CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 11 mai 1999
CERCLAB - DOCUMENT N° 1414
CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 11 mai 1999: RG n° 1 A 9606557 ; décision n° 507/99
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION A
ARRÊT DU 11 MAI 1999
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
RG n° 9606557. Minute 507/99
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : M. GUEUDET, Président de Chambre, Mme BERTRAND, Conseiller, Mme SCHNEIDER, Conseiller,
Greffier : Mme SCHIRMANN.
DÉBATS à l'audience publique du 12 janvier 1999
ARRÊT CONTRADICTOIRE du 11 mai 1999 prononcé publiquement par le Président.
NATURE DE L'AFFAIRE : 504 - Demande en garantie des vices cachés ou tendant à faire sanctionner un défaut de conformité
APPELANTE :
LA SOCIÉTÉ SBR SAINT BRIEUC RADIATEURS
représentée par son Président Directeur Général audit siège ayant son siège social [adresse] représentée par Maîtres R. et J. ZIMMERMANN, Avocats à COLMAR
INTIMÉES :
1) LA COMPAGNIE D'ASSURANCES LES MUTUELLES DU MANS
représentée par son représentant légal audit siège ayant son siège social [adresse]
2) LA SA TRADIMAR
représentée par son représentant légal audit siège ayant son siège social [adresse]
1) et 2) représentées par Maîtres CAHN et associés, Avocats à COLMAR avocat plaidant : Maître LE DISCORDE, avocat à STRASBOURG
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
La SA TRADIMAR a acquis auprès de la SA SBR (Saint Brieuc Radiateurs) avec laquelle elle était en relation d'affaires, un groupe frigorifique Thermo King neuf type RD II 50, destiné à équiper un véhicule ; il lui a été livré le 5 avril 1991 et le prix de 82.510,00 francs a été réglé par billet à ordre à 45 jours date de livraison, soit au 20 mai 1991.
Pour l'entretien de cet équipement bénéficiant d'une garantie d'un an, la société TRADIMAR a souscrit un contrat de service auprès de la société Pierre B. SA à laquelle elle a présenté le groupe pour une révision normale le 9 juillet 1991.
Les 14 et 26 juillet 1991, la société TRADIMAR a été victime de deux sinistres consécutifs à des pannes du groupe frigorifique ayant entraîné une fuite de fréon.
Après le premier sinistre, le groupe frigorifique avait été réparé par les établissements B. suivant bon de réparation du 15 juillet 1991.
Sur demande de la société TRADIMAR et de la Compagnie d'Assurances Mutuelles du Mans, le juge des référés commerciaux du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg a, en date du 19 novembre 1991, ordonné une expertise judiciaire du groupe frigorifique.
Les sociétés SBR et Pierre B. ont participé aux opérations d'expertise ; par rapport déposé le 5 octobre 1992, Monsieur A., expert commis, a dit que les deux pannes étaient « dues à une rupture de conduite de fréon en cuivre respectivement à l'aspiration et au refoulement du compresseur », qui a entraîné une fuite rapide du fréon et que « la conception du raccordement ne prévoit pas la présence d'éléments de tuyauteries flexibles à l'aspiration et au refoulement du compresseur, éléments flexibles, qui absorberaient sans dommage les vibrations engendrées par le compresseur » ; il a conclu que « l'origine des pannes n'est imputable ni à un défaut d'entretien relatif au contrat de service souscrit par l'utilisateur auprès de la société Pierre B., ni à un défaut d'entretien ou à une erreur d'utilisation imputable à la société TRADIMAR », chiffrant le montant des avaries consécutives au premier sinistre à 81.240,41 francs HT et celles relatives au deuxième sinistre à 11.554,10 francs HT.
Par exploit d'huissier du 17 mars 1993, la société TRADIMAR et les Mutuelles du Mans ont assigné leur vendeur, la société SBR, devant la Chambre Commerciale du Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG lui réclamant respectivement :
1) Les Mutuelles du Mans :
* 78.037,64 francs majorés des intérêts à compter du 6 novembre 1991 et
* 11.060,00 francs, en application de l'article 700 du NCPC ;
2) La société TRADIMAR :
* 41.681,61 francs en réparation de son préjudice matériel, majoré des intérêts à compter du 6 novembre 1991 ;
* 30.000,00 francs à titre de dommages et intérêts pour préjudice commercial majoré des intérêts à compter du 6 novembre 1991 ;
et
* 14.232,00 francs en application de l'article 700 du NCPC,
sollicitant la réserve de ses droits relatifs aux frais liés à l'incinération des marchandises.
La société SBR a appelé en garantie la société Thermo King Corporation et Thermo King Westinghouse, lesquelles ont soulevé l'exception d'incompétence ;
Par jugement du 5 janvier 1995, le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg, Chambre Commerciale, s'est déclaré incompétent pour statuer sur l'appel en garantie, laissant les dépens à charge de la société SBR.
Par jugement du 31 octobre 1996, il a condamné la société SBR à payer :
- aux Mutuelles du Mans, la somme de 78.037,64 francs en principal ;
- à la société TRADIMAR la somme de 41.681,61 francs en principal, outre 25.000,00 francs de dommages et intérêts au titre du préjudice commercial et 8.000,00 francs d'article 700 à chacune des demanderesses.
Le Tribunal a retenu, d'une part que l'erreur de conception du groupe frigorifique, était constitutive pour l'acheteur d'un vice caché affectant le matériel acheté par la société TRADIMAR auprès de la société SBR et d'autre part que les clauses élisives de responsabilité de la société SBR exorbitantes du droit commun ne pouvaient être opposées à la société TRADIMAR, non professionnelle en la matière, au titre d'un vice caché.
Selon déclaration reçue au greffe le 20 décembre 1996, la SA SBR a interjeté appel.
Par mémoire reçu au greffe le 18 avril 1997, la société appelante conclut à l'infirmation du jugement entrepris, demandant à la Cour de déclarer la Compagnie d'Assurances les Mutuelles du Mans et la société TRADIMAR irrecevables en tout cas mal fondées en leurs demandes et de faire droit à sa demande reconventionnelle de 30.000,00 francs de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel et moral, sollicitant en outre 15.000,00 francs en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.
Elle expose que la société TRADIMAR était en relations d'affaires avec elle depuis plusieurs années, qu'elle avait accepté les conditions générales de vente figurant au verso de la facture, lesquelles reprises et calquées sur les obligations, que lui avait imposées le fabricant, car elle était concessionnaire du groupe Thermo King, comportaient une clause la déchargeant de toute responsabilité ;
Elle fait valoir :
1) A l'égard de la Compagnie les Mutuelles du Mans :
- que les conditions générales de vente acceptées par TRADIMAR la déchargent de toute responsabilité relativement à la conception du système de raccordement du compresseur, dès lors que l'installation du matériel de son concédant n'est pas mise en cause ;
- que cette clause n'est pas contraire à l'ordre public dès lors que la société TRADIMAR à qui les modalités de garantie avaient été expliquées, avait accepté d'y soumettre un éventuel litige et qu'elle aurait pu ne pas l'accepter à la livraison du matériel en cause ;
- que la société TRADIMAR a pour objet le transport de marchandises diverses, de toutes denrées périssables sous température dirigée ainsi que la location de véhicules et l'entreposage, de sorte que d'une part ceci met en cause l'utilisation du groupe réfrigérant et d'autre part qu'elle n'a pas une spécialité fondamentalement différente de la sienne (vente ou location de tous matériels relatifs aux équipements frigorifiques industriels) ;
- que la clause limitative de garantie valablement stipulée dans le contrat conclu entre le fabricant et l'entrepreneur est opposable à l'acquéreur qui exerce contre le vendeur une action contractuelle directe et qu'en l'espèce la clause élisive de responsabilité était bien opposable à la société TRADIMAR et à la Compagnie les Mutuelles du Mans par voie de subrogation ;
2) A l'égard de la société TRADIMAR :
- que les développements en défense à l'action de la subrogée lui sont applicables ;
- que les raccordements défectueux font partie intégrante du groupe de réfrigération livré en l'état par le fabricant Thermo King et qu'il résulte des conditions générales de vente imposées par le fabricant, que SBR serait déchargée de toute responsabilité quant à des défauts du matériel fourni ; que cette règle imposait à TRADIMAR de s'adresser aux autorités judiciaires du pays du fabricant et qu'il ne s'agit pas d'une clause abusive ;
3) A titre subsidiaire :
- que les montants retenus en réparation des préjudices subis ne correspondent pas aux préjudices allégués et qu'il n'existe pas de relation de cause à effet entre la faute, qui lui est imputée et le dommage allégué ;
4) Sur la demande reconventionnelle :
- que l'action abusive de la société TRADIMAR et des Mutuelles du Mans a porté atteinte à son image de marque et lui a causé un préjudice moral justifiant sa demande de 30.000,00 francs à titre de dommages et intérêts ;
Par mémoire reçu au greffe le 19 septembre 1997 la SA TRADIMAR et la Compagnie d'Assurances les Mutuelles du Mans concluent au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement, réclamant chacune :
- 15.000,00 francs de dommages et intérêts, pour procédure abusive et
- 15.000,00 francs au titre de l'article 700 du NCPC.
Elles répliquent :
- que les deux sinistres sont consécutifs à un défaut de conception de Thermoking et que la société SBR est responsable en sa qualité de vendeur ;
- que la clause élaborée par le fabricant Thermoking ne concerne que les rapports entre SBR et Thermoking alors que l'action est en l'espèce engagée par TRADIMAR contre SBR, qui n'a pas de limitation de garantie, qui lui serait propre ;
- qu'il n'est pas établi que cette clause élisive de garantie serait entrée dans le champ contractuel et qu'au contraire le certificat de garantie adressé par Thermoking à TRADIMAR, par l'intermédiaire de SBR ne fait aucune référence à une exonération de garantie ;
que les clauses élisives de garantie sont d'interprétation stricte et ne sont pas opposables à un acheteur même professionnel ayant une spécialité différente de celle du vendeur ;
- que SBR, vendeur professionnel est tenue des conséquences d'un vice caché ;
que le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg leur a alloué les montants correspondant aux préjudices qu'elles ont subis
et
- que la demande de dommages et intérêts formulée par la société SBR à hauteur d'appel doit être rejetée.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE,
Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées au dossier et les mémoires des parties auxquels la cour se réfère pour plus ample exposé de leurs moyens,
1) Sur la cause des pannes litigieuses :
Attendu qu'il résulte des termes clairs et précis du rapport d'expertise, que les deux pannes ont pour cause « une rupture de conduite de fréon en cuivre respectivement à l'aspiration et au refoulement du compresseur », « le groupe frigorifique ne produisant ainsi plus de froid malgré la marche du compresseur » et que « la conception du raccordement du compresseur ne prévoit pas la présence d'éléments de tuyauteries flexibles à l'aspiration et au refoulement du compresseur, éléments flexibles, qui absorberaient sans dommage les vibrations engendrées par le compresseur », alors qu'un tel aménagement aurait entraîné un surcoût de 10.000,00 francs lors de la construction du groupe ;
Attendu que l'expert conclut que « l'origine des pannes n'est imputable :
- ni à un défaut d'entretien relatif au contrat de service souscrit par l'utilisateur auprès de la société Pierre B.,
- ni à un défaut d'entretien ou à une erreur d'utilisation imputable à la société TRADIMAR » ;
Attendu que les sinistres ont donc pour cause une erreur de conception du fabricant ;
2) Sur la responsabilité de la société SBR
Attendu que la société TRADIMAR et les Mutuelles du Mans ont sur le fondement du vice caché assigné la société SBR, vendeur du groupe frigorifique litigieux, en responsabilité, 5 mois après dépôt du rapport d'expertise, soit dans le bref délai au sens de l'article 1648 du code civil ;
Attendu que la société SBR se prévaut cependant d'une clause élisive de responsabilité figurant parmi ses conditions générales de vente, aux termes de laquelle « en cas de défaut du matériel fourni à SBR par ses fournisseurs, SBR se décharge de toute responsabilité » ;
Que ceci est manifestement en contradiction avec l'alinéa qui le précède et selon lequel « les équipements frigorifiques neufs bénéficient d'une garantie de un an, pièces et main d'oeuvre en vertu des conditions de garantie des fabricants, à dater du jour de la mise en service contre défaut de matière première, vice de construction », car si la société SBR soutient que cette clause est identique à celle imposée par son concédant Thermoking, il convient de relever que la société TRADIMAR n'a eu aucune relation contractuelle avec la société Thermoking et que le certificat de garantie qu'elle lui a adressé par l'intermédiaire de son concessionnaire la société SBR, ne fait pas état de cette exonération de garantie ;
Attendu en tout cas qu'en tant que vendeur professionnel, la société SBR est tenue de connaître les vices affectant la chose par elle vendue et qu'elle ne peut donc se prévaloir d'une stipulation excluant à l'avance sa garantie pour vices cachés (C. Com. 17.12.1973 et jurisprudence ultérieure) ;
Que les clause élisives ou limitatives de responsabilité d'un professionnel sont inopposables à l'acheteur, même professionnel, ayant une spécialité différente de celle du vendeur, ce qui est le cas en l'espèce, la société TRADIMAR effectuant du transport de marchandises alors que la société SBR a pour objet la vente ou la location de matériels relatifs aux équipements frigorifiques industriels ;
Qu'à titre superfétatoire il convient d'ajouter que la présomption de connaissance des vices par l'acquéreur professionnel cède devant la preuve du caractère indécelable des défauts (C. Com 15.11.1983) et qu'en l'espèce celui-ci résulte à l'évidence du rapport d'expertise, l'acquéreur ne pouvant connaître le défaut de tuyauteries flexibles dans les éléments de raccordement du compresseur ;
Attendu qu'il incombe en conséquence, à la société SBR, vendeur professionnel de réparer les conséquences du préjudice subi par la société TRADIMAR son cocontractant en raison du vice caché affectant le groupe frigorifique ;
3) Sur le préjudice subi :
* Sur le préjudice des Mutuelles du Mans :
Attendu que cette Compagnie d'assurances est subrogée dans les droits de la société TRADIMAR pour avoir indemnisé l'ayant droit des marchandises sinistrées les 14 et 26 juillet 1991, à savoir la société FINE CUISINE, laquelle avait confié par deux fois à la société TRADIMAR le transport de marchandises composées de tartes flambées congelées, qui suite à leur décongélation se sont avérées impropres à la consommation ;
Attendu qu'il résulte des éléments du dossier que déduction faite du montant des franchises (5.000,00 francs lors de chaque sinistre), les Mutuelles du Mans ont payé :
* 64.300,00 francs au titre du sinistre du 14 juillet 1991
* 5.269,60 francs au titre du sinistre du 26 juillet 1991
et
* 8.468,04 francs au titre des frais d'expertise, soit au total 78 037,64 francs ;
Sur le préjudice subi par la société TRADIMAR :
Attendu que cette société a dû supporter :
* le coût des deux franchises contractuelles
(2 x 5 000,00 francs) 10.000,00 francs,
* le coût de location de camions de remplacement 2.340,20 francs
et 1.284,50 francs
ainsi que
* les frais de stockage aux entrepôts STEF 28.056,91 francs
soit au total 41 681,61 francs
Attendu par ailleurs qu'eu égard aux problèmes certains de désorganisation rencontrées par la société TRADIMAR consécutivement aux pannes litigieuses, c'est à bon droit que les premiers juges ont condamné la société SBR à lui payer une somme de 25.000,00 francs en réparation de son préjudice commercial, celle-ci étant justifiée eu égard à la durée des incidents survenus ;
Attendu qu'il y a donc lieu de rejeter l'appel, de débouter la société SBR de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts et de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Attendu cependant qu'il y a lieu de débouter les parties intimées de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, l'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action constituant un droit et ne dégénérant en abus que dans les cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol, non caractérisés en l'espèce ;
Attendu qu'il y a par contre lieu de condamner la société SBR, qui succombe à supporter les entiers dépens et à payer à chacune des parties intimées une somme de 6.000,00 francs en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en dernier ressort, après en avoir délibéré :
Déclare l'appel interjeté par la société SBR - SAINT BRIEUC RADIATEURS - contre le jugement prononcé le 31 octobre 1996 par la deuxième Chambre Commerciale du Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG régulier et recevable en la forme ;
Le dit mal fondé et le rejette ;
Confirme ce jugement en toutes ses dispositions ;
Déboute les parties intimées de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamne la société SBR à supporter les entiers dépens d'appel, ainsi qu'à payer à chacune des parties intimées une somme de 6.000,00 francs (six mille francs) en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Déboute les parties de toutes leurs autres conclusions plus amples ou contraires.
Et le présent arrêt a été signé par le Président et le greffier au prononcé.