CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 14 février 2024
CERCLAB - DOCUMENT N° 10744
CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 14 février 2024 : RG n° 23/01750 ; arrêt n° 81/24
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « À cet égard, la cour constate que la banque a entendu voir déclarer les demandeurs « prescrits en leurs prétentions » en affirmant, en substance, qu'ils disposaient d'un délai de cinq ans à compter du 15 mars 2010 pour agir en nullité du prêt, au-delà duquel ils avaient saisi le tribunal judiciaire de Mulhouse. Or, il sera observé que la demande d'annulation du prêt, formée à titre principal par les consorts Y.-Z., telle qu'elle ressort de leur assignation, repose exclusivement sur le caractère abusif, et partant, réputé non écrit de certaines clauses du contrat de prêt. […] Et, comme l'a rappelé le premier juge, les demandeurs ont sollicité que les clauses d'intérêts et de conversion de franc suisse en euro, stipulées à l'acte de prêt du 15 mars 2010, soient déclarées non écrites, et en conséquence, ont demandé la restitution des sommes perçues par chacune des parties. À ce titre, la demande « d'annulation » du prêt, qui ne vise, par ailleurs, pas les clauses litigieuses elles-mêmes, tend à l'anéantissement du contrat, par voie de conséquence du caractère réputé non écrit de certaines clauses qui seraient considérées comme essentielles, replaçant les parties dans la situation qui était la leur au moment de la conclusion du prêt, avec pour effet la restitution, à la banque, des sommes acquittées en exécution dudit prêt, et par les emprunteurs de la contre-valeur du capital emprunté, et ce conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation (Civ. 1ère, 12 juillet 2023, pourvoi n° 22-17.030), qui a reconnu qu'une cour d'appel, ayant relevé que les clauses réputées non écrites constituaient l'objet principal du contrat et que celui-ci n'avait pu subsister sans elles, avait exactement retenu que l'emprunteur devait restituer à la banque la contre-valeur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds, de la somme prêtée et que celle-ci devait lui restituer toutes les sommes perçues en exécution du prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements. Aussi cette demande ne peut-elle pas s'apprécier dans le cadre d'une action distincte de l'action restitutoire portant sur les montants versés en application des clauses abusives.
En conséquence, et sans qu'il n'y ait lieu à annulation de l'ordonnance entreprise, c'est à bon droit que le premier juge a retenu qu'il convenait d'apprécier la recevabilité des demandes de Mme Y. et de M. Z. dans le cadre, qui sera repris par la cour : - d'une action tendant à soumettre à l'appréciation du tribunal le caractère abusif ou non des clauses afférentes au taux d'intérêt et de sa devise figurant dans le contrat conclu entre les parties ; - d'une action tendant à restituer les sommes indûment versées sur le fondement de clauses abusives. »
2/ « Dès lors, la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation n'est pas soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil. »
3/ « Par arrêt du 9 juillet 2020 (C-698/18 et C-699/18), la CJUE a dit pour droit que […]. S'agissant du respect du principe d'équivalence, il sera rappelé qu'en droit interne, le délai de prescription des actions en restitution, consécutives à l'annulation d'un contrat ou d'un testament, ne court qu'à compter de cette annulation, que cette annulation résulte de l'accord des parties ou d'une décision de justice (Cour de cassation, 1ère Civ., 1er juillet 2015, pourvoi n°14-20.369 ; 1ère Civ., 28 octobre 2015, pourvoi n°14-17.893 ; 3ème Civ, 14 juin 2018, pourvoi n °17-13.422 ; 1ère Civ, 13 juillet 2022, pourvoi n° 20-20.738).
S'agissant du principe d'effectivité, il serait contradictoire de déclarer imprescriptible l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause et de soumettre la principale conséquence de cette reconnaissance à un régime de prescription la privant d'effet.
Il s'en déduit que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil, de l'action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses (Cour de cassation, 1ère Civ., 12 juillet 2023, pourvoi n° 22-17.030, arrêt précité).
Concernant le moyen relatif à la sécurité juridique soulevé par la Caisse de Crédit Agricole, qui soutient également avoir agi conformément à l'état du droit en vigueur au moment de la souscription du contrat de prêt, il sera rappelé que : - la prohibition des clauses abusives remonte à la directive 93/13 CEE du Conseil du 5 avril 1993, applicable à tous les contrats conclus à compter du 1er janvier 1995, - cette directive a été transposée en droit interne par la loi n°95-96 du 1er février 1995, - la jurisprudence tant européenne que nationale n'a fait qu'interpréter les règles européennes et nationales relatives aux clauses abusives, dont elle a éclairé et précisé la signification et la portée, telles qu'elles auraient dû être comprises depuis leur entrée en vigueur. En conséquence, ces règles ainsi interprétées doivent être appliquées par le juge à tous les rapports juridiques nés et constitués postérieurement à cette entrée en vigueur, quand bien même ils l'ont été antérieurement à cette jurisprudence et seule la CJUE peut décider des limitations dans le temps à apporter à une telle interprétation (CJUE, 21 décembre 2016, C-154/15, C-307-15 et C-308-12), - la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) juge que les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante (CEDH, 18 décembre 2008, Unédic c. France), - enfin, cette jurisprudence sur l'imprescriptibilité de l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause d'un contrat et sur le point de départ du délai de prescription de l'action restitutoire ne présente pas d'inconvénients manifestement disproportionnés dès lors qu'elle ne prive pas la banque de son accès au juge et de son droit à un procès équitable mais d'une partie de sa rémunération et qu'elle est sans conséquence sur son droit de propriété.
En conséquence, c'est à juste titre que le juge de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir soutenue par la banque, tirée de la prescription de la demande en restitution de sommes indûment payées au Crédit Agricole, en exécution des clauses dont Mme Y. et M. Z. soutiennent qu'elles sont abusives. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION A
ARRÊT DU 14 FÉVRIER 2023
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 1 A 23/01750. Arrêt n° 81/24. N° Portalis DBVW-V-B7H-ICB6. Décision déférée à la Cour : 20 avril 2023 par le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de MULHOUSE - 1ère chambre civile.
APPELANTE :
CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL ALSACE VOSGES
prise en la personne de son représentant légal, [Adresse 1], [Localité 3], Représentée par Maître Laurence FRICK, avocat à la Cour
INTIMÉS :
Madame X. épouse Y.
[Adresse 2], [Localité 4]
Monsieur Z.
[Adresse 2], [Localité 4]
Représentés par Maître Nadine HEICHELBECH, avocat à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 novembre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. ROUBLOT, Conseiller.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : M. WALGENWITZ, Président de chambre, M. ROUBLOT, Conseiller, Mme RHODE, Conseillère, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
ARRÊT : - Contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par M. Franck WALGENWITZ, président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu l'assignation délivrée le 3 mars 2022 par laquelle Mme Y., née X. et M. Z., ci-après également dénommés les consorts « Y.-Z. » ont fait citer la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alsace Vosges, ci-après également dénommée « le Crédit Agricole » ou « la banque », devant le tribunal judiciaire de Mulhouse, aux fins de voir :
« à titre principal,
- déclarer les clauses d'intérêt et de conversion de francs suisses en euros, stipulées à l'acte de prêt du 15 mars 2010 conclu entre les consorts Y.-Z. et le Crédit Agricole, réputées non écrites,
- annuler ledit prêt ;
- condamner en conséquence le Crédit Agricole à leur restituer les sommes acquittées en exécution dudit prêt ;
- leur donner acte de ce qu'ils s'obligent, le cas échéant, à rembourser au Crédit Agricole le capital emprunté tel que résultant de la conversion des différents montants débloqués en exécution du prêt, pour la somme totale de 214.680 euros, au cours de change euros/francs suisses (Parité quotidienne) publié au Journal Officiel ;
- rappeler que la compensation des obligations précitées s'opère de plein droit et, en tant que de besoin, ordonner la compensation judiciaire desdites obligations ;
à titre subsidiaire,
- condamner le Crédit Agricole à fournir un nouveau tableau d'amortissement reprenant le 'cours (euros/francs suisses) du jour de réalisation' qui aurait dû être appliquée aux déblocages successifs du montant du prêt, selon la pratique de la banque ;
- condamner le Crédit Agricole à leur payer la différence entre les sommes qu'ils ont acquittées et celles qui seraient résultées de l'application du cours précité, évaluées à 52.489,26 francs suisses, sauf à parfaire ;
en toute hypothèse,
- condamner le Crédit Agricole à leur payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner le Crédit Agricole aux dépens ;
- rappeler que le jugement à intervenir est par principe exécutoire par provision. »
Vu la requête du 26 septembre 2022, par laquelle la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alsace Vosges a saisi le juge de la mise en état d'une fin de non-recevoir tirée de la prescription,
Vu l'ordonnance rendue le 20 avril 2023, à laquelle il sera renvoyé pour le surplus de l'exposé des faits, ainsi que des prétentions et moyens des parties en première instance, et par laquelle le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Mulhouse a statué comme suit :
« REJETONS la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action tendant à déclarer abusives, les (.) clauses d'intérêts et de conversion de franc suisse en euro, incluses dans le contrat de prêt du 15 mars 2010 ;
DECLARONS ladite action recevable ;
DECLARONS que le délai de prescription applicable à l'action portant sur les effets restitutifs de l'action tendant à déclarer abusives les clauses d'intérêts et de conversion de franc suisse en euro, n'a pas commencé à courir ;
DECLARONS, en conséquence, que la demande tendant à la restitution par la caisse de crédit agricole mutuel Crédit Agricole Alsace Vosges, des sommes perçues en suite des clauses déclarées abusives, est recevable ;
CONDAMNONS la caisse de crédit agricole mutuel Crédit Agricole Alsace Vosges à payer à M. Z. la somme de 500,00 € (CINQ CENTS EUROS) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNONS la caisse de crédit agricole mutuel Crédit Agricole Alsace Vosges à payer à Mme Y. la somme de 500,00 € (CINQ CENTS EUROS) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETONS la demande formée par la caisse de crédit agricole mutuel Crédit Agricole Alsace Vosges au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNONS la caisse de crédit agricole mutuel Crédit Agricole Alsace Vosges aux dépens de l'incident ;
RENVOYONS l'affaire à l'audience de mise en état du 6 juillet 2023 »
Vu la déclaration d'appel formée par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alsace Vosges contre cette ordonnance et déposée le 27 avril 2023,
Vu la constitution d'intimés de Mme Y., née X. et M. Z. en date du 30 mai 2023,
[*]
Vu les dernières conclusions en date du 23 novembre 2023, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alsace Vosges demande à la cour de :
« DECLARER l'appel recevable,
DECLARER l'appel bien-fondé,
ANNULER l'ordonnance du 20 avril 2023 en toutes ses dispositions, sauf celle renvoyant l'affaire à une nouvelle audience de mise en état,
Subsidiairement, INFIRMER l'ordonnance du 20 avril 2023 en toutes ses dispositions, sauf celle renvoyant l'affaire à une nouvelle audience de mise en état,
Statuant à nouveau
DECLARER irrecevable car prescrite la demande de Monsieur Z. et Madame Y. tendant à obtenir l'annulation du prêt conclu le 15 mars 2010 et à en tirer les conséquences en terme de restitution,
DECLARER irrecevable car prescrite la demande de condamnation formulée par Monsieur Z. et Madame Y. tendant à voir condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alsace Vosges à restituer à Monsieur Z. et Madame Y., pris in solidum, les sommes acquittées par eux en exécution du prêt du 15 mars 2010, avec demande de compensation des créances dont ils se déclarent redevables envers le Crédit Agricole à savoir une somme de 214.680 euros au cours de change euro/franc suisse (parité quotidienne) publié au journal officiel
DECLARER irrecevable car prescrite la demande de condamnation formulée par Monsieur Z. et Madame Y. tendant à voir condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alsace Vosges à payer à Monsieur Z. et Madame Y., pris in solidum, la différence entre les sommes qu'ils ont acquittées et celles qui seraient résultées de l'application du cours du jour de réalisation qui aurait dû être appliqué aux déblocages successifs du montant du prêt selon la pratique de la banque évaluée par eux à 52 489,26 francs suisses sauf à parfaire.
DEBOUTER Monsieur Z. et Madame Y. du surplus de leurs fins et conclusions,
CONDAMNER in solidum Monsieur Z. et Madame Y. à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alsace Vosges une somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure de première instance,
CONDAMNER in solidum Monsieur Z. et Madame Y. à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alsace Vosges une somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure d'appel,
CONDAMNER in solidum Monsieur Z. et Madame Y. aux entiers frais et dépens de la procédure d'instance,
CONDAMNER in solidum Monsieur Z. et Madame Y. aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel »
et ce, en invoquant, notamment :
- la prescription de la demande de nullité du prêt, et par conséquent des restitutions consécutives à l'annulation du contrat, en présence de deux demandes distinctes tendant, l'une à voir réputer non écrites les clauses d'intérêt et de conversion, sans toutefois évoquer leur caractère abusif, l'autre à voir annuler le prêt, tout en faisant un amalgame entre la sanction en cas de nullité d'un prêt avec la sanction applicable lorsqu'un prêt contient une clause abusive, et ce alors que dès l'année 2010 et 2011, à la suite de la signature du contrat de prêt et du déblocage des fonds, les emprunteurs avaient connaissance des stipulations qu'ils tentent aujourd'hui de mettre en avant pour solliciter l'annulation du contrat de prêt,
- la prescription, également, de l'action restitutoire désormais invoquée par les parties adverses, découlant de l'existence de clauses abusives dans le contrat de prêt, prescription qui leur serait opposable, en vertu de la jurisprudence européenne, et dont le point de départ courrait à compter du déblocage des fonds, lors duquel elles auraient pu prendre conscience, au regard du taux de change appliqué, du caractère abusif de la clause, sauf à admettre, en contravention avec le principe de sécurité juridique, l'imprescriptibilité de cette action,
- la contestation de l'application rétroactive de la jurisprudence nouvelle concernant l'imprescriptibilité des clauses abusives, la concluante ayant agi en considération de la jurisprudence en cours à l'époque des faits, sans qu'aucune faute ne puisse, dès lors, lui être imputée,
- le bien-fondé de la prescription opposée, à ce titre, aux consorts Z.-Y., qui ont pu se rendre compte dès le déblocage des fonds que le cours de change appliqué était différent de celui qui figure à titre indicatif dans le contrat et quel était le montant en franc suisse débloqué, l'action en restitution devant, en tout état de cause, être déclarée prescrite.
[*]
Vu les dernières conclusions en date du 16 novembre 2023, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles Mme Y., née X. et M. Z. demandent à la cour de :
« DECLARER la caisse de crédit régional mutuelle crédit Agricole Alsace Vosges recevable mais mal fondée en son appel ;
CONFIRMER l'ordonnance du 20 avril 2023 en ce qu'elle :
« REJETE la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action tendant à déclarer abusives, les clauses d'intérêts et de conversion de franc suisse en euro, incluses dans le contrat de prêt du 15 mars 2010 ;
DECLARE ladite action recevable ;
DECLARE que le délai de prescription applicable à l'action portant sur les effets restitutifs de l'action tendant à déclarer abusives, les clauses d'intérêts et de conversion de franc suisse en euro, n'a pas commencé à courir ;
DECLARE, en conséquence, que la demande tendant à la restitution par la caisse de crédit agricole mutuel Crédit Agricole Alsace Vosges, des sommes perçues en suite des clauses déclarées abusives, est recevable ;
CONDAMNE la caisse de crédit agricole mutuel Crédit Agricole Alsace Vosges à payer à M Z. la somme de 500,00 € (CINQ CENTS EUROS) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la caisse de crédit agricole mutuel Crédit Agricole Alsace Vosges à payer à Mme Y. la somme de 500,00 € (CINQ CENTS EUROS) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETE la demande formée par la caisse de crédit agricole mutuel Crédit Agricole Alsace Vosges au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la caisse de crédit agricole mutuel Crédit Agricole Alsace Vosges aux dépens de l'incident ; »
Y ajoutant,
CONDAMNER la Caisse Régionale de crédit agricole mutuel Alsace Vosges à payer à Monsieur Z. et à Madame Y. in solidum la somme de 2.000 € à titre de dommage[s] et intérêt[s] pour procédure abusive ;
CONDAMNER la Caisse Régionale de crédit agricole mutuel Alsace Vosges à payer à Monsieur Z. et à Madame Y. pris in solidum la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civil[e] ;
CONDAMNER la Caisse Régionale de crédit agricole mutuel Alsace Vosges aux dépens d'appel ;
REJETER toutes conclusions plus amples ou contraires »
et ce, en invoquant, notamment :
- l'absence d'engagement de deux actions distinctes en déclaration de clauses abusives et en nullité du prêt, alors que la sanction d'une clause abusive résiderait dans l'anéantissement du contrat,
- le caractère abusif de l'appel adverse ayant travesti la qualification de leurs demandes.
[*]
Vu les débats à l'audience du 29 novembre 2023,
Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Sur la demande d'annulation de l'ordonnance entreprise et le champ de la fin de non-recevoir soulevée par le Crédit Agricole :
La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alsace Vosges entend, à titre principal, solliciter l'annulation de la décision rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Mulhouse.
Elle ne fait valoir, de manière explicite, aucune argumentation de nature à étayer sa demande d'annulation. Il sera toutefois observé que la banque fait grief au juge de la mise en état d'avoir procédé à une requalification des demandes formulées par les consorts Y.-Z. et d'avoir statué à la fois ultra petita en se prononçant sur la recevabilité de la demande tendant à voir déclarer une clause abusive et, de ce fait, non-écrite et en statuant sur la recevabilité de l'action restitutoire, et infra petita en ne statuant pas sur la fin de non-recevoir qu'elle avait opposée à l'encontre de la demande de nullité du prêt formulée par les emprunteurs.
À cet égard, la cour constate que la banque a entendu voir déclarer les demandeurs « prescrits en leurs prétentions » en affirmant, en substance, qu'ils disposaient d'un délai de cinq ans à compter du 15 mars 2010 pour agir en nullité du prêt, au-delà duquel ils avaient saisi le tribunal judiciaire de Mulhouse.
Or, il sera observé que la demande d'annulation du prêt, formée à titre principal par les consorts Y.-Z., telle qu'elle ressort de leur assignation, repose exclusivement sur le caractère abusif, et partant, réputé non écrit de certaines clauses du contrat de prêt.
Ainsi, les demandeurs précisent, à la page 2/7 de leur assignation, sous l'intitulé « objet de la demande », demander « que soient déclarées réputées non écrites certaines dispositions du prêt qu'ils ont contracté auprès de la caisse de crédit agricole mutuel Crédit Agricole Alsace Vosges (...) avec toutes conséquences de droit, subsidiairement son exécution forcée, pour les motifs de fait et de droit ci-après exposés. »
Il est encore indiqué par les demandeurs, à la page 4/7 de leur assignation, que » clauses qui influent directement sur le quantum de la date à leur charge sont abusives au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation dans sa version applicable au prêt litigieux, dès lors qu'elles ne sont pas rédigées de façon claire et compréhensible (...) Le prêt devra, par suite, être annulé (...). »
Et, comme l'a rappelé le premier juge, les demandeurs ont sollicité que les clauses d'intérêts et de conversion de franc suisse en euro, stipulées à l'acte de prêt du 15 mars 2010, soient déclarées non écrites, et en conséquence, ont demandé la restitution des sommes perçues par chacune des parties.
À ce titre, la demande « d'annulation » du prêt, qui ne vise, par ailleurs, pas les clauses litigieuses elles-mêmes, tend à l'anéantissement du contrat, par voie de conséquence du caractère réputé non écrit de certaines clauses qui seraient considérées comme essentielles, replaçant les parties dans la situation qui était la leur au moment de la conclusion du prêt, avec pour effet la restitution, à la banque, des sommes acquittées en exécution dudit prêt, et par les emprunteurs de la contre-valeur du capital emprunté, et ce conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation (Civ. 1ère, 12 juillet 2023, pourvoi n° 22-17.030), qui a reconnu qu'une cour d'appel, ayant relevé que les clauses réputées non écrites constituaient l'objet principal du contrat et que celui-ci n'avait pu subsister sans elles, avait exactement retenu que l'emprunteur devait restituer à la banque la contre-valeur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds, de la somme prêtée et que celle-ci devait lui restituer toutes les sommes perçues en exécution du prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements. Aussi cette demande ne peut-elle pas s'apprécier dans le cadre d'une action distincte de l'action restitutoire portant sur les montants versés en application des clauses abusives.
En conséquence, et sans qu'il n'y ait lieu à annulation de l'ordonnance entreprise, c'est à bon droit que le premier juge a retenu qu'il convenait d'apprécier la recevabilité des demandes de Mme Y. et de M. Z. dans le cadre, qui sera repris par la cour :
- d'une action tendant à soumettre à l'appréciation du tribunal le caractère abusif ou non des clauses afférentes au taux d'intérêt et de sa devise figurant dans le contrat conclu entre les parties ;
- d'une action tendant à restituer les sommes indûment versées sur le fondement de clauses abusives.
Sur la prescription de l'action menée par Mme Y. et M. Z. :
Sur l'action déclaratoire :
L'article 7 § 1 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, prévoit que les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.
Par arrêts du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19 et C-609/19), la CJUE a dit pour droit que l'article 6 § 1 et l'article 7 § 1 de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription.
Dès lors, la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation n'est pas soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil.
Sur l'action restitutoire :
L'article 2224 du code civil énonce que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Par arrêts du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19 et C-609/19), la CJUE a dit pour droit que l'article 6, § 1 et l'article 7, § 1 de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l'acceptation de l'offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l'ensemble de ses droits découlant de cette directive. Elle a relevé que les modalités de mise en œuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive 93/13 ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d'équivalence), ni être aménagées de manière à rendre, en pratique, impossible ou excessivement difficile, l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivité).
S'agissant de l'opposition d'un délai de prescription à une demande introduite par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de clauses abusives au sens de la directive 93/13, elle a rappelé avoir dit pour droit que l'article 6 § 1 et l'article 7 § 1 de cette directive ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui, tout en prévoyant le caractère imprescriptible de l'action tendant à constater la nullité d'une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, soumet à un délai de prescription l'action visant à faire valoir les effets restitutifs de cette constatation, sous réserve du respect des principes d'équivalence et d'effectivité (CJUE, 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C-698/18 et C-699/18 ; CJUE, 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C-224/19 et C-259/19). Ainsi, l'opposition d'un tel délai n'est pas, en soi, contraire au principe d'effectivité, pour autant que son application ne rende pas, en pratique, impossible ou excessivement difficile, l'exercice des droits conférés par cette directive. En conséquence, un délai de prescription est compatible avec le principe d'effectivité uniquement si le consommateur a eu la possibilité de connaître ses droits avant que ce délai ne commence à courir ou ne s'écoule.
Par arrêt du 9 juillet 2020 (C-698/18 et C-699/18), la CJUE a dit pour droit que l'article 2, sous b), l'article 6, § 1 et l'article 7, § 1 de la directive 93/13/CEE ainsi que les principes d'équivalence, d'effectivité et de sécurité juridique doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une interprétation juridictionnelle de la réglementation nationale selon laquelle l'action judiciaire en restitution des montants indûment payés sur le fondement d'une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est soumise à un délai de prescription de trois ans qui court à compter de la date de l'exécution intégrale de ce contrat, lorsqu'il est présumé, sans besoin de vérification, que, à cette date, le consommateur devait avoir connaissance du caractère abusif de la clause en cause ou lorsque, pour des actions similaires, fondées sur certaines dispositions du droit interne, ce même délai ne commence à courir qu'à partir de la constatation judiciaire de la cause de ces actions.
S'agissant du respect du principe d'équivalence, il sera rappelé qu'en droit interne, le délai de prescription des actions en restitution, consécutives à l'annulation d'un contrat ou d'un testament, ne court qu'à compter de cette annulation, que cette annulation résulte de l'accord des parties ou d'une décision de justice (Cour de cassation, 1ère Civ., 1er juillet 2015, pourvoi n°14-20.369 ; 1ère Civ., 28 octobre 2015, pourvoi n°14-17.893 ; 3ème Civ, 14 juin 2018, pourvoi n °17-13.422 ; 1ère Civ, 13 juillet 2022, pourvoi n° 20-20.738).
S'agissant du principe d'effectivité, il serait contradictoire de déclarer imprescriptible l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause et de soumettre la principale conséquence de cette reconnaissance à un régime de prescription la privant d'effet.
Il s'en déduit que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil, de l'action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses (Cour de cassation, 1ère Civ., 12 juillet 2023, pourvoi n° 22-17.030, arrêt précité).
Concernant le moyen relatif à la sécurité juridique soulevé par la Caisse de Crédit Agricole, qui soutient également avoir agi conformément à l'état du droit en vigueur au moment de la souscription du contrat de prêt, il sera rappelé que :
- la prohibition des clauses abusives remonte à la directive 93/13 CEE du Conseil du 5 avril 1993, applicable à tous les contrats conclus à compter du 1er janvier 1995,
- cette directive a été transposée en droit interne par la loi n° 95-96 du 1er février 1995,
- la jurisprudence tant européenne que nationale n'a fait qu'interpréter les règles européennes et nationales relatives aux clauses abusives, dont elle a éclairé et précisé la signification et la portée, telles qu'elles auraient dû être comprises depuis leur entrée en vigueur. En conséquence, ces règles ainsi interprétées doivent être appliquées par le juge à tous les rapports juridiques nés et constitués postérieurement à cette entrée en vigueur, quand bien même ils l'ont été antérieurement à cette jurisprudence et seule la CJUE peut décider des limitations dans le temps à apporter à une telle interprétation (CJUE, 21 décembre 2016, C-154/15, C-307-15 et C-308-12),
- la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) juge que les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante (CEDH, 18 décembre 2008, Unédic c. France),
- enfin, cette jurisprudence sur l'imprescriptibilité de l'action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause d'un contrat et sur le point de départ du délai de prescription de l'action restitutoire ne présente pas d'inconvénients manifestement disproportionnés dès lors qu'elle ne prive pas la banque de son accès au juge et de son droit à un procès équitable mais d'une partie de sa rémunération et qu'elle est sans conséquence sur son droit de propriété.
En conséquence, c'est à juste titre que le juge de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir soutenue par la banque, tirée de la prescription de la demande en restitution de sommes indûment payées au Crédit Agricole, en exécution des clauses dont Mme Y. et M. Z. soutiennent qu'elles sont abusives.
L'ordonnance sera dès lors confirmée sur ce point.
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive :
Si Mme Y. et M. Z. sollicitent la condamnation de la partie adverse au paiement d'une somme de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, ils ne démontrent, cependant, de manière suffisante, aucune mauvaise foi ou erreur grossière de la partie adverse, laquelle ne peut se déduire de la seule circonstance qu'il n'a pas été fait droit à ses prétentions.
En conséquence, il convient de rejeter la demande formée par les intimés à ce titre.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
L'appelante, succombant pour l'essentiel, sera tenue des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, outre confirmation de l'ordonnance déférée sur cette question.
L'équité commande, en outre, de mettre à la charge de l'appelante une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 1.500 euros au profit des intimés, indivisément, tout en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de ces derniers et en confirmant les dispositions de la décision déférée de ce chef.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 20 avril 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Mulhouse,
Y ajoutant,
Déboute Mme Y., née X. et M. Z. de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,
Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alsace Vosges aux dépens de l'appel,
Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alsace Vosges à payer à Mme Y., née X. et M. Z., indivisément, la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alsace Vosges.
La Greffière : le Président :