CEntre de Recherche sur les CLauses ABusives
Résultats de la recherche

CA LYON (1re ch. civ. B), 6 février 2024

Nature : Décision
Titre : CA LYON (1re ch. civ. B), 6 février 2024
Pays : France
Juridiction : Lyon (CA), 1er ch. civ.
Demande : 22/04200
Date : 6/02/2024
Nature de la décision : Infirmation
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 7/06/2022
Imprimer ce document

 

CERCLAB - DOCUMENT N° 10768

CA LYON (1re ch. civ. B), 6 février 2024 : RG n° 22/04200 

Publication : Judilibre

 

Extrait : « La clause litigieuse stipule : « Si toutefois, l'intégralité du prêt n'était pas décaissée au terme des 24 mois consécutifs au premier décaissement, la Banque serait contrainte de procéder à un achat au comptant, en annulation de la somme non utilisée. La différence de change qui pourrait exister entre le montant de la vente à terme et le montant de cet achat au comptant resterait à ma charge (ou à mon profit s'il s'agit d'un gain de change) ».

La cour relève qu'une telle formulation ne satisfaisant pas à l'exigence de rédaction claire et compréhensible énoncée à l'article 5 de la directive 93/13, dans la mesure où la banque n'a fourni aucune information précise aux emprunteurs sur le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause, qui consiste, non pas en une seule opération (un achat au comptant), mais en deux opérations financières simultanées : une vente à terme des devises non utilisées au cours fixé à la conclusion du contrat, d'une part, et un rachat au comptant au cours en vigueur à l'expiration du délai de garantie, en annulation de la somme non utilisée, d'autre part, la différence de change entre le montant de la vente à terme et le montant de l'achat au comptant restant à la charge ou au profit des emprunteurs.

Alors qu'il incombait à la banque d'informer les emprunteurs de manière à leur permettre de mesurer pleinement la portée de la clause litigieuse, tant au regard de ses avantages que de ses inconvénients tenant en particulier aux possibles variations du taux de change et au report, à l'issue d'une période de deux ans, des risques inhérents à la souscription de prêts en devise étrangère, dont un prêteur professionnel a nécessairement connaissance, force est de relever que la clause litigieuse, même éclairée par les autres stipulations du contrat de prêt, n'est pas rédigée de manière claire et compréhensible en ce qu'elle ne permet pas aux emprunteurs d'être informés sur la manière concrète dont la clause est mise en œuvre, d'évaluer concrètement les conséquences négatives de ladite clause sur leurs obligations financières dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de l'euro par rapport au franc et ne les alerte pas sur le fait que le risque de change est d'autant plus élevé que le montant des décaissements réalisés sur la période de 24 mois est faible et la somme non utilisée à l'issue de la période importante.

Au regard des connaissances et des moyens supérieurs de la banque pour anticiper le risque de change, ainsi que du caractère non plafonné de ce risque, la clause litigieuse, qui fait peser, en cas de dévaluation de l'euro par rapport au franc suisse, le risque de change sur le consommateur, crée un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat, au détriment des emprunteurs.

En effet, la clause litigieuse fait peser sur les emprunteurs un risque disproportionné par rapport aux prestations et au montant du prêt reçu, puisque l'application de la clause a pour conséquence que les consommateurs doivent supporter, en cas de dévaluation de l'euro par rapport au franc suisse, le coût de l'évolution du taux de change et que, selon le montant des décaissements opérés, ils peuvent se trouver dans une situation dans laquelle le montant de la « différence de change » restant à leur charge à l'issue de la période de couverture de change est considérablement plus important que la somme effectivement empruntée. Il en est ainsi en l'espèce puisqu'alors que le prêt n'a été débloqué qu'à hauteur de la somme de 3.000 euros, la « différence de change » à la charge des emprunteurs s'élève la somme de 85.610,85 euros.

Dans ces circonstances, la clause litigieuse crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat au détriment des consommateurs, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à leur égard, que ces derniers acceptent, à la suite d'une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses. En conséquence, la clause est abusive et est réputée non écrite.

Le caractère non écrit de la clause a pour conséquence qu'il n'y a pas lieu de laisser à la charge des emprunteurs « la différence de change qui pourrait exister entre le montant de la vente à terme et le montant de cet achat au comptant ». Aussi convient-il, par infirmation du jugement déféré, de condamner la banque à rembourser aux emprunteurs la somme de 85.610,85 euros débitée sur leur compte, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 28 octobre 2020, faute de preuve de l'envoi d'une mise en demeure préalable par lettre recommandée.

En revanche, le débit de la somme de 9.899,59 euros correspondant aux frais perçus au titre du découvert bancaire ne résultant pas directement du caractère non écrit de la clause litigieuse, les emprunteurs ne peuvent qu'être déboutés de ce chef de demande. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE LYON

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE B

ARRÊT DU 6 FÉVRIER 2024

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 22/04200. N° Portalis DBVX-V-B7G-OLDI. Décision du Tribunal Judiciaire de BOURG-EN-BRESSE, Au fond, du 31 mars 2022 : RG. n° 20/02882.

 

APPELANTS :

Mme X. épouse Y.

née le [Date naissance 2] à [Localité 6], [Adresse 8], [Localité 4] (SUISSE)

M. Y.

né le [Date naissance 3] à [Localité 7] (département), [Adresse 8], [Localité 4] (SUISSE)

Représentés par Maître Vincent DURAND de la SELARL ACTIVE AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 896

 

INTIMÉE :

LA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE venant aux droits du CRÉDIT DU NORD venant lui-même aux droits de la BANQUE LAYDERNIER

[Adresse 1], [Localité 5], Représentée par Maître Benoit CONTENT, avocat au barreau d'AIN et ayant pour avocat plaidant Maître Vincent TREQUATTRINI de la SELARL TRAVERSO-TREQUATTRINI ET ASSOCIES, avocat au barreau d'ANNECY, toque : 38

 

Date de clôture de l'instruction : 19 Octobre 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 09 Novembre 2023

Date de mise à disposition : 23 Janvier 2024 prorogée au 06 Février 2024, les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier alinéa du code de procédure civile

Audience présidée par Bénédicte LECHARNY, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier.

Composition de la Cour lors du délibéré : - Olivier GOURSAUD, président, - Stéphanie LEMOINE, conseiller, - Bénédicte LECHARNY, conseiller

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DE L'AFFAIRE :

Par lettres dites « d'offres de couverture de cours de change (décaissements successifs) » signées le 6 août 2017, M. Y. et Mme X. épouse Y. (les emprunteurs) ont sollicité auprès de la société Banque Laydernier, aux droits de laquelle est venue la société Crédit du Nord et aujourd'hui la Société générale (la banque), un prêt immobilier libellé en franc suisse (CHF) « intégrant une garantie de couverture de change pour la contre-valeur de 630.000 euros en CHF au cours qui sera défini au jour de l'envoi de l'offre, cours constaté sur le marché des changes interbancaires, majoré de 275 points de base (0.0275) ».

Au terme de ces lettres, il était convenu que le « prêt sera[it] décaissé en plusieurs fois et bénéficiera[it] de la garantie de cours sous réserve que les décaissements successifs n'excèdent pas la durée de 24 mois à compter de la date du premier décaissement ».

Selon offre acceptée le 20 décembre 2017, réitérée par devant notaire le 19 février 2018, la banque a consenti aux emprunteurs un prêt immobilier d'un montant initial de 754.614 CHF, soit la contre-valeur de 630.000 euros, remboursable pendant la franchise en 8 trimestrialités de 1.509,23 CHF et après la franchise en 72 trimestrialités de 11.263,93 CHF, au taux d'intérêt annuel fixe de 0,80 %.

Un seul décaissement de la somme de 3.000 CHF ayant été effectué en 24 mois et la garantie de change étant arrivée à terme le 22 mai 2020, un litige a opposé la banque aux emprunteurs au sujet du montant et de la charge de la différence de change.

Par acte d'huissier de justice du 28 octobre 2020, les emprunteurs ont assigné la banque devant le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse, sollicitant :

- à titre principal, la condamnation de la banque à leur payer la somme de 85.610,85 euros en application du contrat régularisé entre eux, outre celle de 6.059,88 euros au titre du remboursement des frais illégitimement perçus au titre du découvert sur leur compte courant,

- à titre subsidiaire, le prononcé de la nullité du contrat conclu au titre de la couverture de cours de change et la condamnation de la banque à leur payer les sommes de 85.610,85 euros et 6.059,88 euros,

- à titre infiniment subsidiaire, la condamnation de la banque à leur verser les sommes de 11.892,85 euros et 15.000 euros en réparation de leurs préjudices financier et moral.

Par jugement du 31 mars 2022, le tribunal a :

- débouté les emprunteurs de l'intégralité de leurs demandes,

- condamné in solidum les emprunteurs à payer à la banque la somme de 1.200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les emprunteurs de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum les emprunteurs aux dépens de l'instance,

- autorisé Maître Benoît Content à recouvrer directement les dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Par déclaration du 7 juin 2022, les emprunteurs ont relevé appel du jugement.

[*]

Par conclusions notifiées le 18 octobre 2023, ils demandent à la cour, au visa des articles 1104 et 1188 du code civil, L. 212-1, L. 241-1, L. 312-12 et L. 313-34 du code de la consommation, 3, 4 et 5 de la directive 93/11/CEE, de :

- juger que la clause litigieuse n'était pas rédigée de façon claire et compréhensible,

- juger que la banque n'a pas satisfait à son obligation d'information,

- juger que la clause litigieuse est abusive,

- juger que la clause litigieuse leur est inopposable,

en conséquence,

- réformer le jugement en toutes ses dispositions,

- condamner la banque à leur rembourser la somme de 85.610,85 euros débitée à tort sur leur compte courant, avec intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2020,

- condamner la banque à leur rembourser la somme de 9.899,59 euros, à parfaire, en remboursement des frais illégitimement perçus au titre du découvert sur ledit compte,

- juger que le délai légal de 10 jours prescrits par l'article L. 313-34 du code de la consommation n'a pas été respecté,

- juger qu'ils devront rembourser le capital emprunté, à l'exclusion de tout intérêt,

- condamner la banque à leur payer la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la même aux entiers dépens dont distraction au profit de la selarl Activité avocats, sur son affirmation de droit.

[*]

Par conclusions notifiées le 16 octobre 2023, la banque demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* débouté les emprunteurs de l'intégralité de leurs demandes,

* condamné in solidum les emprunteurs à payer à la banque la somme de 1.200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

* débouté les emprunteurs de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné in solidum les emprunteurs aux dépens de l'instance,

en conséquence, statuant à nouveau,

- lui donner acte de son intervention à la présente procédure,

- débouter les emprunteurs de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions,

y ajoutant,

- condamner solidairement les emprunteurs à lui payer la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les mêmes en la même forme aux entiers dépens de l'instance avec distractions au profit de son avocat postulant.

[*]

L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 octobre 2023.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1. Sur la demande en remboursement des sommes de 85.610,85 euros et de 9.299,59 euros :

Les emprunteurs soulèvent le caractère abusif de la clause de la « lettre d'offre de couverture de cours de change (décaissements successifs) » suivante : « Si toutefois, l'intégralité du prêt n'était pas décaissée au terme des 24 mois consécutifs au premier décaissement, la Banque serait contrainte de procéder à un achat au comptant, en annulation de la somme non utilisée. La différence de change qui pourrait exister entre le montant de la vente à terme et le montant de cet achat au comptant resterait à ma charge (ou à mon profit s'il s'agit d'un gain de change) ». Ils font valoir essentiellement que :

- la clause n'est pas rédigée de façon claire et compréhensible et a fait naître un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, d'autant que la banque, en tant que professionnel, dispose de moyens supérieurs aux consommateurs pour d'anticiper les évolutions économiques et le risque de change ;

- la banque n'a pas satisfait à son obligation d'information, alors qu'ils étaient initialement réticents à souscrire ce type de convention et que la banque avait pour devoir de leur fournir des informations suffisantes pour leur permettre de prendre leurs décisions avec prudence et en toute connaissance de cause avec, notamment, l'explication écrite et intelligible du fonctionnement concret du mécanisme auquel la clause fait référence et du fait qu'en fonction des variations du taux de change, l'évolution de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement pouvait entraîner des conséquences défavorables à l'égard de leurs obligations financières, et des simulations chiffrées, fondées sur des données suffisantes et exactes, avec des appréciations objectives communiquées de manière claire et compréhensible ;

- l'inopposabilité de la clause litigieuse et les manquements de la banque à ses obligations d'information et de transparence doivent conduire à la condamnation de la banque à leur restituer la somme de 85'610,85 euros débitée à tort sur leur compte courant, outre celle de 9 899,59 au titre des frais illégitimement perçus au titre du découvert sur ledit compte.

La banque réplique essentiellement que :

- à l'expiration de la garantie de change, elle a été contrainte de vendre les devises non utilisées au cours fixé à la conclusion du contrat et de procéder à un rachat au comptant, au cours en vigueur à l'expiration du délai de garantie ; la différence de change entre le montant de la vente à terme (627'495,41 euros) et le montant de l'achat au comptant des devises non utilisées (713'106,26 euros) s'élève à la somme de 85'610,85 euros, à la charge des emprunteurs ; en cause d'appel, les emprunteurs ne contestent plus la méthode de calcul appliquée par elle et reconnaissent son caractère conforme au contrat ;

- elle a satisfait à l'obligation d'information visée à l'article L. 312-12 du code de la consommation en remettant aux emprunteurs la fiche d'informations précontractuelles intitulée « financement par nature de prêt » ; en tout état de cause, la demande des emprunteurs tendant à voir recréditer la somme de 85.618,85 euros est infondée, dès lors que l'octroi d'un crédit sans communiquer à l'emprunteur les informations précontractuelles est sanctionné par la déchéance du droit aux intérêts, conformément à l'article L. 341-1 du code de la consommation ;

- la clause de monnaies étrangères, qui porte sur l'objet principal du contrat, ne présente aucun caractère abusif ; elle est claire et compréhensible, et la méthode de calcul a expressément été visée aux documents contractuels ; elle ne crée aucun déséquilibre significatif au détriment des emprunteurs, une couverture de change ayant été souscrite pendant deux ans par les emprunteurs et le risque de change contractualisé par les parties pesant tant sur l'établissement bancaire que sur les emprunteurs ;

- les emprunteurs ne peuvent être qualifiés de « consommateurs moyens », s'agissant de clients particulièrement avertis, et ils ont été amplement informés quant à la nature du prêt souscrit et le risque afférent.

Réponse de la cour

Selon l'article L. 212-1 du code de la consommation, dans sa rédaction en vigueur depuis le 10 octobre 2016, applicable à l'espèce, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1188, 1189, 1191 et 1192 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque les deux contrats sont juridiquement liés dans leur conclusion ou leur exécution.

L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

Il incombe au juge national d'examiner d'office si, au regard des critères posés par les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), les clauses insérées dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs ne revêtent pas un caractère abusif.

La clause litigieuse qui se rapporte aux modalités de remboursement du prêt libellé en devise étrangère et au risque de change qui en découle, relève de l'objet principal du contrat. Par conséquent, elle ne peut pas être considérée comme étant abusive, pour autant qu'elle soit rédigée de façon claire et compréhensible.

La CJUE a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que l'exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible suppose que, dans le cas des contrats de crédit, les établissements financiers doivent fournir aux emprunteurs des informations suffisantes pour permettre à ceux-ci de prendre leurs décisions avec prudence et en toute connaissance de cause. À cet égard, cette exigence implique qu'une clause selon laquelle le prêt doit être remboursé dans la même devise étrangère que celle dans laquelle il a été contracté soit comprise par le consommateur à la fois sur le plan formel et grammatical, mais également quant à sa portée concrète, en ce sens qu'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement connaître la possibilité de hausse ou de dépréciation de la devise étrangère dans laquelle le prêt a été contracté, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières (arrêt du 20 septembre 2017, [O] e.a., C-186/16, EU:C:2017:703).

S'agissant, plus particulièrement, de contrats de prêt indexés sur une devise étrangère, la CJUE a précisé que l'exigence de transparence des clauses contractuelles implique notamment qu'un professionnel doit clairement informer le consommateur concerné du fait que, en concluant un tel contrat, celui-ci s'expose à un risque de change qui lui sera, éventuellement, économiquement difficile à assumer en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus, et a ajouté que ce professionnel doit exposer à ce consommateur les possibles variations des taux de change et les risques inhérents à la conclusion d'un tel contrat (arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C-776/19 à C-782/19, EU:C:2021:470).

Enfin, la CJUE a énoncé que le système de protection mis en 'uvre par la directive 93/13 reposant sur l'idée que le consommateur se trouve dans une situation d'infériorité à l'égard du professionnel en ce qui concerne, notamment, le niveau d'information, cette exigence de rédaction claire et compréhensible des clauses contractuelles et, partant, de transparence, posée par la même directive, doit être entendue de manière extensive (voir, en ce sens, arrêts du 30 avril 2014, [S] et [M] Rábai, C-26/13, EU:C:2014:282, points 71 et 72, ainsi que du 9 juillet 2015, Bucura, C-348/14, non publié, EU:C:2015:447, point 52).

Il incombe au juge national de vérifier, en tenant compte des circonstances entourant la conclusion du contrat, si a été communiqué au consommateur concerné l'ensemble des éléments susceptibles d'avoir une incidence sur la portée de son engagement, lui permettant d'évaluer les conséquences financières de celui-ci, étant rappelé que « la notion de 'consommateur', au sens de l'article 2, sous b), de la directive 93/13, a[yant] un caractère objectif et [étant] indépendante des connaissances concrètes que la personne concernée peut avoir ou des informations dont cette personne dispose réellement » (en ce sens, arrêt du 21 mars 2019, [H] et [Y], C-590/17, EU:C:2019:232, point 24), la banque n'est pas fondée, en l'espèce, à arguer du caractère particulièrement averti des emprunteurs pour soutenir qu'ils ne peuvent être qualifiés de « consommateurs moyens ».

La clause litigieuse stipule : « Si toutefois, l'intégralité du prêt n'était pas décaissée au terme des 24 mois consécutifs au premier décaissement, la Banque serait contrainte de procéder à un achat au comptant, en annulation de la somme non utilisée. La différence de change qui pourrait exister entre le montant de la vente à terme et le montant de cet achat au comptant resterait à ma charge (ou à mon profit s'il s'agit d'un gain de change) ».

La cour relève qu'une telle formulation ne satisfaisant pas à l'exigence de rédaction claire et compréhensible énoncée à l'article 5 de la directive 93/13, dans la mesure où la banque n'a fourni aucune information précise aux emprunteurs sur le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause, qui consiste, non pas en une seule opération (un achat au comptant), mais en deux opérations financières simultanées : une vente à terme des devises non utilisées au cours fixé à la conclusion du contrat, d'une part, et un rachat au comptant au cours en vigueur à l'expiration du délai de garantie, en annulation de la somme non utilisée, d'autre part, la différence de change entre le montant de la vente à terme et le montant de l'achat au comptant restant à la charge ou au profit des emprunteurs.

Alors qu'il incombait à la banque d'informer les emprunteurs de manière à leur permettre de mesurer pleinement la portée de la clause litigieuse, tant au regard de ses avantages que de ses inconvénients tenant en particulier aux possibles variations du taux de change et au report, à l'issue d'une période de deux ans, des risques inhérents à la souscription de prêts en devise étrangère, dont un prêteur professionnel a nécessairement connaissance, force est de relever que la clause litigieuse, même éclairée par les autres stipulations du contrat de prêt, n'est pas rédigée de manière claire et compréhensible en ce qu'elle ne permet pas aux emprunteurs d'être informés sur la manière concrète dont la clause est mise en œuvre, d'évaluer concrètement les conséquences négatives de ladite clause sur leurs obligations financières dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de l'euro par rapport au franc et ne les alerte pas sur le fait que le risque de change est d'autant plus élevé que le montant des décaissements réalisés sur la période de 24 mois est faible et la somme non utilisée à l'issue de la période importante.

Au regard des connaissances et des moyens supérieurs de la banque pour anticiper le risque de change, ainsi que du caractère non plafonné de ce risque, la clause litigieuse, qui fait peser, en cas de dévaluation de l'euro par rapport au franc suisse, le risque de change sur le consommateur, crée un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat, au détriment des emprunteurs.

En effet, la clause litigieuse fait peser sur les emprunteurs un risque disproportionné par rapport aux prestations et au montant du prêt reçu, puisque l'application de la clause a pour conséquence que les consommateurs doivent supporter, en cas de dévaluation de l'euro par rapport au franc suisse, le coût de l'évolution du taux de change et que, selon le montant des décaissements opérés, ils peuvent se trouver dans une situation dans laquelle le montant de la « différence de change » restant à leur charge à l'issue de la période de couverture de change est considérablement plus important que la somme effectivement empruntée. Il en est ainsi en l'espèce puisqu'alors que le prêt n'a été débloqué qu'à hauteur de la somme de 3.000 euros, la « différence de change » à la charge des emprunteurs s'élève la somme de 85.610,85 euros.

Dans ces circonstances, la clause litigieuse crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat au détriment des consommateurs, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à leur égard, que ces derniers acceptent, à la suite d'une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses. En conséquence, la clause est abusive et est réputée non écrite.

Le caractère non écrit de la clause a pour conséquence qu'il n'y a pas lieu de laisser à la charge des emprunteurs « la différence de change qui pourrait exister entre le montant de la vente à terme et le montant de cet achat au comptant ». Aussi convient-il, par infirmation du jugement déféré, de condamner la banque à rembourser aux emprunteurs la somme de 85.610,85 euros débitée sur leur compte, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 28 octobre 2020, faute de preuve de l'envoi d'une mise en demeure préalable par lettre recommandée.

En revanche, le débit de la somme de 9.899,59 euros correspondant aux frais perçus au titre du découvert bancaire ne résultant pas directement du caractère non écrit de la clause litigieuse, les emprunteurs ne peuvent qu'être déboutés de ce chef de demande.

 

2. Sur la déchéance du droit aux intérêts du prêt :

En cause d'appel, les emprunteurs font valoir que la banque n'a pas respecté le délai de réflexion de dix jours de l'article L. 313-34 du code de la consommation, puisque la signature de l'offre a été concomitante à sa réception. Ils demandent donc à la cour de juger qu'ils devront rembourser le capital emprunté, à l'exclusion de tout intérêt.

La banque soulève l'irrecevabilité de cette demande nouvelle dans le corps de ses conclusions d'appel mais ne reprend pas cette fin de non-recevoir dans le dispositif de ses conclusions. Sur le fond, elle soutient que le moyen tiré du défaut de respect du délai de réflexion est inopérant, dès lors, d'une part, qu'il ressort de l'offre de prêt que le délai a bien été respecté et, d'autre part, que le prêt a été réitéré par voie authentique et que l'acte stipule que l'offre a été reçue le 4 décembre 2017 et acceptée le 20 décembre 2017, sans qu'aucune procédure d'inscription de faux n'ait été portée à sa connaissance.

Réponse de la cour

La cour rappelle qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties.

En conséquence, il n'y a pas lieu de statuer sur la fin de non-recevoir tirée du caractère nouveau en appel de la demande de déchéance du droit aux intérêts pour non-respect du délai de réflexion, cette prétention n'ayant pas été énoncée dans le dispositif des conclusions de la banque.

Sur le fond, il résulte de l'article L. 313-34 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable au litige, que l'emprunteur et les cautions ne peuvent accepter l'offre de crédit immobilier que dix jours après qu'ils l'ont reçue. L'acceptation est donnée par lettre, le cachet de l'opérateur postal faisant foi, ou selon tout autre moyen convenu entre les parties de nature à rendre certaine la date de l'acceptation par l'emprunteur.

En l'espèce, il ressort de l'offre de prêt immobilier que les emprunteurs ont mentionné de façon manuscrite, en dernière page de l'offre, juste au-dessus de leur signature, le 4 décembre 2017 comme date de réception et le 20 décembre comme date d'acceptation.

En cause d'appel, ils soutiennent que ces indications sont erronées, s'agissant de la date de réception de l'offre. Toutefois, les mails qu'ils versent aux débats sont insuffisants pour rapporter la preuve du caractère erroné de ces mentions et leur pièce n° 18, intitulée « photos de l'enveloppe contenant les offres de prêt en date du 20 décembre 2017 », est inexploitable car elle ne permet pas à la cour, compte tenu du format particulièrement réduit des photos, de lire la date apposée sur l'enveloppe par les services postaux.

Au vu de ce qui précède, il convient de débouter les emprunteurs de leur demande de déchéance du droit aux intérêts.

 

3. Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Compte tenu de la solution donnée au litige en cause d'appel, le jugement est infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance.

La banque, partie perdante au principal, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer aux emprunteurs la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Juge que la clause de la « lettre d'offre de couverture de cours de change (décaissements successifs) » suivante : « Si toutefois, l'intégralité du prêt n'était pas décaissée au terme des 24 mois consécutifs au premier décaissement, la Banque serait contrainte de procéder à un achat au comptant, en annulation de la somme non utilisée. La différence de change qui pourrait exister entre le montant de la vente à terme et le montant de cet achat au comptant resterait à ma charge (ou à mon profit s'il s'agit d'un gain de change) » est abusive et est réputée non écrite,

Condamne la Société générale à payer à M. Y. et Mme X. épouse Y. la somme de 85.610,85 euros, en remboursement de la somme débitée sur leur compte en exécution de la clause réputée non écrite,

Déboute M. Y. et Mme X. épouse Y. de leurs demandes de remboursement de la somme de 9.899,59 euros et de déchéance du droit aux intérêts contractuels,

Condamne la Société générale à payer à M. Y. et Mme X. épouse Y. la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la Société générale aux dépens de première instance et d'appel,

Fait application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile aux avocats qui en ont fait la demande.

LE GREFFIER                                            LE PRÉSIDENT