée sera donc confirmée en ce qu'elle a rejeté toutes les demandes de garanties.

 

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

L'ordonnance de référé doit être confirmée en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

La société Bouygues Bâtiment Sud Est, Monsieur M. et leurs assureurs Allianz et la MAF, qui succombent, seront condamnées in solidum à payer aux époux X. une indemnité de 2.000 euros pour les frais qu'ils ont dû exposer en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

L'équité ne commande pas de faire droit aux surplus des demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, et après en avoir délibéré conformément à la loi, 

REÇOIT l'intervention volontaire de Madame Y. épouse X.,

CONFIRME l'ordonnance de référé en date du 8 novembre 2022 en toutes ses dispositions dont appel,

Y AJOUTANT,

DEBOUTE Monsieur X. et à Madame Y. épouse X. de leur demande de somme provisionnelle additionnelle de 450.000 euros,

CONDAMNE in solidum la société Bouygues Bâtiment Sud Est et son assureur la société Allianz Iard, Monsieur M. et son assureur la Mutuelle des Architectes Français à payer à Monsieur X. et à Madame Y. épouse X., pris ensemble, une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE la société Bouygues Bâtiment Sud Est, la société Allianz Iard, Monsieur M., la Mutuelle des Architectes Français et la société Qualiconsult de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum la société Bouygues Bâtiment Sud Est et son assureur la société Allianz Iard, Monsieur M. et son assureur la Mutuelle des Architectes Français aux entiers dépens d'appel.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 janvier 2024

Signé par Madame Inès BONAFOS, Présidente et Monsieur Achille TAMPREAU, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,                                      La Présidente,