CA COLMAR (1re ch. civ. sect. B), 12 mai 2005
CERCLAB - DOCUMENT N° 1404
CA COLMAR (1re ch. civ. sect. B), 12 mai 2005 : RG n° 1 B 02/01531
Extrait : « Que, nonobstant le choix effectué par les parties à la signature du contrat, les époux X. ne peuvent se voir privés de la protection des dispositions impératives de la loi du 13 juillet 1979 ; que le jugement sera confirmé en ce qu’il a dit que cette loi était applicable au contrat du prêt qu’ils ont signé avec la COMMERZBANK. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION B
ARRÊT DU 12 MAI 2005
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Numéro d’inscription au répertoire général : 1 B 02/01531. Décision déférée à la Cour : 24 janvier 2002 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE STRASBOURG
APPELANTS :
Monsieur X. et
Madame Y. épouse X.
[adresse], Représentés par Maître LAISSUE‑STRAVOPODIS, avocat à la Cour, Plaidant : Maître SULTAN, avocat à STRASBOURG
INTIMÉES :
- COMMERZBANK AG venant aux droits de la COMMERZ CREDIT BANK
[adresse] (ALLEMAGNE), Représentée par Maître BECKERS, avocat à la Cour. Plaidant : Maître DURQUET, avocat à SARREGUEMINES
- SARL COFIA en liquidation judiciaire représentée par son liquidateur Maître GALL HENG
[adresse], Non représentée
- Société GENERALI LLOYD venant aux droits de la DEUTSCHER LLOYD
[adresse] (ALLEMAGNE), Représentée par la SCP CAHN et Associés, avocats à la Cour. Plaidant : Maître MEIN, avocat à PARIS
[minute page 2]
COMPOSITION DE LA COUR : L’affaire a été débattue le 16 février 2005, en audience publique, devant la Cour composée de : M. LITIQUE, Président de Chambre, Mme MAZARIN, Conseiller, Mme MAZARIN, Conseiller, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme ARMSPACH‑SENGLE,
ARRÊT : - réputé contradictoire - prononcé par mise à disposition au greffe - signé par M. Jean‑Marie LITIQUE, président et Mme Corinne ARMSPACH‑SENGLE, greffier présent au prononcé.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
La société COFIA, faisant du courtage en matière immobilière, a proposé aux époux X. un crédit faisant intervenir conjointement la compagnie d’assurance DEUTSCHER LLOYD et l’établissement bancaire, la COMMERZ-CREDITBANK .
Le 29 novembre 1991, les époux X., demeurant à [VILLE H.], ont signé une offre de prêt au logement présentée par la COMMERZ-CREDITBANK de SAARBRUCKEN devenue COMMERZBANK portant sur 88 000 DM remboursable en vingt ans par la souscription et la cession d’une assurance-vie conclue avec la société DEUTSCHER LLOYD ;
Le 14 décembre 1991 les époux X. ont renvoyé à la COMMERZBANK par la voie postale la déclaration d’acceptation de l’offre de prêt de la banque ;
Par acte authentique dressé par Maître B. notaire à PHALSBOURG le 17 décembre 1991 entre la COMMERZBANK et les époux X., ceux-ci ont affecté à la garantie du capital prêté leur immeuble situé 13, rue du Lichtenberg à HOEHNEIM
Par relevé de compte du 1er janvier 1991 au 19 février 1992, le notaire a indiqué au crédit du compte des époux X. un virement de 279.450 francs opéré le 30 décembre 1991 par la COMMERZBANK au profit des époux X. et au débit du compte notamment un paiement de 12.000 francs à l’ordre de la COFIA à titre de commission ;
[minute page 3] Les époux X. constatant par la suite que de nombreux frais ont été déduits du montant du prêt et que même pendant le remboursement des échéances des frais inexpliqués et variant de 20 à 75 DM continuaient à être portés au débit du compte, ont demandé par l’intermédiaire de leur conseil de renégocier le prêt mais sans effet, et ont cessé les remboursements en 1994 ;
Ils ont alors assigné en décembre 1995 la COMMERZ CREDITBANK, la société DEUTSCHER LLOYD et la SARL COFIA devant le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG en vue de voir prononcer la déchéance du droit aux intérêts, subsidiairement la nullité du contrat de prêt et du contrat d’assurances, et mis en cause la responsabilité des trois intervenants à l’opération pour manquement à leur obligation d’information et de conseil ;
Par jugement du 2 juillet 1998, le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG s’est déclaré incompétent s’agissant de la demande formulée à l’encontre de la COMMERZBANK et s’est déclaré compétent pour le surplus ;
Par arrêt en date du 24 février 1999, la Cour a infirmé partiellement le jugement et a déclaré le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG compétent pour connaître de la demande dirigée contre la COMMERZBANK ;
Désireux de vendre l’immeuble grevé de l’hypothèque de la COMMERZBANK, les époux X. lui ont réglé la somme de 180.648,19 DM correspondant au décompte du 31 janvier 2001 ;
Par jugement en date du 24 janvier 2002 le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG a débouté les époux X. de l’ensemble de leurs demandes, les a condamnés à payer à la société COMMERZBANK la somme de 1.500 euros et à la société DEUTSCHER LLOYD la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du NCPC, et les a condamnés aux dépens ;
Le tribunal a considéré que :
- par application de la convention de ROME du 19 juin 1980, article 5-2, le contrat de prêt conclu par les époux X. était soumis à la loi française du 13 juillet 1979 relatif à la protection du consommateur en matière de crédit immobilier
- le contrat est conforme aux dispositions de la loi du 13 juillet 1979 ;
- le contrat d’assurance conclu entre les époux X. et la DEUTSCHER LLOYD était soumis au droit allemand ;
- il n’y avait pas lieu de faire droit à la demande de nullité du contrat d’assurance dans la mesure où les demandeurs ne rapportaient pas la preuve du caractère d’ordre public international des dispositions législatives françaises dont la violation était invoquée ;
- les demandeurs ne rapportaient pas la preuve d’un vice du consentement lors de la signature du contrat de prêt et du contrat d’assurance vie ;
- ils ne rapportaient pas non plus la preuve que les trois défendeurs aient manqué à leur obligation d’information ou de conseil.
[minute page 4] Les époux X. ont interjeté appel de ce jugement et par dernières conclusions reçues le 6 octobre 2003, ils demandent à la Cour :
- de déclarer leur appel recevable et bien fondé ;
- de confirmer le jugement en ce qu’il a considéré que le contrat de prêt litigieux était soumis à la loi française ;
- de l’infirmer pour le surplus ;
Statuant à nouveau
- de constater que le contrat de prêt ne respecte pas les dispositions de la loi du 13 juillet 1979 en matière de crédit immobilier ;
- de prononcer la déchéance de la COMMERZBANK du droit à la totalité des intérêts sur le fondement de l’article L 312-33 du Code de la Consommation ;
- de prononcer la nullité du contrat d’assurance vie capitalisation souscrit auprès de la DEUTSCHER LLOYD pour violation de rédiger le contrat d’assurance en français, et pour violation de l’article 18 de la loi du 31 décembre 1989 ;
- de constater que la nullité du contrat d’assurance-vie entraîne la nullité du contrat de prêt ;
- de prononcer la nullité de l’ensemble contractuel formé par le contrat de prêt ou le contrat d’assurance-vie pour l’un des emprunteurs ;
En conséquence,
- de condamner la COMMERZBANK à payer à M. et Mme X. la somme de 59.996,15 euros augmentée des intérêts légaux à compter du 31 janvier 2001 ;
Quelle que soit la condamnation principale :
- de condamner la COMMERZBANK à rembourser à M. et Mme X. les frais de procédure qui leur ont été indûment facturés à hauteur de 10.789,50 euros ;
- de condamner la DEUTSCHER LLOYD à payer à M. et Mme X. la somme de 5.000 euros pour violation de l’article L. 112-2 du Code des Assurances ;
- de condamner solidairement la COMMERZBANK, la DEUTSCHER LLOYD et la SARL COFIA au paiement de la somme de 8.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à leur obligation d’information, de conseil et de loyauté, de la somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du NCPC ;
- de les condamner solidairement aux entiers dépens de première instance et d’appel ;
Ils font valoir au soutien de leur appel :
- en ce qui concerne le contrat de prêt :
* qu’à juste titre le premier juge a dit que la loi du 13 juillet 1979 est applicable sur le fondement de l’article 5 de la convention de ROME qui vise à protéger les consommateurs dans les contrats transfrontaliers en considérant que l’expression « contrat ayant pour objet une fourniture de services » s’appliquait aux contrats de prêts immobiliers ;
* que les conditions de l’article 5-2 de la convention sont remplies dès lors :
- que le contrat a été conclu par l’intermédiaire de la société COFIA ayant pour objet le courtage en financement, et que cette société qui faisait des annonces dans la presse a proposé aux époux X. de contracter avec la COMMERZBANK ;
- [minute page 5] que les actes nécessaires à la conclusion du contrat ont été accomplis en FRANCE puisque l’acceptation de l’offre de prêt a été faite en FRANCE par les époux X. qui ont adressé par la poste le 14 décembre 1991 l’acceptation de l’offre de prêt ; et d’autre part l’acte authentique d’affectation hypothécaire a été signé en FRANCE dans les locaux de la COFIA le 17 décembre 1991 ;
* qu’en tout état de cause le premier juge aurait pu reconnaître la loi du 13 juillet 1979 applicable sur le fondement de l’article 7-2 de la convention de ROME dès lors que la loi du 13 juillet 1979 est une loi de police d’application impérative pour le juge français ;
* que même sur le fondement de l’article 3 de la convention, la loi du 13 juillet 1979 était expressément invoquée dans le contrat, en particulier quant à la procédure de l’envoi de l’offre et au respect du délai de réflexion de 10 jours (art. 7 de la loi du 13 juillet 1979) ;
* que c’est à tort que le premier juge a considéré que l’offre de prêt contenait les indications prévues à l’article L. 312-8 du Code de la consommation :
- l’offre ne contient pas d’explications sur le mode de remboursement du prêt « in fine » avec l’épargne réalisée par le contrat d’assurance ; absence de précision sur les modalités du prêt ;
- absence de remise d’un tableau d’amortissement ;
- aucune indication du coût total du crédit ;
- indication erronée du TEG qui ne prend pas en compte les frais d’hypothèque, ni la commission de la société COFIA ;
- en ce qui concerne le contrat d’assurance-vie :
* que celui-ci est atteint de nullité en vertu du caractère d’ordre public international de l’obligation énoncée à l’article L. 112-3 du Code des Assurances de rédiger le contrat d’assurance en français, et de l’obligation pour les entreprises étrangères faisant souscrire l’assurance d’un risque situé en FRANCE d’obtenir, en application de l’article 18 de la loi du 31 décembre 1989, un agrément préalable à l’exercice de leur activité ;
* qu’en raison de l’interdépendance entre le contrat de prêt et le contrat d’assurance-vie, la capitalisation de l’assurance-vie étant affectée au remboursement du crédit, l’annulation du contrat d’assurance-vie doit entraîner l’annulation du contrat de prêt ;
* que le contrat de prêt et le contrat d’assurance-vie doivent être annulés pour vice du consentement ; les époux X. ont commis une erreur sur les qualités substantielles des contrats conclus, ils n’ont pas reçu les informations nécessaires à la compréhension du montage caractéristique des prêts « in fine » ;
* que la conséquence du non-respect des dispositions de la loi du 13 juillet 1979 et de la nullité du contrat de prêt est la restitution par la COMMERZBANK de la totalité des intérêts, celle-ci n’ayant droit qu’au seul paiement du capital ;
* que les époux X. ont payé à la COMMERZBANK la somme réclamée de 180.648,19 DM soit 92.257,79 euros correspondant à un décompte en capital et intérêts au 31 janvier [minute page 6] 2001 ; que compte tenu de la déchéance du droit aux intérêts, la COMMERZBANK n’a droit qu’au seul remboursement du capital soit 88.000 DM ou 44.999,69 euros ; que de plus ils ont versé au titre du remboursement du crédit une somme de 24.901,73 DM, soit 12.732,05 euros entre le 20 février 1992 et le 16 août 1994 ; qu’ils n’étaient donc débiteurs que de 44.993,69 euros - 12.732,05 euros, soit 32.261,64 euros ; que compte tenu du remboursement anticipé ils sont en droit de réclamer à la COMMERZBANK le trop perçu soit 92.257,79 - 32.261,64 = 59.996,15 euros ;
* que des frais de procédure non justifiés ont été facturés depuis juillet 1998 pour un montant de 21.102,42 DM soit 10.789,50 euros, et doivent être remboursés ;
* que la DEUTSCHER LLOYD engage sa responsabilité pour violation de l’article L. 112-2 du Code des Assurances qui oblige l’assureur à remettre à l’assuré un exemplaire du projet de contrat et de ses pièces annexes ou une notice d’information sur le contrat ;
* que la responsabilité solidaire de la COMMERZBANK, et de la société COFIA est engagée pour manquement à leur obligation d’information et de conseil en qualité de professionnels du financement, dans la mesure où il leur appartenait de mettre en garde les époux X. contre les inconvénients des prêts transfrontaliers « in fine », déconseillés aux consommateurs, que la DEUTSCHER LLOYD a sciemment participé à un montage financier préjudiciable aux consommateurs ;
* que la COMMERZBANK a manqué à son obligation de loyauté dans l’exécution du contrat en n’ayant fourni aucune réponse ni explications aux époux X. qui l’ont interrogée à plusieurs reprises sur les dysfonctionnements du système de prélèvement automatique mis en place et sur la perception de nombreux frais injustifiés ;
* que le préjudice matériel et moral des époux X. qui ont été contraints de vendre l’immeuble sur lequel la COMMERZBANK avait pris une hypothèque est conséquent et justifie l’allocation d’une somme de 8.000 euros de dommages et intérêts.
Par dernières conclusions reçues le 3 janvier 2002 la COMMERZBANK AG venant aux droits de la COMMERZ CREDIT BANK demande à la Cour de rejeter l’appel comme mal fondé, de confirmer le jugement entrepris, de condamner les époux X. aux dépens et au paiement de la somme de 2.286,74 euros au titre de l’article 700 du NCPC.
Elle fait valoir pour sa part que :
- le contrat de prêt est un contrat transfrontalier soumis à la convention de ROME du 19 juin 1980 ;
- les parties ont convenu expressément dans le contrat de la soumettre au droit allemand ; l’article 3 de la convention est donc applicable ;
- la loi allemande doit s’appliquer dès lors que ses dispositions ne sont pas contraires aux dispositions de la loi du 13 juillet 1979 conformément à l’article 16 de la convention aux termes duquel l’application d’une disposition de la loi désignée par la convention ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l’ordre public du for ;
- [minute page 7] l’offre de prêt respecte les dispositions de la loi allemande qui ne sont pas incompatibles avec la législation française dans la mesure où il est prévu :
- un délai de réflexion de 10 jours,
- le maintien de l’offre pendant 30 jours,
- l’indication du montant mensuel des échéances,
- le coût de la prime,
- l’indication du TEG avec la précision que s’y ajoutent les frais de notaire pour la constitution d’hypothèque ;
Subsidiairement, si la Cour considère que l’article 5 de la convention de ROME est applicable aux crédits immobiliers, la COMMERZBANK fait observer que la société COFIA n’a reçu aucun mandat de sa part de démarcher des clients, et que ce sont les époux X. qui ont contacté et mandaté la COFIA pour rechercher un organisme prêteur à l’étranger ; que la conclusion du contrat n’a donc pas été précédée en FRANCE d’une proposition spécialement faite ou d’une publicité (article 5-2 de la convention de ROME) ;
La COMMERZBANK soutient que dans tous les cas, les indications contenues dans l’offre de prêt, la notice, qui fait corps avec l’offre, rappelées dans l’acte notarié portant constitution d’hypothèque, respectent les dispositions de la loi du 13 juillet 1979 sur l’information et la protection des consommateurs ;
La déchéance des intérêts, qui sanctionne la non observation des formalités requises conformément à l’article L. 312-33 du Code de la Consommation, a été à bon droit rejetée.
La COMMERZBANK estime que les époux X. ne rapportent la preuve d’aucun vice du consentement ; le montage propre aux prêts in fine résultant clairement des documents contractuels qu’ils ont signés après le délai de réflexion de 10 jours, prolongé jusqu’à l’établissement de l’acte notarié portant constitution d’hypothèque ;
De même aucun manquement à son obligation d’information et de loyauté ne peut lui être reproché ;
Par dernières conclusions reçues le 1er avril 2004, LA SOCIETE GENERALI LLOYD, déclarant venir aux droits de la DEUTSCHER LLOYD, demande à la Cour de :
- confirmer le jugement en ce qu’il a débouté les consorts X. de l’ensemble de leurs demandes et les a condamnés à payer à la société COMMERZBANK la somme de 1.500 euros et à la SOCIETE GENERALI LLOYD la somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du NCPC ;
- d’infirmer le jugement en ce qu’il a jugé à tort, concernant la conclusion du contrat de prêt, que la première condition de l’article 5 de la convention de ROME était remplie ;
- de débouter les consorts X. de leurs entières demandes ;
- de les condamner aux entiers dépens et au paiement de la somme de 15.000 euros HT au titre de l’article 700 du NCPC ;
[minute page 8] Elle fait valoir pour sa part
* en ce qui concerne le contrat de prêt :
- que les parties ont expressément choisi la loi allemande pour régir le contrat (art. 3 de la convention de ROME) ;
- que l’article 7-2 de la convention de ROME doit être écarté en vertu de la liberté des prestations de services prévue par l’article 59 ancien du Traité de ROME, et que l’article 7-2 ne concerne que les lois de police au sens du droit international privé et non celles qui sont impératives seulement au sens du droit interne, ce qui est le cas de la loi du 13 juillet 1979 ;
- que l’article 5 de la convention de ROME ne peut s’appliquer en l’espèce aux motifs que le contrat de prêt ne constitue pas un contrat de « fourniture de service » au sens de ce texte ; que la conclusion du contrat n’a pas été précédée dans le pays du consommateur d’une proposition spécialement faite ou d’une publicité car la société COFIA est le mandataire des époux X., et non un intermédiaire de la COMMERZBANK ; enfin que le seul envoi en FRANCE de l’acceptation de l’offre de prêt par les époux X. ne constitue pas un acte nécessaire à la conclusion du contrat, dès lors qu’ils se sont rendus dans les locaux de la COMMERZBANK pour y souscrire les formulaires du prêt ;
- que si la Cour devait retenir l’application de la loi française du 13 juillet 1979, il y aurait lieu de constater que l’offre de prêt est conforme à ses dispositions: explications dans l’offre du montage financier, défaut de nécessité d’établir un tableau d’amortissement, mention du coût total du crédit pendant les trois premières années, indication exacte et suffisante du TEG ;
* en ce qui concerne le contrat d’assurance-vie et de capitalisation :
- qu’il est soumis à la loi allemande ;
- que les époux X. ne rapportent pas la preuve que les dispositions de l’article L. 112-3 du Code des Assurances imposant la rédaction du contrat d’assurances en français relèvent de l’ordre public international, ces dispositions ne relevant que de l’ordre public interne français ; que l’arrêt de la Première Chambre Civile de la Cour de Cassation du 24 novembre 1993 invoqué par les appelants qui précise que les contrats d’assurances souscrits ou exécutés en FRANCE sont impérativement rédigés en français n’est pas applicable en l’espèce, les époux X. ayant souscrit le contrat en ALLEMAGNE et le lieu d’exécution du contrat, qui n’est pas le lieu de la réalisation du risque, est également situé en ALLEMAGNE ;
- que de même les dispositions de l’article L. 112-2 du Code des Assurances relèvent de l’ordre public au sens du droit interne français et non de l’ordre public international ;
- que le moyen tiré du défaut d’agrément en FRANCE de la DEUTSCHER LLOYD n’est pas fondé dans la mesure où l’interdiction de s’assurer directement auprès d’un assureur étranger non agréé en FRANCE ne vise pas les contrats proposés en libre prestation de services et qu’au demeurant, une telle obligation, imposée à un assureur de l’union européenne, serait contraire à [minute page 9] l’article 59 du Traité de ROME constituant une entrave à la liberté de prestations de services, ce qui résulte d’un arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes du 4 décembre 1986 affaire « Commission des Communautés Européennes contre République Fédérale d’ALLEMAGNE », qui précise en outre qu’il peut exister dans le domaine en cause des raisons impérieuses liées à l’intérêt général qui peuvent justifier des restrictions à la libre prestation des services, mais qu’une telle justification est soumise à la condition que les règles de l’Etat d’établissement ne suffisent pas pour atteindre le niveau de protection nécessaire, et que les exigences de l’Etat destinataire n’aillent pas au delà de ce qui est nécessaire à cet égard ;
- que le régime d’agrément allemand, précisément les dispositions du paragraphe 5 du Versicherung-saufsichtsgesetz allemand, est aussi protecteur que le régime français et prévoit un contrôle équivalent au contrôle effectué par les autorités françaises ;
- qu’aucun vice du consentement des époux X. lors de la conclusion des deux contrats n’est établi, que toutes les informations nécessaires leur ont été données et que tous documents contractuels sur lesquels ils avaient la possibilité de demander des éclaircissements leur ont été remis.
La SARL COFIA, régulièrement assignée à la personne de son liquidateur, Maître GALL-HENG, n’a pas constitué avocat ; l’arrêt sera réputé contradictoire à l’égard de toutes les parties ;
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR QUOI, LA COUR :
Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les écrits des parties auxquels il est référé pour plus ample exposé de leurs moyens et arguments ;
Sur le contrat de prêt signé entre les époux X. et la COMMERZBANK :
I - Sur la loi applicable au contrat de prêt :
Attendu qu’il n’est pas contesté que le contrat de prêt conclu entre la COMMERZBANK et les époux X., qui sont domiciliés en FRANCE, présente des éléments d’extranéité justifiant l’application de la convention de ROME du 19 juin 1980 entrée en vigueur en FRANCE le 1er avril 1991 dès lors que l’offre de prêt a été acceptée par les emprunteurs le 14 décembre 1991 ;
Attendu qu’aux termes de l’article 3 de la convention de ROME, le contrat est régi par la loi choisie par les parties ; ce choix doit être exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause ; par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat ;
[minute page 10] Attendu que l’offre de prêt établie par la COMMERZBANK prévoit expressément en page 8 que « cette offre, l’acceptation de cette offre et le contrat en résultant, sont soumis au droit de la République Fédérale d’ALLEMAGNE » ;
Que les parties ont déclaré expressément soumettre le contrat dans sa globalité à la loi allemande ;
Que la référence faite à l’article 7 de la loi du 13 juillet 1979 relative aux prêts immobiliers, s’agissant du délai du maintien de l’offre de prêt par le prêteur et du délai d’acceptation de l’offre par l’emprunteur, est limitée à certaines règles de formation du contrat ;
Que la référence ponctuelle à la loi française n’a pas pour effet d’écarter l’application de la loi allemande pour le surplus, conformément au choix exprès des parties ;
Que le fait que le contrat d’affectation hypothécaire signé en FRANCE le 17 décembre 1991 devant notaire fasse référence à la loi française est sans incidence sur la détermination de la loi applicable au contrat de prêt dès lors que l’acte d’affectation hypothécaire précise que les conditions de prêt ont été établies sans l’entremise du notaire, dans un acte sous-seing privé ;
Attendu que le contrat est soumis de manière générale au droit allemand, de façon expresse, sauf à y ajouter les dispositions de l’article 7 de la loi du 13 juillet 1979, étant précisé que l’article 3-1 de la convention de ROME permet aux parties de soustraire une partie du contrat à la loi désignée par elles ;
Attendu que selon l’article 5 de la convention de ROME : « le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi du pays dans lequel il a sa résidence habituelle, si la conclusion du contrat a été précédée, dans ce pays, d’une proposition spécialement faite ou d’une publicité, et si le consommateur a accompli dans ce pays les actes nécessaires à la conclusion du contrat » ;
Attendu que l’article 5 s’applique « aux contrats ayant pour objet la fourniture d’objets mobiliers corporels ou de services à une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, ainsi qu’aux contrats destinés au financement d’une telle fourniture » ;
Attendu que l’article 5 vise expressément les contrats de crédit conclus pour l’achat de biens meubles et de services par l’expression « contrats destinés au financement » (d’une telle fourniture) ;
Que si les contrats de crédits sont introduits par la mention « ainsi que » qui indique un ajout, en revanche rien dans la lettre du texte ne permet de conclure avec certitude que les contrats de crédit, y compris les contrats de crédit immobilier, soient exclus de l’expression “contrats ayant pour objet la fourniture de services” dont l’étendue n’est pas précisée ;
[minute page 11] Que d’ailleurs, selon le paragraphe 4 de l’article 5, ledit article ne s’applique pas aux contrats de transport et aux contrats de fourniture de services dans certaines conditions ; mais les contrats de crédit immobiliers n’ont pas été exclus expressément du champ d’application de l’article 5 ;
Attendu d’autre part que la Cour de Justice des Communautés Européennes a dit dans son arrêt du 14 novembre 1995 « SWENSON/GUSTAVSSON », que des opérations telles que des prêts à la construction octroyés par des banques constituent des services au sens de l’article 59 du traité instituant la communauté européenne ;
Que dans son arrêt du 9 juillet 1997, « PARADI/BANQUE ALBERT DE BARY ET CIE », elle précise que « l’opération qui consiste pour une banque établie dans un Etat membre à accorder un prêt hypothécaire à un emprunteur établi dans un autre Etat membre constitue nécessairement une prestation de service liée à un mouvement de capital au sens de l’article 61 paragraphe 2 du traité » ;
Que le contrat de prêt immobilier a donc bien été défini par la Cour de Justice des Communautés Européennes comme étant une fourniture de services ;
Que dès lors, eu égard aux notions applicables en droit communautaire, le terme de « contrat ayant pour objet la fourniture » de service doit être interprété comme recouvrant les contrats de crédit, y compris les crédits immobiliers ;
Qu’il convient en conséquence de confirmer le jugement qui a fait application de l’article 5 au prêt litigieux dès lors que les époux X. ont conclu ce prêt au logement en hypothéquant l’immeuble habité par eux à [VILLE H.] à des fins personnelles ;
Attendu qu’en ce qui concerne les conditions d’application de l’article 5, il convient de se référer à l’interprétation des critères de l’article 13 de la convention de BRUXELLES, lesquels sont en tous points identiques à ceux de la convention de ROME, par la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE-11/07/92- affaire n° C96/00) : les notions de « publicité » et de « proposition spécialement faite » figurant à la première de ces conditions communes aux conventions de BRUXELLES ou de ROME visent toutes formes de publicité faites dans l’Etat contractant où le consommateur est domicilié ainsi que les propositions d’affaires soumises individuellement au consommateur, notamment par le moyen d’un agent ou d’un colporteur. Quant à la seconde condition, l’expression « actes nécessaires à la conclusion du contrat » se réfère à tout acte écrit ou à toute autre démarche effectuée par le consommateur dans l’Etat où il est domicilié et qui expriment sa volonté de donner suite à la sollicitation du professionnel ; »
Qu’il n’est pas discuté que le contrat de prêt conclu entre la COMMERZBANK et les époux X. a été conclu par l’intermédiaire de la société COFIA, ayant pour objet le courtage en financement, dont le siège est à STRASBOURG et que cette société a perçu une commission de 4 % du montant du prêt, ainsi qu’il résulte du décompte du notaire ;
Que la COMMERZBANK et la DEUTSCHER LLOYD font valoir que l’intervention de la COFIA ne peut avoir d’effet en l’espèce, car il s’agit du mandataire de l’emprunteur et non du mandataire de la banque, mais que ce moyen est inopérant dès lors que le texte, qui ne parle pas [minute page 12] d’offre de contracter mais de « proposition spécialement faite », n’exige pas que celle-ci émane directement du cocontractant ou de son mandataire et qu’il suffit que le consommateur ait fait l’objet, dans l’Etat dans lequel il est domicilié, d’une proposition pour l’inciter à conclure le contrat en cause, ce qui est le cas en l’espèce ;
Que de plus, la Cour de céans a relevé dans son arrêt du 24 février 1999 statuant sur la compétence qu’il ressortait des pièces produites que la société COFIA faisait des annonces dans la presse française et notamment dans le journal d’annonces « MAXI FLASH 67 » pour proposer des prêts hypothécaires à des taux très intéressants ; que cette constatation n’est pas démentie dans les écritures de la COMMERZBANK ;
Que par ailleurs le fait que les époux X. aient signé le contrat d’affectation hypothécaire du 17 décembre 1991 à STRASBOURG, [adresse], qui est l’adresse du siège social de la COFIA, confirme bien le rôle d’intermédiaire de cette société, et ses liens avec la banque allemande ;
Attendu que, s’agissant de la deuxième condition, le contrat établi par la COMMERZBANK a inclus les dispositions de l’article 7 de la loi du 13 juillet 1979 dans une clause rédigée comme suit « l’envoi de l’offre oblige le prêteur à maintenir les conditions qu’elle indique pendant une durée minimale de trente jours à compter de sa réception par l’emprunteur. L’offre est soumise à l’acceptation de l’emprunteur... l’emprunteur ne peut accepter l’offre que dix jours après qu’il l’ait reçue. L’acceptation doit être donnée par écrit et par voie postale » ;
Que c’est donc bien l’acceptation de l’offre signée au domicile de l’emprunteur après le délai de réflexion, et expédiée du même domicile, qui entraîne la conclusion du contrat de prêt ;
Qu’il n’est pas discuté en l’espèce que les époux X. ont reçu l’offre de prêt par voie postale le 3 décembre 1991, qu’ils l’ont retournée par voie postale à la COMMERZBANK le 14 décembre 1991 (ainsi que cela résulte du récépissé d’acceptation de l’offre et de l’enveloppe d’envoi de l’offre à la COMMERZBANK produits aux débats, ainsi que des mentions reprises dans l’acte notarié d’affectation hypothécaire du 17/12/1991) ;
Qu’en outre, l’offre de prêt exigeait la constitution d’une hypothèque sur l’immeuble de l’emprunteur et cette condition suspensive de la réalisation du prêt a également été levée en FRANCE par la conclusion de l’acte authentique d’affectation hypothécaire du 17 décembre 1991;
Que l’expression « les actes nécessaires à la conclusion du contrat » vise ceux par lesquels le consommateur donne suite à la proposition de contracter et n’impose nullement que tous les actes nécessaires à l’exécution du contrat, tels que l’ouverture d’un compte en banque ou les écritures créditrices ou débitrices sur ce compte se situent dans l’Etat du domicile du consommateur ;
Attendu qu’en conséquence, c’est à bon droit que le premier juge a considéré que les conditions d’application de l’article 5 de la convention de ROME étaient réunies ;
[minute page 13] Que, nonobstant le choix effectué par les parties à la signature du contrat, les époux X. ne peuvent se voir privés de la protection des dispositions impératives de la loi du 13 juillet 1979 ; que le jugement sera confirmé en ce qu’il a dit que cette loi était applicable au contrat du prêt qu’ils ont signé avec la COMMERZBANK.
Que dès lors qu’il n’y a pas lieu d’examiner les moyens des appelants tirés de l’application de l’article 7-2 de la convention de ROME ;
II - Sur la conformité de l’offre de prêt aux dispositions de la loi du 13 juillet 1979 :
Attendu qu’il convient d’examiner la régularité de l’offre au regard des textes applicables à la date de son établissement, soit le 29 novembre 1991 ; que selon l’article L. 312-8 du code de la Consommation l’offre de prêt doit préciser notamment la nature, l’objet, les modalités du prêt, notamment celles qui sont relatives aux dates et conditions de mise à disposition des fonds ;
Elle doit préciser outre le montant du crédit susceptible d’être consenti, et le cas échéant, celui de ses fractions périodiquement disponibles, son coût total, son taux défini conformément à l’article L. 313-1 ainsi que, s’il y a lieu, les modalités de l’indexation ; elle doit énoncer, en donnant une évaluation de leur coût, les stipulations, les assurances, et les sûretés réelles ou personnelles exigées qui conditionnement la conclusion du prêt ;
Attendu qu’est applicable à l’offre litigieuse l’article 87-I de la loi n° 96-314 du 12 avril 1996 qui dispose « sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les offres de prêts mentionnées à l‘article L. 312-7 du Code de la consommation et émises avant le 31 décembre 1994 sont réputées régulières au regard des dispositions relatives à l’échéancier des amortissements prévus par le 2° de l’article L 312-8 du même code dès lors qu’elles ont indiqué le montant des échéances du prêt leur périodicité, leur nombre ou la durée du prêt, ainsi que, le cas échéant, les modalités de leurs variations ; »
Attendu que l’offre acceptée par les époux X. indique : « offre de prêt au logement COMMERZCREDITBANK » « prêt anticipé COMMERZCREDITBANK (CBD-L) avec assurance vie de DEUTSCHER LLOYD que le montant du prêt est de 88.000 DM, que sa durée est de 20 ans, que le taux d’intérêt est de 8,5 % par an pendant 3 ans puis variable, que le TEG est de 11,90 %, que le coût total du crédit (par mois) est de 890 DM avec assurances, sans assurances 624 DM coût de l’assurance : 266 DM ; que « l’objet financé » est situé [adresse] à [VILLE H.], que le total des frais est de 80.192 DM soit 80 0000 pour le remboursement de l’emprunt et 2 192 pour les autres frais par exemple frais de notaire, agent immobilier, droits d’enregistrement ;
Que le prêt est garanti par une hypothèque sur le bien financé et que le coût des hypothèques est évalué à 30 % ; enfin « qu’il est demandé de conclure une assurance-vie temporaire pour le prêt » ;
Attendu en l’espèce que le contrat souscrit pas les époux X. est un contrat de prêt « in fine » adossé à un contrat de capitalisation auprès de la société DEUTSCHER LLOYD dont [minute page 14] le mécanisme est le suivant :
- mise à disposition par la banque d’une somme d’argent à l’emprunteur,
- remboursement des intérêts du capital emprunté pendant toute la durée du prêt,
- remboursement du capital en une seule fois à l’échéance du prêt, à l’aide de la part de capitalisation épargnée dans le contrat d’assurance-vie,
- le prêt est garanti par l’affectation hypothécaire de l’immeuble des emprunteurs ;
- les emprunteurs consentent une cession de créance directe à la banque sur la part du capital placé en assurance-vie ;
Attendu que les mentions de l’offre de prêt qui doit préciser la nature, l’objet, les modalités du prêt ne sont pas explicites quant au montage particulier des crédits « in fine », les emprunteurs pouvant croire à un contrat classique assorti d’une simple assurance-vie ; qu’aucune disposition particulière du contrat ne précise que le capital est remboursable in fine ; que la mention « TDM 88 Todesfallsumme und TDM 58 – Erlebensfallsumme » que la COMMERZBANK traduit par « avoir valeur de rachat en millier de DM : 58 » est pour le moins obscure et ne permet pas de comprendre qu’après avoir payé tous les intérêts pendant toute la durée du prêt, les emprunteurs devront encore verser 30.000 DM ;
Qu’aucune disposition ne précise que les échéances payées à la banque ne comportent que des intérêts, ni que l’emprunteur paiera chaque mois une échéance d’intérêts à la banque et une échéance de capital à l’assurance, seuls étant indiqués dans les espaces relatifs au coût total du crédit (par mois) les montants des échéances avec ou sans assurances, ainsi que le taux d’intérêt annuel initial, que la mention relative au coût total du crédit, libellée en caractères minuscules et quasiment illisibles comme d’ailleurs l’intégralité de l’offre est la suivante : « il s’établit comme ci-dessus pendant la période de remboursement et de différé d’amortissement éventuel. Il n’est pas tenu compte dans (?) ces chiffres du coût durant l’éventuelle période d’utilisation en raison du caractère incertain des dates et du montant des utilisations. L’estimation du coût total de prêt est fondée sur le taux nominal de 8,5 % par an. Ce taux d’intérêt est convenu pour les trois premières années du prêt. Lorsque selon notre convention actuellement en place le taux du prêt sera variable après ce délai le coût total définitif peut différer corrélativement du coût total susnommé » ;
Que le sens de cette clause est difficilement compréhensible pour un consommateur moyen et en tous cas ne permet pas de savoir dans quelles conditions et selon quel critère le taux d’intérêt « variable » sera déterminé après le délai de 3 ans pendant lequel il est fixé à 8,5 %, étant rappelé que la durée de remboursement du prêt est de 20 ans ; qu’il est donc particulièrement difficile voire impossible pour l’emprunteur de déterminer le coût total du crédit lors de la signature de l’offre ; que si la stipulation d’un taux variable est admise, encore faut-il qu’il puisse être au moins déterminable, que les emprunteurs ne sont pas prévenus du fait que, s’ils n’acceptent pas le nouveau taux imposé par la banque à l’issue du délai de 3 ans, ils devront rembourser l’intégralité du prêt ;
Attendu que la COMMERZBANK ne peut se retrancher derrière le fait que les époux X. ont signé l’affectation hypothécaire du 17 décembre 1991, laquelle énonce de façon plus complète et précise le mécanisme et les conditions particulières du prêt, alors même que les dispositions de l’article L. 312-8 du Code de la consommation s’appliquent à l’offre préalable de crédit présentée par la banque et qu’en tout état de cause, à la date de la signature de l’affectation [minute page 15] hypothécaire, les emprunteurs ont accepté l’offre de prêt et que le contrat est d’ores et déjà conclu ;
Que de même la COMMERZBANK ne peut se référer aux conditions générales des prêts au logement COMMERZBANK dès lors que d’une part elles ne constituent pas l’offre prévue à l’article L. 312-8 et que d’autre part aucune preuve n’est rapportée de la remise de ces conditions générales ou d’une quelconque notice à l’emprunteur lors de la signature de l’offre ;
Attendu en conséquence, et sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres moyens des appelants relatifs à la régularité de l’offre, il y a lieu, contrairement à la décision déférée de constater l’irrégularité de l’offre de crédit soumise aux époux X. au regard des dispositions impératives de l’article L. 312-8 du Code de la Consommation ;
Attendu qu’en application de l’article L. 312-33 du même code, il y a lieu de prononcer la déchéance totale du droit aux intérêts de la COMMERZBANK ;
Sur le contrat d’assurance vie signé entre les époux X. et DEUTSCHER LLOYD :
I - sur la loi applicable au contrat :
Attendu que le 29 novembre 1991 les époux X. ont signé une demande d’assurance-vie et de capitalisation auprès de la DEUTSCHER LLOYD, pour une durée de 20 ans, un montant garantie en cas de vie de 58.000 DM, en cas de décès de 88.0000 DM, et prévoyant des cotisations mensuelles de 272,40 DM ;
Attendu que selon l’article 2-3 de la convention de ROME, les dispositions de la convention ne s’appliquent pas aux contrats d’assurance qui couvrent des risques situés dans les territoires des Etats-membres ;
Attendu que la loi applicable est régie par les règles du droit international privé français qui adoptent comme critère de rattachement, en l’absence de choix exprès des parties, l’existence de liens étroits avec un Etat déterminé ;
Attendu qu’à juste titre, et sans être critiqué sur ce point, le premier juge a considéré qu’en l’espèce le contrat d’assurance a été proposé, négocié, et signé en ALLEMAGNE, qu’il est rédigé en allemand, qu’il devait être exécuté en ALLEMAGNE, les mensualités étant fixées en DM et payées à partir d’un compte ouvert en ALLEMAGNE ; qu’il a été conclu à titre de remboursement d’un prêt souscrit avec une banque allemande, expressément soumis au droit allemand ; que le souscripteur présente donc le plus de liens avec l’ALLEMAGNE, même si le souscripteur réside en FRANCE, et qu’il doit être soumis au droit allemand ;
[minute page 16]
II - Sur la nullité du contrat d’assurance-vie :
Attendu que dès lors que le contrat d’assurance-vie est soumis au droit allemand, et qu’il n’est pas allégué que les dispositions de la loi allemande n’ont pas été respectées, il appartient aux époux X. d’établir que la loi allemande doit être écartée au profit de la loi française du for en raison d’une contrariété à l’ordre public international français, ce dont ils ne justifient pas ;
Qu’ils ne peuvent se contenter d’invoquer les dispositions du Code des Assurances français (rédaction du contrat en langue française, remise du projet de contrat ou d’une notice d’information prévue par les articles L. 112-3 et L. 112-2) non applicables puisque c’est le droit allemand qui régit le contrat, sans établir que l’ordre public international français est violé par le non respect de ces dispositions ; que l’ordre public international se définit comme un correctif exceptionnel permettant d’écarter la loi étrangère normalement compétente, lorsque cette dernière contient des dispositions dont l’application est jugée inadmissible par le juge français, c’est à dire en particulier lorsqu’elle est en désaccord absolu avec la conception française fondamentale d’un ordre juridique, ou lorsque l’application de la loi étrangère est inadmissible ou inopportune ;
Qu’en l’espèce, il n’est ni allégué ni établi que les dispositions du droit allemand des assurances soient contraires ou en désaccord absolu avec la conception fondamentale en droit français d’un ordre juridique ;
Attendu que les appelants invoquent un arrêt de la Première Chambre Civile de la Cour de Cassation du 24 novembre 1993 qui dispose que « sans préjudice des dispositions de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1975 relatives à l’emploi obligatoire de la langue française dans l’étendue et les conditions de garantie d’un service et selon les articles L. 112 et L. 111-2 du Code des assurances, les contrats d’assurances souscrits ou exécutés en FRANCE sont impérativement rédigés en Français » ;
Que cependant cette jurisprudence ne peut recevoir application en l’espèce puisque le contrat a été souscrit en ALLEMAGNE, et qu’il s’exécute en ALLEMAGNE, les primes étant versées en DM sur un compte ouvert en ALLEMAGNE auprès de la COMMERZBANK ;
Attendu que ces moyens de nullité ont été à bon droit écartés par le premier juge, ainsi que la demande de dommages et intérêts fondée sur le non respect des dispositions de l’article L. 112-2 du Code des Assurances ;
Mais attendu que, selon l’article 18 de la loi du 31 décembre 1989 ( article L. 310-10 du Code des Assurances) applicable à la date de conclusion du contrat le 29 novembre 1991, « il est interdit de souscrire une assurance directe d’un risque concernant une personne, un bien ou une responsabilité situé sur le territoire de la République Française auprès d’une entreprise étrangère qui ne s’est pas conformée aux prescriptions des articles L 312-1 et 321-2 (nécessité d’un agrément administratif français) ;
Que selon l’article L 310-10 alinéa 2, ces dispositions ne sont pas applicables à l’assurance des risques liés aux transports maritimes et aériens ainsi qu’aux opérations de libre prestation et de services et de coassurances communautaires définies aux chapitres 1er et II du titre V du présent livre » ;
[minute page 17] Que les dispositions relatives à la libre prestation de services sont définies comme suit à l’article L 351-1 du Code des Assurances : « est une opération réalisée en libre prestation de services, l’opération par laquelle une entreprise d’assurance d’un Etat-membre des Communautés européennes couvre à partir de son siège social ou d’un établissement situé dans un des Etats-membres un risque situé sur le territoire d’un autre des ces Etats » ;
Que selon l’article L. 351-2 sont exclues de l’application du présent titre les opérations d’assurances afférentes à l’assurance sur la vie et à la capitalisation ;
Qu’en conséquence, en vertu de la loi du 31 décembre 1989 portant adaptation du Code des Assurances à l’ouverture du marché européen, applicable à la date de la souscription du contrat d’assurance-vie par les époux X. auprès de la DEUTSCHER LLOYD, celle-ci devait obligatoirement disposer d’un agrément en FRANCE, ce dont elle ne justifie pas ;
Attendu que selon les termes mêmes de l’arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes du 4 décembre 1986 produit par la DEUTSCHER LLOYD (Commission des Communautés Européennes contre République Fédérale d’ALLEMAGNE) :
Point 4 « la libre prestation de services, en tant que principe fondamental du traité, ne peut être limitée que par des réglementations justifiées par l’intérêt général et s’appliquant à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l’Etat destinataire, dans la mesure où cet intérêt n’est pas sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l’Etat membre où il est établi.
En outre, lesdites exigences doivent être obligatoirement nécessaires en vue de garantir l’observation des règles professionnelles et d’assurer la protection des intérêts qui constitue l’objectif de celles-ci ».
Point 5 : « En matière d’assurance directe, la protection des preneurs d’assurance et des assurés justifie, en l’état actuel du droit communautaire, que l’Etat-membre destinataire de prestations d’assurance assure l’application de sa propre législation en ce qui concerne les réserves ou provisions techniques et les conditions d’assurance, dès lors que les exigences de cette législation ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer la protection des preneurs d’assurance et des assurés ;
L’exigence d’un agrément qu’il appartient à l’Etat membre destinataire d’accorder et de retirer est seule de nature à assurer un contrôle efficace et est de ce fait admissible.
L’agrément doit être accordé sur demande à toute entreprise, établie dans un autre Etat membre qui remplit les conditions prévues par la législation de l’Etat destinataire, les conditions ne peuvent pas faire double emploi avec les conditions légales équivalentes déjà remplies dans l’Etat d’établissement et l’antériorité de contrôle de l’Etat destinataire doit prendre en considération les contrôles et vérifications déjà effectuées dans l’Etat membre d’établissement » ;
Attendu qu’il résulte de cette jurisprudence que l’exigence d’un agrément constitue une restriction admissible au principe de la libre prestation de services édicté par le traité CEE ;
[minute page 18]
Qu’en conséquence le contrat d’assurance-vie souscrit par les époux X. auprès de la DEUTSCHER LLOYD, dépourvue d’agrément, au sens de l’article L. 310-10 du Code des Assurances, doit être annulé, étant observé qu’il appartient à la DEUTSCHER LLOYD de justifier de ce qu’elle pouvait être dispensée d’agrément, ce qu’elle ne fait pas ;
Sur la nullité du contrat de prêt :
Attendu que l’annulation du contrat d’assurance-vie n’a pas pour effet d’entraîner automatiquement l’annulation du contrat de prêt ;
Qu’en effet, même si les deux opérations étaient liées dans le cadre du mécanisme du prêt « in fine », les parties contractantes sont différentes, et le contrat de prêt a pour cause la remise de fonds aux emprunteurs, alors que le contrat d’assurance permet au souscripteur de bénéficier d’une assurance-vie ;
Attendu que les époux X. allèguent un vice de leur consentement qui aurait été surpris par l’erreur commise sur la nature exacte du mécanisme du prêt « in fine » ;
Attendu que d’une part, la seule sanction civile de l’inobservation des règles de forme prévues par l’article L. 312-8 du Code de la consommation concernant l’offre préalable est la perte en totalité ou en partie du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, prévue par l’article L. 312-33, (Civ. 1re, 23 mars 1999) ;
Attendu que d’autre part, si l’offre de prêt ne remplit pas les conditions de forme imposées par ce texte, les époux X. ne prouvent pas l’erreur qu’ils invoquent dès lors qu’ils ont eu recours à la société française COFIA, spécialiste en « courtage en financement », à laquelle ils ont confié un mandat de rechercher un financement pour le rachat de leurs précédents prêts immobiliers, et qu’ils ont pu interroger leur mandataire sur le mécanisme du prêt proposé ;
Que par ailleurs, les époux X. reconnaissent avoir bénéficié du délai de réflexion de 10 jours imposé par l’article L. 312-10 du Code de la consommation ;
Qu’enfin, ils ont réitéré devant notaire lors de la passation de l’acte d’affectation hypothécaire le 17 décembre 1991 leur acceptation de la nature et des conditions du prêt, expressément rappelées dans cet acte authentique ; (p.2 et 3) ;
Que le vice du consentement n’étant pas prouvé, il y a lieu de confirmer le jugement qui a rejeté la demande d’annulation du contrat de prêt ;
Sur la responsabilité solidaire de la COMMERZBANK de la DEUTSCHER LLOYD et de la société COFIA :
Attendu que les époux X. reprochent à ces trois intervenants d’avoir manqué en tant que professionnels du financement à leur obligation d’information et de conseil prévue à l’article L. 111-1 du Code de la consommation ;
[minute page 19] Attendu, en ce qui concerne la DEUTSCHER LLOYD, que ce texte ne lui est pas applicable dès lors que le contrat d’assurance-vie est soumis au droit allemand ;
Attendu, en ce qui concerne la société COFIA qui se trouve en liquidation judiciaire, qu’elle ne peut se voir condamner au paiement de dommages et intérêts en raison de la suspension des poursuites individuelles prévues par l’article L. 621-40 du Code de commerce et la demande en paiement formée à son encontre est irrecevable;
Attendu, en ce qui concerne la COMMERZBANK, qu’il a été déjà exposé que les époux X. ont eu recours à la société COFIA, à laquelle ils ont donné mandat de rechercher un financement et qu’ils pouvaient obtenir de celle-ci tous renseignements utiles sur le prêt qu’ils ont contracté avec la COMMERZBANK, que les documents contractuels sont traduits en français et que les époux X. ne prouvent pas que les informations relatives du mécanisme des prêts « in fine » ne leur ont pas été données dès lors qu’ils ont signé le même jour les documents relatifs à l’offre de prêt, le contrat d’assurance-vie et de capitalisation et l’acte de cession de créance d’assurance-vie en faveur de la COMMERZBANK ;
Que les époux X. ne démontrent pas plus en quoi la banque avait manqué à son obligation de loyauté dans l’exécution du contrat au seul motif qu’elle n’aurait par répondu à leurs courriers (ce qui n’est d’ailleurs pas établi), courriers évoquant des « dysfonctionnements du système de prélèvement automatique mis en place » ;
Que la demande de dommage et intérêts des époux X. a été à juste titre rejetée par le premier juge.
Sur les montants dus par la COMMERZBANK aux époux X. :
Attendu que la COMMERZBANK est déchue de tout droit aux intérêts, que conformément à la demande qui en est faite par les époux X., ceux-ci ne sont tenus qu’au seul remboursement du capital de 88.000 DM soit 44.993,69 euros ;
Qu’ils établissent et qu’il n’est pas contesté qu’ils ont payé à la COMMERZBANK le 31 janvier 2001 la somme réclamée de 180.648,19 DM soit 92.257,79 euros correspondant au décompte en capital et intérêts au 31 janvier 2001 ;
Que, selon le décompte de la banque, ils ont versé au titre du remboursement du crédit entre le 20 février 1992 et le 16 août 1994 une somme de 24.901,73 DM soit 12.732,05 euros ;
Qu’ils n’étaient donc débiteurs que de la somme de 44.993,69 - 12.732,05 = 32.261,64 euros ;
Que, compte tenu du remboursement anticipé intervenu le 31 janvier 2001, la COMMERZBANK doit leur restituer le trop perçu de 92.257,79 – 32.261,64 euros = 59.996,15 euros ;
Que la COMMERZBANK ne critique pas au demeurant dans ses conclusions les calculs opérés sur la base de ses propres décomptes ;
[minute page 20] Qu’il convient de faire droit à la demande des époux X. sur ce point.
Sur la demande en restitution de frais de procédure à hauteur de 10 780,50 euros :
Attendu que les époux X. réclament la restitution de frais de procédure qui leur ont été facturés par la COMMERZBANK depuis juillet 1998 à hauteur de 21.102,42 DM soit 10.789,50 euros et qu’ils estiment indus ;
Attendu cependant qu’il résulte des pièces produites que ces frais sont inclus dans le décompte final de la COMMERZBANK s’élevant à 92.257,79 euros au 31 janvier 2001, que les époux X. ne sont pas fondés à obtenir deux fois restitution de ces montants ;
Que leur demande sera rejetée sur ce point ;
Sur les dépens de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu que l’appel des époux X. étant pour une grande partie reconnu fondé, il convient de condamner conjointement la société COMMERZBANK et la SOCIETE GENERALI LLOYD venant aux droits de la DEUTSCHER LLOYD aux entiers dépens de première instance et d’appel ainsi qu’au paiement de la somme de 3.000 euros aux époux X. sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
INFIRME le jugement entrepris
Et statuant à nouveau
CONSTATE que le contrat de prêt passé entre les époux X. et la société COMMERZBANK AG ne respecte pas les dispositions de la loi du 13 juillet 1979 en matière de crédit immobilier,
En conséquence,
PRONONCE la déchéance de la société COMMERZBANK du droit à la totalité des intérêts sur le fondement de l’article L. 312-33 du Code de la Consommation ;
CONDAMNE la société COMMERZBANK à payer aux époux X. la somme de 59.996,15 euros (cinquante neuf mille neuf cent quatre-vingt seize euros et quinze cents) avec les intérêts légaux à compter du 31 janvier 2001 ;
PRONONCE la nullité du contrat d’assurance-vie capitalisation souscrit auprès de la société DEUTSCHER LLOYD pour violation de l’article 18 de la loi du 31 décembre 1989 ;
DEBOUTE les époux X. du surplus de leurs demandes ;
REJETTE l’appel incident formé par la société GENERALI LLOYD ;
CONDAMNE la société COMMERZBANK AG et la SOCIETE GENERALI LLOYD conjointement aux entiers dépens de première instance et d’appel et au paiement de la somme de 3 000 euros (trois mille euros) aux époux X. sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,