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CA NANCY (1re ch. civ.), 8 décembre 2005

Nature : Décision
Titre : CA NANCY (1re ch. civ.), 8 décembre 2005
Pays : France
Juridiction : Nancy (CA), 1re ch. civ.
Demande : 98/02274
Décision : 2572/05
Date : 8/12/2005
Nature de la décision : Confirmation
Date de la demande : 6/08/1998
Décision antérieure : TGI EPINAL, 12 juin 1998
Numéro de la décision : 2572
Décision antérieure :
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CERCLAB - DOCUMENT N° 1536

CA NANCY (1re ch. civ.), 8 décembre 2005 : RG n° 98/02274 ; arrêt n° 2572/05

 

Extrait : « Il s'agit en l'espèce d'un contrat consensuel d'adhésion dont l'existence n'est pas en elle-même contestée. EDF soutient sans être démentie que les conditions générales contenant l'article 8 susvisé sont reproduites sur la première facture adressée à chaque client. Eu égard à cet élément, l'acceptation de ces conditions par l'abonné résulte du fait même de la poursuite de la consommation d'électricité. Le représentant de la société CRMV ne peut donc pas utilement soutenir que son administrée n'aurait pas consenti à ces conditions.

Par ailleurs, l'analyse de l'article 8 fait ressortir que loin de contredire la portée de l'engagement pris, cette clause tend, en cas d'interruption ou de défauts dans la qualité de la fourniture, à appliquer au domaine spécifique du contrat de fourniture d'électricité les principes généraux de la responsabilité contractuelle en matière d'obligation de moyens dès lors qu'il en résulte d'une part qu'en cas de faute le principe de la responsabilité d'EDF est toujours acquis et que d'autre part l'abonné qui a fautivement contribué à la réalisation de son dommage est privé de son droit à réparation à concurrence du préjudice rattachable à son propre fait. Par conséquent, le liquidateur de la société CRMV n'est pas non plus fondé à soutenir que l'article 8 des conditions générales du contrat doit être réputé non écrit par application de l'article 1131 du Code civil. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE NANCY

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 8 DÉCEMBRE 2005

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Numéro d'inscription au répertoire général : 98/02274. Arrêt n° 2572/05. Décision déférée à la Cour : jugement du Tribunal de Grande Instance d'ÉPINAL, R.G. n° 952443, en date du 12 juin 1998.

 

APPELANTE :

ÉLECTRICITÉ DE FRANCE

dont le siège est [adresse], représentée par la SCP BONET-LEINSTER-WISNIEWSKI, avoués à la Cour assistée de Maître BOURGAUX, substitué par Maître JACQUEMIN, avocats au barreau de NANCY

 

INTIMÉS :

- CIE ASSURANCE GROUPE AXA

dont le siège est [adresse], représentée par la SCP CHARDON - NAVREZ, avoués à la Cour, assistée de Maître HAEMMERLE, substitué par Maître FRISSE, avocats au barreau d'ÉPINAL

- Monsieur X.

demeurant [adresse], représenté par Maître GRÉTÉRÉ, avoué à la Cour, assisté de Maître Jean-Guy GAUCHER, avocat au barreau de NANCY

- SCP BIHR et LE CARRER, ès qualités de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de CRMV

dont le siège est [adresse], assistée de Maître Gérard WELZER, substitué par Maître RUMBACH, avocats au barreau d'ÉPINAL

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 10 novembre 2005, en audience publique devant la Cour composée de : Monsieur Guy DORY, Président de Chambre, Monsieur Gérard SCHAMBER, Conseiller, Monsieur Benoît JOBERT, Conseiller, qui en ont délibéré ; [minute page 2]

Greffier, lors des débats : Mademoiselle Laïla CHOUIEB ;

ARRÊT : contradictoire, prononcé à l'audience publique du 08 DÉCEMBRE 2005 date indiquée à l'issue des débats, par Monsieur DORY, Président, conformément à l'article 452 du Nouveau Code de Procédure Civile ; signé par Monsieur Guy DORY, Président, et par Mademoiselle Laïla CHOUIEB , greffier présent lors du prononcé ;

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 3] FAITS ET PROCÉDURE :

La société CONCEPTION ET REALISATION DE MOULES DES VOSGES (CRMV) exploitait dans la zone artisanale de Bruyères un atelier de fabrication de moules de précision. Elle utilisait des machines dont certaines étaient informatisées et dotées de commandes numériques. L'alimentation en électricité était assurée par une dérivation enterrée qui avait été réalisée par Monsieur A. à la demande de la société ELECTRICITE DE FRANCE. Le 3 mai 1994, la société GAZ DE FRANCE a commandé à la société X. des travaux de réalisation d'une fouille destinée à recevoir, sur le secteur considéré, des conduites de gaz et des câbles électriques. L'entreprise X. a adressé le 9 mai 1994 à EDF une déclaration d'intervention de travaux. Ce document a été réceptionné le 13 mai 1994 par les services de Saint-Dié et le 16 mai 1994 par les services de Rambervillers. Le 18 mai 1994, la pelleteuse mécanique mise en oeuvre par la société X. a endommagé le câble d'alimentation en électricité de l'atelier de la société CRMV Le choc électrique provoqué par l'incident a entraîné, outre un arrêt complet de l'exploitation, la destruction des équipements informatiques et la pertes des programmes contenus dans les mémoires des machines.

Saisi par la société CRMV, le juge des référés du Tribunal de Grande Instance d'ÉPINAL a ordonné une expertise le 12 juillet 1994. Monsieur B., l'expert commis, a déposé son rapport le 20 juin 1995.

Par actes des 5 et 13 décembre 1995, la société CRMV a fait assigner la société EDF, la société X. ainsi que son assureur de dommages, la société AXA ASSURANCES, devant le Tribunal de Grande Instance d'ÉPINAL. Au visa de l'article 1382 du Code civil, elle concluait à la condamnation in solidum des deux premières défenderesses au paiement d'une somme de 1.757.853,30 francs à titre de dommages et intérêts. Elle réclamait un même montant à son assureur à titre d'indemnité de sinistre. La société EDF a appelé Monsieur A. en garantie par acte du 17 janvier 1996.

Par jugement du 12 juin 1998, le tribunal s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande incidente et a renvoyé EDF à mieux se pourvoir. Pour le surplus, le tribunal a :

- [minute page 4] déclaré responsable la SA X. à hauteur de 40% et EDF à hauteur de 60% des conséquences dommageables subies par la SARL CRMV concernant la remise en état des machines,

- condamné in solidum la SA X. et EDF à payer à la SARL CRMV la somme de 100.414,30 francs à ce titre avec intérêts au taux légal à compter de ce jour,

- condamné in solidum la SA X. et EDF à payer à la SA AXA ASSURANCES la somme de 50.063 francs avec intérêts au taux légal à compter de ce jour,

- déclaré responsables la SARL CRMV à hauteur de 50%, la SA X. à hauteur de 20% et EDF à hauteur de 30% des conséquences dommageables subies par la SARL CRMV concernant la destruction des programmes,

- condamné in solidum la SA X. et EDF à payer la somme de 531.638 francs à la SARL CRMV avec intérêts au taux légal à compter de ce jour,

- déclaré responsables la SARL CRMV à hauteur de 75%, EDF à hauteur de 15% et la SA X. à hauteur de 10% des conséquences dommageables subies par la SARL CRMV concernant la perte d'exploitation et les frais financiers,

- ordonné une expertise pour chiffrer le préjudice immatériel.

Pour se déterminer ainsi, le tribunal a d'abord retenu qu'EDF, qui a imposé à la société X. une intervention en urgence, aurait dû la mettre en possession de toutes les informations nécessaires pour éviter un incident. Il a néanmoins estimé qu'en raison des ouvrages visibles, l'entreprise X. ne pouvait pas ignorer la présence d'une canalisation dans son secteur d'intervention. Ensuite, le tribunal a retenu à la charge de la société CRMV une faute d'imprudence pour avoir omis de sauvegarder ses programmes informatiques. Il a rejeté les demandes formées contre la société AXA ASSURANCES aux motifs, d'une part, que la société CRMV, qui obtient à l'encontre des responsables une condamnation réparant son entier préjudice matériel, ne saurait agir également contre son assureur en indemnisation du même dommage, et d'autre part, que la police exclut l'indemnisation des préjudices immatériels. Enfin, le tribunal a fait droit à l'action subrogatoire exercée par la société AXA contre les responsables du sinistre.

EDF a interjeté appel le 6 août 1998 en intimant la société CRMV, la compagnie AXA et la société X.

[minute page 5] PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Par ses dernières conclusions notifiées et déposées le 30 octobre 2002, la société EDF demande à la Cour de la mettre hors de cause et de condamner soit la société CRMV soit la société X. à lui payer une somme de 1.524,49 euros au titre des frais non compris dans les dépens.

La société EDF, réitérant que sa responsabilité ne peut être recherchée que sur un fondement contractuel, oppose à la société CRMV l'article 8 des conditions générales du contrat de fourniture d'électricité pour soutenir qu'elle est exonérée en raison de la propre faute commise par sa cliente qui s'est abstenue, d'une part d'équiper ses installations d'un dispositif de protection contre les surtensions prescrit par la norme NF C 15-500 et d'autre part d'effectuer périodiquement la sauvegarde de ses données numériques. Elle conteste à cet égard être débitrice d'une quelconque obligation de contrôle ou de conseil concernant la sécurité des installations intérieures de ses clients. Réfutant la thèse de l'intervention en urgence, elle affirme que l'incident a pour cause exclusive le non-respect par la société X. du délai de dix jours courant à compter de la réception de la déclaration d'intention de travaux, ainsi que des dispositions réglementaires relatives à l'usage des engins de terrassement. Elle estime que ce fait d'un tiers constitue un cas de force majeure au sens de l'article 8 des conditions générales du contrat.

Par ses dernières écritures, la société civile professionnelle BIHR et LE CARRER, mandataire liquidateur de la société CRMV suivant jugement d'ouverture du 25 avril 2000, forme appel incident pour obtenir la condamnation solidaire d'EDF, de la société X. et de la compagnie AXA ASSURANCES au paiement d'une somme de 224.067,63 euros outre intérêts à compter du 13 décembre 1995 et d'une somme de 1.524 euros en remboursement de ses frais non compris dans les dépens.

Imputant à EDF non pas un manquement à ses obligations contractuelles mais une réponse tardive à la déclaration d'intention de travaux du 9 mai 1994, la société CRMV persiste à invoquer la responsabilité délictuelle. Elle conteste avoir approuvé les conditions générales qui lui sont opposées et soulève la nullité de l'article 8 qui a pour effet de dispenser EDF de l'exécution de sa principale obligation. Elle ajoute qu'en tout état de cause ces dispositions ne sauraient recevoir application, EDF ayant commis une faute lourde, cause du dommage [minute page 6] qu'aucun dispositif de protection ne permettait d'éviter. Elle considère que de toute façon le sinistre présentait pour elle les caractères de la force majeure, faute pour EDF de l'avoir informée des conséquences d'un choc électrique consécutif à la destruction du câble d'alimentation. Elle détaille comme suit le préjudice subi :

- coût de remise en état des machines : 150.477,30 francs,

- coût de reconstitution des programmes : 928.000,00 francs,

- coût de recours à la sous-traitance : 28.000,00 francs,

- coût des heures supplémentaires : 35.537,00 francs,

- coût de reprogrammation de la production : 327.773,00 francs.

Par ses conclusions dernières notifiées et déposées le 12 mai 2005, la société X. forme également appel incident afin d'obtenir le rejet de toutes les demandes formées à son encontre et la condamnation d'EDF et de la société CRMV au paiement d'une somme de 1.525 euros au titre des frais non compris dans les dépens.

Pour soutenir qu'elle est exonérée de toute responsabilité, la société X. fait valoir que la présence sur les lieux du chantier d'un câble enterré à une profondeur insuffisante constituait un cas de force majeure alors surtout que les agents d'EDF, présents au moment de l'incident, n'ont formulé aucune observation lorsque la fouille a été entreprise. Subsidiairement, elle réitère n'avoir qu'une part de responsabilité minime dans la survenance du sinistre, ayant répondu à une demande d'intervention en urgence et ayant exécuté les travaux avec les précautions requises. Elle maintient également que l'imprudence de la victime est, du moins pour partie, à l'origine de son dommage. Elle reproche aux premiers juges d'avoir procédé à l'évaluation des divers préjudices sur la base du rapport de l'expert, alors que la mission de ce dernier était limitée à l'évaluation du coût de réparation ou de remplacement des équipements détériorés.

Par ses écritures dernières notifiées et déposées le 9 septembre 2005, la société AXA ASSURANCES conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de la société CRMV au paiement d'une somme de 1.500 euros au titre des frais non compris dans les dépens.

Elle réplique qu'elle a rempli toutes ses obligations, ayant versé, au titre de dommages matériels, seuls garantis, une indemnité de sinistre arrêtée conformément aux dispositions de la police. Elle ajoute qu'en tout état de cause, la société CRMV, qui recherche une totale indemnisation [minute page 7] par les responsables du sinistre, ne peut en même temps prétendre à une réparation identique par son assureur.

L'instruction a été déclarée close le 6 octobre 2005.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

L'expertise judiciaire a permis d'établir de façon certaine que les dommages dont le liquidateur de la société CRMV entend obtenir la réparation ont pour origine un choc électrique accidentel extérieur à l'établissement, à savoir un court circuit sur le câble d'alimentation souterrain qui a produit un effet de surtension comparable à celui de la foudre.

Dès lors que l'alimentation en électricité des installations de la société CRMV était assurée par EDF en exécution d'un contrat de fourniture d'électricité, le principe et l'étendue d'une éventuelle obligation à réparation doivent être vérifiés dans un cadre exclusivement contractuel, si bien que les premiers juges ne pouvaient pas se dispenser d'examiner le moyen tenant à une cause d'exonération conventionnelle.

EDF produit à cet égard les conditions générales relatives à ses contrats de fourniture d'électricité. L'article 8 de ce document est ainsi rédigé :

« LA DISPONIBILITÉ DÉ LA FOURNITURE

Nous sommes responsables du maintien de l'énergie à votre disposition sous les seules réserves ci-après :

- des interruptions sont nécessaires pour procéder à des interventions programmées sur les réseaux : elles seront portées préalablement à votre connaissance par voie de presse ou d'affichage. La durée d'une interruption peut exceptionnellement atteindre 10 heures mais ne peut en aucun cas les dépasser.

- des interruptions ou des défauts dans la qualité de la fourniture peuvent survenir pour des raisons accidentelles sans faute de notre part, dues

* à des cas de force majeure,

* aux faits de tiers,

* à des contraintes insurmontables liées à des phénomènes atmosphériques ou aux limites des techniques appréciées au moment de l'incident.

[minute page 8] Dans tous les cas, il vous appartient de prendre les précautions élémentaires pour vous prémunir contre les conséquences des interruptions et défauts dans la qualité de la fourniture ».

Il s'agit en l'espèce d'un contrat consensuel d'adhésion dont l'existence n'est pas en elle-même contestée. EDF soutient sans être démentie que les conditions générales contenant l'article 8 susvisé sont reproduites sur la première facture adressée à chaque client. Eu égard à cet élément, l'acceptation de ces conditions par l'abonné résulte du fait même de la poursuite de la consommation d'électricité. Le représentant de la société CRMV ne peut donc pas utilement soutenir que son administrée n'aurait pas consenti à ces conditions. Par ailleurs, l'analyse de l'article 8 fait ressortir que loin de contredire la portée de l'engagement pris, cette clause tend, en cas d'interruption ou de défauts dans la qualité de la fourniture, à appliquer au domaine spécifique du contrat de fourniture d'électricité les principes généraux de la responsabilité contractuelle en matière d'obligation de moyens dès lors qu'il en résulte d'une part qu'en cas de faute le principe de la responsabilité d'EDF est toujours acquis et que d'autre part l'abonné qui a fautivement contribué à la réalisation de son dommage est privé de son droit à réparation à concurrence du préjudice rattachable à son propre fait. Par conséquent, le liquidateur de la société CRMV n'est pas non plus fondé à soutenir que l'article 8 des conditions générales du contrat doit être réputé non écrit par application de l'article 1131 du Code civil.

Devant l'expert, Monsieur C., agent qui avait réceptionné les déclarations d'intention de travaux adressées par la société X. le 9 mai 1994 tant à EDF qu'à GDF, a déclaré le 28 octobre 1994 qu'il se trouvait sur les lieux avec l'un de ses collègues au moment de l'accident. Et en renseignant a posteriori le 24 mai 1994 les récépissés, il a indiqué avoir remis les plans au chef de chantier et mentionné que l'entreprise devait le contacter avant le début des travaux.

Ces éléments concordants permettent de retenir la thèse de l'entreprise X. selon laquelle son interlocuteur d'EDF a, en toute connaissance de cause, toléré l'ouverture du chantier avant l'expiration du délai de préavis de dix jours et après avoir remis un plan du secteur. Or il a été constaté par l'expert que le plan dont disposait alors EDF pour le secteur en cause ne comportait pas la moindre indication relative au câble qui a été accroché par l'action de la pelle mécanique de la société X., cet incident étant à l'origine du sinistre. La faute d'EDF est [minute page 9] caractérisée de ce seul fait, si bien que l'établissement public ne peut se fonder sur l'article 8 des conditions générales du contrat de fourniture d'électricité pour s'exonérer en raison du fait d'un tiers.

L'expert judiciaire a relevé, ainsi que l'ont exactement constaté les premiers juges, qu'un poteau d'éclairage public et un coffret de branchements étaient implantés dans le secteur d'intervention de la société X. La présence de tels ouvrages, révélant la présence de câbles souterrains, devait conduire l'entreprise spécialisée à entreprendre les fouilles avec une prudence particulière. Or la mise en action d'un engin de terrassement sans sondages préalables démontre que cette obligation générale de prudence a été méconnue. Cette faute ayant contribué à la réalisation de l'entier dommage subi par la société CRMV, c'est à juste titre que le tribunal a retenu le principe de l'obligation in solidum d'EDF et de la société X. à réparer le préjudice, étant précisé que des co-auteurs d'un même dommage ne peuvent invoquer leurs fautes réciproques pour s'exonérer de leur responsabilité à l'égard de la victime.

Par contre, elles sont en droit d'opposer la faute de celle-ci pour limiter son droit à réparation lorsque la victime a fautivement contribué à la réalisation de son propre dommage. S'agissant des dommages subis par les machines outils, le tribunal a de façon pertinente écarté la faute de la société CRMV dès lors que l'expert a constaté qu'un effet de surtension tel que celui auquel ont été soumises les installations de la société CRMV ne peut être éliminé par les protections ordinaires contre les surintensités. De plus, EDF ne produit aucun avis technique circonstancié pour établir que la société CRMV se serait abstenue de rendre l'installation électrique de son atelier conforme à la norme NF C 15-100 alors qu'une telle circonstance n'a nullement été constatée par l'expert, ni même invoquée devant lui par les observations d'EDF, dûment annexées au rapport. Il s'en suit que sur ce point, la CRMV a bien pris des précautions élémentaires pour se prémunir contre les conséquences de défauts prévisibles dans la qualité de la fourniture d'électricité. Par contre, en ce qui concerne la perte du contenu des mémoires des machines à commandes numériques, c'est à juste titre que le tribunal a retenu que la victime a commis une faute d'imprudence en s'abstenant d'instaurer des procédures de sauvegarde des données numériques indispensables à la poursuite de sa production, étant ajouté qu'EDF, en sa qualité de fournisseur d'électricité, n'était débitrice d'aucune obligation de conseil ou d'information à cet égard. Et c'est par une exacte appréciation du rôle causal de la faute commise par la société CRMV que les premiers juges [minute page 10] ont limité l'obligation de réparation d'EDF et de la société X. à la moitié du coût de reconstitution des programmes. De même, s'agissant des recours entre les co-obligés, le tribunal a procédé à d'exactes répartitions de la charge définitive des condamnations entre EDF et la société X. après avoir rappelé que cette dernière n'avait pas reçu d'EDF, avant le début des travaux, des renseignements fiables sur les conditions d'exécution du chantier.

L’évaluation faite en première instance, des deux postes de préjudice qui viennent d'être évoqués n'est pas critiquée et c'est à juste titre que le tribunal a ordonné une expertise nouvelle pour rechercher les éléments de nature à évaluer les pertes d'exploitation et les préjudices immatériels subis par la société CRMV du fait de l'incident en cause.

L'engagement par la victime d'actions en indemnisation de ses préjudices à l'encontre des auteurs ne lui interdit pas de réclamer, pour les mêmes dommages, une indemnité de sinistre à son assureur de dommages. La compagnie AXA ASSURANCES, après la déclaration du sinistre, a mis en oeuvre la procédure contractuelle d'évaluation de l'indemnité par voie d'expertise pour les dommages matériels aux machines outils. Elle a versé à son assurée de ce chef une somme de 50.063 francs, après déduction des coefficients de vétustés stipulés aux conditions générales, si bien que le tribunal a fait droit à juste titre à l'action subrogatoire de l'assureur. Force est de constater que pour la garantie des dommages d'ordre électrique, qui concerne bien le risque qui s'est réalisé dans le cas d'espèce, les conditions générales de la police limitent la garantie aux dommages matériels et excluent ceux causés aux ensembles informatiques. Il en résulte que la compagnie AXA ASSURANCES a exécuté ses obligations.

Le jugement sera donc intégralement confirmé. EDF et la société X. succombent respectivement à l'appel principal et à l'appel incident. Tenues aux dépens, elles seront condamnées à payer à la société civile professionnelle BIHR et LE CARRER, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société CRMV, une somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles de procédure d'appel. N'étant pas tenue aux dépens, la société CRMV ne saurait être condamnée sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile au profit de la compagnie AXA ASSURANCES. Dans les rapports entre EDF et la société X., la charge définitive des dépens et de l'indemnité pour frais irrépétibles sera répartie par moitié.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                            (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 11] PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant en audience publique, contradictoirement,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ;

Y ajoutant :

Condamne in solidum EDF et la société X. à payer à la société civile professionnelle BIHR et LE CARRER, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société CONCEPTION ET REALISATION DE MOULES DES VOSGES une somme de MILLE CINQ CENTS EUROS (1.500 €) au titre des frais irrépétibles de procédure d'appel ;

Les condamne in solidum aux dépens de l'instance d'appel et accorde à la société civile professionnelle VASSEUR et à la société civile professionnelle CHARDON & NAVREZ un droit de recouvrement direct dans les conditions prévues par l'article 699 du Nouveau code de procédure civile ;

Dit que dans les rapports entre EDF et la société X., la charge définitive de l'indemnité pour frais irrépétibles et des dépens sera répartie par moitié ;

Signé : L. CHOUIEB               Signé : G. DORY

Minute en onze pages.