CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 27 mars 2024
- TJ Strasbourg (3e ch. civ.), 8 janvier 2020 : Dnd
CERCLAB - DOCUMENT N° 22954
CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 27 mars 2024 : RG n° 21/04626 ; arrêt n° 168/24
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « Aux termes de l'article 565 du code de procédure civile et de la jurisprudence constante en cette matière, les prétentions ne sont pas nouvelles, dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si le fondement est différent.
En l'espèce, le CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES conteste la recevabilité des développements faits à hauteur de Cour par M. X. et Mme Y., tant à titre principal que subsidiairement, en vue d'obtenir l'annulation ou la déchéance des intérêts du fait : - du caractère abusif de la clause prévoyant le calcul des intérêts sur la base d'une année lombarde et des clauses permettant au prêteur de déterminer lui-même le taux de change appliqué, - ou encore de l'irrégularité de l'offre de prêt, estimant qu'ils constitueraient des demandes nouvelles.
Or, les consorts X. et Y. avaient déjà demandé dans leurs dernières conclusions déposées le 25 février 2019 en première instance, à ce que le tribunal vienne à : « PRONONCER l'annulation de la stipulation d'intérêts du prêt habitat en devises d'un montant nominal de 200.000 euros consentis par offre du 17.12.2013 et par acte notarié du 19.03.2014 ; ORDONNER la substitution du taux d'intérêt légal au taux conventionnel et ce dès l'origine du prêt ; CONDAMNER la Caisse Régionale de Crédit Agricole à produire, dans un délai maximum de 10 jours à compter de la signification du jugement à intervenir, et sous astreinte de 200 euros par jour de retard, un nouvel échéancier de ce prêt, mentionnant, sur la durée contractuelle du prêt, le seul capital amorti sur la base de la somme effectivement débloquée, soit 241.840 CHF, les intérêts au taux légal et les primes d'assurance-décès-invalidité, et imputant sur les échéances ainsi composées les sommes déjà payées par les emprunteurs (...) ».
Dès lors il y a lieu de constater que les trois prétentions évoquées devant la cour, rappelées plus haut, ne sont pas des nouvelles demandes, mais ne sont que des moyens nouveaux, dont la recevabilité ne saurait être remise en cause.
En outre, il convient de noter que le caractère abusif d'une clause contractuelle peut être soulevé à tout moment, y compris pour la première fois devant la Cour de Cassation. »
2/ « De surcroît, il est rappelé que dès lors qu'une demande tend à voir réputée non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation, elle n'est pas soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil. »
3/ Les appelants critiquent cette décision, indiquant que le premier juge aurait fait une application inexacte de la jurisprudence et aurait commis une confusion entre le calcul des intérêts et le calcul du taux effectif global, l'article R. 313-1 du Code de la Consommation ne portant que sur le calcul du TEG (et non du taux d'intérêt), tout en précisant qu'ils ne sollicitent que la modification du taux d'intérêt conventionnel (non soumise à la démonstration d'un préjudice d'au moins une décimale) et non du TEG.
Cependant, cette argumentation ne peut qu'être écartée en ce sens que, la distinction faite par la partie adverse est artificielle, le taux d'intérêt conventionnel étant l'élément le plus essentiel du TEG. La Cour de Cassation applique sa jurisprudence de la décimale, que ce soit pour les contestations portant sur les TEG, mais aussi pour celles visant les taux d'intérêts conventionnels (voir notamment son arrêt du 11 mars 2020, dans lequel elle précise 'Il résulte de ces textes que la mention, dans l'offre de prêt, d'un taux conventionnel calculé sur la base d'une année autre que l'année civile, est sanctionnée exclusivement par la déchéance du droit aux intérêts dans les termes de l'article L. 312-33 du même code, lorsque l'inexactitude du taux entraîne, au regard du taux stipulé, un écart supérieur à une décimale' (Cass. 1ère civ. 11 mars 2020 n° 19-10875). Quant à l'existence d'un écart supérieur à une décimale au niveau du taux d'intérêt, elle n'est nullement démontrée au cas d'espèce. Il ressort au contraire des propres écritures des appelants (page 19 de leurs conclusions), que l'incidence sur le « TEG annuel » (et non sur le taux d'intérêts conventionnel) aurait été de 0,0328 points du fait de la non prise en compte d'une année civile. »
4/ « La Cour de justice de l'Union européenne a jugé que les clauses de monnaie de paiement et de monnaie de compte, qui permettent le remboursement en francs suisses voire en monnaie nationale, relèvent de l'objet principal du contrat, dans la mesure où elles définissent cet objet principal, dès lors qu'elles décrivent et déclinent l'obligation principale de l'emprunteur. Aucune des deux parties au dossier ne conteste qu'une clause relative à l'indexation, présente dans un prêt en devise étrangère, constitue un des objets principaux du contrat. Il en résulte que de telles clauses ne peuvent être regardées comme abusives, si elles sont rédigées de façon claire et précise. Tel sera le cas si elles sont non seulement intelligibles pour le consommateur sur un plan grammatical, mais également si le contrat expose de manière transparente, le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause concernée.
La Cour de justice de l'Union Européenne et la Cour de cassation rappellent régulièrement que, le consommateur se trouvant dans une situation d'infériorité à l'égard du professionnel en ce qui concerne son niveau d'information, l'exigence de transparence des contrats doit être entendue de manière très extensive, se traduisant par une information concrète, suffisante et exacte qui met le consommateur en mesure de comprendre le risque encouru et ses conséquences potentielles en cas de réalisation de ce risque, exemples chiffrés et significatifs à l'appui (Cass. 1ère civ., 20 avril 2022, n° 20-16.316).
En l'espèce, il ressort des développements précédents, que les clauses stipulant les modalités pratiques d'application du cours de change, sont particulièrement opaques, puisqu'il est fait état d'un taux de change 'eurodevise' qui n'est pas définissable par des critères objectifs et neutres. En outre il y a lieu de rappeler qu'il est nécessaire de faire référence à trois documents distincts pour pouvoir appréhender la consistance et la réalité de ce taux « eurodevise ».
Les clauses litigieuses autorisant le Crédit Agricole à procéder à des conversions du capital, des échéances trimestrielles, en faisant application d'un cours de change fixé « sur la base du cours de l'eurodevise », ne formant pas un ensemble clair et compréhensible au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation, leur rédaction n'étant pas de nature à permettre aux emprunteurs de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme de change en cause et d'évaluer le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, doivent être déclarées non écrites, et par conséquent inopposables aux appelants.
Les alinéas 6 et 8 de l'article L. 132-1 ancien du code de la consommation disposent que les clauses abusives sont réputées non écrites et que le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives, s'il peut subsister sans lesdites clauses.
Suite à la reconnaissance du caractère abusif et non écrit des clauses évoquées plus haut, stipulant un cours de change fixé « sur la base du cours de l'eurodevise », la clause du prêt habitat en devise s'en trouve affectée. Contrairement aux souhaits des appelants qui demandaient « l'annulation de la stipulation d'intérêts du prêt habitat en devises », la cour se limitera à leur déclarer cette stipulation inopposable. Pour remettre les parties dans la situation dans laquelle elles auraient dû se trouver, il y a lieu de faire le nécessaire pour que la conversion des sommes en euro en francs suisses se fasse selon le cours officiel, tel que fixé par la BCE aux dates de conversion.
La banque sera dès lors condamnée à : - déterminer, au moment de la libération du capital, et à chaque échéance, qui a été réglée par un achat de devises, le montant du taux de change appliqué conformément à sa pratique de « eurodevise », - déterminer le taux de change applicable au moment la libération du capital et à chaque échéance, en application du taux fixé par la BCE, - calculer la différence et rembourser le cas échéant M. X. et Mme Y. de celle-ci. Cette condamnation ne sera pas sortie de l'astreinte sollicitée.
Le préjudice subi par les emprunteurs - du fait du mécanisme de change jugé abusif - sera effacé par le remboursement des frais de change indus, de telle sorte qu'il n'y a pas lieu de leur réserver le droit de conclure après production d'un décompte par la banque. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRÊT DU 27 MARS 2024
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 1 A 20/00978. Arrêt n° 167/24. N° Portalis DBVW-V-B7E-HJ2U. Décision déférée à la Cour : 8 janvier 2020 par le Tribunal judiciaire de STRASBOURG - 3ème chambre civile.
APPELANTS :
Monsieur X.
[Adresse 2], [Localité 4]
Madame Y.
[Adresse 2], [Localité 4]
Représentés par Maître Nadine HEICHELBECH, avocat à la Cour, Avocat plaidant : Maître Marie-Paule WAGNER, avocat au barreau de STRASBOURG
INTIMÉE :
CAISSE RÉGIONALE DU CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES
prise en la personne de son représentant légal, [Adresse 1], [Localité 3], Représentée par Maître Laurence FRICK, avocat à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 22 janvier 2024, en audience publique, un rapport de l'affaire ayant été présenté à l'audience, devant la Cour composée de : M. WALGENWITZ, Président de chambre, M. ROUBLOT, Conseiller, Mme RHODE, Conseillère, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
ARRÊT : - Contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par M. Franck WALGENWITZ, président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Suivant offre préalable reçue les 4 et 6 décembre 2013, acceptée le 17 décembre 2013 et formalisée par acte notarié du 19 mars 2014, le CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES a consenti à M. X. et Mme Y. deux prêts destinés à l'acquisition d'une maison individuelle sise à [Localité 4] et la réalisation de travaux :
- le premier référencé n°86290025494, intitulé PRET TOUT HABITAT FACILIMMO, d'un montant de 157.950 euros, remboursable en 144 mensualités, au taux d'intérêt annuel révisable de 1,95 % hors assurance ;
- le second référencé n°86290025495, intitulé PRET HABITAT EN DEVISES (CHF), d'un montant correspondant à la contre-valeur en francs suisses de la somme de 200.000 euros, remboursable en 144 mensualités, au taux d'intérêt annuel fixe de 1,75%.
Lors de l'octroi du prêt, M. X. disposait de revenus en francs suisses, son épouse percevant l'intégralité de ses revenus en euros.
Par acte extra-judiciaire délivré le 4 juillet 2017, les consorts X. - Y. ont fait attraire la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES devant le tribunal judiciaire de STRASBOURG, aux fins d'entendre prononcer la nullité des stipulations contractuelles relatives aux intérêts conventionnels du second prêt, n°86290025495, outre la remise sous astreinte d'un nouvel échéancier de prêt, comportant indication du montant exact du capital effectivement débloqué et conforme aux nouvelles stipulations.
Par jugement en date du 08 janvier 2020, le tribunal judiciaire de STRASBOURG a :
« Débouté Monsieur X. et Madame Y. de l'intégralité de leurs prétentions ;
Condamné in solidum Monsieur X. et Madame Y. aux dépens ;
Condamné in solidum Monsieur X. et Madame Y. à payer à la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES la somme de 1.000 euros (MILLE EUROS) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ».
Le premier juge a retenu que :
- sur la nullité de la stipulation contractuelle relative aux intérêts conventionnels du prêt, le prêt n° 86290025495 prévoit expressément, en son paragraphe « TAUX DU PRET » que 'les intérêts sont calculés sur le montant restant dû en capital du prêt en devises en fonction du nombre de jours calendaires ramenés sur la base d'une année égale à 360 jours (sauf pour la Livre Sterling : 365 jours) conformément aux usages commerciaux', de sorte qu'il s'en déduit que le taux conventionnel a été calculé sur la base de l'année lombarde ; il appartenait aux consorts X. - Y., pour obtenir l'annulation de la stipulation d'intérêts, de démontrer que les intérêts ont été calculés sur la base d'une année de 360 jours et que ce calcul a généré à leur détriment un surcoût d'un montant supérieur à la décimale, ce qui n'était pas démontré les requérants s'étant contentés de tirer argument de la seule référence à l'année de 360 jours,
- sur le calcul du capital, à la vue notamment de la fiche d'information précontractuelle figurant en annexe à l'offre de prêt et de la notice relative aux prêts, les consorts X. - Y. étaient parfaitement informés de ce que le taux retenu lors de la mise à disposition des fonds ne pouvait être celui fourni par la Banque Centrale Européenne, celui-ci n'étant donné qu'à titre indicatif ; la juridiction faisait référence au mail explicatif du 5 avril 2017 de la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES dans lequel elle a précisé aux consorts X. - Y. qu'aux dates de mise à disposition des fonds à hauteur de 246.265,05 francs suisses, soit le 28 mars 2014 et le 5 septembre 2014, le taux de change était respectivement de 1,23193 et de 1,21664, les tableaux produits aux débats par les demandeurs démontrant que l'amortissement du prêt avait bien été calculé sur cette somme de 246 265,05 francs suisses.
Par une déclaration faite au greffe en date du 2 mars 2020, M. X. et Mme Y. ont interjeté appel de cette décision.
Par une déclaration faite au greffe en date du 10 mars 2020, la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES s'est constituée intimée.
Par ordonnance du 10 décembre 2021 le conseiller de la mise en état a rejeté la requête formée par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Alsace Vosges, en vue d'obtenir un prononcé d'irrecevabilité de la demande des appelants concernant la déchéance des intérêts.
Cette décision faisait l'objet d'une contestation devant la première chambre de la cour d'appel de Colmar, et par décision du 16 novembre 2022 la cour invitait les parties à présenter leurs observations à la suite d'un avis rendu le 11 octobre 2022 par la Cour de cassation et son incidence sur l'issue de l'instance de déféré.
Puis, par arrêt du 29 mars 2023, la cour a infirmé l'ordonnance du 10 décembre 2021 en ce que le conseiller de la mise en état ne disposait pas de la compétence nécessaire pour statuer sur les demandes en irrecevabilité présentées par la banque, seule la cour ayant cette compétence pour connaître les fins de non-recevoir soulevées par la caisse du Crédit Agricole Alsace Vosges. Les parties étaient renvoyées à mieux se pourvoir.
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Aux termes de leurs dernières écritures datées du 13 décembre 2023, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, M. X. et Mme Y. demandent à la Cour de :
« DÉCLARER l'appel recevable et bien fondé ;
INFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Vu les articles 565 et 566 CPC,
CONSTATER que les demandes des appelants sont recevables,
REJETER les fins de non-recevoir soulevées par l'intimée
Et statuant à nouveau :
Vu les articles L 312-33, L.312-12, L.312-33, L.313-1 anciens et suivants, L. 341-34 actuel, R.313-1 et suivants, L. 132-1, alinéa 1er (devenu L. 212-1, alinéa 1er), L. 133-2, alinéa 2 et L.141-4 et L. 132-1, alinéa 1er (devenu L. 212-1, alinéa 1er) du code de la consommation, 1103, 1104, 1193, 1907 et 1304 du code civil,
DIRE que la clause du prêt habitat en devises prévoyant le calcul des intérêts sur la base du nombre de jours de chaque trimestre et d'une année de 360 jours est illicite ;
PRONONCER l'annulation de la stipulation d'intérêts du prêt habitat en devises d'un montant nominal de 200 000 € consenti aux appelants par offre du 17.12.2013 et par acte notarié du 19.03.2014 ;
CONSTATER que l'offre de prêt habitat en devises est irrégulière dès lors qu'elle ne comporte pas les informations relatives au coût total du prêt, à l'échéancier des paiements et au taux effectif global ;
PRONONCER la déchéance du prêteur des intérêts à titre de sanction de ces irrégularités dans la mesure que fixera la Cour ;
Le cas échéant, faisant usage du pouvoir de modulation laissé au juge,
ORDONNER la déchéance partielle des intérêts sous la forme de la substitution du taux d'intérêt légal au taux conventionnel et ce dès l'origine du prêt sans toutefois que le taux puisse être supérieur au taux contractuel de 1,75 % l'an ;
CONDAMNER la Caisse Régionale de Crédit Agricole à produire, dans un délai maximum de 10 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, et sous astreinte de 200 € par jour de retard, un nouvel échéancier de ce prêt, mentionnant, sur la durée contractuelle du prêt, des échéances constantes intégrant le seul capital amorti sur la base de la somme effectivement débloquée, soit 241.840 CHF, le cas échéant et selon l'ampleur de la déchéance des intérêts décidée par la Cour, les intérêts au taux légal plafonné à 1,75 % l'an, et les primes d'assurance-décès-invalidité, et imputant sur les échéances ainsi composées les sommes déjà payées par les emprunteurs ;
RÉSERVER aux appelants de conclure après production de ce décompte ;
Subsidiairement,
ENJOINDRE à la Caisse Régionale de Crédit Agricole d'indiquer la méthode qu'elle a appliquée, et si des opérations de change ont été faites, le cours de change exact appliqué chaque trimestre, pour convertir lors de chaque échéance trimestrielle 4.628,54 € en francs suisses et parvenir au montant de l'échéance débitée du compte en devise suisse des emprunteurs ;
DIRE que la clause du prêt habitat en devises prévoyant le calcul des intérêts sur la base du nombre de jours de chaque trimestre et d'une année de 360 jours est abusive et inconciliable avec la stipulation d'échéances constantes ;
DÉCLARER de même abusives les clauses du prêt autorisant le CRÉDIT AGRICOLE à convertir le capital débloqué en francs suisses en faisant application de cours de change fixés « sur la base du cours de l'eurodevise » et se « rapprochant » du fixing BCE mais sans l'égaliser, et sans que l'emprunteur puisse connaître à l'avance et vérifier ces cours ; en conséquence DIRE ces clauses non écrites et ORDONNER qu'il n'en soit pas fait application et ORDONNER à l'intimée d'établir un tableau d'amortissement rectifié comportant des échéances constantes basées sur un capital de 241.840 CHF ;
CONDAMNER la Caisse Régionale de Crédit Agricole à produire, dans un délai maximum de 10 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, et sous astreinte de 200 € par jour de retard, un nouvel échéancier de ce prêt, mentionnant, sur la durée contractuelle du prêt, des échéances constantes intégrant le capital amorti sur la base de la somme effectivement débloquée, soit 200.000 € ou 241.840 CHF, les intérêts au taux contractuel de 1,75 % l'an et les primes d'assurance-décès-invalidité, et imputant sur les échéances constantes ainsi composées les sommes déjà payées par les emprunteurs ;
RÉSERVER aux appelants de conclure après production de ce décompte ;
CONDAMNER la Caisse Régionale de Crédit Agricole à payer à M. X. et à Mme [H] [M] Y. une somme de 6000 € par application de l'article 700 du CPC ;
ORDONNER l'exécution provisoire ;
REJETER toutes conclusions et moyens contraires de la Caisse Régionale de Crédit Agricole ;
CONDAMNER la Caisse Régionale de Crédit Agricole aux entiers dépens de première instance et d'appel. »
[*]
Aux termes de ses dernières écritures datées du 18 décembre 2023, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES demande à la Cour de :
« DÉCLARER irrecevable la demande des appelants concernant le prononcé de la déchéance du prêteur des intérêts à titre de sanction des irrégularités de l'offre de prêt,
A TITRE SUBSIDIAIRE, DÉCLARER cette demande mal fondée,
DÉCLARER irrecevable car nouvelle la demande des appelants tendant à faire juger abusive la clause du prêt habitat en devises prévoyant le calcul des intérêts sur la base du nombre du jour de chaque trimestre et d'une année de 360 jours
DÉCLARER irrecevable la demande des appelants tendant à faire 'Déclarer abusives les clauses du prêt autorisant le CRÉDIT AGRICOLE à convertir le capital débloqué en francs suisses en faisant application du cours du change fixé 'sur les bases du cours de l'eurodevise' et se 'rapprochant' du fixing BCE mais sans légaliser et sans que l'emprunteur puisse connaître à l'avance et vérifier ces cours' et d'en tirer les conséquences en déclarant ces clauses non-écrites.
A TITRE SUBSIDIAIRE, DECLARER ces demandes mal fondées,
REJETER l'appel,
DÉBOUTER Monsieur X. et Madame Y. de l'intégralité de leurs fins et conclusions,
CONFIRMER en tous points le jugement du Tribunal Judiciaire du 8 janvier 2020,
CONDAMNER in solidum Monsieur X. et Madame Y. à payer au CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
CONDAMNER in solidum Monsieur X. et Madame Y. aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel. »
[*]
La Cour se référera aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé des faits, de la procédure et de leurs prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile.
Par une ordonnance en date du 20 décembre 2023, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de la procédure et a renvoyé l'affaire à l'audience de plaidoirie du 22 janvier 2024.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif.
Or, ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir « constater » ou « dire et juger » en ce que, hors les cas prévus par la loi, elles ne sont pas susceptibles d'emporter de conséquences juridiques, mais constituent en réalité des moyens ou arguments, de sorte que la cour n'y répondra qu'à la condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans son dispositif mais dans ses motifs.
1) Sur les irrecevabilités soulevées par la banque :
1-1) Sur l'irrecevabilité soutenue sur le fondement des demandes nouvelles :
Aux termes de l'article 565 du code de procédure civile et de la jurisprudence constante en cette matière, les prétentions ne sont pas nouvelles, dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si le fondement est différent.
En l'espèce, le CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES conteste la recevabilité des développements faits à hauteur de Cour par M. X. et Mme Y., tant à titre principal que subsidiairement, en vue d'obtenir l'annulation ou la déchéance des intérêts du fait :
- du caractère abusif de la clause prévoyant le calcul des intérêts sur la base d'une année lombarde et des clauses permettant au prêteur de déterminer lui-même le taux de change appliqué,
- ou encore de l'irrégularité de l'offre de prêt,
estimant qu'ils constitueraient des demandes nouvelles.
Or, les consorts X. et Y. avaient déjà demandé dans leurs dernières conclusions déposées le 25 février 2019 en première instance, à ce que le tribunal vienne à :
« PRONONCER l'annulation de la stipulation d'intérêts du prêt habitat en devises d'un montant nominal de 200.000 euros consentis par offre du 17.12.2013 et par acte notarié du 19.03.2014 ;
ORDONNER la substitution du taux d'intérêt légal au taux conventionnel et ce dès l'origine du prêt ;
CONDAMNER la Caisse Régionale de Crédit Agricole à produire, dans un délai maximum de 10 jours à compter de la signification du jugement à intervenir, et sous astreinte de 200 euros par jour de retard, un nouvel échéancier de ce prêt, mentionnant, sur la durée contractuelle du prêt, le seul capital amorti sur la base de la somme effectivement débloquée, soit 241.840 CHF, les intérêts au taux légal et les primes d'assurance-décès-invalidité, et imputant sur les échéances ainsi composées les sommes déjà payées par les emprunteurs (...) ».
Dès lors il y a lieu de constater que les trois prétentions évoquées devant la cour, rappelées plus haut, ne sont pas des nouvelles demandes, mais ne sont que des moyens nouveaux, dont la recevabilité ne saurait être remise en cause.
En outre, il convient de noter que le caractère abusif d'une clause contractuelle peut être soulevé à tout moment, y compris pour la première fois devant la Cour de Cassation.
1-2) Sur l'irrecevabilité soutenue sur le fondement de l'article 910-4 du code de procédure civile :
La banque soutient également que la demande contenue dans les dernières conclusions du 13 décembre 2023 de Monsieur X. et Madame Y. - tendant à ce que la cour vienne à « Déclarer de même abusives les clauses du prêt autorisant le CRÉDIT AGRICOLE à convertir le capital débloqué en francs suisses en faisant application du cours du change fixé sur les bases du cours de l'eurodevise » et se « rapprochant du fixing BCE mais sans légaliser et sans que l'emprunteur puisse connaître à l'avance et vérifier ces cours » et à déclarer ces clauses non-écrites - serait irrecevable pour ne pas avoir été formulée dans le cadre du dispositif des conclusions d'appel du 16 juin 2020.
L'article 910-4 du Code de Procédure Civile prévoit que les parties doivent présenter, dès leurs premières conclusions, l'ensemble de leurs prétentions et ce à peine d'irrecevabilité.
En l'espèce, si les appelants n'ont effectivement pas développé dans leurs premières conclusions, ce moyen portant sur le caractère abusif des clauses stipulant le cours du change applicable, force est de rappeler qu'ils avaient sollicité dans leurs conclusions d'appel, que soit constatée l'irrégularité de l'offre de prêt avec un prononcé de la déchéance du préteur aux intérêts à titre de sanction.
Dans ces conditions, la prétention était d'ores et déjà présente dans les premières conclusions d'appel, de sorte que nulle irrecevabilité fondée sur le non-respect de l'article 910-4 du code de procédure civile n'est encourue.
2) Sur la fin de non-recevoir en lien avec une prescription :
L'intimée fait valoir en page 14 de ses écritures, que la demande relative à la régularité de l'offre serait prescrite, pour n'avoir été formulée la première fois que dans les conclusions du 16 juin 2020, alors que le point de départ du délai de prescription quinquennale de l'action des emprunteurs, devrait être fixé à la date de signature du contrat notarié par eux le 19 mars 2014, ou à défaut à la date du déblocage des fonds quelques jours plus tard.
Les appelants formulent des protestations et soutiennent que ce n'est qu'au mieux en 2017, qu'ils ont pu prendre conscience des irrégularités et connaître les faits leur permettant d'exercer leur action, au sens de l'article 2224 du code civil, et qu'en tout état de cause aucune prescription ne serait encourue, dès lors que la demande de déchéance des intérêts explicitée en appel avait été virtuellement comprise dans les demandes soumises au premier juge par assignation formée en 2017.
La cour constate que dans leurs dernières conclusions déposées par voie électronique le 25 février 2019 devant la juridiction de première instance, les appelants ont clairement demandé l'annulation de la stipulation d'intérêts du prêt habitat en devises et la substitution du taux d'intérêt légal au taux conventionnel, pour irrégularité des stipulations du contrat de prêt.
Cette demande a été formulée avant l'échéance du délai de cinq ans courant à partir de la signature du contrat le 19 mars 2014, de sorte que nulle prescription ne saurait être opposée aux appelants.
De surcroît, il est rappelé que dès lors qu'une demande tend à voir réputée non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation, elle n'est pas soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil.
3) Sur les demandes principales fondant la demande d'annulation de la clause d'intérêts :
3-1) Sur la période de calcul des intérêts et la remise en cause de la validité de la clause lombarde :
Les appelants ont fait valoir que la méthode de calcul des intérêts serait illicite, au motif que les intérêts auraient été calculés sur une période de 360 jours, alors que les textes en vigueur prévoient que le taux d'intérêt conventionnel doit être calculé sur la base de l'année civile.
Le premier juge a rejeté cette argumentation, au motif que ces derniers ne rapportaient pas la preuve de ce que la différence de calcul du taux - du fait de l'application d'une période de 360 jours - leur serait préjudiciable, en ce qu'elle entraînerait une modification du taux d'intérêt d'au moins une décimale.
Les appelants critiquent cette décision, indiquant que le premier juge aurait fait une application inexacte de la jurisprudence et aurait commis une confusion entre le calcul des intérêts et le calcul du taux effectif global, l'article R. 313-1 du Code de la Consommation ne portant que sur le calcul du TEG (et non du taux d'intérêt), tout en précisant qu'ils ne sollicitent que la modification du taux d'intérêt conventionnel (non soumise à la démonstration d'un préjudice d'au moins une décimale) et non du TEG.
Cependant, cette argumentation ne peut qu'être écartée en ce sens que, la distinction faite par la partie adverse est artificielle, le taux d'intérêt conventionnel étant l'élément le plus essentiel du TEG.
La Cour de Cassation applique sa jurisprudence de la décimale, que ce soit pour les contestations portant sur les TEG, mais aussi pour celles visant les taux d'intérêts conventionnels (voir notamment son arrêt du 11 mars 2020, dans lequel elle précise 'Il résulte de ces textes que la mention, dans l'offre de prêt, d'un taux conventionnel calculé sur la base d'une année autre que l'année civile, est sanctionnée exclusivement par la déchéance du droit aux intérêts dans les termes de l'article L. 312-33 du même code, lorsque l'inexactitude du taux entraîne, au regard du taux stipulé, un écart supérieur à une décimale' (Cass. 1ère Civ. 11 mars 2020 n° 19-10875).
Quant à l'existence d'un écart supérieur à une décimale au niveau du taux d'intérêt, elle n'est nullement démontrée au cas d'espèce. Il ressort au contraire des propres écritures des appelants (page 19 de leurs conclusions), que l'incidence sur le 'TEG annuel' (et non sur le taux d'intérêts conventionnel) aurait été de 0,0328 points du fait de la non prise en compte d'une année civile.
Le jugement de première instance sera dès lors confirmé sur ce point.
3-2) Sur la régularité de l'offre de prêt et la remise en cause de la validité de la clause de change :
Monsieur X. et Madame Y. font valoir que l'offre qui leur a été proposée, serait irrégulière et non conforme aux dispositions de l'article L. 312-8 du Code de la Consommation, dans sa version applicable aux faits de l'espèce, aux motifs que :
- le montant du crédit n'aurait pas été indiqué dans l'offre, puisqu'il s'agit d'une contre-valeur d'une somme en euros et que le prêteur se réserverait la possibilité de la déterminer unilatéralement,
- le tableau d'amortissement ferait état d'une échéance constante, alors que les montants qui sont prélevés ne sont pas les mêmes,
- les intérêts indiqués dans le cadre de l'offre de prêt ne correspondraient pas à ceux qui figurent dans le tableau d'amortissement,
- le TEG serait inexact.
Par conséquent, ils demandent à la Cour de prononcer la déchéance du prêteur au droit des intérêts.
L'analyse de l'offre de prêt démontre que le montant du crédit est bien précisé ; il s'agit de la contre-valeur en francs suisses de la somme de 200.000 euros. Contrairement à ce qu'indiquent les appelants, s'agissant d'un prêt en devises soumis aux aléas du cours de change, il est évident qu'il n'était pas possible d'indiquer précisément la contre-valeur en francs suisses du montant prêté au moment de la conclusion du contrat, puisque les quelques jours séparant la signature de l'offre et la libération des fonds pouvaient connaître une variation du cours de change.
En outre, il y a lieu de rappeler que le prêt a été débloqué en deux fois, majoritairement le 28 mars 2014 à hauteur de 192.155 € (soit 236.721,51 Francs suisses avec un cours de change appliqué de 1,23193), le reliquat l'ayant été le 5 septembre 2014 (7 845 €, soit 9544, 54 Francs suisses avec un cours de change appliqué de 1,21664).
Il est à noter que le capital à rembourser, exprimé en francs suisses, a été en définitif moindre que le capital figurant à titre indicatif dans le contrat de prêt (246 266,05 CHF alors que l'offre faisait d'état d'un montant indicatif de 247.260,02 CHF).
Le principe du caractère non déterminable avec précision du montant du capital, mais également des échéances à rembourser, au moment où les emprunteurs ont signé l'offre de prêt, ne peut être en soi contesté et présenté comme cause d'annulation du contrat de prêt - par les appelants.
Cependant, à partir du moment où le montant du capital et les échéances trimestrielles stipulées en euros font l'objet à chaque règlement d'une conversion en francs suisses, il est indispensable que les emprunteurs puissent connaître les modalités pratiques de conversion mis en place par la banque.
Les appelants ont longuement développé ce sujet, en démontrant qu'ils étaient dans l'incapacité de connaître les mécanismes de conversion. Ils ont notamment démontré à juste titre, que le montant des échéances ne variait pas de la même manière que le cours du change officiel de la BCE.
Il convient de se pencher alors sur le mécanisme du prêt en francs suisses. La monnaie de paiement du prêt en devise étant le franc suisse, le contrat prévoit sous le titre « remboursement » (page 8), que les remboursements s'effectueront dans la devise du franc suisse, par l'utilisation de devises préalablement disponibles sur le compte en devise de l'emprunteur ou par achat de devises au comptant ou à terme par débit du compte en euros de l'emprunteur, et que c'est à l'emprunteur de supporter intégralement, en cas d'achat de devises, le risque de change.
Le contrat stipule en outre, sous le titre « commission de change », que toute opération en devises pourra donner lieu à la perception par le prêteur de la commission de change, selon les barèmes du prêteur en vigueur le jour de l'opération, sans qu'il ne soit précisé quels sont ces barèmes, ni les modalités pratiques des opérations de change (détermination du calcul du taux).
C'est en lisant la « fiche d'information pré contractuelle » annexée au contrat, que l'on retrouve des informations portant sur les opérations de change, sous le titre « prêt habitat en devise ». Il y est précisé que pour « chaque montant en euros, la contre-valeur en devise est précisée, à titre indicatif, sur la base du cours de l'eurodevise à une date déterminée indiquée dans les documents contractuels », sans que la définition de « l'eurodevise » n'y soit précisée.
Il faut en fait se référer à une autre annexe à l'offre de prêt intitulée « prêt comportant un risque de change », pour découvrir que « les cours de change applicables lors du traitement des opérations concernant votre prêt sont fonctions des [WF1] volumes de devises achetés ou vendus par votre Caisse régionale via son prestataire sur le marché. Ils vous sont communiqués lors de l 'exécution de ces opérations. Ces cours se rapprochent des cours de change de l'euro publiés à des fins de référence par la Banque Centrale Européenne (BCE), aussi appelés le « Fixing BCE » ».
Le premier juge a estimé que ce cours de « l'eurodevise » peut être considéré comme un cours objectif, alors que ce n'est nullement le cas, puisqu'il dépend exclusivement de la seule activité de la banque sur le marché monétaire via un prestataire.
Ce cours intitulé « eurodevise » est donc déterminé en tenant compte des seuls besoins de la banque et/ou de sa politique sur les marchés de change, ce qui rend le « cours' imprévisible pour le consommateur et ce contrairement aux taux de change classiques, pour lesquels il existe des publications, des études, qui permettent à un consommateur présentant un certain niveau de vigilance » d'appréhender leur caractère versatile ou non.
À cet égard, la banque ne conteste pas le reproche formulé par les appelants selon lequel son cours « eurodevise » n'a fait l'objet d'aucune publication, ni d'aucune vérification par un organisme public tiers. Quant à l'affirmation de la banque (dans sa documentation), selon laquelle son taux de change « eurodevise » présenterait des caractéristiques « se rapprochant des cours de change de l'euro publiés à des fins de référence par la banque centrale européenne (BCE) aussi appelée le « fixing BCE » », elle n'est nullement démontrée.
Enfin la pertinence de l'affirmation soutenue par les appelants - selon lesquelles ce cours de change interne, qualifié de 'maison' par eux, permettait en outre à la banque de percevoir un bénéfice sur les opérations de change (puisque le taux était plus favorable que le cours officiel de la banque centrale européenne et que l'opération de change donnait lieu à commission) - n'est pas davantage combattue.
Aux termes de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa version applicable au litige, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, doivent être déclarées abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Les clauses abusives sont réputées non écrites. Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives, s'il peut subsister sans lesdites clauses.
La Cour de justice de l'Union européenne a jugé que les clauses de monnaie de paiement et de monnaie de compte, qui permettent le remboursement en francs suisses voire en monnaie nationale, relèvent de l'objet principal du contrat, dans la mesure où elles définissent cet objet principal, dès lors qu'elles décrivent et déclinent l'obligation principale de l'emprunteur.
Aucune des deux parties au dossier ne conteste qu'une clause relative à l'indexation, présente dans un prêt en devise étrangère, constitue un des objets principaux du contrat.
Il en résulte que de telles clauses ne peuvent être regardées comme abusives, si elles sont rédigées de façon claire et précise. Tel sera le cas si elles sont non seulement intelligibles pour le consommateur sur un plan grammatical, mais également si le contrat expose de manière transparente, le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause concernée.
La Cour de justice de l'Union Européenne et la Cour de cassation rappellent régulièrement que, le consommateur se trouvant dans une situation d'infériorité à l'égard du professionnel en ce qui concerne son niveau d'information, l'exigence de transparence des contrats doit être entendue de manière très extensive, se traduisant par une information concrète, suffisante et exacte qui met le consommateur en mesure de comprendre le risque encouru et ses conséquences potentielles en cas de réalisation de ce risque, exemples chiffrés et significatifs à l'appui (Cass. 1ère civ., 20 avril 2022, n° 20-16.316).
En l'espèce, il ressort des développements précédents, que les clauses stipulant les modalités pratiques d'application du cours de change, sont particulièrement opaques, puisqu'il est fait état d'un taux de change 'eurodevise' qui n'est pas définissable par des critères objectifs et neutres.
En outre il y a lieu de rappeler qu'il est nécessaire de faire référence à trois documents distincts pour pouvoir appréhender la consistance et la réalité de ce taux « eurodevise ».
Les clauses litigieuses autorisant le Crédit Agricole à procéder à des conversions du capital, des échéances trimestrielles, en faisant application d'un cours de change fixé « sur la base du cours de l'eurodevise », ne formant pas un ensemble clair et compréhensible au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation, leur rédaction n'étant pas de nature à permettre aux emprunteurs de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme de change en cause et d'évaluer le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, doivent être déclarées non écrites, et par conséquent inopposables aux appelants.
Les alinéas 6 et 8 de l'article L. 132-1 ancien du code de la consommation disposent que les clauses abusives sont réputées non écrites et que le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives, s'il peut subsister sans lesdites clauses.
Suite à la reconnaissance du caractère abusif et non écrit des clauses évoquées plus haut, stipulant un cours de change fixé « sur la base du cours de l'eurodevise », la clause du prêt habitat en devise s'en trouve affectée.
Contrairement aux souhaits des appelants qui demandaient « l'annulation de la stipulation d'intérêts du prêt habitat en devises », la cour se limitera à leur déclarer cette stipulation inopposable.
Pour remettre les parties dans la situation dans laquelle elles auraient dû se trouver, il y a lieu de faire le nécessaire pour que la conversion des sommes en euro en francs suisses se fasse selon le cours officiel, tel que fixé par la BCE aux dates de conversion.
La banque sera dès lors condamnée à :
- déterminer, au moment de la libération du capital, et à chaque échéance, qui a été réglée par un achat de devises, le montant du taux de change appliqué conformément à sa pratique de « eurodevise »,
- déterminer le taux de change applicable au moment la libération du capital et à chaque échéance, en application du taux fixé par la BCE,
- calculer la différence et rembourser le cas échéant M. X. et Mme Y. de celle-ci.
Cette condamnation ne sera pas sortie de l'astreinte sollicitée.
Le préjudice subi par les emprunteurs - du fait du mécanisme de change jugé abusif - sera effacé par le remboursement des frais de change indus, de telle sorte qu'il n'y a pas lieu de leur réserver le droit de conclure après production d'un décompte par la banque.
4) Sur les frais irrépétibles :
Les demandes de M. X. et Mme Y. étant accueillies partiellement, la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES assumera la totalité des dépens de première instance et d'appel.
La demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile par la banque sera rejetée, le jugement déféré étant infirmé de ce chef.
En revanche, la banque devra verser à M. X. et Mme Y. la somme de 3.000 euros au même titre et sur le même fondement.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Infirme le jugement rendu le 8 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG, sauf en ce qu'il a débouté M. X. et Mme Y. de leur demande en nullité de la stipulation contractuelle relative aux intérêts conventionnels du prêt,
Le confirme de ce seul chef.
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Constate que les demandes des appelants sont recevables,
Déboute la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE VOSGES ALSACE de sa demande en vue de voir déclarer irrecevable, car nouvelle, la demande des appelants tendant à faire juger abusive la clause du prêt habitat en devises, prévoyant le calcul des intérêts sur la base du nombre de jour de chaque trimestre et d'une année de 360 jours,
Déboute la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE VOSGES ALSACE de sa demande en vue de voir déclarer irrecevable la demande des appelants, tendant à faire 'Déclarer abusives les clauses du prêt autorisant la CAISSE DE CRÉDIT AGRICOLE à convertir le capital débloqué en francs suisses, en faisant application du cours du change fixé 'sur les bases du cours de l'eurodevise' et se 'rapprochant' du fixing BCE, mais sans l'égaliser et sans que l'emprunteur puisse connaître à l'avance et vérifier ces cours' et d'en tirer les conséquences en déclarant ces clauses non-écrites,
Déboute M. X. et Mme Y. de leur demande tendant à voir annuler le contrat de prêt sur le fondement de la clause lombarde,
Déboute M. X. et Mme Y. de leur demande tendant à voir prononcer la déchéance du prêteur des intérêts à titre de sanction, au motif que l'offre de prêt faite ne comporte pas d'informations relatives au coût total du prêt et à l'échéancier,
Déclare abusives et non écrites les stipulations présentes :
- dans la « fiche d'information précontractuelle » annexée au contrat, sous le titre « prêt habitat en devise » à savoir « Pour chaque montant en euros, la contre-valeur en devise est précisée, à titre indicatif, sur la base du cours de l'eurodevise à une date déterminée indiquée dans les documents contractuels »,
- sous le titre « le cours de change » apparaissant dans le document intitulé 'prêt comportant un risque de change' annexé à l'offre de prêt à savoir :
« les cours de change applicable lors du traitement des opérations concernant votre prêt sont fonction des volumes de devise achetés ou vendus par votre caisse régionale via son prestataire sur le marché. Ils vous sont communiqués lors de l'exécution de ces opérations. Ces cours se rapprochent des cours de change de l'euro publié à des fins de référence par la banque centrale européenne (BCE), aussi appelé le fixing BCE »
En conséquence,
Déclare ces clauses non écrites et non opposables à M. X. et Mme Y.,
Condamne la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES à :
- déterminer, au moment des deux déblocages du capital, puis à chaque échéance trimestrielle réglée, le montant du taux de change appliqué conformément à sa pratique stipulée de 'l'eurodevise',
- déterminer le taux de change applicable au moment de la libération du capital puis à chaque échéance, en prenant référence au taux fixé par la BCE,
- calculer la différence éventuelle et la rembourser à M. X. et Mme Y.,
Condamne la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE VOSGES ALSACE aux dépens de la procédure de première instance et d'appel,
Condamne la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES à payer à M. X. et Mme Y. la somme de 3 000 euros (trois mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES de ses demandes au titre des dépens et frais irrépétibles.
La Greffière : le Président :