CA LYON (6e ch.), 4 avril 2024
- TJ Saint-Étienne (Jex), 7 juillet 2023 : RG n° 22/00069 ; Dnd
CERCLAB - DOCUMENT N° 23039
CA LYON (6e ch.), 4 avril 2024 : RG n° 23/06796
Publication : Judilibre
Extrait : « L'article R. 132-2 du code de la consommation dans sa rédaction issue du décret n° 2009-302 du 18 mars 2009 énonce que dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont présumées abusives au sens des dispositions du premier et du deuxième alinéas de l'article L. 132-1, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de : (...)
La clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d'une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement.
L'acte de prêt notarié du 7 mars 2016 contenant offre de prêt acceptée, sur le fondement duquel est poursuivie la procédure de saisie immobilière, comporte une clause exigibilité anticipée-déchéance du terme stipulant que le prêt sera résilié et les sommes prêtées deviendront immédiatement exigibles par notification faite aux emprunteurs dans l'un des cas suivants : (...) défaut de paiement des sommes exigibles en capital, intérêts et autres accessoires, quinze jours après mise en demeure. Cette clause relative aux conséquences de l'inexécution du contrat prévoyant l'exigibilité immédiate de toutes les sommes restant dues au titre du prêt après l'envoi d'une mise en demeure et l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de ladite mise en demeure, sans que le débiteur ait acquitté les sommes exigibles au titre des échéances de remboursement du prêt, ne peut être qualifiée d'abusive au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation. En effet, s'agissant de faire respecter une obligation essentielle du contrat, le préavis de quinze jours contractuellement accordé à l'emprunteur apparaît raisonnable, comme étant de nature à lui permettre de régulariser sa situation, au besoin en se rapprochant de son créancier, et de reprendre le cours du paiement des échéances du prêt.
En tout état de cause, aux termes de la lettre du 22 mars 2022, le Crédit foncier de France a mis en demeure M. X. de régler le solde débiteur du prêt 406852A d'un montant de 3.104,04 euros dans un délai d'un mois, supérieur à celui de quinze jours stipulé au contrat et il a prononcé la déchéance du terme à la date du 10 mai 2022, si bien que l'emprunteur a bénéficié en réalité d'un délai d'un mois et demi après la mise en demeure pour s'acquitter de sa dette. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 23/06796. N° Portalis DBVX-V-B7H-PFN2. Décision du Juge de l'exécution du TJ de SAINT-ÉTIENNE du 7 juillet 2023 : RG n° 22/00069.
APPELANTE :
CRÉDIT FONCIER DE FRANCE
[Adresse 2], [Localité 5], Représenté par Maître Olivier BOST de la SELARL BOST-AVRIL, avocat au barreau de SAINT-ÉTIENNE
INTIMÉ :
M. X.
né le [Date naissance 1] à [Localité 3], [Adresse 4], [Localité 3], défaillant
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 27 février 2024
Date de mise à disposition : 4 avril 2024
Audience tenue par Joëlle DOAT, présidente, et Evelyne ALLAIS, conseillère, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré, assistées pendant les débats de Cécile NONIN, greffière. A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Composition de la Cour lors du délibéré : - Joëlle DOAT, présidente, - Evelyne ALLAIS, conseillère, - Stéphanie ROBIN, conseillère
Arrêt rendu par défaut publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, Signé par Joëlle DOAT, présidente, et par Cécile NONIN, greffière, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES :
Par acte en date du 30 juin 2022, le Crédit Foncier de France a délivré à M. X. un commandement aux fins de saisie immobilière du bien situé [Adresse 4] à [Localité 3], pour paiement de la somme de 90.649,73 euros arrêtée au 2 juin 2022, en vertu d'un acte de prêt notarié en date du 7 mars 2016 consenti à hauteur de 91.000 euros, au taux effectif global de 3,85 % l'an, remboursable en 300 mensualités de 407,21 euros chacune pendant 96 mois et de 505,32 euros chacune pendant 204 mois, prêt garanti par une inscription de privilège de prêteur de deniers en date du 15 mars 2016 publiée le 21 mars 2016 au service de publicité foncière de [Localité 6], 2ème bureau volume 2016 XX.
Le commandement a été publié au service de publicité foncière de [Localité 6] le 23 août 2022, volume 2022 YY.
Par acte d'huissier en date du 20 octobre 2022, le Crédit foncier de France a fait assigner M. X. devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Saint-Etienne en vue de l'audience d'orientation.
Par jugement avant-dire droit en date du 12 mai 2023, le juge de l'exécution a ordonné la réouverture des débats et invité les parties à présenter leurs observations sur l'exigibilité de la créance au regard du caractère abusif de la clause de déchéance du terme du contrat de prêt notarié fondant les poursuites.
Par jugement d'orientation en date du 7 juillet 2023, le juge de l'exécution a, notamment :
- déclaré non écrite la clause intitulée « exigibilité anticipée » du contrat de prêt fondant les poursuites
- mentionné que le montant retenu pour la créance de la société Crédit foncier de France s'élève au 2 juin 2022 à la somme de 3.129, 06 euros en principal et intérêts, outre les frais de la saisie immobilière
- autorisé M. X. à poursuivre la vente amiable des droits et biens immobiliers saisis dans les conditions prévues aux articles R. 322-21 à R. 322-25 du code des procédures civiles d'exécution
- dit que le prix de vente ne pourra être inférieur à la somme de 110.000 euros net vendeur, outre les frais de la vente et les frais taxés, versés par l'acquéreur en sus du prix
- taxé les frais déjà exposés par le créancier poursuivant à la somme de 1.641,28 euros TTC et rappelé qu'ils devront être payés par l'acquéreur en sus du prix de vente entre les mains du créancier poursuivant
- dit que le prix de vente devra être consigné entre les mains de la Caisse des dépôts et consignations
- dit que l'affaire sera rappelée à l'audience du 13 octobre 2023.
Le juge de l'exécution a estimé que la clause d'exigibilité anticipée du prêt était abusive et devait en conséquence être réputée non écrite, au motif que le délai de préavis de quinze jours laissé à l'emprunteur pour régulariser sa situation après mise en demeure ne pouvait être considéré comme raisonnable et créait un déséquilibre significatif entre les droits du prêteur et les obligations de l'emprunteur.
Le Crédit foncier de France a interjeté appel de ce jugement, le 30 août 2023.
Par ordonnance sur requête en date du 4 septembre 2023, la présidente de la 6ème chambre a autorisé le Crédit foncier de France à faire assigner à jour fixe M. X. devant la cour d'appel de Lyon pour l'audience du 27 février 2024.
L'assignation a été délivrée à M. X. par acte de commissaire de justice en date du 3 octobre 2023, remis en l'étude de ce dernier.
[*]
Le Crédit foncier de France demande à la cour :
- d'infirmer le jugement
- de retenir sa créance pour la somme de 90.649,73 euros en principal, intérêts, frais et accessoires, arrêtée au 2 juin 2022
- de déterminer les modalités de poursuite de la procédure, conformément à l'article R. 322-15 du code des procédures civiles d'exécution
- d'ordonner la vente forcée des biens et droits immobiliers saisis et de fixer l'audience à laquelle il y sera procédé sur la mise à prix de 34.000 euros
- de dire que le débiteur saisi ou tout occupant de son chef sera tenu de laisser visiter les lieux et qu'il pourra faire assurer la visite des biens mis en vente par la SARL A., commissaire de justice à [Localité 6]
- de dire qu'il sera autorisé à faire paraître une publicité complémentaire à raison de deux insertions dans le journal de son choix et une parution sur le site internet Avoventes.fr.
Il fait valoir que la clause d'exigibilité anticipée stipulée au contrat de prêt ne crée aucun déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au détriment du consommateur, puisqu'il est prévu l'envoi d'une mise en demeure, et que le délai de régularisation de quinze jours est raisonnable.
Il ajoute qu'en l'espèce, le délai visé par la mise en demeure a été porté à trente jours et que la déchéance du terme n'a été prononcée que le 10 mai 2022, soit un mois et demi après la date de la mise en demeure, qu'il n'a donc pas été fait application de la clause, de sorte qu'il n'y avait pas lieu de rechercher son caractère abusif ou non.
Il affirme qu'à supposer que la clause soit jugée abusive, une telle clause est divisible, si bien que seule la partie de cette clause prévoyant un délai de quinze jours après mise en demeure serait anéantie, ce qui n'empêcherait pas de prononcer la déchéance du terme au visa de cette clause.
Il s'oppose à la demande de vente amiable, faisant observer que M. X. n'était ni présent, ni représenté à l'audience de réouverture des débats qui s'est tenue le 2 juin 2023 et qu'il n'a pas maintenu sa demande de vente amiable, si bien que le juge de l'exécution a statué ultra petita.
[*]
L'assignation du 3 octobre 2023 a été remise en l'étude du commissaire de justice.
M. X. n'a pas constitué avocat.
Le présent arrêt sera rendu par défaut.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE :
Selon l'article L. 132-1 alinéa 1er du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 applicable au litige compte-tenu de la date de conclusion du contrat, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
L'article L. 132-1 alinéas 5 et 7 dispose que les clauses abusives sont réputées non écrites et que le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses.
L'article R. 132-2 du code de la consommation dans sa rédaction issue du décret n° 2009-302 du 18 mars 2009 énonce que dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont présumées abusives au sens des dispositions du premier et du deuxième alinéas de l'article L. 132-1, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de : (...)
4° reconnaître au professionnel la faculté de résilier le contrat sans préavis d'une durée raisonnable.
La clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d'une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement.
L'acte de prêt notarié du 7 mars 2016 contenant offre de prêt acceptée, sur le fondement duquel est poursuivie la procédure de saisie immobilière, comporte une clause exigibilité anticipée-déchéance du terme stipulant que le prêt sera résilié et les sommes prêtées deviendront immédiatement exigibles par notification faite aux emprunteurs dans l'un des cas suivants : (...) défaut de paiement des sommes exigibles en capital, intérêts et autres accessoires, quinze jours après mise en demeure.
Cette clause relative aux conséquences de l'inexécution du contrat prévoyant l'exigibilité immédiate de toutes les sommes restant dues au titre du prêt après l'envoi d'une mise en demeure et l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de ladite mise en demeure, sans que le débiteur ait acquitté les sommes exigibles au titre des échéances de remboursement du prêt, ne peut être qualifiée d'abusive au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation.
En effet, s'agissant de faire respecter une obligation essentielle du contrat, le préavis de quinze jours contractuellement accordé à l'emprunteur apparaît raisonnable, comme étant de nature à lui permettre de régulariser sa situation, au besoin en se rapprochant de son créancier, et de reprendre le cours du paiement des échéances du prêt.
En tout état de cause, aux termes de la lettre du 22 mars 2022, le Crédit foncier de France a mis en demeure M. X. de régler le solde débiteur du prêt 406852A d'un montant de 3.104,04 euros dans un délai d'un mois, supérieur à celui de quinze jours stipulé au contrat et il a prononcé la déchéance du terme à la date du 10 mai 2022, si bien que l'emprunteur a bénéficié en réalité d'un délai d'un mois et demi après la mise en demeure pour s'acquitter de sa dette.
Il n'est pas justifié en conséquence de déclarer abusive la clause litigieuse.
Il convient d'infirmer le jugement qui a fixé le montant de la créance à recouvrer à la somme de 3.129,06 euros en principal et intérêts, arrêtée au 2 juin 2022, outre les frais de la saisie immobilière.
Au vu des éléments apportés par le Crédit foncier de France, la créance à recouvrer se décompose ainsi :
- capital restant dû au 10 mai 2022 : 81.407 euros
- solde débiteur (échéances impayées) au 10 mai 2022 : 3.129,06 euros
- intérêts arrêtés au 2 juin 2022 : 162,03 euros
- cotisation d'assurance : 34,12 euros
total : 84.732,21 euros
Le contrat de prêt stipule qu'en cas d'exigibilité du prêt consécutive à la résolution du contrat, les emprunteurs devront rembourser au prêteur (...) une indemnité dont le montant est fixé à 7 % des sommes dues au titre du capital restant dû, des intérêts échus et non payés et le cas échéant des intérêts de retard.
Cette indemnité s'élève donc à 5.709,83 euros (81.407 + 162,03 = 81.569,03 x 7 %).
La créance du Crédit foncier de France doit être fixée à la somme de 90.442,04 euros, en principal (capital restant dû et échéances impayées), intérêts, cotisations d'assurance et indemnité contractuelle, arrêtée au 2 juin 2022.
Le jugement est également infirmé en ce qu'il a autorisé M. X. à poursuivre la vente amiable du bien immobilier saisi, M. X. n'ayant pas justifié devant le premier juge, ni devant la cour des diligences effectuées par lui à cet effet.
Il convient d'ordonner la vente forcée du bien immobilier, sur la mise à prix de 34.000 euros, et de renvoyer l'affaire au juge de l'exécution afin qu'il fixe la date et les modalités de la vente par adjudication, ainsi que le montant des frais à taxer.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et par défaut :
INFIRME le jugement
STATUANT à nouveau,
RETIENT la créance du Crédit foncier de France à hauteur de la somme de 90.442,04 euros, en principal (capital restant dû et échéances impayées), intérêts, cotisations d'assurance et indemnité contractuelle, arrêtée au 2 juin 2022
ORDONNE la vente forcée du bien immobilier saisi, à savoir les lots n° 4, 5 et 8 dépendant d'un immeuble en copropriété situé à [Localité 3], [Adresse 4], sur la mise à prix de 34.000 euros
RENVOIE l'affaire au juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Saint-Etienne, afin qu'il fixe la date et les modalités de la vente par adjudication, ainsi que le montant des frais à taxer
CONDAMNE M. X. aux dépens d'appel.
LA GREFFIERE LA PRÉSIDENTE